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KITTY KITTY // FRENCH ORIGINAL
#22 LES CHEVAUCHEURS DE NUAGES (1/2)

#22 LES CHEVAUCHEURS DE NUAGES (1/2)

Mercure et Vénus portaient le surnom de « Planètes de l’Enfer » et cela en raison de leur proximité de Solaris, l’étoile de notre système. Bien entendu, il avait été impossible d’y implanter des colonies habitables.

Mais l’Humanité, toujours pragmatique, avait décidé d’en constituer des mondes-usines accueillant fonderies, chaînes de production robotisées et plateformes de stockage aux dimensions démentielles. Ainsi vous vous en doutez, après des décennies d’exploitation outrancière, il n'en résultait désormais que des astres défigurés par la pollution et des canyons artificiels semblables à de profondes cicatrices.

Vénus, la planète sœur de la Terre, possédait depuis peu un anneau synthétique. Loin d’égaler celui de Saturne, c’était un ouvrage brutal, terrifiant et avilissant ; telle une entrave autour du cou d’un esclave. Composés en grande partie de métal et de semi-conducteurs, ses panneaux larges comme des gratte-ciels recueillaient la furie des tempêtes solaires. Leur objectif ? Alimenter en énergie les méga-fabriques de sa surface et les quelques cités-nuages.

S’agissant de dompter les éléments, l’homo sapiens procédait rarement avec retenue. Ainsi, soulignons tout de même l’incroyable exploit technique et scientifique nécessaire à une telle œuvre. Ce fut d’ailleurs bien dommage de voir l’une de ses fabuleuses parois d’or et de cuivre pulvérisée par un vaisseau en flammes.

« Wolverines ! »

Root beer en main, Ali savourait sa victoire à la tourelle en poursuivant ses obscures références à la filmographie de Patrick Swayze.

Pendant ce temps, je redressai péniblement la course du Kitty pour ne pas percuter de plein fouet les transformateurs électriques de l’anneau. Malgré mes efforts, l’aile droite effleura quand même le volet d’un gros cylindre qui crépita dans la nuit étoilée.

« Ne te réjouis pas trop vite, soufflai-je alors que la température à l’intérieur du cockpit atteignait les 50°C, car d’autres sont sûrement dans les parages ! 

— Tu m’étonnes ! s’exclama mon interlocutrice tout en me rejoignant. Avec une prime de C5'000'000, j’ignore pourquoi toute l’Alliance ne nous est pas encore tombée dessus.

— Nora ne nous a pas confié la mission la plus simple avec ce chargement de FID ! Toujours mieux que la distillerie en orbite de…

— On s’était promis de ne plus jamais évoquer cet épisode ! 

—Tout comme celui dans Grissom City ? insistai-je. Tu ne veux vraiment pas me dire ce qui s'est passé avec Raspoutine ? Quelque chose de lubrique sans aucun doute !

— C'est personnel, petite fouine ! »

Un looping forcé rabattit ma sapiens contre le siège de copilote où elle ne tarda pas à prendre place. Au passage, elle attrapa le paquet de chips que la pesanteur nous avait doucement apporté. Notre trajectoire de vol s’étant enfin stabilisée, elle en profita pour allumer la Blaupunkt d'un revers de coude.

« Ma queue sentait le roussi pendant cet assaut. Il a fallu qu’ils nous embusquent pendant une avarie ! Je sais bien que cette vieille Hirondelle commence à les collectionner mais quand même. Quel enfer de se battre sans climatisation !

— Honorable de la part des auxiliaires locaux de traquer le high score que nous représentons ! » reprit Ali, les pieds dansant sur le tableau de bord au rythme d’USSR de ce bellâtre d’Eddy Huntington.

Cette attitude désinvolte était plus que malvenue, mais je ne pouvais définitivement pas changer ma partenaire. J’avais pourtant contacté le support technique à maintes reprises.

« Te crois-tu dans Space Invaders ? D’ailleurs je pense que notre temps dans les salles d’arcade appartient irrévocablement au passé. Comme notre carrière de chasseur de primes et tout le reste au demeurant ! »

Le radar s’excita de nouveau par-dessus le hit démodé avant que nous puissions terminer notre snack salé. Une demi-douzaine de vaisseaux légers venait de pénétrer dans l’espace aérien de la ceinture artificielle.

« Contente ? demandai-je en me tournant vers elle pendant que l’ordinateur de contrôle nous laissait dériver hors de la zone.

— Ce sont des Hummings, non ? répondit l’intéressée. Ils ne valent même pas leur pesant de balles. Partons d’ici !

— Je coupe aussi les instruments auxiliaires. Les Hummings de dernière génération possèdent de quoi nous détecter malgré la furtivité de ce bon vieux Kitty honteusement peint en vert ! Demeurons silencieux !

— En parlant de ça, pas de nouvelles de la Techno-Proc' ? »

Je consultai le tableau de bord, mais toujours aucun message de Mars. Cela faisait désormais plus d’une dizaine de rotations martiennes que nous essayions d’établir un contact avec elle.

La radio produisit alors un grésillement avant qu’un message ne s’affiche sur le tableau de bord lumineux. Je le consultai immédiatement après m’être assuré que les Hummings qui nous poursuivaient ne pouvaient plus capter notre présence.

La missive ne provenait cependant pas de Nora comme je l’espérais. Elle avait été émise depuis l’Arche de Noé.

« Tu me la résumes ? Je vais aller chercher de quoi boire et... » répliqua-Ali en soulevant la ceinture qu’elle n’avait pas attachée avant de planer doucement vers l’habitacle.

Je la stoppai net à la vue du bref, mais terrifiant message.

« Quoi ? dit-elle en dégageant ses cheveux humides de sueur de son visage.

— Braun et son équipe sont tombés dans un guet-apens en orbite de Lunapolis !

— Quoi ? Les pirates n’ont pas été refoulés vers Saturne comme le disaient les infopubs ? »

Ma sapiens s’installa de nouveau à mes côtés. Une profonde inquiétude se dessinait sur son visage creusé par la fatigue, mais le timbre de sa voix trahissait plutôt son incrédulité :

« Où est-il maintenant ?

— Les dernières coordonnées codées envoyées par Pingu indiquent la surface de la Terre. Ils ont de graves ennuis !

— Baltimore à pleine puissance ! s’écria-t-elle en actionnant le cycle du réacteur. Tout de suite !

— Mais il y a des Auxiliaires à nos trousses ! Et le Kitty a le blindage en miettes… »

Trop tard. Les Hummings nous avaient localisés et déjà un verrouillage laser prenait pour cible l’Hirondelle. J’eus à peine le temps de déployer notre dernière salve de leurres que la roquette frôla de justesse le cockpit pour se perdre dans l’infini.

« Plus possible de fuir face à eux. Nous devons y remédier avant de pousser le Baltimore dans le rouge !

— Nos chances ? demanda Ali avant de plonger vers l’accès à la tourelle.

— 15% d’après l’ordinateur de contrôle. »

Ma sapiens soupira à travers son microphone. J’entendis ensuite le claquement d’armement de la 200.

« Cet ordinateur est nul en maths ou bien nous sous-estime », plaisanta-t-elle tandis que je faisais demi-tour pour prendre nos poursuivants à revers.

Ma partenaire avait raison ! Il n’y avait plus une seconde à perdre face à de maudits chasseurs de primes. Après toutes ces péripéties, la couleur corail d'origine de l’Hirondelle refaisait timidement surface. Notre gloire d’Auxiliaire appartenait peut-être autant au passé que l’Italo Disco, mais le Kitty avait toujours de la rage à revendre !

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Les habitants de Solaris étaient encore aujourd’hui bercés par les images d’archives de leur planète mère : un astre bleu idyllique sur lequel dansaient des nuages blancs recouvrant de timides continents aux nuances de vert et de brun. Un doux souvenir falsifié aussi mélancolique qu’hypocrite.

Car feu notre mère la Terre, que nous survolions désormais depuis une demi-rotation, était méconnaissable. Juste un misérable caillou ocre, écorché par les vents solaires radioactifs. Un purgatoire torturé transformé en une décharge rouillée pourrissante dénuée de toute vie.

Ce dernier point n’était pas entièrement vrai. Car la planète bleue comptait ce jour-là une poignée d’habitants. Échoués en terre oubliée, l’équipage de l’Arche de Noé transmettait toujours son S.O.S secret à destination de l’Hirondelle.

Les rejoindre s’avéra être un redoutable défi. Comme je le fis remarquer à ma copilote qui s’acharnait sans succès sur l'ordinateur :

« Les instruments analogiques déraillent. Impossible de déterminer exactement notre position.

— À cause de la charge électromagnétique que nous ont vomi ces saligauds avec leurs Hummings ?

— Non, rien à voir avec l'I.E.M., répondis-je à travers le ronronnement de la climatisation de nouveau fonctionnelle. L’ordinateur détecte-t-il des vents solaires journaliers ?

— Négatif, déchiffra-t-elle sur le moniteur principal que l’activité radioactive et magnétique avait rendu presque inutilisable... mais une tempête imprévue secoue l’hémisphère nord et nous régurgite du sable corrosif à la figure. »

L'écran polychrome grésilla et la climatisation se coupa de nouveau comme la plupart des équipements principaux. Le Baltimore éteint, l'Hirondelle plana alors lentement avec sa simple inertie.

« Un silence absolu règne sur Terre, remarqua Ali. Où sommes-nous ?

— Nous parcourons le Japon.

— Ah ? Le pays de l’électronique et de Bruce Lee.

— Pitié ! Pas cette chanson… »

Le réacteur se remit en marche. Après avoir esquivé une carcasse de satellite maintenue dans les airs à cause de la gravité hasardeuse, nous survolâmes ensuite une vaste étendue de limon brunâtre qui ne semblait jamais finir. L’Océan Pacifique, comme le Mont Fuji, avait disparu. Le Japon autrefois insulaire n’était qu’un plateau rocheux surplombant un marais gélatineux et nauséabond.

À l’horizon, un voile doré luminescent enveloppait une chaîne de montagnes. Une gigantesque tornade de sable montait vers les cieux à l’instar d’une cascade inversée. Arrachant lentement la roche et les dunes du sol, elle les recrachait dans l’atmosphère quasi inexistante. Cette merveille météorologique provoquait une pluie d’éclairs couvrant tout le spectre connu.

« Magnifique. »

Ma partenaire partagea ce sentiment.

L’ouragan s’affaissa presque aussitôt que nous fûmes à sa portée, laissant retomber une fine pluie de poussière sur la région désertique que nous parcourions désormais.

Je pus alors voir les ruines d’une cité immense vitrifiée dans l’oubli. Il ne restait de la civilisation que ces quelques pans de murs et pointes d’acier tordues qui émergeaient du sol comme pour requérir une aide qui ne viendra jamais.

« Que survolons-nous cette fois ? demanda Ali.

— Tokyo Metropolis.

— Il n'y avait pas de gratte-ciels à Tokyo ?

— Ils existent toujours. »

De ces tours autrefois resplendissantes, il ne subsistait de visible que les toits. Les derniers étages éventrés par les vents formaient désormais un simulacre de labyrinthe.

Mais ce paysage moribond d’Honshu laissa rapidement place à une plus agréable surprise. Dans les chaînes de montagnes d’un Hokkaido gommé par les âges, les ruines avaient été troquées pour des plaines boisées d’arbres blancs figés par les radiations.

Plus en hauteur, épousant les contreforts du massif le plus proche, un vallon jurait de par ce qui apparut comme le feuillage rose d’un verger. Dissonant face à l’agonie de ce monde cataclysmique, un château traditionnel resplendissait de fierté et d’orgueil.

« Valides-tu les coordonnées entrées ? Car je ne vois rien qui…

— Ici ! » m’interrompit Ali en pointant du doigt les abords de la mystérieuse forteresse blanche et noire.

L’Arche de Noé ne s’était pas crashé. Il avait atterri à proximité du château. Quand nous y en avançâmes le Kitty, d'improbables pétales se mirent à virevolter et à recouvrir les vitres du cockpit, rendant l’approche aussi délicate que poétique.

« Le compteur Geiger pirouette comme un effréné ! Gare aux Kaijus ! » alertai-je ma sapiens alors qu’elle rejoignait l’habitacle pour revêtir sa combinaison spatiale.

Un shot antiradiations préventif sur l’épaule, nous nous préparions à quitter le sas. Quand celui-ci s’ouvrit, une bourrasque nous recouvrit de poussière et de corolles colorées.

« Ce sont des faux, conclut-Ali en faisant glisser des pétales roses entre ses doigts. Tout comme le verger, regarde ! »

D’un tir précis, elle brisa une branche qui claqua comme l’aurait fait une tige en plastique grossièrement moulée. Celle-ci s'envola avant de planer un peu plus loin.

« Tout ça aurait dû disparaître il y a des lustres, commenta ma partenaire tout en mettant pied à terre. À moins que…

— Tout juste ! acquiesçai-je. À en juger par l’état des arbres et du shiro, quelqu’un est venu s’installer ici après que les derniers humains aient rejoint Mars. Étrange, non ? »

Le sifflement d’une balle au-dessus de ma tête me fit soudainement faire volte-face. Ali avait eu le même réflexe avant de se plaquer au sol, le doigt sur la gâchette.

« Rien de touché ? chuchota-t-elle à travers le microphone en se faufilant derrière l’un des gardiens sylvestres.

— Par miracle, réagis-je en la rejoignant. Nous avons été imprudents.

— Tu sais d’où ça vient ? »

Je répondis à la négative. L’écho s’était perdu dans les rangées d’arbres identiques et silencieux. Désormais, je pouvais presque suivre à l’oreille les pulsations de mon cœur revenir à la normale.

« Tu as entendu ? fit soudainement Ali alors qu’un craquement résonna de nouveau près de nous.

— Oui ! Il se cache juste derrière ce tronc ! m’exclamai-je en sortant de mon abri. C’est un garde de chrome ! »

Je désignai par ces mots le corps d’un droïde qui planait au loin à quelques centimètres du sol, sur le chemin menant au château. C’était le même pantin que ceux ayant abordés le Marco Polo.

« Des troupes Célestes ? s’étonna Ali en réduisant en charpie cette lugubre copie d'Apollon avec un demi-chargeur dans le visage.

— Un MK.

— Un MK propre à Lunapolis, compléta ma partenaire en soulevant le crâne métallique qui tomba en poussière au premier coup de vent.

— Ce n'était donc pas des pirates. »

Nous avions désormais rejoint la lisière du verger où se projetait l’ombre menaçante des remparts et du haut donjon. Sur le chemin de gravier menant aux portes, des traces de pas se dessinaient dans la poussière. Je reconnus immédiatement les empreintes de bottes lestées de la Marine. Nous décidâmes donc de nous rendre directement au château.

« On dirait le décor du film La forteresse cachée, non ? remarqua-t-elle une fois arrivés aux portes de fer noir qui gardaient l’entrée du fort.

— Ce château aux murs de bois et de pierres en est l’exacte réplique ! répondis-je.

— À part ce dessin sur le linteau. On dirait des nuages. »

Ali poussa ensuite le lourd portail entrouvert. Le crissement des battants sur le sol poussiéreux résonna dans la vaste cour où se perdirent les traces de pas.

À une trentaine de mètres, au pied du donjon aux toits courbés, s’était posé un Oda inéluctablement endommagé par un violent combat spatial. Mais le pilote n'était pas dans le fauteuil criblé de balles.

« Je crois que nous devrions agir discrètement ou…

— Yossef ? cria Ali. Yossef Braun Kamirov !

— Ou nous pouvons procéder de la sorte… » marmonnai-je exaspéré.

L’écho ricocha contre les poutres en bois des bâtiments et des remparts. La tactique de ma partenaire s’avéra cependant efficace, car nous fûmes aussitôt rejoints par le soviet. Ce dernier dégringola du chemin de ronde partant du donjon pour atterrir à nos pieds.

Couvert de sang, le MP était sévèrement blessé. Quelque chose lui avait lacéré le visage et le bras droit. Une balle avait perforé son abdomen et il gémit quand mon associée mit la main dessus.

« Tu peux parler ? paniqua ma sapiens. Où sont les autres ?

—  On s’est fait avoir… » grommela le Marine avant que ne coula de ses plaies un flot de sang continu.

Ma partenaire s’occupait désormais du blessé après l’avoir traîné à couvert sous une arcade conduisant à des écuries.

Je levai les yeux au ciel, vers le rempart dominant la porte de fer. Là, j’entraperçus une silhouette familière sur l’un des créneaux de bois noir.

« Kumo Raïda ? fis-je tandis qu’Ali se retournait pour faire face au samurai. Le Oda était donc le sien ? Je ne comprends pas.

— Génial ! s’exclama ma partenaire, en dévisageant de nouveau Braun. Un allié de plus !

— Ali ! Ne lui tourne pas le dos ! » hurla le MP du peu d’air que possédait encore ses poumons.

Il y eut un mouvement furtif en haut des remparts et l’ombre disparue. Il retentit alors un coup de feu. Le bruit de ce dernier se répercuta entre les murs de la cour, cachant sa véritable origine.

Les quelques secondes de flottement qui suivirent parurent une éternité. Ma partenaire s’effondra finalement sur le militaire, la tête contre le torse du blessé.