Esquivant les nuages de glace se formant en basse altitude, l’Hirondelle atterrit du mieux qu'elle put au milieu de gravats fumants. Ces derniers composaient autrefois le bastion de défense principal de Sedna. Des troupes de Taranis avaient donc envahit la station.
« Pourquoi tête de crabe attaquerait-il des civils ? me demanda Ali en quittant le cockpit.
— Ils ont dû nous voir traverser la haute atmosphère ! Pour liquider Nora en même temps que nous, le Céleste a choisi de sa batte sur deux fronts ! »
Quelques colons tentaient de rejoindre les canons encore intacts, mais leur longue marche sur la surface gelée allait leur être fatale.
Le Kitty camouflé derrière un bloc de béton, c’est équipés de nos combinaisons spatiales que nous nous immisçâmes discrètement à travers une brèche menant à la citée-bunker.
« Et maintenant ? demandai-je en me rendant compte que fouiller une cité capable d’abriter des milliers d’habitants en pleine bataille n’avait pas été la plus brillante des stratégies.
— Selon Yossef, Mancéphalius aurait détecté le FID de Nora près des centrales à tholins ! Situées derrière une espèce de lac. »
Comme prévu, il n’y avait pas de temps à perdre, car les sbires de Taranis étaient déjà en train de ratisser les lieux. Remuant les débris, les MK-X exécutaient machinalement tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un survivant organique. Après avoir fait le ménage dans la Technocratie, l'Arch-Prince se retournait contre ses anciens alliés du côté séparatiste. Il se débarrassait aussi aujourd'hui des derniers instigateurs de sa guerre autour de Saturne. Un véritable Jugement Dernier.
Les colons répliquaient depuis leurs cachettes. Le silencieux déluge de balles fit battre en retraite les MK sur notre position.
« Souviens-toi ! dis-je à Ali qui arma son calibre après avoir planté son sabre dans la terre rouge. Vise la glabelle !
— Quoi ? Tu as encore faim ? »
Encaissant le recul du .50 en gravité nulle, Ali fit mouche à chaque tir, renvoyant dans le néant ces créatures qui servaient le mauvais maître.
La cloche de béton protégeant la station s’effondra soudainement en grande partie sur l’un des quartiers de la ville, nous obligeant à nous mettre à couvert. Une fois les secousses terminées, nous pûmes rejoindre les abords du lac artificiel où il tombait une fine neige rouge. Le ciel étoilé se dessinait désormais au-dessus de nos têtes.
« Mince, alors ! s’écria Ali. Tous ces gens vont mourir pour cette stupide histoire de guet-apens !
— Un éternel recommencement. Je ne sais pas ce que Caïus avait en tête mais, je commence à en avoir marre de ces sapiens…
— Nous sommes deux. »
Je m’étais subitement arrêté à l’ombre d’un bloc de béton.
« Et ton futur avec Yossef ? Ta maison de banlieue avec le labrador ?
— Mais de quoi tu parles ? rétorqua Ali. Tu as oublié qu’on forme un duo tous les deux ? Il n’y a que toi que je supporte plus d’une demi-journée dans ce maudit système ! »
Un éclair de flamme retint ensuite notre attention. Provenant de la haute atmosphère, le T.M.S Africa et sa figure de proue de déesse égyptienne, du moins ce qu’il en restait, chutèrent droit vers la surface. En orbite, Le combat contre Taranis tournait au fiasco.
« Braun et Rodrigue sont dans le pétrin ! dis-je en discernant la forme couleur ivoire ouvrir le feu sur le nuage de chasseurs lourds qui le ciblait.
— Yossef ! Tu me reçois ? hurla Ali dans son microphone. Rodrigue ? Quelqu’un ? »
Les tirs reprirent sur Sedna et je vis une escarmouche s’engager entre une brigade d’androïdes et les colons enragés par la destruction de leur cité. Dans ce chaos, le silence régnait toujours, que ce soit dans les rues ou sur le canal radio.
« Tu n’obtiendras rien sans l’émetteur du Kitty », dis-je à Ali alors que nous fuyions jusqu’au pied d’un gigantesque réservoir de tholins.
La dépressurisation avait transformé la surface du lac artificiel. Le liquide avait commencé par être aspiré dans la faible atmosphère et formait des colonnes de bulles de toute taille qui avaient désormais gelé sur toute leur hauteur.
« Alors, changement de plan ! trancha Ali après une troisième tentative infructueuse. On les rejoint au plus vite !
— Là-haut ?
— Ils ont besoin du Kitty ! Taranis n’avancera pas plus aisément que nous dans ce bazar ! insista ma sapiens alors que les balles perdues sifflaient au-dessus de sa tête. On retournera chaque gravât de cette immonde planète pour ma sœur une fois cette face de crabe en rillettes !
— Référence culinaire acceptée ! »
Commandée à distance, l’Hirondelle vint se poser sur les débris de l’aqueduc de tholins qui dominait autrefois la station. Rejoindre notre vaisseau fut complexe en raison d’une nouvelle vague d’assaut de MK-X qui alla s’écraser au pied des réservoirs. Un féroce combat eut lieu, mais nous retournâmes finalement en orbite juste avant que l’usine n’implose.
Dans l’espace, malgré l’absence de l’hypercroiseur, l’affrontement tourna promptement à notre avantage. Bien plus rapide et précis que le T.M.S. Africa, le Kitty, l’Arche et l’Ada, épaulés par les derniers pilotes de la Marine mirent à mal les pancakes. Nos ennemis sombrèrent avant de se désintégrer au contact du manteau vermillon de Sedna.
« Le vaisseau de ce dégénéré de Céleste est à nu, se félicita Braun à travers la radio une fois l’ultime galet de chrome hors combat. Visez les refroidisseurs des turbines !
— J’en fais mon affaire ! » mugit Rodrigue alors que son invisible Falstaff venait de piquer en direction de notre cible commune.
Les dernières torpilles de l’Ada Millenium transpercèrent le blindage des moteurs et une pluie de grêlons métalliques se dispersèrent dans le sillage de l’aéronef Céleste.
« C’est ce que j’appelle un Strike ! cria Big Brain en redressant son appareil peu après que des chasseurs militaires aient lancé une nouvelle salve de roquettes sur les Baltimore agonisants.
— Bien joué ! s’écria Ali à la tourelle.
— Prêt pour la mise à mort Capitaine Braun ? demanda Rodrigue. Je doute que le Kitty possède une charge suffisamment puissante pour faire sauter le réacteur Baltimore. »
Mais l’Arche de Noé demeura silencieuse.
« Yossef ? insista ma partenaire alors que je positionnai l’Hirondelle au-dessus du cockpit de l’Intercepteur.
— Il est ici ! » cria une voix qui ressemblait à celle de Pingu avant que ne surviennent des injures propres à Raspoutine.
Le reste de la communication ne devint qu’un concert de hurlements et de tirs de mitrailleuses.
« Enfers ! Il semble que Taranis se soit téléporté sur l’Arche, conclus-je. Il a dû pirater les moyens de communication du vaisseau !
— Coupons déjà tout moyen de transmission holographique, m’ordonna Ali avant de faire passer le conseil à Satori.
— L’Hirondelle est un vieux coucou, nous n’en avons pas ! Tout comme le Falstaff.
— Et maintenant ? demanda Rodrigue. Nous abordons l’Intercepteur pour en finir ? Car impossible qu’il puisse rejoindre son aéronef ! Et nous ne pouvons pas le laisser fuir ! »
Au loin, le vaisseau d’argent et d’ivoire de l’Arch-Prince fut réduit en cendres lorsqu’il tenta de réarmer une dernière fois ses réacteurs Baltimore. L’onde de choc secoua le Kitty quand la radio grésilla. Braun était de retour.
« Ali ? Marquis ?
— Par les anneaux de Saturne, Marine ! Quelle est la situation ? demanda l’androïde. »
Il y eut un silence précédent une lointaine explosion au sein de l’Arche. La respiration haletante du MP résonna sur le canal.
« Capitaine Kamirov ! insista Rodrigue.
— Merde ! Pingu et McCoy sont morts, répondit le militaire. Taranis et ses MK-X sont sortis de nulle part. Nous avons agi avec négligence. »
Enfers ! Pingu... McCoy... impossible...
« Où es-tu ? demanda Ali.
— Barricadé dans la chambre du Baltimore. Avec Mute. Nous avons saboté les autres moyens de télécommunication et lâché les monopods. Il n’y a pas d’échappatoire pour Taranis à part un saut direct dans le cosmos. De toute façon, fantôme holographique ou pas, il ne survivra pas à une déflagration thermonucléaire. »
Déflagration thermonucléaire ?
« Par les 79 lunes de Jupiter ! Cet inconscient de soviet veut faire exploser son réacteur. Et lui avec !
— Fais pas l’idiot ! hurla Ali. Nous arrivons et on se chargera de lui au corps à corps !
— Nous avons verrouillé les accès. Hors de question de lui fournir un autre vaisseau, Ali…
— Fais pas le héros, Yossef ! hurlai-je en positionnant le Kitty au-dessus de la cabine de pilotage de l’Arche.
« Je suis désolé, conclut Braun.
— Hasta la vista, baby, grésilla le radiocassette de Mute.
— Non ! » hurla Ali.
L’Intercepteur fut instantanément réduit à l’état de poussière par son propre capitaine.
L’espace silencieux répercuta la déflagration en une terrible pluie de projectiles incandescents qui percutèrent la base du Kitty. De par la puissance du souffle, nous fûmes alors projetés hors de l’orbite de Sedna. Malgré les efforts de nos stabilisateurs, nous pûmes retrouver une trajectoire normale qu’après une bien trop longue demi-heure terrestre.
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« Mais quel cauchemar ! m’exclamai-je après une minute complète à me réapproprier mes sens. Tout va bien ?
— Oui, je crois… » gémit ma solide partenaire.
Cinq détonations résonnèrent soudainement dans le cockpit et me firent revenir brusquement à la réalité.
Le poste de copilote vola en éclat. Ali, toujours dans son siège, s’était effondrée sur le tableau de bord sur lequel bullait un liquide vermeil qui commençait déjà à s’évanouir dans l’apesanteur.
De la fumée s’échappait du revêtement en mousse du dossier. Quelqu’un venait de tirer sur ma partenaire depuis l’habitacle.
« Qui ? » hurlai-je en me retournant.
Nora, le visage en sang et le puissant Desert Eagle de Marcus dans la main droite, se tenait contre la porte coulissante. Les cinq canons encore fumant, elle tentait tant bien que mal de réarmer le pistolet enraillé.
« Qu’est-ce que… Ali ! » m’écriai-je avant de me tourner vers ma sapiens.
Dans une grande inspiration, celle-ci se redressa aussitôt, crachant presque littéralement ses poumons sur le panneau de commande clignotant.
« Saloperie ! » jura Nora avant qu’un nouveau coup de feu ne disloque l’unité centrale de l’ordinateur de contrôle.
Plusieurs alertes sonores et lumineuses m’indiquèrent la superposition d’avaries critiques dont une fuite dans le réservoir de liquide de refroidissement. Un court-circuit actionna même le prochain cycle du réacteur Baltimore.
« Enfers, Nora ! Qu’est-ce qui te prends ? Tu vas tous nous tuer ! »
Ignorant ses mortelles blessures, ma partenaire déchira sa ceinture de sécurité pour se retourner vers sa sœur. De son justaucorps s’échappaient des billes de sang, mais cela ne l’empêcha pas de revêtir son gilet rose et de saisir son arme comme si de rien n’était.
« Ne bouge pas, sœurette, maugréa mon associée entre deux inspirations difficiles. Ça va être ta fête…
— Ali ! Insensée ! Reste assise !»
Ma sapiens vomit son propre sang mais poursuivit sa démarche.
« Tu ferais mieux d’écouter ton compagnon, Bambi, la provoqua Nora en la mettant de nouveau en joue de son revolver.
— Seulement si tu m’expliques ce qui te passe par la tête. »
Le brutal allumage de la monoturbine me plaqua contre mon siège. Ali fut propulsée à l’arrière du cockpit, contre la porte qui s’était rabattue. Le calibre .50 lui échappa des doigts et disparut dans les équipements.
Un nouveau coup de feu retentit et fragilisa le joint des vitres blindées. Heureusement, ma partenaire parvint cette fois-ci à désarmer sa sœur. Malgré ses blessures, un violent combat à mains nues s’engagea entre les deux enfants de cuves.
Je ne pouvais participer à cette lutte fraternelle, car le Kitty était en très mauvaise posture. L’ordinateur de contrôle ne répondait plus. Juste avant de rendre l’âme, il avait verrouillé d’improbables coordonnées erronées par-delà les confins du système. Sans une intervention féline, le Baltimore allait nous envoyer à travers la neuvième planète la queue la première !
« Enfers ! jurai-je en me grillant les poils des pattes sur les court-circuits qui parcouraient le panneau de contrôle. Plus rien ne répond ! »
Un arc électrique éclata le tableau de bord et stoppa net l’ensemble des fonctionnalités auxiliaires. L’air se raréfia et les lumières s’éteignirent pour ne subsister que les LED blanches de détresses.
Derrière moi, Nora avait pris le dessus et martelait les épaules de son assaillante avec la crosse de son arme. Je devais agir !
Je vis alors le sabre d’Ali flotter près de mon fauteuil de pilote. Ignorant les rapports d’erreurs s’accumulant sur le dernier moniteur monochrome encore en fonctionnement, j’amorçai le déploiement mécanique des ailerons de freinage d’urgence. A l’envers.
« Tu vas voir, espèce de traîtresse ! »
Le choc eut l’effet escompté. Les éléments en perdition, incluant la lame volée sur Terre, allèrent se planter à l’arrière de l’habitacle. Le dos d’Ali en réceptionna quelques-uns, mais le sabre empala sa sœur au niveau de l’abdomen.
« Merde ! Vous faites chier… hurla Nora en se lacérant les paumes sur l’acier rose effilée. Vous faites vraiment chier ! »
Ali la fit taire d’un crochet avant de se laisser flotter en arrière. La respiration difficile, elle n’eut comme première réaction à mon anxiété qu’un clin d’œil désinvolte.
« T’inquiètes, Lee ! C’est juste une égratignure !
— Monty Python semble mal venu, la recadrai-je avant d’inspecter ses blessures. Génome modifié ou pas, tes plaies sont extrêmement graves !
— T’occupes, répondit-elle en me repoussant pour faire de nouveau face à notre adversaire qui s’était enfin libérée. Alors, Nora… il n’en avait donc pas après toi, si ?
— Tout ceci avait pour objectif de nous attirer sur Sedna ? demandai-je en réalisant l’invraisemblable trahison. Pourquoi si loin ?
— Fermez-la ! J'étais juste venu m'occuper des derniers leaders séparatistes qui en savaient un peu trop. Après notre court contact pendant que vous étiez sur Pluton, j'ai eu ordre de temporiser.
— Encore cette histoire... toussa Ali.
—L'Arch-Prince a juste voulu faire d'une pierre deux coups... même Mancéphalius est tombé dans le panneau en vous menant ici ! Sedna devait sceller toute cette histoire de guerre sur Saturne sous les gravats !
— Mais tout le monde s'en tamponne de ces inepties politico-corpo-merdiques ! cria ma sapiens. Depuis quand complotes-tu avec les mêmes Célestes qui ont transformé la moitié de nos vies un enfer ? »
L’ancienne Techno-Procureur glissa contre la porte, les mains comprimées contre l’entaille qui n’en finissait plus de buller.
« L’apesanteur et les plaies sévères ne font pas bon ménage, hein ? » enchérit Ali en exhibant les siennes.
Son visage était blanc. Elle devait arrêter de fanfaronner.
Rodrigue et son Falstaff devraient nous rejoindre. Peut-être. Il fallait aller quérir leur aide immédiatement ! Mais cette maudite radio n’était même plus à sa place. Mon freinage d’urgence l’avait catapulté à l’arrière avant de la pulvériser.
« Titan… soupira Nora, en repoussant de ses semelles lestées les derniers vestiges de l’équipement de communication.
— J’ai mal entendu, répondit Ali en collant son visage à celui de son interlocutrice. Parle plus fort quand tu meurs.
— Ce sont les Célestes qui sont venus me chercher sur Titan quand je les ai appelés à l’aide.
— À l’aide ? »
Le système se remit en marche, relâchant un souffle d’air alors que les écrans monochromes encore fonctionnels se rallumaient.
« Après quelques années, je me suis rendu compte que je n’avais rien à faire sur Titan, poursuivi Nora. Ma place était sur Lunapolis. »
L'ancienne Techno-Procureur grimaça quand Ali appuya son ventre avec sa botte.
« As-tu oublié ce pourquoi étaient conçus les enfants de cuves comme nous ? demanda ma copilote. Sais-tu pourquoi nous sommes si invulnérables et presque insensibles à la douleur ? Pourquoi nous sommes-nous enfuis ?
— Je ne suis pas une enfant de cuve, Ali… »
Ma sapiens esquissa un mouvement de recul et nous échangeâmes un regard.
« Je suis l’Arch-Princesse Sirona de la Méta-Caste de l’Awen. Je me suis enfuie avec toi et les autres, car j’étais une gamine stupide, cracha Nora. Une fois sur Titan, j’ai eu peur et je regrettai ma décision, mais c’était trop tard.
— Je… mais Koviràn… bafouilla ma partenaire qui m’ôta les mots de la bouche.
— Taranis, mon frère, m’offrait de nouveau une place sur la Lune, à condition d’œuvrer pour la Caste, continua Nora. C’est donc moi qui l’ai prévenu de ma présence sur Titan. Mais pour retrouver mon rang, je devais travailler pour lui dans l’ombre. Sur Mars… au milieu des misérables sub-humains. Protéger ses intérêts… pendant que nous prenions le contrôle du système. »
Elle cracha afin de reprendre son souffle. Nous n’avions plus face à nous Nora, la sœur perdue et précieuse Techno-Procureur mais un monstre de Lunapolis.
« Et me voilà désormais un appât pour éliminer les détracteurs de mon frère, venus à mon secours ! Quelle double-honte ! Je suis aussi inutile que vous. Incapable de faire ce qu’on me demande proprement…
— Tu as fait tuer le vieux, l’ignora Ali. Comment as-tu pu tuer le vieux ?
— L’ancienne Hanse qu’il a trahie en sauvant des fugitives était sous notre contrôle. Nous avons pu laisser intervenir leur meilleur assassin pour nettoyer toute l’histoire : le dernier idiot du clan Kumo Raïda. Mais il a fallu que tu survives. Au moins… »
Incapable de poursuivre, elle dut cracher de nouveau.
« Au moins tu auras été utile du temps où tu as réalisé quelques missions pour moi… pour l’Awen. Mais j’aurai dû écouter mon frère et te faire fondre la tête sur le champ comme ce crétin de Kamirov !»
Ma sapiens se rua ensuite sur Nora. L’impact pliant la porte d’accès au cockpit, elles sombrèrent dans l’habitacle depuis lequel émergeait une épaisse fumée noire.
« Enfers ! Qu’est-ce que c’est que ça ? »
Nos récents accrochages autour de Sedna avaient gravement endommagé l’Hirondelle. Le synthétiseur d’oxygène avait été détruit et un incendie s’était déclaré dans le module de survie. Pire encore, les réservoirs de Bleu avaient explosé.
C’était une catastrophe généralisée ! Laissant une traînée de gouttes azur comme des larmes d’adieu dans son sillage, le Kitty avait rétabli sa course, mais s’enfonçait à toute vitesse vers le glacial inconnu sans aucun moyen de l’arrêter.
Le combat entre les deux sœurs reprit de plus belle. Nora avait entraîné ma partenaire dans la cale où le Baltimore tournait à vide de façon critique, faute de liquide de refroidissement.
« Ali ! criai-je en passant ma tête à travers l’écoutille conduisant au réacteur nucléaire rendu fou. Il faut trouver comment stopper le cycle ou nous allons imploser comme une supernova !
— Je suis un peu occupée pour le moment ! » me hurla mon associée, à bout de souffle.
Celle-ci assena un ultime coup de pied à Nora qui atterrit sur la coque de protection plombée. Chauffé à blanc, le bouclier antiradiation lui brûla le dos et l’arrière du crâne avant de se fissurer dangereusement.
« Dommage que tu ne sois pas une enfant de cuve, maugréa ma sapiens. Ça doit faire sacrément mal !
— Tu sais qui a eu sacrément mal, Bambi ? Zéphyr ! Quand Hemingwest lui a arraché la moitié de sa conscience ! »
Nora voulut contre-attaquer par surprise, mais ne reçut qu’un nouveau coup de poing dans le visage. Le nez brisé, elle tomba à la renverse. Ali la rattrapa juste avant qu’elle ne trébuche vers le réacteur, le combustible radioactif à vif.
« Ne me dis pas que tu as aussi quelque chose à voir là-dedans ? demanda Ali en essayant de maintenir Nora malgré ses terribles blessures.
— Qu’est-ce que j’y peux si ce demeuré m’a contacté ? rit Nora alors que les radiations montaient en flèche. Il était si content d’avoir retrouvé la sœur disparue de son… son amante que ce sub-idiot en a oublié dans quoi il fourrait son museau de cyborg ! Tu as le don d’attirer les demeurés, ma pauvre petite sœur ! »
Empli de rage ma sapiens agrippa le visage de son interlocutrice qui avait craché son dernier venin.
« Ali, non ! » miaulai-je avant de me mettre à couvert.
Il y eut le terrible bruit d’une décharge électrique aussitôt suivi des plus effroyables hurlements qu’il m’ait été donné d’entendre. Une pluie d’éclairs surgit de l’écoutille et rebondit dans l’habitacle puis dans le cockpit, pulvérisant les ultimes équipements électroniques qui s’étaient miraculeusement réactivés. Un grand flash bleu conclut enfin le chaotique ballet de destruction.
Un silence de mort s’était emparé du Kitty qui semblait étrangement immobile. Contre toute attente, il y avait même une faible gravité qui ramena les débris au sol. J’ignorais où nous avions échoué. Car à travers les vitres blindées du cockpit, plus aucune étoile ne brillait.
Un terrible sentiment de fatigue m’envahit soudainement. J’entendis les pas d’Ali sur les barreaux de l’échelle. Elle remontait seule dans l’habitacle.
Irradiée et mortellement blessée, ma partenaire s’allongea sur le lit ; sans dire mot. Peinant à se mettre sur le côté avant de se rouler en boule, elle renversa sans y prêter attention nos précieux Betamax de notre dernière soirée avec Yossef.
« J’arrive », chuchotai-je sans qu’elle ne puisse m’entendre.
Les yeux clos, ma sapiens se tenait le bras gauche, brûlé jusqu’au coude par les arcs électriques du Baltimore. Laissant couler des larmes de tristesse et non de douleur sur notre unique oreiller blanc, elle me fit une place pour que je puisse m’immiscer contre sa poitrine.
« Nous ne posséderons probablement pas assez d’oxygène pour un retour vers Sedna ou tout autre monde connu », mentionnai-je en posant mon menton contre sa joue humide.
Elle ne me répondit que d’un baiser sur le nez.
« Et puis toute façon le moteur est hors-course.
— Ça va faire mal ? » me demanda-t-elle.
Sa voix était très faible.
« Pas plus que de passer son bras à travers un Baltimore en plein changement de cycle nucléaire.
— Je suis désolée.
— Pas moi, avouai-je en câlinant de plus belle cette petite fille qui m’avait sorti des égouts. Elle n’a eu que ce qu’elle mérite.
— Je t’aime, fripouille.
— Je sais. »
Voilà qu’avant la fin, je n’étais bon qu’à citer L’Empire Contre-Attaque. Il aurait plus judicieux de se taire. Car à côtoyer depuis si longtemps le sombre et froid cosmos, j’en avais presque oublié à quel point le silence était agréable. Il y fut si facile de s’endormir.
Une dernière fois.
Good bye, Kitty...