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Chapitre 18

T+0/02//26. Le retard minime, bien que non négligeable, n’avait pas empêché le containeur d’arriver en U-2478. Une erreur d’aiguillage avait ralenti le système et de toute évidence, le containeur de Jinn Pertem passerait 2 minutes 26 de moins sur les quais que ce qui était prévu. Cela ne ferait rien, Jinn avait encore largement le temps de s’extirper de sa cachette en supportant le drôle d’oiseau qui lui était tombé dessus. Il ne savait pas encore si ses sauveurs s’embêteraient d’un tel poids mort, mais il allait tenter le coup et, dans le pire des cas, il l’abandonnerait dans une rue passante. L’état inquiétant de la jeune femme ne l’était plus, elle vivrait encore assez pour qu’on s’occupe de définitivement la stabiliser dans le monde des vivants et au diable la curiosité insatiable de Jinn. Pour ce qu’il en pensait, il pouvait très bien s’agir d’une de ces hystériques croyant dur comme fer que Jinn Pertem était le Messie, qu’il ne pouvait qu’être innocent et qu’il n’avait pas besoin du moindre justificatif en la matière. La Foi a réponse à tout et la Foi était la piste la plus probable aux yeux de Jinn… Il en oubliait déjà Pavla Karanth, doutant de n'avoir jamais entendu son nom.

Un autre mystère autre que celui de Suranis Rhéon subsistait. Celui de ceux qui le sauverait. Étaient-ils du même acabit que ses fidèles embarqués sur le vaisseau de l’Espoir ? Ses dévoués fidèles qui n’avaient jamais cessé de croire que Jinn Pertem ne fut autre chose qu’une marionnette agitée face à la foule en colère ? Une sorte de bouc émissaire qui résoudrait bien des tensions en séjournant en prison, même si son séjour venait à être sérieusement écourté ?

Quoiqu’il en soit, Jinn n’était plus de la partie car après lui viendrait un autre à la chaire du démago bienveillant. Jinn pensa à celui qui avait dû le remplacer dans ce rôle : un « vrai ami du peuple » aux cheveux grisonnant et dans la petite trentaine, qui serait devenu le nouveau timonier de l’Espoir, un bien plus docile et aseptisé. Combien de temps durerait encore la supercherie visant à le remplacer par un laquais du Conseil ? Peut-être assez pour que tout le monde débarque au port de Mauvaise Espérance et que personne ne se rende compte qu’il piétine dans le garum. Et après cela ? Quand ils auront atteint leur destination finale, celle de la paix sociale, restera-t-il seulement quelqu’un sur le navire ? Croira-t-on encore dans le vieux capitaine exilé Jinn-to ? Qui croyait encore en lui déjà après tout ? Des marins perdus en quête de justice sociale. Les mêmes qui certainement, souriaient à pleines dents devant ce connard à cravate finalement châtié ? La chose était moins que probable, moins que peu probable, proche du néant. Plus grande était la probabilité que les sauveteurs du vieux capitaine proviennent de Libertalia et lui étaient plus apathiques que sympathiques. Le capitaine n’aimait pas cette idée, car ces pirates-là se passaient des dévoyés et ne voudrait de lui que ce qu’il était devenu : un pantin brisé et à reconditionner.

Ce fut donc sans grande surprise que Jinn, accompagné d’une Suranis, qui parvenait à peine à se déplacer appuyée sur son épaule et qui n’avait pas décroché un seul mot depuis qu'elle eut recouvré conscience, découvrit à la sortie de la gare de triage - à une heure où personne ne furetait sinon les insomniaques - un homme et une femme emmitouflés jusqu’au nez dans des parkas aussi noires que la nuit. Ils balayaient méthodiquement la zone sans enlever leurs mains de leur holster d’épaule. Lorsque l’un surveillait le flanc droit, l’autre surveillait le flanc gauche. De toute évidence ils avaient une formation qu’on ne pouvait retrouver que dans trois milieux : les FPCP, mais aucun d’eux n’avaient l’air militaire d’un flic en civil ; ou bien un des réseaux criminels impliqués dans les trafics humains ou, réponse la plus vraisemblable, une mouvance de résistance au Conseil des Pilotes. Après tout, Jinn trouverait la blague particulièrement mauvaise si tout avait été organisé par les FPCP - pour, disons, l’abattre dans le feu de l’action - et les réseaux criminels ne se seraient jamais donnés la peine de le faire s’évader. Alors il ne restait plus que la troisième voie, celle qu’il avait déjà envisagé : des anars.

Bravo Jinn, mais où avais-tu foutu ton extraordinaire sens de déduction lorsque tu te faisais entubé ? Abruti.

La femme se détacha du duo et vint à leur rencontre. Elle avait la peau lisse, si lisse… Comme si on lui avait fondu de la cire dessus ce qui était plus ou moins le cas. Elle portait un masque réaliste qui modifiait suffisamment son apparence pour berner totalement les caméras de surveillance. Le visage ayant été improvisé, il n’y aurait aucun renvoi dans la base de données ou alors quelques 70% de similitude qui, après vérification par un agent, conduirait à la notification : non identifié.

Lorsqu’elle parla, ce fut avec une voix légèrement rocailleuse résultante de ses deux paquets de clopes journalier. Jinn en resta bouche-bée avant qu’une once de honte ne vienne pointer son nez et ne le fasse rougir. Lui, le beau parleur habitué à s’entourer de midinettes n’avait jamais songé autrement à une femme sinon sous l’angle de la douceur. Il se bernait, elles n’étaient pas douces, elles n’étaient pas tendres, elles n’étaient qu’humains affublés de poitrine et démunis de pénis. Elles n’avaient pas besoin de cet attirail pour être tendues, à cran, prêtes à le liquider s’il le fallait pour le bien de la cause. Dire que lui, Jinn Pertem, pensait naïvement être à la pointe des questions féministes et voilà qu’une voix sortant de l’ordinaire le mettait dos au mur. Tout ce en quoi il croyait, ce qu’il pensait défendre, n’était qu’un mensonge : il était l’ennemi dérangé par cette voix en dehors des standards citoyens.

— Tiens, tiens… Jinn Pertem, le gars qu’on nous a demandé de récupérer. Mais il n’est pas seul ? Si on m’avait dit qu’il y aurait deux paquets dans le même colis, je ne me serais pas levée ce matin, attaqua-t-elle.

Jinn entrouvrit la bouche pour se défendre dans une attitude offensée, du moins aurait-il voulu le paraître, mais seule sa surprise se dévoila :

— Quoi ? Qu’est-ce que tu as à me regarder bouche bée ? Tu n’as jamais vu de nana ?

— Je… Qui êtes-vous ?

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La femme éclata d’un rire moqueur :

— Et bien, tu crois que je vais te sortir mon ID comme ça ? Appelle-moi simplement Nesta, c’est bien assez, répondit-elle. Et lui c’est Zed.

Ce dernier étant resté en retrait, il se contenta de hocher la tête. Jinn lui rendit sa vague salutation.

— Nesta et Zed alors, dit-il.

— Excellent, maintenant que les présentations sont faites, je vais être claire avant que tu nous suives. Il n’y a pas de hiérarchie où tu vas, ce que tu représentes à la Surface ne veut rien dire pour nous. Tu es un gros poisson, je sais, mais tu n’es plus dans l’eau alors tu vas te montrer humble l’ami… On a des copains à te présenter, des choses à t’apprendre, mais va falloir oublier qui tu étais, capisce ? Apprendre à voler.

Son compagnon les rejoint d’un pas nonchalant assumé. Bien que possédant le double de son âge, il ne menait pas les opérations. Personne ne les menait d’après ce qu’en comprit Jinn. Hormis une attitude militaire, ils n’avaient guère d’organisation en conclut-il :

— Faudrait qu’on se bouge Nest’, lança-t-il. Notre nouveau pote est habillé comme un canari, on va nous sauter dessus ! Et puis, d’abord c’est qui elle ?

— Bonne question, admit Nesta en désignant la femme meurtrie d’un signe de tête. Je ne sais pas quoi en faire… Tu es qui au juste ? Il y a une infirmerie dans le secteur si jamais.

Elle, c’était Suranis Rhéon, fraîchement réveillée et qui venait de passer des heures sans s’évanouir : un exploit. Ses bajoues tombaient sous l’effet de la fatigue, des cernes immenses envahissaient ses orbites lui donnant plus que jamais l’allure d’un squelette ambulant. Et elle souffrait terriblement.

— Je m’appelle Suranis… dit-elle.

— Ah, dit Nesta avant de se retourner vers son compagnon. Comme cette Rhéon.

Suranis lui lança un regard sans équivoque. Elle approuva, aussi surprise qu’ils ne l’étaient eux-mêmes. Les deux ennemis de la Cité se regardèrent interloqués, hésitant à réagir comme s’il s’agissait de la meilleure blague du monde ou d’accepter que le personnage face à eux soit le bon. Ils optèrent pour la première proposition :

— Putain, et moi je suis cette foutue reine ! se moqua Nesta en pensant aux porte-bonheurs que tout le monde se trimbalaient, les papiers avec un visage couronné imprimé dessus.

— Je suis bien Suranis Rhéon, insista-t-elle en en doutant elle-même.

— On verra ça, dans le doute tu nous accompagnes. T’en penses quoi Zed ?

— De toute façon elle nous a vu et elle connaît ton petit surnom… Tu veux qu’on fasse quoi d’autre ?

— Vous la connaissez ? intervint Jinn.

— T’occupes Pertem.

Jinn laissa de côté ce point qui l’intéressait tant et s’attacha à faire remarquer un autre détail crucial :

— Bon. Mais je peux vous demander en quoi cela est si important de ne pas être vus ? Ils ont des caméras partout et nous ne sommes pas grimés comme vous l’êtes.

— Elles sont explosées, il y a de la neige sur canal.gov aujourd’hui, fit Zed en montrant le pistolet à plomb dans son holster. Mais ils finiront par envoyer un tech.

Effectivement, maintenant qu’il le disait on pouvait discerner les éclats brillants qui formaient comme un chemin de diamants jusqu’aux caméras brisées. Bien que Jinn ne vu rien, Suranis s’empressa de reconstituer leur cheminement. Ils avaient sauté par-dessus un muret, la poubelle renversée le témoignait, puis flingué toutes les caméras qu’ils croisaient. C’était un jeu courant chez les petites frappes, mais elle doutait qu’ils se contentent d’envoyer un technicien pour vérifier pourquoi cinq caméras ne fonctionnaient plus dans la gare de triage d’U-2478.

Non, une cohorte marcherait bientôt sur les quais.

— Ils te cherchent Jinn, enchaîna Nesta. S’ils te voient, ils rappliqueront aussitôt. Mais, bon, ils ne vont pas tarder. C’est juste le temps qu’ils outrepassent nos brouilleurs pour localiser ta puce.

— Alors hâtons-nous. Vous allez pouvoir tenir le coup Suranis ? demanda Jinn.

— Je vous aide, intervint Nesta.

À eux deux ils soulevèrent Suranis. Elle marchait encore, mais tout juste et parvint à lâcher un « merci » dans la foulée. Ses pieds ne touchaient pas vraiment le sol et une douleur terrible irradiait de son bras gauche. Ils sortirent par l’entrée conventionnelle sur un chemin désert qui s’illumina pour les accueillir. Une propreté chirurgicale y régnait avec ses dalles grises organisées avec rigueur et qui s’éloignaient dans les deux directions. Le chemin traversait le secteur sur une infime portion, rejoignant la grande rue d’un côté et de l’autre un couloir, pas très large et muni de rails qui desservait les arrière-boutiques avec son chariot automatisé. Ils s’y dirigèrent pour arriver sur une cage d’escalier laissée entrouverte. Elle rompait avec l’antisepsie ambiante, tout n’y était que rouille et tétanos.

— Je ne vais pas pouvoir.

— On va essayer, dirent-ils à l’unisson.

Ils y parvinrent en pressant le pas. La porte se referma derrière eux et la pestilence d’un lieu guère fréquenté leur monta aux narines. Dès la première marche, les jambes de Suranis lâchèrent définitivement. Jinn pesta intérieurement, redoutant de ne pouvoir descendre plus d’un étage avec ce fardeau sur les épaules. Il se trompa sur ses capacités d’au moins deux étages car au troisième ils découvrirent un ascenseur branlant.

Le caisson d’acier les mena à un autre, ce n’était qu’un simple avant-goût de ce qui les attendait plus bas. Le cercueil blanc.