Novels2Search
Les Songes de Suranis [French]
Épilogue : Sous le Flux, partie 4

Épilogue : Sous le Flux, partie 4

Les légionnaires furent surpris lorsque les énergumènes de la veille s’engagèrent sur la route qui longeait l’Ük. Ils ne tentèrent rien à leur encontre jusqu’à que leurs intentions se manifestent clairement. La route qu’ils prenaient les guidait jusqu’au tunnel d’accès vers Resmaar, long d’une vingtaine de kilomètres. Dans toute la chaîne montagneuse, il n’en existait que quatre bâtis par les Anciens alors qu’ils écumaient encore cette Terre. Sur les quatre, Silas Segpaîs n’en avait vu que deux, celui d’Altük y compris. Comparé à celui qu’il avait jadis emprunté, ce nouveau était bien plus large et ostensiblement éclairé par des ampoules autoalimentées d’un genre qu’il ne reconnaissait pas.

De la lumière et de la place. Le capitaine jubila en remarquant qu’il n’y avait pas le moindre gravats, tous évacués vers l’extérieur. Le tunnel était entretenu, le trajet sera plaisant si on daignait débloquer son accès.

— Halte là, cria-t-on du haut d’un mirador flanquant l’accès.

Une tête émergea. Le garde de la porte les regarda puis descendit de sa tour de guet, d’un bois si fragile face à l’éternité du béton armé. Dans la lumière ténue d’une aurore qui s’éternisait, il était difficile de lui donner un âge. Son agilité manifeste tendait à indiquer qu’il n’approchait pas encore de la quarantaine, quoi que cela signifiait peu de chose.

— La frontière est fermée, dit-il. Vous pouvez le voir par vous-même.

Ils ne pouvaient pas le manquer. Deux piliers de briques, tout dérisoires qu’ils étaient, maintenaient en place une herse composée de ces drôles de barres torsadées qu’on récupérait facilement en brisant les ruines des Anciens. La grille était abaissée, même la porte dérobée croulait sous les verrous.

— Oui, je le vois bien, répondit le capitaine. J’espère que vous n’avez pas oublié où vous avez rangé vos clefs parce qu’il va falloir nous ouvrir.

— Ah bon ? demanda le légionnaire. Vous avez une raison valable pour que je déverrouille ?

Le capitaine sortit de sa besace une tablette d’argile siglée G.P., une croix et un ordre de mission. Le légionnaire s’en saisit et l’examina en plissant le front. Les connexions se firent.

— G.P., c’est ce nalth ?

— Oui-da, celui-là même. La gueule en lambeaux et une haleine à déterrer les morts ou bien de mort, je ne saurais trop dire.

La figure du légionnaire s’abîma d’un rictus d’effroi.

— Par Hydra, tenez-vous ! souffla-t-il. C’est un nalth, il pourrait vous maudire sur des générations. Pourvu qu’il n’entende pas cela… C’est donc lui qui vous envoie ? Je ne peux pas vous refuser l’accès, sachez que je refermerais derrière vous. Cependant, je dois vous prévenir que la navette est hors-service, nous ne pouvons risquer de la perdre dans une embuscade. Alors, il vous faudra traverser à pieds. Dans le meilleur des cas, vous arriverez de l’autre côté en fin de matinée.

— L’autre extrémité du tunnel n’est-elle pas gardée ?

— Si, et bien. Mais ne prenons pas de risque.

— Je l’entends. Grand merci à vous et puisse la journée vous être favorable.

Le légionnaire ricana en retournant à son poste. La journée lui était déjà défavorable. Des envoyés de nalth, il n’aimait pas ça et préférait qu’ils s’éloignent le plus prestement possible. L’opérateur de la porte, sur l’ordre du légionnaire, arma des leviers dans sa cabine, en désarma d’autres et un moteur s’enclencha. Avec des millénaires à son compteur, il crachota en puisant dans sa réserve de carburant et s’activa contre toute attente. Les Anciens étaient d’excellents ingénieurs, pour sûr. On leur ouvrit la grande porte, bien que la petite eut suffi, et celle-ci s’éleva. Lorsqu’elle le fut assez pour leur permettre de passer, la compagnie s’engagea dans le tunnel en singeant le salut royal, une vieille rengaine entre les mercenaires et l’armée officielle : Je t’aime, moi non plus.

À l’intérieur du tunnel les diodes s’enchaînaient, blanches et rouges pour indiquer les distances parcourues. De la pénombre naquit la débauche lumineuse, effrayant les chevaux habitués à ne pas voir plus loin que leurs nasaux. Ils tentèrent de rebrousser chemin, mais les mercenaires les retinrent. D’une certaine façon, ils partageaient les craintes de leurs montures : eux aussi se montraient moins bravaches. Non pas que la lumière les dérangea, mais habitués qu’ils étaient à l’étrange couleur verdâtre des perles qu’ils craquaient, ils se retrouvaient déboussolés sous la froide et laborantine lueur des diodes. La lumière intense qui régnait ici révélait le moindre détail des amas de terres et de sables, rouges et marronnasses, ramenés d’un côté comme de l’autre de la frontière. La terre avait encore le dessus, mais ils savaient que rapidement le sol serait jonché d’une poussière sanguine. Celle du désert.

Cosmo frémit, ostensiblement.

— Je ressens l’éternel, glapit-il

Le capitaine ne lui répondit pas, mais il n’en pensait pas moins. L’œsophage en béton armé les aspirait vers un autre univers. Des mois auparavant, au-dessus de leur tête, un politicien déchu expérimentait une transition similaire en empruntant le pont de la compagnie Norddle, direction la cellule 44A et, comme lui, le capitaine ne tarderait pas à se muer en quelqu’un de différent.

Pour l’instant cependant, il demeurait le même. Il pressentait que ce tunnel serait son dernier et tenta de percer l’horizon, imaginant plus qu’il ne voyait le minuscule point vert qui signifiait la fin du périple. La sortie lui parut si proche, pourtant il n’en était rien. Il restait une vingtaine de kilomètres à parcourir, poussez encore un peu plus loin s’il vous plaît. Le tunnel devait être en ligne droite, ce qu’il croyait discerner ne pouvait être que le grand dehors et pas le cimeterre enflammé d’un barbare. Mais… Si c’était le cas ? Le Cramé déferlerait sur eux, avec ses petits copains enragés collés à ses basques, et ils tasseraient la compagnie contre un mur. Les chevaux paniqués fuiraient, les laissant comme des cons entre la mort et les flammes.

Après tout, nous sommes déjà dans un sarcophage de béton, pensé des millénaires auparavant pour accueillir la compagnie du Pùrgos. Dans la lumière, elle reposera, privée du vrai monde : là, dehors… Alors, pourquoi pas après tout ?

Sans dire un mot, la compagnie dans son ensemble se décida à hâter le pas. Tous paraissaient effrayés par la perspective d’une rencontre avec l’ennemi bien que personne ne l’exprima. Peut-être était-ce le capitaine qui donna le premier coup de cravache, personne ne s’en souviendrait une fois arrivés à destination. Quoiqu’il en soit, une sombre présence les prenait aux tripes et les retournait avec une telle douceur qu’ils ne remarqueraient le moment où elles se retrouveraient inversées que trop tard.

Alors qu’ils progressaient à vive allure, Silas remarqua la présence de crochets argentés qui ressortaient des parois, l’aguichant. Ils soutenaient des tuyaux d’une épaisseur louable et d’une matière suspecte. Le capitaine ordonna à ce que l’on s’arrête, malgré la réticence des hommes, et s’approcha d’une des conduites pour donner un grand coup dedans. Ça ne sonna pas métallique. Il en avait déjà vu, mais pas souvent et celles-ci l’appelaient.

— C’est du « blars-tique », commenta-t-il. Je n’en ai pas vu depuis… Au moins l’époque où j’étais encore lieutenant.

— « Blas-rétique », corrigea machinalement Cosmo en se trompant lui aussi dans la foulée. Les Anciens ont canalisé toutes les eaux de la région pour l’exploiter. Je te parie que ces derniers alimentent l’Ük.

— Comment sais-tu qu’il s’agit d’eau ? demanda Silas qui avait entendu parlé de tuyaux analogues remplis d’une substance épaisse et noire.

— Ils sont bleus. Les bleus, c’est toujours de l’eau disent les vieux et je les crois sur parole. Puis…

Il ne finit pas sa phrase. Silas tendit l’oreille. Un sifflement continu perturbait le tunnel et résonnait en lui comme dans un cor de brume. C’était distrait, mais une fois qu’on l’avait entendu on ne pouvait simplement le remiser dans un coin de son esprit. Ils repérèrent rapidement le fautif, un tuyau qui fuitait. Le filet d’eau n’était pas des plus vivaces et une flaque s’étendait sous lui. Elle parvenait à s’immiscer dans les fêlures du béton, disparaissant aussi lentement que son environnement hôte qui ne manquerait, un jour, de s’écrouler et d’enterrer les rats qui le sillonnait de long en large.

La flaque reflétait la myriade d’ampoules aussi bien qu’un ciel étoilé et attira l’attention de toute la compagnie. Même de Brogan. Les étoiles étaient rares derrière le Flux.

— Ça me rappelle une visite chez l’arracheur de dent, murmura Cosmo.

— Ah ?

— Oui. Il possédait une lanterne électrique aux milliers d’ampoules. Il prétendait l’avoir acheté, plutôt que volé, mais quelle différence cela peut me faire ? La malédiction s’abat sur les pilleurs de ruines, pas les patients de ceux-ci.

— Foutaises, cracha un des mercenaires.

Celui qui venait de parler en profita pour sauter à bas de son cheval. D’une démarche chancelante, il se dirigea vers la paroi opposée à l’eau, fasciné par une des issues de secours qui parsemaient le tunnel.

— J’ai les ratines qui vibrent ! Oui, elles vibrotent, virevoltent, prennent leur envol… Définitivement ! dit-il si fort qu’on put penser qu’il ne se parlait pas à lui-même.

Taken from Royal Road, this narrative should be reported if found on Amazon.

Les ratines qui vibrent… Silas entendit ces mots, se les repassa, les tortura dans son esprit émacié à force d’être éprouvé et comprit ce qu’il voulait dire. Oui, il y avait de ça aussi. Mais il n’appréciait pas que ce soit le Bigleux qui le fasse remarquer. Il s’approcha de lui, le guerrier voûté caressait les écailles de peinture de l’issue. Parfois, ses intuitions les menaient à la fortune. Le Bigleux était une sorte de radar à perles. Certaines personnes étaient comme ça et ils avaient la chance d’avoir un copain de la sorte. Mais, parfois… Parfois, c’était autre chose que le Bigleux ressentait.

Bien que ce ne soit pas le seul réceptif aux ondulations des perles de la compagnie, si les hommes du Pùrgos étaient des magnets, le Bigleux était lui un canon de Gauss, pour peu que ces deux objets signifient la moindre chose pour eux. S’il le disait, il devait y avoir quelque chose. La fortune. Bonne ou mauvaise ?

— 19 C, déchiffra Silas sur la pancarte qui surplombait la porte. Mais ce n’est pas une issue de secours…

— Pour sûr mon Chef ! Pas de bonhomme vert qui se carapate et parce que je vais te dire une chose… Ça n’a foutrement rien à voir, non et encore non ! Des perles, ouais… La fortune, voilà ce que je sens et je mettrais mon nasal à couper si je me bourre, ouais !

Cosmo les rejoignit.

— On ne devrait pas piller le tunnel, gémit-il lamentablement.

Il avait toujours été superstitieux.

— Ahah ! T’as la frousse Coco ? Booouh ! Tu veux toucher mon talisman ? Deux boules, tu les frottes et le génie apparaît. Ouais, pour sûr !

— Parce que tu n’as jamais vu de malédiction, tu en déduis qu’elles n’existent pas ? gronda Silas. Rappelle-moi avec quel œil tu n’en as pas vu, je peux toujours arranger ça.

Sa malédiction personnelle elle s’appelait « gros poing droit ». Silas n’était pas superstitieux, mais appréciait trop son second pour ne pas lui tendre une main secourable. Il ne pouvait cependant pas dire qu’il se sentait à l’aise face à cette porte. La police d’écriture utilisée par les Anciens « 19 C » prenait des allures de runes ésotériques. Si magie il y avait, elle résidait ici et pas ailleurs.

— Contentons-nous de piller les vivants, demanda Cosmo.

Le Bigleux le dévisagea avec colère. Avec son crâne démesurément allongé et sa pâleur cadavériques, ses orbites occupées par deux rubis fêlés, il était terrifiant.

— Non Coco ! C’est juste derrière cette porte, ouais ! Je me toucherais les couilles pendant que tu creuse si tu veux… Suffit de creuser un peu, puis des perles… La richesse derrière la porte ! Elle s’effrite comme du pain cramé la porte, porte… Porte nous ailleurs !

— On peut toujours regarder, concéda le capitaine. Très rapidement et je m’en occuperais personnellement.

Cosmo se signa rapidement et s’éloigna de la porte. Le capitaine posa une main sur celle-ci. Elle était d’un rouge qui tournait au rouille, mais elle tenait encore sur ses gonds. Un hublot crasseux ne lui dévoila pas grand-chose sur ce qui se tramait de l’autre côté sinon qu’une sérieuse fuite dans les canalisations – une autre ! - jouissait d’un terrain fertile et entravait davantage encore la vue.

Il gratta la peinture et des écailles tombèrent en une pluie grossière. Du métal sur du métal, supposa-t-il sans trop comprendre ce dont il s’agissait, comme si on avait ajouté une très fine couche pour protéger le cœur de la porte de la corrosion. Évidemment, cette couche-là possédait la consistance du « blars-tique ». Mais, ça lui rappela autre chose. Il en saisit un morceau et tira, tout vint comme il s’y attendait. L’impression d’arracher la membrane argentée d’une viande le fit glousser, ça en était juste un peu trop pour lui.

— Nous ne serons pas arrivés à Resmaar à temps si tu effeuilles cette porte, intervint Cosmo dans son dos. Dépêche !

Toujours d’excellentes remarques l’ami, se dit Silas en agrippant la poignée. Il tira d’un coup sec, la porte résista et une nuée d’éclats virevoltèrent, atterrirent dans ses cheveux et lui irritèrent les yeux. Il secoua la tête comme un chien sortant de l’eau et ressentit une impulsion folle qui lui fit taper du pied. S’était-il seulement passé quelque chose ? Réellement ? Il avait l’impression que ses dents voulaient se déchausser, mais la sensation disparut aussi rapidement qu’elle était survenue pour le laisser troublé dans cet état entre la colère et la crainte. Pour le capitaine, il était difficile de définir ce qu’il ressentit alors… Peut-être finalement une sorte de révérence insidieuse pour sa Majesté de la Porte ?

Il resta ainsi un petit moment, regardant ses mains puis la poignée. À sa grande surprise, personne ne dit mot et lui-même n’eut envie d’en dire un seul. Il s’empara de nouveau de la poignée et l’enclencha. Cette fois-ci, elle ne résista pas. Il eut l’impression nette de se retrouver face à un mur de parpaings, mais cela ne dura pas. Sous ses authentiques mirettes, il crut devenir fou. L’encadrement de la porte était en ruine, puis la seconde d’après elle séchait, puis encore celle qui suivit elle n’existait plus. Les lampes dans le tunnel s’éteignirent les unes après les autres, l’obscurité envahit l’univers. Voyait-il le commencement ou la fin de cette histoire ? Qui sait. Il ne restait plus rien ni du tunnel ni de la porte. Face à lui, une caverne s’ouvrit. Profonde, elle exhalait un air chargé d’embruns iodés. Une douce luminescence verte émanait des parois, l’illuminant par phases. Il se retrouva dans ce boyau mué par le cœur d’une noirceur absolue de la Bête.

— Putain de merde, souffla-t-il. Tu as vu ça Cosmo ?! Le Bigleux ? Brogan… ?

Mais la compagnie avait disparu. Il se retrouvait seul face à l’inconnu. Du bruit lui parvint à une trentaine de mètres de lui, là où la caverne se ramifiait en trois branches. C’était comme si des milliers de pattes métalliques frappaient la paroi en un rythme effréné. Les propriétaires des dites pattes apparurent sous la forme d’araignées qui s’agitaient, de la taille de son poing. Lorsqu’elles le virent, elles commencèrent à s’approcher de lui.

Elles s’enfoncèrent dans la galerie en progressant. Des sables mouvants ou plutôt un flux visqueux… Les parois suintaient et il comprit instinctivement que le moindre contact avec ce dernier le mènerait au trépas. Dans son dos lui parvint le bruit d’un écoulement, il pensa qu’une conduite… Il n’y en a plus. Venait d’exploser. Il ressentit tout de même le contact du liquide tiède qui le détourna un instant de la cohorte qui avançait vers lui. Assez pour qu’elles se retrouvent à portée de voix et qu’une d’entre elle déploie ses mandibules pour lui parler, directement dans son crâne.

— Qui voilà en train d’arpenter mon trou du cul ? Sens-tu mes miasmes ou te refuses-tu obstinément à respirer mon copain ? Mais ne t’inquiète pas. Je ne suis pas méchant… Je peux même te proposer une branlette à huit pattes… Tu n’as jamais essayé c’est sûr, alors tenté ?

Silas recula en manquant de tomber à la renverse. La caverne se referma sur lui.

Oh, et puis merde ! Pourquoi pas l’amie ? Des années que j’ai pas jouis entre des jambes expertes et m’en fous pas mal qu’elles soient arachnides. Oui-da, vas-y, fais de moi ce que tu veux, je m’en branle : lit-té-ra-le-ment.

L’araignée parut entendre ses pensées car sa gueule s’ouvrit encore plus grande. Toutes les siennes sourirent comme une seule entité menée par l’araignée télépathe. Rapidement, elles se retrouvèrent à portée de saut et puis la suite… ? Elle lui sauterait au visage et ils feraient l’amour sans tendresse. Le capitaine se laisserait faire, quitte à se faire dégoupiller la tête après avoir éjaculé de tout son soûl.

— Silas ! Merde, tu fous quoi ? hurla-t-on et la caverne vacilla, l’araignée parut surprise.

Une seconde les gars ! Une seule foutue seconde. C’est plus que ça n’a l’air. Nous nous désirons et merde, la vie n’a pas à être tout le temps vide. Parfois… Parfois il y a ça. Parfois, il y a une communion de l’ordre du mystique, parfois la sensation qu’être deux c’est plus qu’un et un. Mais c’était différent, plus grand encore. Le capitaine fusionnait avec le monde, la caverne n’était que la porte d’entrée vers l’Unité et il l’embrasserait de ses deux bras. L’araignée se trouvait désormais à une dizaine de centimètres de lui. Elle le regardait de ses milliers d’yeux. Tes mirettes sont des perles, tu sais ça ? Si belles, si terribles, si essentielles.

— Ça suffit ! On le tire d’ici !

Une pince se referma sur son épaule. Dans un cri, l’araignée lui cracha au visage une substance qui le brûla et l’apaisa en même temps. La caverne disparut, les araignées s’évaporèrent et tout revint au tunnel et à la compagnie, très inquiète.

— Putain de bordel, merde ! s’écria Silas à bout de souffle en manquant de s’effondrer.

Cosmo le retint, l’air plus soucieux que jamais.

— Tu as commencé à gratter le mur en hurlant à propos d’un baiser. Qu’est-ce qu’il s’est passé Silas ?

Il sentit du sang sous ses ongles. Il avait bien gratté, tant qu’au baiser ? Son entrejambe était humide, mais il se retint bien de lui dire. Il voulait baiser, pas d’un baiser. C’était différent et il fut bien heureux que ses compagnons ne l’aient pas compris. Il cligna des yeux pour refaire le point, l’obscurité qui n’en était pas une laissa place à la débauche lumineuse du tunnel. Il discerna le mur qu’il venait de gratter. Des parpaings scellés à la va-vite par un mortier des plus grossiers et qui bloquaient l’accès à la pièce – ou quoi que ce soit – qui se trouvait derrière. Deux squelettes gisaient appuyés contre le mur. L’un d’entre eux souriait d’une unique dent en or, une canine, mais tous deux portaient la même combinaison orange. Elles portaient inscrit en gras : « Olkers M.S. – Technique ». Personne dans la compagnie ne commenta ce détail, tout juste comprirent-ils le rôle des défunts en remarquant les truelles rouillées et le sceau de mortier plus que sec. Les deux avaient été enfermés avec de quoi monter un mur et on avait refermé la porte derrière eux, puis verrouiller à double tour bien que la serrure ne résista pas aux affres du temps.

— Ils ont été enfermés vivants… souffla le capitaine. Vivants ! Qu’est-ce que tu me veux le Bigleux au juste ?! Tu le savais ?

Le Bigleux répondit.

— Ça sent les foutues perles, voilà tout ! Elles sont derrière, mais j’savais pas qu’elle te ferait disjoncter !

— Mon cul ! s’écria le capitaine. Des macchabés, voilà tout ce qui se trouvait derrière la porte et un putain de mauvais sort !

— J’y peux rien ! Je vibre, je vibre ! Fait chier ! Je suis le clébard de la bande ! Je renifle, je vous le fait savoir et vous vous en prenez à moi ! lâcha le Bigleux avant de s’éloigner avec grande colère.

« Je ferais mieux de renifler le cul du cap’, ouais ! » ajouta-t-il. Cosmo posa une main rassurante dans le dos de Silas. Le capitaine tressaillit.

— Ça ira, ne t’inquiète pas Cosmo.

— Nausées des perles ? demanda Cosmo.

— Oui-da, pour sûr.

Mais c’était plus que ça. Certaines personnes réagissaient à certaines perles, mais ce n’était jamais arrivé à Silas qui du haut de sa petite cinquantaine en était arrivé à croire qu’il était immunisé. La situation était singulière. Il se pencha vers le couple squelettique, Cosmo le retenant par le ceinturon au cas où il dérape de nouveau. L’orbite vide de Canine Dorée le fixait avec une haine morbide. Au fond, il se moquait de la présence des visiteurs. Il craignait davantage qu’ils ne cassent le mur pour découvrir… L’araignée au fond de ton crâne, elle tisse sa toile.

Une marque sur le mur attira son regard. Les morts avaient gratté, tentant de se frayer un passage jusqu’à s’en limer les phalanges. Côté mur.

— Une nouvelle idée de merde du Bigleux… Voilà tout. Regarde-moi nos nouveaux amis…

— Aussi tarés que tu l’as été, hein ?

— Oui, je pense, répondit le capitaine en se relevant. Mais personne n’était là pour les arrêter. Bien, compagnons d’armes… Je regrette, mais nous n’aurons pas de perles ce matin. Bien d’autres nous attendent à Resmaar cependant.

Toute la compagnie en parut ravie malgré tout. Le Bigleux s’agitait toujours dans son coin, brandissant ses petits poings vers le plafond qui se délitait. Le capitaine eut la soudaine envie de l’étreindre jusqu’à que ses globes oculaires jaillissent et tombent. Blop, blop, et tu sauterais à pieds joints dessus ! Tu en crèves d’envie, n’est-ce pas copain ? Pour la branlette, tu devras te débrouiller tout seul, mais tu peux le niquer lui. Tu peux le baiser jusqu’à qu’il ne reste que de la charpie de son corps misérable. Fais toi plaisir, je te récompenserais… Tout ce que tu veux.

Sauf que cela, le capitaine ne le pensa pas.