Deux minutes après qu’Herth soit sorti, il y eut un cri de douleur suivi d’un bruit sourd qui ébranla les charnières de la porte. Instinctivement, Suranis su que le cri et le choc ne provenaient pas du même corps. Un juron prouva ce fait avant que ne survienne un dernier coup qui provoqua un souffle proche de l’agonie chez sa victime. Dans la rue déserte, Herth Phue s’était recroquevillé et encaissait tant bien que mal les coups. Suranis ouvrit le judas à deux mains pour maîtriser ses tremblements. Elle les vit, ils étaient quatre : Herth et trois hommes en uniforme dont deux qui le tabassaient. Elle crut entendre, très étouffé, l’un des policiers dire que tout cela c’était pour Olden, qu’Olden saluait les salauds de son espèce et que si ceux qui étaient morts dans l’attentat en avait le pouvoir ils lui pisseraient à la gueule. Il ne méritait pas plus de considération.
La main de Suranis remonta vers le verrou, tâtonnant la chaînette pour la tirer avant que ses yeux ne se révulsent de terreur lorsque la poignée s’enclencha. Dans l’entrebâillement vint se glisser une botte noire de nazillon qui remontait si haut sur la cuisse qu’elle se confondait avec le treillis. Deux bandes vermeilles la stupéfièrent. Ni la FPC, ni la FPCP mais les forces d’intervention de la Cité. Ils n’en étaient encore qu’à l’étape matraquage mais ils gardaient bien pire dans leur besace. Pire comment ? Et bien Suranis ne voulait pas le savoir alors qu’elle continuait de fixer cette botte en synthétique noir qui brillait sous les néons :
— Suranis Rhéon ? demanda l’homme après l’avoir scanné. » En à juger par son inaction, il devait-être un officier. Il se tenait le bras gauche sur lequel une rose de sang s’épanchait. « Vous êtes également attendue au poste pour nous expliquer ce que vous trafiquiez avec le terroriste Phue.
— Allez-vous faire foutre ! parvint à cracher Herth entre deux coups.
Une nouvelle volée vint faucher le susnommé terroriste et l’un des hommes le mit en joue. En théorie, l’arme ne devait pas être létale. En théorie rien n’expliquait la présence d’un chargeur ajouré dans lequel brillaient les balles. Herth, s’il l’avait remarqué, s’en moquait. Les morts amenaient de la paperasse et la paperasse était l’ennemie du fonctionnaire. Il savait qu’il ne tirerait pas et continuait sa diatribe insouciant du danger jusqu’à qu’une main se pose contre sa nuque, explosant son nez contre le sol :
— Ferme la, pauvre con ! On sait avec qui tu manigances et on a un relevé de ton niveau de stress lorsque tu nous as croisé… Les coups, ce n’est que du bonus pour avoir aidé ce connard de Karanth et ensuite viendra le tour de ta nana.
— Ta gueule le facho ! parvint-il à cracher.
Une botte vint frapper les côtes du jeune homme. Un souffle s’échappa de ses poumons, mais il prenait les coups avec une certaine noblesse. Du moins, sans se départir de ses bravades. Suranis se tenait à proximité de la scène, l’officier lui souriant avec avidité. Elle se sentait piégée, prise dans un cauchemar éveillé.
Le subordonné rengaina son arme et sortit les menottes, bien superflues pour Herth qui se trouvait dans un piteux état. Si Suranis résistait, elle finirait comme lui. Le message était bien passé. Les lèvres éclatées, les dents ruinées et les côtes brisées, Herth Phue n’était plus si beau à voir. Il cracha un mollard rouge quand on lui mit les menottes et qu’on le releva de force.
— Kern, tu as aussi des menottes pour elle ? demanda l’officier en se frottant avec vigueur le bras. J’ai l’impression qu’elle veut nous fausser compagnie.
— Jamais ! se précipita Suranis. Je ne vais pas…
The narrative has been stolen; if detected on Amazon, report the infringement.
— Pour l’amour de dieu, tais-toi !
Suranis se tut. L’officier se frottait toujours sa plaie qui cessait peu à peu de saigner.
— J’ai du rab’ chef. Je vous apporte ça, répondit le dénommé Kern.
En se rapprochant de Suranis acculée, il laissa derrière lui Herth menotté sous la garde du troisième agent. Il gigotait faiblement, le menton baignant dans son propre sang presque comme mort, mais les forces d’intervention avaient le savoir-faire nécessaire pour le garder en vie jusqu’à avoir retiré de lui ce qu’ils souhaitaient.
Le quartier commença à manifester des signes de vie, alertés par le bruit. Les voisins sortaient progressivement et regardaient cette quasi-inconnue taciturne accompagnée de cet homme menotté maintenu au sol. Il se racontait à demi-mots que les complices de Karanth venaient d’être arrêtés. Personne n’imaginait qu’il partageait les mêmes rues que ces ignobles enflures. Les agents s’adoucirent à la vue des badauds, celui qui gardait Herth intima à la foule de se disperser tandis que Kern tendait les menottes à son officier qui ne réagit pas.
— Chef ? demanda Kern.
L’officier ne répondit pas. Il ne récupéra pas les menottes. Sa bouche tremblait compulsivement dans un rictus de douleur. L’agent Kern s’inquiéta et lâcha les menottes pour tendre ses mains vers son supérieur, en vain. L’homme chut raide, l’écume aux lèvres et se serait fracassé le crâne si son subordonné ne l’avait pas rattrapé dans la foulée. Il l’amena au sol avant de se précipiter vers Herth et de lui écraser sauvagement la cuisse :
— Qu’est-ce que tu as foutu sur ton surin ?! Dis-le-moi connard !
Suranis ne prit pas la peine d’observer la réaction d’Herth, mais elle l’imagina dans une splendide insolence. Elle ne devait pas connaître la nature du poison utilisé, sinon entendit-elle que l’officier n’en mourut pas.
Oh Suranis, si tu avais été là quand il a posé sa main sur mon épaule avec son petit sourire à la con, aurait pu dire l’homme au béret. Si tu avais pu être là lorsque je l’ai piqué comme un vulgaire moustique… Ils auraient dû se marrer, je n’étais qu’un chaton s’attaquant à des clebs. Regarde-les maintenant, affolés, regarde-le avec son corps de molosse qui refuse d’obéir à ses ordres. Il ne crèvera pas, mais laisse-moi emporter cette victoire dans le charnier. Mais sa gorge était enserrée compulsivement par Kern. Herth ne pouvait pas parler.
— Tu vas parler ?! hurla-t-il. Quel est le putain d’antidote ? PARLE !
Herth glapit, on hurla qu’on allait le tuer et le collègue resté en surveillance se précipita sur Kern. Une courte lutte s’enclencha alors entre les deux agents et Suranis vit une échappatoire. Elle se tourna vers la ruelle, ses voisins lui jetèrent un drôle de regard. Elle se rappela alors qu’elle était en sweat, pieds-nus et qu’elle n’irait pas loin avant qu’on ne la rattrape, mais elle essaya quand même. Le motif antidérapant sous ses pieds lui assurait un appui ferme, bien que douloureux. Mais ses jambes la portaient bien au-delà de la souffrance.
— Elle se tire, cria Kern en revenant à la réalité. Je m’occupe de Phue, file !
L’autre lui jeta un regard inquiet.
— Je ne vais pas le buter imbécile, dépêche !
L’agent rassuré, mais humilié, se lança à la poursuite de Suranis. Celle-ci avait déjà deux croisements d’avance et sa voûte plantaire s’étiolait sur le métal. Ils ne se résumaient pas encore à deux moignons, mais ses pieds étaient assez abîmés pour qu’on la suive à la trace et l’agent n’eut aucun mal à retrouver son chemin. Les citoyens qu’il croisait lui indiquèrent la direction prise par la fuyarde qui se demandait à quoi allait la mener sa futile fuite. Elle prit le tournant à l’angle entre Elypathes et le boulevard des Carmins, sentit le souffle du labyrinthe et entendit le vacarme derrière elle.
Suranis avait déjà perdu, cette certitude s’emparait d’elle. Mais elle courait.