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Chapitre 24

La procession fantomatique des diodes électriques cascadait le long de l’escalier, mais ne le descendait jamais. Du blanc le plus pur, elles n’étaient que les témoins silencieuses d’un esprit-frappeur en devenir qui peinait à mettre un pied devant l’autre. Zed se mourait, hanterait bientôt les nuits des êtres aimés et s’il se déplaçait encore c’était en abusant de l’épaule offerte par Suranis.

Tout avait commencé après la première cage d’escalier, celle qu’ils prirent à l’étage D après qu’un ascenseur se soit occupé de la liaison. Zed s’était mis à vomir au détour d’une coursive de service, puis avec une fierté exacerbée, prétendu que tout allait bien. Mais rien n’allait. Ils descendaient aussi vite qu’ils le pouvaient pour oublier le grésillement et l’odeur des chairs calcinées de l’homme-lombric. Le cadavre était resté derrière, exposé à la vue de tous. Combien de temps resterait-il ainsi avant qu’un gamin ne le découvre et que l’image de l’homme-ampoule lui reste gravée dans la tête par une décharge d’un giga-volt ? Pas assez et le temps défilait, il défilait à toute vitesse et encore plus vite que ne le faisaient les diodes qui éclairaient le chemin.

Il y a des lumières qui ne s’éteignent jamais et ces diodes en sont un exemple éloquent. Lorsque la Cité s’éteindra, elles survivraient sur batterie et resteront présentes gravées sur les pupilles, en images rémanentes. Elles offraient une haie d’honneur à l’homme qui se dirigeait vers sa fin, les tripes brûlantes. L’encre pour Zed s’épuisait bien plus vite que les pages vierges de sa vie. Le cran d’arrêt de l’homme-lombric avait été enduit d’un poison qui lui dévorait le corps et sa plaie ne cessait de suinter, de le démanger. Maintenant, il sentait que son estomac commençait à être attaqué et, même s’il ne partagea pas sa douleur avec Suranis, comprenait mieux les samouraïs qui, dans leurs jours de gloire, voyaient leur seppuku abrégé.

Comment je peux encore tenir debout ? Merde… Merde… Ness. Je ne veux pas mourir.

Suranis s’arqua pour l’empêcher de tomber vers l’avant :

— Attention à ne pas te casser la tronche. Tu vas tenir le coup ? s’enquit-elle alors que le mastodonte reprenait ses appuis.

— La forme ! Aussi bien qu’il y a dix minutes et que dans les dix prochaines, mentit-il alors que le poison s’immisçait plus profondément en lui tel une anguille piégée dans un puits. Tu veux bien me laisser une minute pour récupérer ? Je crois que voir du sang, surtout le mien, ça me sonne un peu.

Il s’appuya à la rampe de l’escalier, teintant de son sang les diodes lumineuses. Suranis lui tapota doucement l’épaule, il fallait qu’ils atteignent le Doc’ tant qu’ils le pouvaient encore :

— Mon héros est assez reposé, alors repartons ! Ou alors dois-je t’achever sur place ?

— T’es conne, éclata Zed en resserrant la mâchoire, tentant de rire mais une douleur lui barra les côtes. Putain de merde… Ça fait mal ! Tu ne peux pas t’imaginer… Mais je peux avancer, je ne suis pas si faible…

— Ouais, un vrai gaillard. Arrête donc de geindre et prouve-moi que tu es quelqu’un de fort. Je veux retrouver les copains et je suis certaine que cette petite entaille ne va pas nous retenir ici.

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— Surtout après… commença Zed.

Il cracha une gerbe de sang d’un rouge honnête. Ses chances de survie diminuaient à grand feu. Il pâlit ostensiblement :

— Merde, merde… C’est mauvais.

— Non, du tout ! Tout va bien aller… Tout va presque bien pour toi. Il faut juste te soigner et me laisser célébrer notre victoire pendant ton coma.

— Un coma, si ce n’était que ça… murmura Zed en recommençant à descendre les marches sur un rythme encore plus lent qu’auparavant, une main sur la plaie qui l’élançait.

Une quinte de toux l’interrompit.

— Au moins, je crèverais en combattant… Sans fuir. Pas comme nos foutus aïeux.

— Ferme-là, vraiment. Ce n’est pas le moment de parler de camps de déconversion. Toute notre lutte n’a rien à voir avec celle de fanatiques envoyés sur je ne sais quelle île pour perdre leurs sales habitudes. Ne me clampses pas entre les mains, c’est tout ce que je te demande.

Le mourant ne dit rien de plus. Suranis se garda de lui faire remarquer que les fanatiques en question, épris de mortalité, n’avaient pas vraiment fuit. On les avait embarqués de force dans l’Olkers pour que les sociétés augmentatives puissent continuer de proliférer. Finalement, sur le long terme, c’étaient bien leurs ancêtres qui avaient remporté la bataille. Qui mourait dans la Cité et quelle belle planète avait été réduite en cendres ? Les remplacements organiques ne permirent pas de survivre à l’apocalypse.

Suranis continua de parler en aidant Zed à effectuer les pas qui le rapprochait de sa fin. Même si elle ne le montrait pas, la plus grande des inquiétudes s’était emparée d’elle :

— Tu ne mourras pas tu sais ?

— Peut-être.

— Et puis, tu sais que nous n’avions rien à voir avec nos aïeux. Nous, nous avons une bombe qu’on enchaînera aux cous de tous ces Cravatés du Conseil avant de les balancer dans le Flux, pour la bonne conscience. Ils ne nous feront pas quitter ce monde pour un autre, nous leur reprendrons.

Zed reprit temporairement des couleurs. Suranis n’était pas aussi virulente qu’il pouvait l’être – à vrai dire, elle s’opposait à toute démarche violente -, mais elle semblait décidée à l’éloigner autant que possible du moment présent. Il la remercia silencieusement pour ça.

Ils continuèrent de descendre les étages. Suranis avait beau être celle qui hallucinait devant des bellâtres armés, elle n’était rien comparée à Zed. Lui, voyait des spectres et suppliait pour qu’ils s’arrêtent au moindre bruit suspect avant de tourner de l’œil, affolé. Il prétendit à chaque fois que les copains de Monsieur Œil-Riveté les recherchaient pour le venger, même si, de ce Monsieur, tout le monde s’en foutait. La réalité pour le mort devait se rapprocher d’un sac en papier blanc dans lequel on l’aurait glissé avant de l’entraîner vers un centre de recyclage, histoire de récupérer les pièces électroniques qui n’auraient pas cramé avec sa cervelle. Mais quelle autre réponse pouvait-il apporter à ses pauses toujours plus nombreuses ? Il refusait d’admettre qu’il mourait, refusait de se défaire de sa carapace de viriliste idiot qu’il n’était jamais parvenu à déconstruire.

La seule personne que tu protèges c’est toi-même sale con. L’image que tu donneras de toi dans ton bordélique de caveau… se dit-il en approchant de la dernière marche. La fin approchait, il était terrifié et disparaissait.