Après plusieurs mois à traquer dans l’ombre les alliés de l'Awen, le Kitty se dirigeait maintenant vers le système intérieur. Recherchés pour le meurtre du Techno-Sénateur Rais, mais avec de nouveaux FID, c'est en marge de l'autoroute spatiale que nous attendions les directives de notre prochaine mission. Car nous travaillions désormais pour le compte de Braun et de Nora.
Cette dernière nous avait orienté vers Mercure où nous venions d'achever une mission d'assassinat pour le gouvernement. C'est désormais avec nous qu'elle traversait l'orbite de Vénus pour retourner sur Mars.
Mais surtout, nous étions dimanche. C’était la meilleure soirée de la semaine vénusienne car nous avions reçu par sonde nos courses hebdomadaires et un nouveau lot de Betamax. C’était le soir où nous pouvions combler nos deux appétits les plus voraces : les glucides et le cinéma.
« Et voilà ! Mangeons tant que c’est chaud ! lança Ali, affublée de son chapeau de cuisinière et de son tablier aux bandes vertes blanches et rouges.
— Enfin ! J’ai cru que tu allais me laisser mourir de faim comme ton Tamagotchi ! »
Les sachets de Nutrigel micro-ondables commandés sur l’interweb regorgeaient de tout ce dont nous rêvions depuis des mois : lasagnes à la crème des fermes de Mars, gratin de gnocchis au faux-vrai bacon, pizza calzone aux anchois imprimés, tagliatelles au saumon reconstitué et pâtes carbonara thermomoulées aussi simples qu’excellentes.
Le fumet de tous ces mets me fit perdre la raison. Ma tête tomba dans le plat de lasagnes où je perdis connaissance pendant presque une minute. Ma partenaire m’y aurait laissé me noyer si sa fourchette ne m’avait pas piqué l’arrière du crâne par inadvertance.
« De bets bas des boils bartout toi ! dit-elle en roulant ensuite une demi-pizza comme du papier cigarette pour mieux la faire glisser dans son gosier d’autruche.
— Ta sœur est un ogre ! m'écriai-je en me tournant vers Nora. Elle ne va rien nous céder ! »
Animal cultivé, j’avais retiré chacun des morceaux d’anchois de ma part de pizza avant de déguster ma première bouchée de ce succulent repas. Mais quand la pâte fut à portée de mes babines, il n’était plus le moment de manger. Il allait réciter son monologue. LE monologue. En version originale.
« I've seen things you people wouldn't believe... »
J’avais la larme à l’œil.
« C’est vraiment nul ton film… grommela cette néandertalienne qui avait sauté l’embranchement génétique.
— Ali. Si tu n’étais pas aussi douée pour faire réchauffer des pizzas au micro-ondes, je t’aurais catapulté par le sas, lui répondis-je.
— Tu t’extasies devant un vieil androïde qui court en slip après Indiana Jones !
— Il est vrai que ce film est un peu démodé, appuya Nora.
— Vous n'avez aucune sensibilité ! Aucune once de poésie pour apprécier Blade Runner ! » m’écriai-je en mordant dans la pâte.
Notre dispute fut finalement interrompue par une annonce. Blockbuster avait réussi à incruster des messages publicitaires dans les vidéocassettes de location. Ces corporations ne craignaient plus aucun scandale. Leur pouvoir était sans bornes, mais saboter un tel chef-d’œuvre était le summum de leur barbarie. Après l’Awen, je tenais le prochain dossier au pénal de la Techno-Procureur Nora.
En dépit de ma colère, l'alarme sonore de l’ordinateur de contrôle retint finalement mon attention.
« Tu peux aller voir ? À moins que tu ne préfères nous gâcher aussi la pub en plus de ce bon repas ! » me demanda la sorcière qui avait remplacé ma sapiens pendant la nuit.
C’était une ruse. Car l’ordinateur était synchronisé à son poignet. Elle voulait me voler la dernière part de pizza.
Je mordis à l’hameçon. C’était l’occasion d’aller fumer discrètement dans le cockpit.
L’espace était aujourd’hui ponctué de dissonances magnétiques qui perturbaient les ondes si bien qu’un contact permanent s’avérait impossible. Un bien pour un mal. Car un lien continu équivalait à divulguer notre position à tout le système. Un fil d’Ariane qui pouvait mener jusqu’au Kitty pourtant lui aussi équipé d'une immatriculation trafiquée.
« C’est pour toi. De la part de Braun ! criai-je du cockpit, en renonçant à ma pause cigarette.
— Fais voir, exigea Ali en me rejoignant. J’espère que tu ne l’as pas ouvert. »
Sous mon ordre vocal, le message fut automatiquement transféré à son poignet qu’elle avait apparemment éteint pour ne pas déranger notre festin.
Mon humaine prit à son tour connaissance du communiqué et la voix de Braun résonna dans le cockpit. Il était émis depuis l'Arche. Les missions du soviet étaient souvent ennuyeuses, je préférais celles confiées par Nora.
« Le message est plutôt court. J’ai l’impression que l’étau se resserre autour de lui, remarqua Nora en passant sa tête par-dessus son épaule.
— De ce que j’ai compris, nous devons récupérer une clé de chiffrement utilisée par la Méta-Caste de l'Awen.
— Une clé ? s'étonna la Techo-Procureur.
— Cette dernière serait en sécurité auprès d'un de leurs agents infiltrés dans notre propre l'Alliance. Sur une station du nom de Down Terminal.
— Un certain Ludwig “Doc” Oppenheim, lisai-je. Un auxiliaire de justice ? Tu es sûre ? Car si nous nous trompons, Braun va encore grogner !
— Je peux le comprendre... soupira la sœur de mon humaine.
— Tu te rappelles le remontage de bretelles sur Phygalios ? plaisanta Ali.
— Tu as tué douze personnes ! la grondai-je.
— Des sbires de l'Awen ! Je croyais qu’on se battait contre eux ! se défendit-elle en m’arrachant la cigarette des babines. Et oui, je suis sûre. Doc est dans de sales draps.
— Apparemment, il aurait tué le mauvais type lors de l’exécution d’un contrat. Notre aide contre la clé. »
Être redevable à quelqu’un dans la galaxie n’amenait jamais rien de bon. Les humains ne savent donc jamais se débrouiller seuls ?
Ali fit une pause, remuant ses souvenirs. L’absence de gravité la fit basculer la tête en bas. Ses cheveux, désormais longs, ondulaient au fil des fluctuations entropiques.
« Pourtant Doc n’est pas un amateur. Mais c’est un ancien Marine. Il a la gâchette facile et ne réfléchit pas beaucoup.
— Vous deviez vous entendre à merveille. »
Elle me tapa sur le front. :
« Mais, attends, fit Nora. D’où connais-tu ce garçon, toi aussi ?
— Tu ne te rappelles pas ? C'est un ami d’enfance de Titan. Nous n’avons jamais été proches, mais au moins il ne faisait pas partie du gang de Ted.
— Je crois me souvenir de lui. C’était le chétif du quartier. Toujours malade, dis-je en me laissant glisser sur son bras pour atterrir mollement sur mon siège de pilote. Notons qu'il est cocasse d’aller aider un chasseur de primes alors que nous possédons la plus grosse récompense de Solaris sur nos têtes ! »
La station spatiale Down Tower était l’une des dernières étapes potables entre le système médian et les planètes de l’Enfer.
Sa configuration était similaire à un clou tordu. Elle était ainsi naturellement scindée en deux parties : sa tête, un immense centre de maintenance couplé d’un resort de qualité passable ; et sa queue : une base de filtration de Bleu et une usine de traitement des déchets atomiques d’anciens réacteurs. Ces derniers tournaient généralement à plein régime depuis les mondes-usines.
Autrement dit, Down Tower était un complexe industriel surplombé d’une décharge hautement radioactive.
« Depuis Ijiraq, je commence à en avoir assez des dépôts d’ordures ! Es-tu vraiment sûre de vouloir te poser ici ? avais-je demandé à Ali alors que nous approchions d’une plate-forme de fortune à la base de la station.
— Tu as entendu la tour de contrôle. Tous les hangars du haut de la station sont combles avec tous ces vaisseaux de fret qui repartent vers la ceinture. Et puis on a plus les moyens… »
Nos finances ne me permettaient aucune marge de négociation.
Arrivés à destination, Nora nous mis sous le nez le fruit de ses recherches de l’heure précédente concernant Oppenheim :
« Le contrat était assez obscur. Il parlait de surveillance des autorités syndicales. Mais en creusant un peu j’ai pu voir, qu’en réalité, la corporation locale voulait se débarrasser d’un étrange terroriste qui sabotait leurs installations depuis des mois. »
Au cours de notre carrière, nous avions eu de nombreuses propositions similaires. En fait, le contrat d’Oppenheim était un assassinat déguisé.
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Les sacro-saintes lois du système médian, imaginées par quelques lobbyistes lunatiques désormais en caisson d’hibernation, pouvaient transformer la vie d’un type en pur cauchemar pour une simple bavure. Vous étiez un peu trop réfractaire ? Vous teniez tête à votre hiérarchie ? Vous possédiez des pensées corporatistes ? Dommage. Vous voilà maintenant un forcené des Brigades Rouges avec un pactole sur le museau. Ou parfois pire encore. Demandez donc à Jimmy Hoffa.
Les ramifications locales de l’Alliance avaient appris à fermer les yeux tant qu’elles percevaient les pots-de-vin de tous ces corpos de l’espace. Mais cette fois, cela avait mal fini pour l’un d’entre nous.
« Doc n’a pas perdu la main de ses campagnes de guerre autour de Saturne. Il a eu ce type en pleine figure dans son bain. »
La photo du journal que Nora avait envoyée sur le terminal d’Ali ne censurait pas le cadavre au crâne explosé.
Sur le compte rendu du rapport de police que sa sœur avait déniché sur le web, son ami avait défendu une curieuse version des faits : selon lui, c’était bien cette personne qui avait été vue en train de trafiquer les consoles de sécurité sur les vidéos de surveillance. Mais le FID avait dit le contraire. Ludwig avait exécuté, chez lui, un ingénieur plutôt haut placé. Et ses commanditaires mécontents n’avaient pas réussi à couvrir l’affaire.
Ali arma son calibre .50 et le cacha sous son veston rose. Puis, en vertu du niveau important de radiations, elle se fit un shot au niveau de l’épaule avant de me piquer aussi. Enfin, elle actionna l’ouverture de la soute.
« Note l'emplacement du vaisseau car désormais peint en vert, on risque de ne pas le reconnaître, me fit Ali.
— Notre nom a intérêt d'être lavé rapidement car le Kitty sans sa robe corail n'est pas le Kitty !
— Je vous ai déjà dit que mon équipe faisait le maximum à ce sujet ! » conclut Nora.
L’odeur qui s’immisça ensuite dans l'Hirondelle était insoutenable. La crasse stagnait dans cette atmosphère artificielle. Pourtant cette dernière devait être sans cesse renouvelée par les immenses ventilateurs qui recouvraient la membrane transparente. Une pellicule jaunâtre vieillissante qui séparait encore par miracle du vide la colonne d’acier supportant le haut de la station.
Je jetai alors un coup d’œil à l’extérieur. Les quartiers populaires horizontaux de Down Terminal n’inspiraient pas la confiance. Tout autour de nous s’entassaient les coffres blindés accueillant les déchets radioactifs de l’usine. Entre ceux-ci, des ouvriers sous-payés entretenaient gauchement de misérables cages à lapins en béton pour y abriter leur famille.
« Et les vidéos de surveillance dont l’article fait mention ? me demanda-Ali.
— Je possède une belle collection à vous faire découvrir ! » lança un homme qui venait de terminer de gravir les marches menant à la plate-forme.
Ludwig « Doc » Oppenheim était un grand mince au visage émacié et au regard fatigué. Ses cheveux éparses et en bataille tombaient jusqu’à ses joues. Il parlait si doucement que ce fut très difficile de le comprendre par-dessus le bruit des ventilateurs géants et au travers son masque à oxygène. À son ton glacial, il était ardu de croire qu’il était content de nous voir.
« Doc ? s'étonna Ali. Tu ne devrais pas être en prison ?
— Tout le monde a le droit à une deuxième chance, non ? Mais cette fois-ci, j'aurai bien besoin d'aide. »
Je pris position sur les épaules de ma partenaire avant de suivre Ludwig. Un groupe d’enfants campait dans les escaliers conduisant au niveau d’habitations de fortune supportant les clapiers. Tous étaient très sales et jouaient à se quereller au milieu de carcasses mécaniques.
« Quelle misère... commenta Ali en échangeant l'un de ses comics contre la garde du vaisseau.
— En parlant de misère, je ne vois pas ce qu’il reste à saboter dans cette station ! fulminai-je en rechignant définitivement à poser un coussinet à terre. Les radiations auront fini de tout ronger avant la fin de la décennie. »
Alors que nous empruntions les escaliers, une chaleur étouffante nous enveloppa. Le complexe spatial fonctionnait comme un immense vaisseau avec un réacteur atomique qui devait être situé juste au-dessus de nous, là où la base rencontrait la tête. Un peu partout, des durites de liquide de refroidissement bleu zigzaguaient sur le sol et les murs. La plupart avaient cependant sauté et le fluide inflammable se répandait comme si la station saignait de l’intérieur.
« Nous sommes à une étincelle de la supernova ! »
À la fin de notre descente, un marchand d’implants sorti de son échoppe vint jeter ses déchets ménagers dans l’égout le plus proche ; arrosant de crasse et de Bleu un sans-abri qui s’y était réfugié.
« Pas de panique. Ce fluide est tellement vieux qu’il n’est basiquement plus que de l’eau coloré… me rassura Ludwig en s’allumant un cigare qu’il glissa dans un interstice de son masque. Seul celui de l’usine de filtration est parfaitement fonctionnel, mais il est à destination du centre de maintenance. »
À la vue du chasseur de primes, le commerçant retourna rapidement fermer la porte de sa boutique. Le sans-abri, lui, prit la tangente et quelques passants l’imitèrent. Alors que nous étions à la hauteur du premier taudis, les rues s’étaient vidées.
« Où ont lieu exactement les actes de sabotage ? demanda alors Nora en s’épongeant la sueur de son front.
— Tout le long de la chaîne de traitement de déchets radioactifs dont les résidus sont entassés ici. »
Quelques mètres plus loin, à l’ombre d’un aqueduc de fortune, une jeune femme vint à notre rencontre. La moquette de votre grand-mère en guise de mini-jupe et son bichon sur le scalp, elle faisait peine à voir. La prostituée vint presque saisir Ludwig par le col de sa chemise :
« Que penses-tu faire, présentement ? Est-ce toi qui as donné des bandes dessinées aux enfants ? »
Elle avait une haleine de cigarette qui pâtissait à cacher une autre odeur plus organique. Oppenheim demeura silencieux et contourna la jeune femme, la tête basse. Elle cracha à ses pieds avant de nous pointer du doigt :
« Et vous ! Vous venez dépanner cette raclure ? Ne vous gênez pas tant que la balle atterrit encore entre les deux mirettes d’un suppôt des corpos ! »
Ali me fit signe de garder le silence, mais je n’étais pas très doué quand il s’agissait d’obéir :
« Nous ne restons pas longtemps.
— Il n’y a rien pour vous dans les bas-fonds de Terminal, mercenaires ! Ceux d’en haut nous ont tout piqué. Allez-vous-en ! »
Quelques passants réapparurent ; ainsi que des têtes aux fenêtres de l’unique chaîne présente dans le quartier, un malheureux Hook’n’Tacos. Rapidement, les badauds se firent de plus en plus nombreux. Si les choses s’envenimaient, nous serions en très fâcheuse posture.
« Te fatigue pas avec ça, chuchota Ludwig qui s’était retourné. On n’en obtiendra rien. Et puis il manquerait plus qu’ils apprennent le montant de vos têtes… »
Oppenheim nous fit alors un geste de la main, nous invitant à presser le pas. Nous quittâmes définitivement la zone sous les quolibets des habitants. Ali en profita pour questionner notre guide.
« Au début, Down Terminal fonctionnait à l’aide de robots et la société qui en était responsable avait fait venir des centaines d’ingénieurs et techniciens pour les entretenir. Et puis avec les radiations, de nombreux droïdes sont tombés en panne et les humains ont pris directement le relais. Les crises financières et le développement de nouveaux moteurs Baltimore ont fini par mettre un coup de frein à l’usine de traitement et au centre de filtration. Depuis, elle tourne avec quelques malheureux qu’il faut souvent remplacer…
— Curieuse époque que nous vivons où la main d’œuvre humaine est devenue moins chère que les robots…
— L’offre en chair naturelle n’a jamais été aussi haute. Entassez-les dans la misère la plus totale et ils vous en pondront encore… maugréa le chasseur de primes. Ils pullulent plus rapidement que les usines de Vénus fournissent du droïde. C'est immonde.
— Pourquoi venir ici, Doc ? demanda Ali.
— L’air chaud me fait du bien aux poumons. »
Nous arrivâmes ensuite à la base de la colonne d’acier. L’urbanisation sauvage avait transformé les rues en tunnels et les trottoirs en escaliers. Aussitôt, le système d’éclairage fit défaut et nous dûmes poursuivre dans l’obscurité.
Je sentais les pulsations du cœur d’Ali et sa main se crisper sur son arme. Sous la couche de rouille qui tombait des plafonds, on n’aurait su dire si nous enjambions des carcasses de droïdes ou des cadavres.
Nous rejoignîmes enfin non sans peine les ascenseurs faisant la navette entre les différents étages de la station. Nous pûmes alors rallier le bureau d’Oppenheim près du centre de sécurité situé à mi-chemin. Naturellement nous prîmes une porte dérobée afin d’éviter d’exposer nos visages malgré nos FID trafiqués.
« Monday ! » cria Oppenheim en entrant en trombe dans ses appartements.
Il s’adressait à sa secrétaire qui venait juste de nous rejoindre. C’était une jeune fille au teint de sable qui portait un chemisier gris avec de larges épaulettes. Après l’avoir violemment chassé, il nous présenta son terminal qui dormait sur son bureau :
« Tu peux te connecter au réseau avec mes codes d’accès. »
Oppenheim sortit de son manteau une disquette métallique de 3 1/2 maintenue par une chaîne à sa ceinture. La corporation lui avait vraiment donné quartier libre, quitte à le laisser flâner avec les codes de sécurité sur disque magnétique.
« C’est fait, avait dit Ali en voyant se dessiner les lignes vertes du data-core.
— Parfait ! s’écria Ludwig. Suis le lien vers les nouvelles vidéos de surveillance prises ces derniers jours. Regarde attentivement. »
Le data-core cumulait de nombreux vidéoclips relatant les allées et venues dans les coursives de maintenance du centre. Mais parfois, l’un des passants marquait une pause près des consoles de contrôle avant de poursuivre sa route. Quelques minutes plus tard, les terminaux, pourtant protégés par des armoires blindées, sautaient comme frappées par une charge creuse.
« Ils piratent les consoles à courte portée avec une rapidité déconcertante, releva Oppenheim.
— Ce qui t’incrimine, répondis-je. Ces vidéos datant d'après ton arrestation prouvent définitivement que tu as tué la mauvaise personne car les attaques continuent.
— Peu importe, rétorqua le chasseur de primes. La corporation veut à tout prix le responsable et ces récentes vidéos vous nous y amener ! »
Ali laissa échapper un soupire sarcastique en tapotant l’écran qui crépita. Il dit alors :
« Doc ! Cas tu n’as pas les yeux en face des trous.
— Comment ça ? se braqua son interlocuteur, piqué dans sa fierté.
— Ton ingénieur est-il revenu d'entre les morts ? demanda sa sœur. Car le revoilà sur les caméras de sécurité. »
Mes humaines avaient fait mouche. Oppenheim, toujours aussi inexpressif, se contenta de gratter son menton :
« Un petit malin prenant l'apparence d'un ingénieur de Terminal pour brouiller les pistes. »
Puis il rajouta :
« Vous pensez à un holosuit ? »
Impossible. Un holosuit coûtait des centaines de milliers de crédits. Les gens d’ici ingurgitaient le Bleu comme une soupe miso quand le Hook’n’Tacos était fermé provisoirement pour raisons sanitaires. Aucune chance que l’un d’entre eux puisse s’offrir un tel équipement expérimental. À moins qu'il s’agît d'un mercenaire d’une firme concurrente.
« Attends, je tente quelque chose », fis-je.
Je pris la place de mon humaine et pianota sur la console après y avoir connecté son ordinateur au poignet. J’adorais voir les instructions et les lignes de code danser à l’écran entre les pulsions du plasma sur le déclin.
« Ne me dis pas qu’il transforme son apparence directement sur les systèmes d’enregistrements, dis-je, étonné par tant de malice. C’est brillant de concevoir un logiciel pareil ! »
Dommage cependant, car comme le releva Oppenheim la reconstruction obtenue par l’ordinateur restait de mauvaise qualité. La silhouette qui s’affichait aurait pu être n’importe quel habitant de la station.
« Pas tant que ça, fit remarquer Nora. Il pensait que ça ne se verrait pas et n'a jamais brouillé sa piste. Nous pouvons directement remonter à lui par le réseau sans fil. »
Elle me montra sur le second moniteur les foyers de connexion qui dessinaient une véritable chaîne à travers tout Down Terminal.
« Bien observé ! Tu es géniale ! » la félicitai-je.
— J'avais trouvé aussi... » grogna Ali, jalouse.