Les chiens avaient étés lâchés. Pas les quadrupèdes de la Terre originelle mais l’équivalent citoyen : une meute de drones avec leurs trois caméras qui leur servaient d’yeux. Depuis les premiers modèles ils n’avaient guère évolués, sinon étaient-ils désormais équipés d’un cerveau primitif leur permettant d’identifier et de suivre à la trace des individus sans qu’une seule fois l’intermédiaire d’un autre humain ne soit nécessaire. Ils filaient sous la voûte irisée de la Bulle, apportant une touche de jaune criard à l’ensemble. Jamais n’avaient-ils étés imaginés pour passer inaperçus avec ces couleurs pétantes et le bruit strident des rotors tournant à plein régime. Ils avaient été conçus pour faire passer un message clair : on ne pouvait y échapper, autant se rendre.
La poursuivie n’avait cependant aucune intention de le faire. Elle connaissait les libations humaines qui avaient redonné naissance au terreau affaibli de la Cité et savait que son sang viendrait aussi participer à son renouvellement. Elle n’avait jamais cessé de courir depuis que les hommes en noir avaient débarqué dans son appartement, la fatigue ne la gagnait pas encore mais ne tarderait pas à venir. Ce n’était pas la première fois cependant qu’elle vivait une fuite analogue. Elle se souvint de sa première où on vint frapper à sa porte peu après sa rencontre avec un jeune homme accaparé par une vengeance très froide. Ce souvenir, et d’autres, s’insinuaient à l’orée de sa conscience et s’exposaient sans y avoir été conviés. Évidemment, la probabilité qu’elle se monte la tête ne pouvait être exclue. Devenait-elle folle ? Ne l’était-elle pas ? Dans tous les cas, elle revenait au point de départ. Rien ne changerait malgré la réponse à cette question et elle gâchait la seconde chance extraordinaire qu’on lui avait accordé, par pitié nauséabonde et auprès d’une ordure qui croupissait dans une morgue en attendant que les grands fours des crématoires soient libérés.
Ce second souffle désespéré, sans saveur autre que l’enfer mais offert à elle, n’était-il cependant pas en soi préférable à la mort qui l’attendait au bout du chemin ? Cela, elle l’ignorait. Ce qui demeurait incontestable c’était que la pire période de sa vie venait de s’écouler. Perth Bickhorn n’existait plus et même les années passées à trimer comme une petite détective minable furent plus agréables que son quotidien auprès de lui. Bien sûr, cette période pré-Sagiste – ou pré-Perth aurait-elle encore pu dire quelques heures auparavant – n’était pas aussi heureuse qu’elle se laissait l’entendre. L’anxiété restait constante à cette époque qui lui paraissait étrangement bénie mais dans laquelle il fallait songer aux impôts à payer, au loyer qui tombait tous les mois tel un couperet et à de nouvelles manières, inédites, de préparer sa ration de protéines sans qu’elle ne songe à se grignoter la paume de sa main qui, très certainement, avait meilleur goût.
Une vie misérable qu’avait été la sienne, mais quelle vie ! Une vie de liberté à être ce qu’elle désirait malgré tous les interdits et les regards condescendants. Une vie à être au-delà de sa condition féminine de l’entre-deux classes. Une vie gaspillée, elle en avait conscience, lorsqu’elle se retrouva forcée à poursuivre le rêve du SAGI. Mais, n’avait-elle pas gagné quelque chose à son malheur ? Peut-être bien. Une raison d’être, un désir violent de sauver le navire et tous ses occupants avec. Suranis Rhéon insuffla avec d’autres héros anonymes des bribes d’espoir parmi les lésés, les parasites et moins-que-rien. Qui d’autres qu’eux pouvait se targuer d’en avoir fait autant ? De moins en moins car la plupart mouraient, leurs cendres encore chaudes déblayées par le Conseil avec un zèle rare.
Bientôt, de ces héros déchus, il n’en resterait pas un seul. Suranis s’apprêtait à tomber pour les rejoindre, mais cela ne serait pas sans avoir lancé sa pierre pour cabosser ce monde détestable. Elle avait deux plans. Le premier si elle parvenait à échapper à la meute, le second si la meute l’attrapait. Elle les élabora en trombe comme toutes ses mauvaises idées lorsqu’elle vit arriver sur elle le drone jaune qui manqua de la scalper. Elle comprit ce qui l’attendait avec la certitude glaçante d’un kamikaze fonçant sur le pont d’un navire, sonnant son hallali. Son dernier jour était arrivé et plus jamais elle n’aurait à faire avec les gens viciés de la Surface qui vampirisaient la Cité d’une façon si abjecte que leurs esclaves se jetaient à terre sur leur passage en psalmodiant des « Je suis à vous mon bon maître, faites de moi ce vous voulez car vous ferez de moi ce que vous êtes ».
C’était décidé, Suranis aurait au moins le choix de sa mort. Elle refusait de retrouver un guide si l’alternative lui était présentée. Pourtant, ce désir puissant d’être guidée elle le comprenait. Il n’y a rien de plus terrifiant que de prendre la grande route de la vie sans en connaître la destination, alors dès que le bus de l’orientation arrive, se gare à côté de vous et que le conducteur vous décroche une œillade en se retournant sur les rangées de sièges libres, pourquoi refuser ? Tout est plus facile lorsqu’on se tient à la place du passager et peu importe la destination, tout le sera toujours plus car les voyageurs ne voient rien d’autre que le bus. Le bus est devenu leur « singularité » mais au moins n’ont-ils pas à marcher par eux-mêmes, à se perdre, à se retrouver et à s’égarer derechef. La sécurité du guide, l’enfer de la liberté.
Mais elle n’était pas ainsi. Pas à se conformer. Suranis était libre, bien que ce ne soit pas grâce à cette liberté, qu’elle éprouva à de nombreuses reprises dans sa vie professionnelle comme personnelle, qui fit qu’elle atteignit les quais de la Cité. La bordure du monde connu existait, elle savait qu’elle la rencontrerait et elle la rencontra. Jamais elle n’aurait su qu’elle était si proche de chez elle si elle n’avait pas été poursuivie par le drone jaune et son armée de petits copains qui lui donnaient l’impression de vouloir la racketter. Ils l’acculèrent au bord du gouffre et la fixèrent en vrombissant, lui interdisant toute nouvelle tentative de fuite. Soit. Si cela devait être ainsi… Elle douta qu’elle puisse leur offrir toutes les piles et batteries du monde pour qu’ils s’en aillent et la laisse en paix en lui donnant le répit d’aventures souterraines. Les drones n’étaient pas corruptibles d’une quelconque manière que ce soit et encore moins le serait celui qui se profilait à l’horizon.
À l’angle du quai et des premiers entrepôts, la sirène d’un véhicule de patrouille venait d’être actionnée. Le capot noir émergea précédé par l’aura orange de son gyrophare. Progressivement, le véhicule obliqua vers Suranis, ses deux phares pointés vers elle comme deux yeux suspicieux. Avec horreur, elle remarqua la pagode spatiale en décalcomanie du Conseil des Pilotes. Les drones s’élevèrent à son passage, lui découpant une haie d’honneur robotique de leurs milliers d’ailes argentées. Suranis se retourna, offrant son dos à la voiture. Dans le meilleur des cas, le chauffeur accélérait et l’enverrait dans le Flux qui s’étendait de l’autre côté de la Bulle. Aujourd’hui, au bout de ce quai vide, il était si haut qu’il plongeait l’horizon dans une étrange brume verdâtre. Une brume aussi poisseuse que les algues qui tapissent le fond d’un marais et qui à tout instant aurait pu étendre l’un de ses longs doigts pour les saisir tous, mais surtout Suranis, et l’entraîner vers elle.
Suranis ferma les yeux, attendit le choc mais n’entendit que les pneus qui crissaient dans un freinage brusque. Le véhicule s’arrêta à une dizaine de mètres d’elle et la sirène avec. Une portière claqua puis une autre avant qu’une horrible déflagration ne retentisse dans son dos. Lentement, elle passa une main dans son dos trempé par rien d’autre que sa propre sueur. Tout aussi lentement, elle pivota sur elle-même pour voir accroupi auprès du cadavre du chauffeur un crâne piqué sur un uniforme. Elle reconnut aussitôt dans l’apparition Gern Fulcräne dont la famille rongeait la Cité. Il se releva les yeux luisants d’une infinie tristesse. Il usait d’esbroufe, de manigances et de ses incomparables talents d’orateur, mais jamais de violence… Du moins, pas quand elle émanait directement de lui. Pourtant c’était lui qui tenait l’arme et le cadavre à ses pieds qui avait une balle fichée dans la tête. Il rangea son pistolet dans son étui avant d’essuyer le sang qui avait éclaboussé sur son visage, écartant son ancien chauffeur avec une mine dégoûtée avant de lui parler d’une voix si neutre qu’elle aurait pu émaner d’un minéral quelconque. « Désolé mon vieux, je n’avais pas le choix » s’excusa-t-il auprès du cadavre avant de relever la tête vers Suranis. Elle eut l’impression de se retrouver face à un vieux calcaire bouffé par l’acidité des années :
— Bonjour Suranis, dit-il avec son expression d’une neutralité aussi stupéfiante que sa voix. La journée est bien triste aujourd’hui… J’ai dû me débarrasser de mon chauffeur de six ans, je l’aimais bien mais notre rencontre ne saurait souffrir de témoins.
— Pauvre connard, murmura Suranis en ne pouvant s’empêcher de sentir l’intégralité de ses entrailles se contracter. Puis plus fort : Vous l’avez tué !
Il posa ses mains sur ses hanches. La vie de Suranis en suspens au bout du quai, il jugea bon de se justifier :
— Crois-moi, je n’ai jamais souhaité que tout cela se déroule ainsi. Aussi extraordinaire que cela puisse paraître, je ne fais que mon possible pour permettre au maximum de personnes de se tirer indemne de la délicate situation dans laquelle nous nous sommes fourrés, lança-t-il en semblant vouloir se convaincre lui-même de la véracité de ses propres dires. Suranis Rhéon… Héraut du SAGI, héroïne déchue que j’ai personnellement sauvée et qui découvre toute la sordide, mais nécessaire vérité, avant de se retrouver errante et en pleine furie meurtrière dans la Cité ? Ce n’est que mon entière responsabilité. Crois-moi, si tu avais pu rester sage tout aurait été si facile pour tout le monde…
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— Je sais tout. Absolument tout ! Je me souviens du SAGI, je me souviens de ce que vous m’avez fait, cracha-t-elle en réponse, ce qui ne sembla pas le surprendre outre mesure.
— Je le soupçonnais, même si je peux dire que je le savais. À vrai dire, nous savons depuis quelques heures que nous avons foiré dans le Programme et j’en sais davantage encore sur toi que tu n’en sais sur nous. Je sais que tu as rencontré Jinn Pertem et je sais que tu as travaillé avec lui pendant un temps trop long… Du moins qu’Ontho a fourré son nez dans des affaires qu’on avait placées aussi loin que possible d’elle pour son propre bien et tous ceux de sa misérable race.
Suranis porta sa main à sa ceinture ressentant le contact du laser saisi sur le corps du bleu. Cela la calma, elle prit une grande bouffée d’air en regardant l’homme qui miroitait tel un mauvais cauchemar. Le cauchemar en réponse fit une grimace, ressentant en elle quelque chose qu’il avait déjà pressenti : une dangereuse fougue. Une résolution acharnée qui flanqua un nouveau coup à sa conscience déjà meurtrie.
Elle se redressa de tout son long, ses longs cheveux en touffes ébouriffées aussi électriques que l’aura qui l’entourait :
— Allez-vous faire foutre, répondit-elle en toute sobriété, se surprenant en entendant la résolution qu’avait pris sa voix et qui était – découvrit-elle – réelle.
— Je sais ce que tu penses Suranis. Je sais que tu penses que je ne suis qu’un monstre terrifié par ce que l’on pourrait découvrir à son sujet… Et tu sais quoi ? Je crains que tu aies raison. Je suis un monstre et j’ai peur. Je ne me permets que rarement de faire des aveux de faiblesse, mais que veux-tu ? Je viens de tuer une des rares personnes qui comptent pour moi et cela de sang-froid pour ne pas prendre le risque qu’il détaille notre rencontre au premier journaliste venu et si ce n’était que ça… Oh Suranis…
Ses yeux se plissèrent jusqu’à se joindre. Lorsqu’il les rouvrit, la sécheresse s’était emparée d’eux. Malgré la distance, elle voyait qu’il tremblait de tout son corps, toute son âme et que l’idée qu’une balle – la sienne - puisse lui faire éclater la cervelle du lui traversait fugitivement l’esprit. « Assez. Assez. Assez » clamait sa posture.
— Quoi donc ? Ce n’est pas que ça ? Dites… Je… demanda Suranis, surprise de sa curiosité qui, bienvenue, la détournait de la conclusion de cette conversation surréelle.
— Tu veux savoir ? Mais crois-moi, tu n’as pas envie de connaître la suite des opérations… Je n’aimerais pas les connaître moi-même. Si tu y tiens… Je te répondrais que nous allons tout nettoyer. Pense à ce que tu en veux, c’est une nécessité absolue. Une nouvelle phase qui doit me peser sur les épaules. Tu ne me connais pas et tu n’as pas la moindre idée de tout ce que j’ai entrepris pour la Cité. Je porte un fardeau trop lourd pour moi et ça finira par me détruire, mais je dois le faire… Tu dois me penser comme un tyran éperdu du pouvoir, pourtant je ne suis qu’un serviteur. La Cité est trop fragile pour être privée d’une tête pensante. Elle a besoin d’organes, de cellules et d’oxygène, de calories aussi… Et de moi. Elle a besoin de moi plus que je n’ai besoin d’elle.
— Vous n’êtes rien d’autre qu’un mégalomane qui se noie dans son propre égo, vociféra Suranis hantée par une colère qu’elle préférait de loin à la peur qui l’habitait quelques instants plus tôt. La Cité gagnerait à vous voir disparaître et que votre crâne paumé sur le chemin ne devienne rien d’autre que le marqueur d’un passé à ne jamais retenter. Vous n’êtes qu’une sombre merde ! Une tête à décrocher avant de la tirer dans le Flux ! Vous avez pourri ma vie, vous avez pourri nos vies et pourquoi ? Parce que vous n’êtes qu’un lâche. Vous prétendez être un héros plein d’abnégation qui maintien le bordel en l’air et, sous ce couvert, vous vous permettez les pires atrocités. Maintenant que mes souvenirs reviennent… Nos ?
Suranis marqua une pause en guettant le changement d’expression de Gern Fulcräne. Celui-ci se recula d’un pas comme frappé par la foudre. Ses yeux écarquillés confirmèrent ce que Suranis pensait : Jinn Pertem avait dû subir la même révélation qu’elle et peut-être tous les autres. Cela pouvait très mal tourner pour le Conseil et celui qui fut à sa tête à l’époque. L’ancien premier pilote était terrifié par les conséquences possibles de ses actions passées.
Une envie soudaine de le meurtrir la saisit. Elle appréciait le dégoût qu’il affichait pleinement alors qu’elle tournait autour d’une vérité qu’il connaissait mais refoulait :
— Maintenant que nos souvenirs reviennent, vous flippez. Votre misérable cul va prendre une raclée monumentale et vous le savez ! Si vous disparaissez aujourd’hui, le Conseil ne survivra pas à cette misérable journée ! Qu’est-ce que ça fait de voir tous ses plans tomber à l’eau ? Je tomberais peut-être dans le Flux aujourd’hui, mais je crèverais avec la satisfaction de savoir que vous me suivrez bientôt.
— Mon misérable cul ?! s’exclama-t-il. Tu ne sais foutrement rien, ce putain de Flux n’est pas ton futur Rhéon !
— Arrêtez avec ce tutoiement paternaliste, le stoppa Suranis.
Alors, en agitant les bras, il s’était rapproché en continuant de déblatérer. Le futur de Suranis entre ses mains, son misérable cul se trainant derrière et la distance entre les deux se réduisant. Suranis distingua le halo scintillant qui l’entourait et l’énorme gilet pare-balle sur son torse qui transformerait son tir en piqûre de moustique turbulent dans le meilleur des cas. De cela, elle se moquait. Jamais n’avait-elle eu l’intention de tirer sur Fulcräne bien que, de son côté, ce dernier n’en était pas entièrement convaincu.
— Tais-toi insolente ! Je ne veux que le meilleur pour tout le monde, tout le monde ! Toi y compris !
Dit-il ou plutôt hurla-t-il. Il essayait de se convaincre, mais sa colère cachait autre chose : une confiance absolue dans le grand jeu qui se jouait. Il avait gagné la partie depuis le début du Programme, même s’il devait faire marche arrière. Suranis Rhéon et tous les autres n’étaient que le dernier soubresaut d’un macchabé fraîchement déposé. Il voulait la voir morte et noyée dans le Flux, ses crimes enterrés par la brume.
— Ne vous approchez pas ! cria Suranis en se sentant défaillir, ce à quoi le Haut-capitaine répondit par un haussement d’épaules amusé.
— Sinon quoi ? Tu vas me tirer dessus comme tu as descendu ce pauvre gars ? Comme j’ai descendu mon vieux chauffeur ?! Voyons, sois réaliste ! Tu ne peux plus rien faire ! Rends-toi et je saurais me montrer clément. Je te promets que nous t’offrirons une meilleure vie, simple mais sans douleur... Je te le promets. Il faut juste que tu viennes et que tu montes dans cette voiture avec moi… Tout sera arrangé en l’espace d’une seconde et pour toujours.
Il franchit un nouveau mètre, son sourire s’élargissant avec une apathie manifeste. D’une sordide façon, il ne mentait pas. Il lui offrirait une belle vie sans douleur, si la balle ne lui traversait pas le cerveau sous le bon angle. Oh, il saurait alors se montrer miséricordieux en lui offrant les hospices d’un asile pour lobotomisés. Cela n’était que sa responsabilité, son devoir. La souffrance de milliers de Citoyens pouvait lui être imputée mais au moins abrégerait-il l’une d’entre elle.
Sa main serra la crosse. Une balle et tout finirait. Une retraite véritable, voilà tout ce à quoi il aspirait et il ne restait presque plus que Suranis entre elle et lui. Presque. Suranis le comprit car elle recula qu’un pas, son corps tout entier manquant de défaillir malgré la terrible étincelle qui brillait dans son regard. Elle exprimait une… Menace. Le Haut-capitaine Fulcräne la saisit et en fut déboussolé. Comment une femme acculée aurait-elle pu le mettre en danger ? La puissante certitude qui émanait d’elle suffit à ébranler sa résolution.
— Qu’est-ce que tu… se dit-il à lui-même en s’apprêtant à extirper son flingue encore chaud de son ceinturon.
Suranis le regarda avec des yeux secs et déjà morts. Ses mains plongèrent vers sa ceinture et l’éclat malicieux de l’électricité jaillit du laser volé. Gern Fulcräne comprit ce qu’elle s’apprêtait à faire et dégaina d’une traite :
— Non, ne fais pas ça ! hurla-t-il le front nimbé d’une sueur froide alors qu’il se crispait sur la gâchette.
Le Haut-capitaine, médiocre tireur, tira une rafale déchaînée, vidant le chargeur aussi rapidement qu’il le pouvait. Trois balles manquèrent leur cible et aucune n’atteignit la tête pourtant visée. La plupart traversèrent l’épaule, une lui pulvérisa une côte et finit sa course dans le poumon gauche. L’écume du sang monta à sa bouche alors qu’elle chuta vers l’arrière. Son cœur s’emballa, éclatant de pure fureur lorsque le coup mortel fut porté. Un éclat de plomb vint se ficher dans son palpitant surmené et le voile commença à tomber sur elle.
La mort l’emporterait et tous ses souvenirs avec, mais elle ne partirait pas seule. Elle l’avait décidé en courant. L’avait décidé bien avant. S’en était faite la promesse secrète sous les étagères-monde du SAGI. Elle laisserait au Flux ses poumons, son cœur, son corps tout entier et âme comprise. Plus rien ne lui appartiendrait, plus aucune aspiration ne la ferait mouvoir après son acte ultime et désespéré. Le laser chargé au-delà des recommandations tira une unique salve bleue qui déchira le ciel. Une décharge de 50.000 volts traversa le Flux. Le tir ne visait ni les drones ni Fulcräne, simplement l’immensité verdâtre… et tout revint à elle.