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Chapitre 2

Jinn Pertem n’avait plus un seul cheveu sur le crâne depuis maintenant huit ans et pourtant il était encore relativement jeune du haut de ses 52. L’accusé, vêtu d’une veste de tweed, associait ses vêtements à la rambarde aussi brune qu’il ne l’était avant la grande chute capillaire. Il avait un port altier et les yeux d’un bleu très clair directement plongé dans l’œil de la caméra.

C’était un habitué des représentations. Il était dans la cour des grands depuis vingt ans sans jamais avoir dépassé l’étape du préau. Fils d’ingénieure et de médecin, il n’était pas naturellement à sa place parmi ceux de la Surface mais n’en était cependant séparé que par un mince filament. Il avait été dans cette catégorie bâtarde, qui sépare les sans-noms des célébrités, et il l’était demeuré jusqu’à sa sixième année passée à œuvrer pour tous les syndicats qui sillonnaient le dernier étage avant le paradis... Même si lesdits syndicats étaient essentiellement issus du milieu universitaire et que la seule chose qui le rapprochait du monde ouvrier était son lien avec les équipes de contrôle des moteurs de la Cité. Une tâche essentielle réalisées par des ouvriers en chemise blanche qui obtenait l’approbation de tous. Un seul des moteurs ne fonctionnait pas au moment où la Cité corrigeait son orbite et elle venait à pencher, deux et la situation devenait périlleuse. Évidemment, les contacts de Jinn Pertem avec ce monde se contentaient de donner des ordres, pas de procéder aux réparations, mais quelle différence vu d'en bas ? Tout cela était déjà bien assez pour se prétendre homme du peuple et prendre régulièrement sa défense à grand renfort de gueulantes.

On suivait ses interventions avec une ferveur presque religieuse et ce fut donc la même foi que ceux qui avaient un jour songé à voter pour lui - voyant dans le personnage quelqu’un qui connaissait réellement leur souffrance - suivirent le procès. Ce n’était pourtant pas le procès de Jinn Pertem qui se jouait là, mais celui de toute une classe pensante et dominante en laquelle on avait pu avoir une confiance naïve. Certains étaient pires que d’autres, mais ce n’était pas si horrible tout compte fait. Ils ne savaient juste pas ce qui se tramait plus bas, Jinn Pertem oui et s’il n’avait eu que lui tout aurait été plus simple… Mais il était désormais évident que les pieuses déités de la Surface n’étaient pas totalement innocentes.

Les dirigeants avaient prévu le coup pour se protéger. La tête de Jinn Pertem dans une catapulte serait une merveilleuse image. Bien meilleure que celle d’un juge hors d’âge en jaquette de plastique jaune qu’on avait tiré en trombe de son lit. Le juge s’appelait quelque chose comme Häst Meltor et tremblait compulsivement de la mâchoire d’une manière telle qu’il était impossible de déterminer si Parkinson était venu tranquillement frapper à la porte ou s’il possédait, dans son illustre lignée de cachetons jaunes criards surexposés, un ancêtre tenant davantage du teckel que du porcinet.

Sa bouche tremblante, éclairée cruellement, se mit à vocaliser des mots. Les spectateurs bouche bée les dévorèrent :

— L’audience est ouverte. Mesdames, Messieurs, nous instruisons aujourd’hui le procès de Jinn Pertem. Accusé, vous pouvez vous levez.

L’accusé se leva. Ses yeux autrefois pétillants étaient ternes. Il n’avait pas dormi de la nuit, la faute au lit trop dur de sa cellule et à ses pensées morbides. Les preuves contre lui avaient été montées en l’espace d’une semaine et elles étaient accablantes. Auraient-elles pu être autrement ? Après tout, il fallait bien étayer l’aveu qu’il avait fait en toute conscience de l'authenticité de sa culpabilité.

— Merci monsieur Pertem. Vous pouvez vous rasseoir. Bien, la parole est désormais au procureur Fill Janter. Pourriez-vous nous lire l’acte d’accusation ?

– Bien votre Honneur, répondit avec nervosité Fill Janter. » C’était un garçon robuste tout juste sorti de l’adolescence tardive. Le genre de visage qu’on oubliait aussitôt après l’avoir vu. « Nous jugeons aujourd’hui le cas Pertem. L’accusé est inculpé de viol et de violences ayant entraîné la mort d’Hilda Gëstor, vingt-sept ans et résidente à la surface, code 417-E5 pour ce qui est de l’adresse. Elle a été retrouvée morte, tâchée par un sperme identifié comme celui de Monsieur l’accusé, Jinn Pertem qui se trouvait, au moment de la découverte du corps, à côté de ce dernier. La victime a été strangulée, son larynx brisé, après qu’elle ne soit violée.

Hilda Gëstor était une toxico de la surface dont on diffusa les images floutées. Assez proche physiquement de Pavla, mais différente. Les images originelles avaient disparues rapidement du réseau et on pouvait facilement se méprendre. Dans le discours officiel il n’existait pas de Pavla et elle n'existerait jamais. Jinn Pertem avait été mis au courant. La nouvelle victime avait été retrouvée morte la semaine précédant le procès dans son appartement. Elle vivait seule et sans famille connue. Une de ces jeunes filles en première ligne pour le déclassement. Une victime parfaite, de la haute, qui calmerait les foules encore persuadées qu’une des leurs avait été assassinée par un politicien se pavanant dans sa belle moralité.

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Il n’en restait pas moins que Pavla gisait vraiment quelque part. Pavla était morte. Sans cette source anonyme pour le dénoncer, Jinn Pertem n’aurait pas été inquiété. On ne fait jamais rien pour les oubliés des tréfonds.

— Monsieur Pertem, reprit le juge. Vous avez refusé l’avocat qui vous a été commis d’office. Qu’avez-vous à dire pour votre défense ?

— Votre Honneur. Honorable assemblée. J’ai déjà indiqué aux services de police ma culpabilité. Je ne me défendrais pas car il n’y a plus rien à défendre. J’ai été retrouvé nu et nauséeux à côté du corps sans vie d’Hilda Gëstor. Je ne connaissais pas cette jeune femme, pas jusqu’à la vieille de sa mort… commença-t-il, tout en sueur en jetant un coup d’œil au texte qu’il avait préparé.

Merde, c’était l’unique vérité, il avait tué une nana, pas la bonne, mais il l’avait fait. Il avait préparé ce beau mea culpa public histoire de… De quoi ? Remonter en piste une fois que l’affaire aura été noyée ? Non, il était totalement foutu. Lui le doux meurtrier qui ne le recommencerait jamais. Oh, il le promettait, plus jamais… Et qui serait berné ? Même pas lui. De toute façon, il ne pouvait rien y faire. On lui avait demandé de cracher cette histoire montée de toute pièce. « Sois cool Jinn et nous garderons ta famille dans le confort douillet de l’étage A. Tu n’aimerais pas qu’ils rejoignent le niveau C ? Il paraît qu’ils n’ont que deux choix en terme de bouillie : fade ou moins fade. » Alors Jinn serait cool et jouerait son rôle de bouc-émissaire pour tous les péchés de ses semblables.

— Et je plaide, de nouveau et en la matière, coupable. Je ne pourrais dire quelles sont toutes les raisons qui m’ont poussé à cette extrémité, je ne dirais pas non plus que je le regrette car vous savez que c’est le cas. Je sortais d’une réunion avec des confrères syndiqués dont je tairais ici le nom et nous avons décidé de partir nous détendre dans un de ces clubs de la Surface. Évidemment, j’ai un passeport qui me permet de traverser les barrages et d’accéder à cette zone comme tous les représentants de secteur. Nous avons beaucoup bu, avons continué à discuter et, dans la soirée, je l’ai remarqué, cette jeune femme qui sortait des toilettes. Je ne la quittai plus de tout le temps que j’ai passé dans ce club. Lorsqu’elle est finalement sortie, je me suis extirpé pour la suivre et essayer d’avoir un brin de conversation avec elle. Elle m’a ri au nez. D’habitude, avoir une stature permet a minima une conversation polie, mais dans la plupart des cas on peut finir sa nuit accompagné. Ce n’était pas son cas, elle s’est contentée de me refouler. J’étais furieux et je l’ai suivi discrètement jusqu’à qu’elle se retrouve dans isolée. Je l’ai giflé, une première fois, elle n’a pas crié. J’ai recommencé avec plus de force et elle est tombée par terre, inconsciente… Alors j’en ai profité… Plus que de raison.

Du pipeau total. Après le sixième verre, c’était le néant. Absolument rien, mais les preuves existaient et c’était bien lui qui avait été retrouvé aux côtés du corps. Un violeur doublé d’un meurtrier, voilà tout ce qu’il était.

Un brouhaha contenu accueillit sa déclaration. Devant leur poste multimédia, des dizaines de milliers de citoyens ordinaires fulminaient en renversant un peu de leur bière sur la moquette souillée. Jinn Pertem avait avoué le meurtre – aurait-t-il pu faire autrement au vu des preuves contre lui ? Il l’avait fait avec une telle aisance, tout juste rendue un peu confuse par le frisson qui le parcourait. C’était comme s’il venait de demander une ration supplémentaire au self commun des ouvriers parce que, voyez-vous, régler tous vos problèmes ça consomme de l’énergie plus que de raison.

— Silence dans la salle je vous prie ! intervint le juge. Vous plaidez coupable, mais je le redemande une seconde fois. Souhaitez-vous vous défendre ? Les preuves contre vous sont accablantes, mais nous pourrions revoir votre jugement à la hausse ou à la baisse selon ce que vous direz.

— Non votre Honneur, on n’attend rien d’autre de moi.

— Pardon ?

— Vous avez entendu.

Le vieux juge paru déboussolé. Le procureur échangea son sourire le plus sardonique avec, dans la foule invisible à la froide caméra, Gern Fulcräne le Premier Pilote qui s’était spécialement déplacé pour l’occasion jusqu’au tribunal de l’étage A. Cela ne voulait pas dire qu’il avait pris, comme toute personne ordinaire, ses jambes et une série d’interminables tapis roulant jusqu’à ce dernier. Non, il avait fait usage d’une capsule pneumatique grandeur humaine et avait soigneusement évité le bain de foule. Il ne pouvait pas manquer cette occasion. Jinn Pertem s’était tiré une balle dans le pied, d'un calibre un peu trop important et qui le rendrait éclopé à vie, et Fulcräne en avait profité pour pousser le boiteux jusqu’à qu’il se carapate en bas de l’escalier… et avec lui ces maudits syndiqués qui empestaient régulièrement le débat public. L’opposition prenait un sacré coup.

— Et bien dans ce cas… Les membres du juré vont se retirer afin de délibérer, conclut le sceptique homme de loi.

C’était bien la première fois en quarante ans de carrière qu’il voyait un accusé se mettre le nœud coulant autour du cou et sauter par lui-même dans la grande fosse de l’oubli.