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Chapitre 26

— Au moins, ça nous épargne la question des funérailles, dit avec légèreté Nate Killian en avalant une gorgée de « tisane » aux forts relents éthyliques.

— Ton humour est pitoyable aujourd’hui, le reprit Suranis.

Il posa sa tasse sur l’accoudoir et croisa les jambes. Un large rictus envahit son visage :

— Pitoyable ? Tu veux dire pyrolisé, envolé, enchaîna-t-il sans se départir de son mauvais goût.

— Il est mort Nate, par pitié ! Dans un putain de sarcophage de plomb scellé à l’arrache pendant qu’on retenait Nesta !

— Je le sais ! Je le sais !

Cela tenait plus du cri que de la parole posée. Il le savait. Deux semaines s’étaient écoulées depuis la mort de Zed et il commençait à perdre pied. L’humour naze et l’alcool étaient ses deux soupapes, sans elles il exploserait. Zerak « Zed » Dan appartenait au mouvement depuis presque dix ans lorsqu’il mourut et Killian ne pouvait s’empêcher de remarquer, avec amertume, qu’il s’agissait de la première mort non naturelle du SAGI qui ne soit pas imputable à un suicide en l’espace de quinze ans. Quinze ans, un suicide par an surtout chez les nouveaux-venus rôdés à la vie citadine, mais il y avait eu Pam, la jeune fille violée. Killian avait couvert le connard et lui avait demandé de faire ses valises sans jamais admettre que pareille horreur puisse exister dans un entre soi utopiste. C’était de sa faute. Il ne se le pardonnerait jamais et d’une certaine façon cela rendait la mort de Zed plus tolérable. Lui était mort au combat, dans un monde parfait tous devraient tomber ainsi, et ce n’était pas de son ressort… Ouais, il n’était en rien coupable cette fois-ci et grâce à lui, ils avançaient vers un monde meilleur. Mais en étaient-ils seulement capables ? Les paroles ne se libèrent pas toujours là où on les attend, l’Ennemi est parfois trop proche de la maison, plus encore de l’os. L’Ennemi c’est parfois Nate Killian qui couvre un violeur.

Il se gratta machinalement la joue, une barbe légère y était apparue :

— Je sais tout ça Suranis ! C’est vrai tout ce que tu dis, mais c’est grâce à lui que nous avançons dans la bonne direction ! Ne te laisse pas abattre, il n’est pas mort pour toi !

La banquette sous Suranis grinça alors qu’elle se remettait d’aplomb. Nate Killian était un connard patenté. Pas un seul jour ne passait sans que la réalité ne s’impose à elle : elle respirait grâce à Zed et ne trouvait plus le sommeil. Ses cernes marqués inquiétaient, mais la mort de Zed n’était pas la seule fautive de son état. Si ça n’avait été que ça, elle ne rêverait pas si souvent de l’œil au rivet. Le cadavre du mercenaire demeurait toujours présent, en sourdine dans un recoin obscur de sa tête, et il revenait périodiquement la narguer. Surtout, il revenait avec tout ce qu’il incarnait : on n’est jamais très loin du précipice.

Elle aurait bien rétorqué tout cela et admis, dans la foulée, son égoïsme. C’était de sa vie qu’elle se souciait, terrifiée à l’idée que tout puisse se finir avec une telle facilité et peut-être attirée par celle-ci. Mais à quoi bon tout expliquer à Nate Killian ? Avec ses idées arrêtées, il aurait dit qu’elle prenait la fuite de l’affreuse culpabilité qu’elle éprouvait et enchaîné sur des platitudes de pseudo-psychologue. Même si elle n’avait pas été conviée officiellement dans le salon privé de Killian pour commencer une thérapie, l’impression tenace d’être allongée sur le divan du psy commençait à la faire vriller :

— Cessons de parler de ceux qui ne sont plus là, veux-tu ? Donne-moi plutôt des nouvelles de Nesta, je ne l’ai pas vu ces derniers temps, demanda-t-elle, bien consciente que sa sociabilité se limitait à une poignée de Sagistes dont Nesta était exclue.

— Nesta ? Figure-toi qu’elle est sortie de son mutisme. Elle est décidée à tout chambouler pour venger Zed des Cravatés. Ne t’inquiète…

— Très bonne nouvelle, le coupa aussitôt Suranis.

— Elle ne t’en veut pas. Personne ne t’en veut.

Elle ne put s’empêcher de soupirer. Nate Killian l’emmerdait cordialement. Le vieux avait beau avoir atteint le premier niveau de l’empathie, il n’avait jamais passé la seconde. Merde, cette discussion n’était pas utile et tournait en rond. Ce n’était pas Zed son problème, mais d’avoir risqué de finir comme lui. Non, pire… Bien pire.

Elle se sentait à la dérive, tout aurait été plus simple si elle s’était laissée aller. Le vide en elle n’existerait pas et elle ne serait pas embarquée sur ce zeppelin en direction de ces terres inconnues avec ces étrangers. Elle voguait avec eux parce qu’elle avait loupé le débarquement, aérodrome du Rivet, et si ses co-voyageurs paraissaient avoir une vague idée de la destination ce sentiment n’était pas partagé. Oui, il n’y avait pas que la mort qui la troublait… L’appel du vide était bien trop présent pour qu’elle l’ignore.

Les lèvres de Nate s’agitèrent pour lui parler, mais Suranis était déjà loin, très loin sur son zeppelin.

Terre en vue ! Elle ne ressemble en rien à ce que nous connaissons, sautons ! Le veux-tu Suranis ? Peut-être, peut-être pas, qu’avons-nous à perdre ? Tu penses vraiment qu’il existe quelque chose en bout de piste ? Après tout, tu ne voulais pas grand-chose d’autre que découvrir le vaste univers qui prolonge la vie même s’il s’apparente à un mur… Une muraille. À quoi bon l’éviter plus longtemps ? Au moins, est-elle honnête dans sa toute puissante fatalité et ses promesses sont moins insipides que celles de ton ancien monde, celui qui empeste la charogne et la corruption. Pourtant, tu en as envie de cette merde… Les idéaux Sagistes sont beaux, mais guident vers le cimetière alors qu’en haut, aussi pourrie que soit la vie, elle est si simple. Le désir te dévore de la rejoindre cette fange vivante, ces moutons menés dans le bus de l’existence, eux qui sont plus proches du Ciel, mais le Ciel c’est l’Enfer des Chaînes balayées par la lumière d’une étoile qui s’éloigne un peu plus tous les jours. Il n’y a plus d’espoir et les monstres dardés par les rayons lumineux ne sont plus que d’inoffensives ombres étirées jusqu’à se rompre. Ils ne font plus peur à personne et lessivent en toute impunité les stupides heureux. Tu ne l’as jamais été, un bon point pour toi, alors arrête de douter et franchis le pas. Tout ce que tu fais ici ne sert à rien, croire blesse. Dégage d’ici ou tu finiras comme Zed, carbonisée… Choisis au moins l’état de ton cadavre.

« Je ne veux pas mourir » se persuada-t-elle, sans y croire.

— Tu m’écoutes ? demanda Killian, vexé après avoir fini son monologue.

— Pardon, je rêvassais.

— Soit. Je sais que c’est dur pour toi en ce moment, mais il faut que nous pensons à la suite. Il le faut pour nos morts, pour nous, pour Pavla.

— Ouais, il le faut, répondit-elle en secouant la tête pour sortir de sa rêverie.

— Absolument ! Il le faut ! On va crier à la Cité toute la vérité qu’on leur cache. L’oppression du Conseil va s’effondrer, elle ne peut exister que car les gens l’ignorent. Si nous apportons des preuves en son encontre, la population sera obligée de se rallier à nous et alors une destinée insoupçonnée pour la Cité pourra naître !

Tu m’emmerdes Nate. À quoi bon d’un nouveau monde ? J’ai failli y passer, je vais mourir… Je n’ai plus de place dans cette course. Merde ! J’aurai dû abandonner depuis longtemps… Plutôt que de poursuivre une chimère.

Elle se garda de lui dire. Les joues de Nate Killian s’empourprèrent des teintes de la fougue, ça le rajeunissait. Suranis pensait avoir cessé croire en ces foutaises. On pourrait apporter toutes les preuves de l’univers et rien ne changerait. L’arbre séculaire de l’oppression continuerait à exister et la coupure sur son flanc serait vite pansée par les foules lobotomisées.

— Peut-être, fit-elle pensivement. Peut-être pas. Une fois qu’une tête tombe, une autre repousse. Le Conseil et la société qui le fait vivre, ce sont des putains d’hydres.

— Suranis…

Il apparut blessé et sa voix trembla avant qu’il ne se ressaisisse.

— Je crois quand même qu’on peut essayer. Le choix d’agir ou ne pas agir ne nous appartient pas. Le SAGI se meurt et l’homo anarchi sera bientôt une espèce disparue si nous ne tentons rien. Mais oui, on peut attendre ce moment… Attendre notre fin sociale.

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Suranis ne lui répondit pas. Elle fixait le vide derrière lui, les pieds sur la banquette élimée. Il marquait un point.

— Ce que je veux dire Suranis, c’est qu’on a terriblement besoin de toi. Je sais que tu penses que nos chances de réussites sont risibles, mais nous sommes tous lancés là-dedans.

— Si vous êtes déjà si bien lancés, pourquoi ce besoin viscéral que je me rallie à vous ? Vous voulez faire de moi une sorte de prophétesse new age de la sainte Vérité ? Louée soit-elle, amen, mais je laisse la belle place au politicien qui rebondira mieux que moi.

— Merde Suranis ! Tu es exécrable quand tu t’y mets !

Il crispa ses mains sur les accoudoirs de son siège. Son expression tira vers la colère et elle demeura ainsi assez longtemps pour que Suranis ravale sa salive, penaude :

— Je suis désolée. Je suis si fatiguée… Tu me parles de sauver le monde, de révolutionner la société, mais ce que je vois c’est qu’on n’est même pas foutu de sauver Zed ou Herth. Pavla est morte, d’autres mourront comme elle. Moi peut-être, toi… Nous sommes incapables d’agir pour nous-même, alors le monde ? C’est une idée à la con, voilà tout.

Elle s’enfonça davantage encore plus dans la mousse anthropophage de la banquette. Avec un peu de chance, elle allait se laisser aller et la mousse ne la recracherait pas. Elle se sentit fatiguée, ses yeux commencèrent à fureter le salon privé de Killian. Des affiches meublaient la pièce, les murs recouverts d’apprêts n’avaient jamais connu de peinture. C’était triste comme l’état général du SAGI.

Son hôte se leva difficilement et commença à faire les cent pas. Le plancher tint bon, un peu de poussière tomba du plafond :

— Tu marques un point, mais essayons… Qu’avons-nous à perdre ? C’est l’avis qu’on partage tous, même Jinn-to. Il est déjà lancé, on a des armes en notre possession qu’ils ignorent. Maintenant, il ne reste plus que toi. Rejoins-nous pour porter le coup fatal si tu ne veux pas rester en cage, comme une lionne.

La menace subtile effleura Suranis. Elle n’avait pas oublié Myrthes, éliminée – mais pas tuée – plutôt que libérée. La coopération entre le SAGI et Suranis n’avait jamais été voulue, mais quand le choix n’appartenait à aucun des deux partis où se trouvait le consentement ? Manipulée et enfermée, parce que c’était ainsi. Parce que le Conseil surtout.

— Si j’aide, vous me laisserez en paix ?

— Tu rejoindras le vrai monde, la Surface si tout se déroule bien… Les castes ne seront qu’un mauvais rêve appartenant au passé.

— Mon cul Nate, mais dis toujours. Mes oreilles sont grandes ouvertes, j’en ai ma claque de voir les mêmes fissures… Et puis, c’est pas comme si j’avais le choix.

— Je sais, dit-il avec tristesse. Ta situation est compliquée, refuser nos demandes serait… Délicat. Fait chier, j’ai l’impression de te forcer la main.

— Le monde m’a déjà forcée à faire bien des choses.

— Ouais, c’est un salopard. Il a aussi forcé le diable de Jinn-to à se cloîtrer dans la salle audio pour s’enregistrer. Si tu veux mon avis, il ne cesse de s’améliorer… Ses diatribes enflammeront la Cité quand il aura dépassé ses préjugés merdiques.

Les lèvres de Suranis s’ouvrirent. Elle était interloquée et trouvait l’idée d’un Pertem préparant de beaux discours sagistes grotesque. Un rire nerveux jaillit d’elle :

— Merde alors ! s’exclama-t-elle les larmes aux yeux. Je ne m’y attendais pas du tout à celle-là. Jinn Pertem, dévoué à la cause ? Il ne sauve pas plutôt son petit cul ?

— Délit de faciès, rétorqua Nate Killian. C’est parce qu’il est chauve et qu’il a un horrible sourire de politicard ? Peut-être s’aide-t-il, mais il nous aide aussi.

— Va te faire… commença Suranis, laissant en suspens sa répartie éculée. Elle se sentait mieux.

— Pas le temps. C’est une lubie chez toi ? Bref, ses beaux textes ne pourront être diffusés si on ne dispose pas des moyens techniques pour. C’est là que tu interviens… Une Tâche de la plus Haute Importance.

Les majuscules avaient été prononcées. Nate Killian ne versait pas facilement dans le pompeux, ce qui inquiéta Suranis.

— La tâche de la plus haute importance, se moqua-t-elle pour détendre l’atmosphère. J’espère qu’elle n’est pas trop éloignée de ces quatre murs qui scindent l’univers entre civilisés et enragés…

Les quatre murs en question étaient déjà éloignés. L’impression d’ouverture dans le SAGI était colossale, toujours plus importante que n’importe quel étage avec ses couloirs imbriqués et ses avenues ne dépassant pas la dizaine de mètres de largeur. Mais là s’arrêtait la liberté de se mouvoir dans l’entrepôt anarchiste. Ailleurs n’existait que le vide.

Nate Killian jeta un coup d’œil vers l’entrepôt à travers la fenêtre. Les ampoules des étagères s’éteignaient l’une après l’autre. Il se fit une réflexion qu’il partagea :

— Ouais. Dis-moi, tu t’es déjà demandée pourquoi nous nous couchons à la même heure ? Le soleil n’est en rien responsable de nos rythmes circadiens.

— Pardon ?

— Les journées et les nuits existent. Elles servent à séparer les ouvrières en deux castes. Vois-tu Suranis, nous sommes dans une fourmilière et le SAGI est une colonie satellite. Mais rebelle vu que nous nous endormons ensemble parce qu’on en a rien à foutre de nourrir une Reine pourrie. Au fond, on n’accorde pas vraiment d’importance au collectif, plus à l’individuel…

— Les fourmis n’existaient déjà plus sur la Terre quand nous l’avons quitté, remarqua Suranis.

— Ni sur la Cité jusqu’à que notre société existe. Mais notre espèce est défaillante. La Reine ponctionne la vitalité de ses sujets et ne participe en rien à leur renouvellement. L’État se prétend nécessaire, organise nos vies avec une morbide régularité et pourtant, tu connais la vérité… Tu sais que des droits élémentaires sont bafoués, que l’esclavage est réel sous des formes pernicieuses, que des zones sont scellées à raison… Tu sais que 4256 BZ489 existe. Tu sais bien des choses… On va détruire cette putain de fourmilière et arracher les ailes de notre Reine. La Reine est morte, vive la Reine ! Nous avons réuni des données sur ce qu’elle est réellement, elles sont explosives… Témoignages, reportages, documents classifiés.

— Tant de merdes…

Suranis ferma les yeux et se remémora une autre merde. Un certain agent immobilier et son associé, l’assistant d’un Pilote. Puis, avec une netteté effrayante vint l’image d’un appartement brûlé, deux corps dans la pièce se tenant en boxeur. Un frère et une sœur, six ans qui était à la maison au mauvais moment. Elle arracherait les ailes de la Reine par elle-même si elle en avait le pouvoir pour que plus jamais des victimes du système, simples nombres pour les bureaucrates, s’évanouissent sous le béton de la ville.

— Aussi nombreuses soient-elles ces preuves, tu crois qu’elles suffiront ?

— Il suffit qu’un ou deux types croient et partagent… Tu sais combien les fake news peuvent facilement circuler, donnez de l’eau au moulin d’un complotiste et d’un ruisseau, vous vous retrouvez avec un fleuve. Sauf que cette fois-ci, tout sera vrai. Il ne nous reste qu’à trouver le média susceptible de tout retransmettre, mais il n’en existe aucun alors on va le créer. Nous en sommes arrivés à la conclusion – surtout Jinn-to – que l’Internet serait un outil formidable, bien que l’on risque d’être censuré... En vérité, nous serons censurés avant même d’être diffusés sauf si on passe par des méthodes annexes.

– C’est-à-dire ? s’enquit Suranis.

— Le gouvernement se protège des individus connectés au réseau, pas du réseau lui-même. Un de nos gars, un ancien tech, nous a dit qu’on ne pouvait pas vraiment effacer les données physiquement raccordées. Du moins, elles ne risquent rien pour peu qu’on ne se présente pas à elles avec une hache pour cabosser les boîtiers…

— Et s’ils coupent l’Internet ?

— Ils ne le feront pas, ça serait admettre que tout est vrai. Ce qu’il nous faut faire maintenant c’est placer ces fameux petits boîtiers sur le réseau, assez pour émettre tout ce qu’on a à dire. C’est rudimentaire, mais de toute façon c’est la seule méthode qui nous est accessible. Des petits malins ont réussi à émettre la photographie de Pavla Karanth, mais ce n’était pas nous… Alors faisons avec les moyens du bord.

— Tu ne vas pas me demander de placer ces boîtiers ? C’est ça ma grande tâche ?!

— Justement.

Suranis se leva d’un bond, les poils sur ses bras hérissés. La dernière fois qu’elle avait quitté le SAGI, la Suranis convaincue de son éternité s’était retrouver changée. Elle ne louvoierait plus naïvement dans le monde des vivants, là où les hommes grésillent et brûlent.

— Je ne veux pas… Je ne sortirais pas et ne toucherais pas à ces putains de boîtiers ! cria-t-elle en se rapprochant du rideau qui séparait le salon de Killian d’un autre commun, plus vaste.

— Du calme, par pitié ! Tu ne remonteras pas.

— Alors quoi ? Tu veux que je fasse quoi ? Pourquoi moi ?

— Pour le symbole ! Toi et Jinn vous irez installer le disque principal à la base du réseau. Ça sera comme si, du jour au lendemain, la programmation de l’Internet se retrouvait politisé et, crois-le ou pas, c’est à côté de la maison. Tu ne croiseras pas un seul agent du gouvernement là-bas. C’est sans risque !

« Sans risque » si on ignorait les rats mutants, les grilles tranchantes et l’obscurité omniprésence. Cependant, elle se sentit rassurée. Sa « tâche de la plus haute importance » n’impliquait pas qu’elle rencontre la civilisation. Il lui suffirait de crapahuter dans les labyrinthes souterrains, connecter un appareil à un autre et revenir fêter ça. Son rythme cardiaque revint peu à peu à la normale, le martellement sourd dans sa tête disparut et elle se sentit immensément conne, ainsi levée.

Elle s’éloigna du rideau, revint s’asseoir sur la banquette et se massa le poignet. Nate Killian la dévisagea avec bienveillance, ignorant de toute la signification que prenait sa demande. C’était plus qu’un symbole, mais un exutoire à ses états d’âmes. Elle ne pourrait pas cesser de songer à sa fragilité, mais au moins pourrait-elle remercier Zed et, d’une certaine façon, se faire pardonner. « Personne ne t’en veut » dirait Killian ce qui serait faux. Beaucoup de personnes lui en voulait, surtout elle-même.

Il lui tendit une main louable :

— Alors, tu es de la partie ? Bien.

Ils discutèrent jusqu’à que les dernières lumières s’éteignent dans l’entrepôt.