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#19 ISOLA 93 (2/2)

Une carte ? Oui, il devait y avoir ça. Je devais accéder au système si le data-core n’avait pas été volé ou détruit. Je pourrais même mettre de la lumière ou réactiver des caméras.

J’avais été cependant fortement naïf. La station apparut encore plus ancienne que je ne l’avais cru. Pour preuve, le message d’accueil en cyrillique et mandarin.

« Une base communiste ? m’écriai-je. C’est impossible ! »

Les soviets, à l’instar de leurs alliés, s’étaient donc rendus aussi loin dans Solaris. C’était prodigieux, car immaculé, cet endroit se décrirait comme un véritable musée.

Le vétuste système d’exploitation, même une fois traduit, fut difficilement navigable à cause des dizaines de codes d’accès demandés à chaque opération. L’ordinateur de bord du Kitty, couplé à mon intellect, permit de les craquer à chaque fois, mais cela s’avéra chronophage.

Finalement, le premier palier de sécurité fut passé et les informations de base étaient à disposition. Décidément, ces maudits soviets voulaient jalousement garder leurs petits secrets.

« Le menu du mess. Beurk ! Le registre de maintenance. Nous nous en moquons, énumérai-je. Ah ! Voilà une carte ! »

C’était un vieux fichier à moitié corrompu et incomplet destiné à la sécurité incendie, mais il allait faire l’affaire.

Sur le schéma figuraient de nombreuses salles dont la configuration ne ressemblait en rien à une caserne. L’unique port d’attache de la carte était celui que nous avions survolé. Il demeurait trop petit pour accueillir de plus gros vaisseaux.

L’hypothèse la plus probable ? Nous avions pénétré dans un vétuste complexe d’exploration. Les commies possédaient des ambitions bien connues pour la ceinture.

Hélas, l’heure n’était pas à l’Histoire, mais à la chasse à primes. En synchronisant la carte à l’ordinateur de contrôle, je pus établir la position approximative d’Ali avant de la recontacter :

« Tu me reçois, Major Tom ? »

Ali me répondit après plusieurs itérations de ma part :

« Oui. Attends ! »

Sur l’image interactive, elle semblait avoir couru plusieurs kilomètres dans le labyrinthe de couloirs. Impossible de gagner en précision à cause des interférences radio.

« Mission accomplished ! Je viens d’agrafer le bougre discrètement au détour d’un corridor, chuchota-t-elle. Mais je vais mettre un peu de temps à revenir. Il y a d’autres types ici. Mais j'ai récupéré les FID.

— D’autres types ?

— Ils dormaient dans l’une des arrière-cuisines que j’ai traversées. On aurait dit des pirates. »

Des pirates ? Aussi près de Mars ? Avaient-ils pu pénétrer par une autre entrée ?

Toujours est-il que la base était occupée. Il était temps de partir d’ici maintenant les FID en main. Mais connaissant ma partenaire, elle n’allait pas quitter la station avant de savoir leur potentiel économique. Et cela ne manqua pas :

« Ils n’ont pas détecté notre présence. Je vais essayer de rejoindre le cœur du complexe, j’y entends comme de la musique. La captes-tu aussi ?

— Non, répondis-je. Procède doucement. Tu n’es pas vraiment l’experte en infiltration et ton état physique n'est pas... »

L’ordinateur de contrôle m’envoya une alerte visuelle sur le moniteur central. Il avait atteint une nouvelle couche de sécurité cette fois-ci entièrement en vieux mandarin ; je pouvais enfin accéder au terminal au poignet d’Ali par le réseau sans fil. Ainsi, je pus parcourir son scan des FID pour valider la capture et l'obtention de la prime.

Et la surprise fut de taille. Capter le message de détresse avait été un miracle, car Connie M’Watta, tout comme sa cible, Franky D. Thomas, avaient vraisemblablement disparu il y a plus de trente ans.

« Ali ? repris-je. À quoi ressemblait ton forçat ?

— Franky ? Je ne sais plus il faisait sombre, mais disons… un mec avec une grosse barbe noire et des tatouages un peu partout. J’estimerais… la trentaine, pas plus…

— Quoi ? Impossible ! Il devrait en avoir le double. »

Cette base était définitivement très étrange. Mais je ne pouvais qu’attendre que l’ordinateur finisse ses calculs avant de me lancer davantage dans l’exploration du système informatique.

« Lee ? poursuivit Ali. J’ai reconnu une voix que je ne pensais jamais entendre de nouveau !

— Qui donc ?

— Hemingwest ! Il est ici, Lee !

— Nigel Hemingwest ? Tu lui as fait passer plusieurs munitions de 50 AE à travers la boite crânienne sur Umbriel ! C'est ridicule. »

La médecine rendait tout possible, mais de là à ramener les morts à la vie ? Encore ? Seuls les Célestes possédaient ce pouvoir. Et il consistait plus à geler leur conscience pour éviter qu’elle ne se dissipe telles les fées de Mancéphalius.

« Ne bouge pas, je devrais bientôt avoir accès aux caméras ! »

Les messages d’erreurs ne cessaient d’envahir l’écran. Tout le data-core était truffé de bugs.

« Vos maudits goulags à Ouïghours étaient mieux organisés que cette damnée base de données ! fulminai-je en tambourinant de mes coussinets les touches mécaniques du panneau de commande.

— Occupe… des FID ! Je vais me… Hemingwest. Je… devant tout son clan ! »

Il n’y avait rien à faire. Si Hemingwest était bel et bien sur cette station perdue, Ali ne lâcherait pas le morceau.

« Laisse-moi cinq minutes, criai-je au microphone. Surtout, ne fais pas d’idioties ! »

Mais ce fut un dialogue de sourds. La communication devint de plus en plus mauvaise.

« Lee ? Je… rien ! Il y a cette espèce de musique par-dessus. Qu’est-ce que tu entends sur le canal ? »

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Il n’y avait jamais eu de mélodie.

« C’est un genre de chant bizarre. On dirait des gens qui chuchotent !

— Sur ma neuvième vie, il n’y a ni musique ni personne qui ne murmure sur aucune des fréquences ! m’emportai-je en basculant nerveusement entre les différentes entrées de la radio.

— Qu’est-ce qui se passe ? » résonna la voix de ma partenaire avant de s'éteindre.

L’angoisse me fit allumer une cigarette, puis une seconde. En parallèle de ma fouille informatique, j’avais initié le déploiement du sas gonflable qui devait relier le Kitty à la station. Je parvins finalement à craquer ce nouveau niveau de sécurité me permettant l’accès aux caméras. Il fut cependant difficile d’en trouver une fonctionnelle ou libre de toute poussière.

« Ali devrait être par là… »

Je commençais à paniquer face à cette étrange situation. Je mâchonnais de plus en plus le filtre jusqu’à totalement l’imbiber de salive.

« Qu’est-ce que… »

Je parcourais les caméras la zone où Ali avait décrit des cuisines. Là, elle avait vu des pirates en train de dormir.

« Ali ? »

Contre toute attente, il n’y avait pas de cuisine, mais une salle blanche. Cette dernière comportait tout l’équipement dont un chimiste puisse rêver : des alambics d’aluminium à la collection de béchers poussiéreux. Et les marins, s’ils en avaient été, ne faisaient plus qu’un avec le mobilier. Leurs os gris se perdaient dans la saleté.

« Ali ? Ces gens sont décédés. Tout le monde est mort depuis des années… »

L’ordinateur m’envoya une ultime alerte. Le cœur du système avait cédé et l’intégrale de sa base de données et du data-core m’était désormais accessible avec toutes ses fonctions principales. Je pouvais enfin connaître le nom de cette base cachée et la raison de la présence d’un tel mausolée.

« Salopard ! »

C’était le langage fleuri de ma sapiens à travers les oreillettes. Je la cherchai alors désespérément à l’aide des caméras fonctionnelles.

« Ici ! m’écriai-je en sélectionnant l’image d’une combinaison flottante en direction d’une armoire électrique éventrée. Ali ? »

La combinaison spatiale se retourna pour dévoiler son occupant. Une momie avait séché dans sa micro-atmosphère confinée. Je pouvais presque discerner ses rides et la couleur de sa barbe. Pauvre âme.

Une autre voletait un peu plus loin dans une blouse rouge cette fois. Un vieux Makarov entre les doigts, l’homme s’était tué d’une balle à travers la tempe de son crâne.

« Qu’est-ce qui s’est passé ici ? » me demandai-je avant d’être tiré de mes noires pensées par une alerte visuelle de l’ordinateur.

La carte interactive, désormais plus précise, avait détecté mon humaine au niveau du grand hangar, situé au cœur du complexe. Celui-ci était juste en dessous du quai aux monopods où se trouvait le Kitty.

« Ali ? Ali ! répétai-je.

— Il est ici, Lee. Planté là, avec Zéphyr en morceaux. Et tout son foutu clan de vauriens ! Ils rient de moi, car je n’arrive pas à les toucher ! »

J’entendis les décharges de son Desert Eagle.

« Je l’ai en ligne de mire et ce fils de clébard ne bouge pas ! »

Je parcourus la liste de caméras et trouva finalement un accès visuel à ce grand entrepôt. Dans la pénombre se tenait Ali en position de tir, les deux mains sur la crosse de son arme. Mais elle était seule.

« Ali, il n’y a personne. »

Le hangar était vide de tout vaisseau et de tout Nigel Hemingwest revenu des morts. Il y avait à la place d’immenses cuves éventrées et une épaisse couche de cristaux beiges tapissés de dépôts gris sur le sol. Ali ne visait pas le tristement célèbre chasseur de primes, mais le corps décomposé d’un ingénieur soviétique, affalé sur le fauteuil de son bureau.

« Je le vois ! cria Ali à s’en déchirer le larynx. Il a capturé Rodrigue et Ada aussi ! »

L'épaule pourtant disloquée, elle tira encore et encore jusqu’à pulvériser le squelette ; le clouant aux tuyaux de plomb qui recouvraient les murs.

Les balles percèrent les durites toujours intactes et éclatèrent les robinets figés par le temps. Une vapeur brune commença à s’échapper avant qu'une partie ne se cristallise dans l’atmosphère. Il se mit à neiger tout autour de la jeune femme.

« Lee ? Lee… sors-moi de là… »

Elle pleurait.

Isola 93 était le nom de code de ce laboratoire. Des sociopathes de la Terre au temps où elle était le cœur du système y avaient développé un nouveau gaz de combat loin des regards et des comités d’éthiques des inefficaces Nations Unies. Il était question d'une puissante molécule hallucinogène portant le sobriquet de son inventeur : le Mirazh.

Une fuite dans le dispositif avait dû sonner le glas des occupants de la station et des nouveaux arrivants, comme Connie, des décennies plus tard.

Mais grâce à nous, le dernier message de Connie M’Watta n’allait plus attirer d’âmes innocentes dans ce piège vicieux. Son FID pouvait être rendu à sa famille si elle en avait une. Quant à Isola, elle fut réduite en cendres ; subissant le même destin que les puissances communistes des âges perdus.

Aussitôt après, le Kitty avait quitté pour de bon la ceinture. Ma partenaire avait mis plusieurs heures à se rétablir des effets du gaz et quelques jours encore du traumatisme causé par les visions de nos amis.

J'avais alors réalisé que l'espace ne nous avait pas épargné dernièrement. La mort de Zephyr, d'Ada et de Rodrigue étaient difficile à endurer pour ma sapiens. Et je n'avais pas été des plus présent.

« Tu parles d’un chasseur de primes et d’un chat pilote… je ne pense qu’à me plaindre et à manger. Parfois, les deux simultanément. Et pendant ce temps, Ali… je vais finir par la perdre comme Satori avec Ada… »

Je voulus lui rendre une nouvelle visite dans l'habitacle quand l’ordinateur de contrôle m'alerta d’un signal entrant. L’imprimante linéaire cracha un kilomètre de papier à bande perforée avant que je puisse lire le message. Il n’avait que la Marine pour envoyer un fax plutôt qu’une missive électronique.

« Que nous vaut l’Amirauté ? » demanda ma partenaire, de retour dans le cockpit pour la première fois en une semaine.

Je parcourus des yeux le papier vert et blanc et la nouvelle s’avéra extrêmement excitante. Arrivé aux formules de politesse, je pus faire mon rapport à mon humaine :

« Braun ! Il nous a recommandés auprès d’un certain Commandant Gaylord Caïus.

— Ce goujat de Raspoutine est donc encore en vie... grogna ma partenaire qui n'appréciait guère la longue absence du MP. Que veut-il ? J'espère pour lui qu'il y a des pizzas...

— Nous voilà conviés à bord du T.M.S. Africa pour des contrats spéciaux confiés par la Marine. Sur Phobos, Deimos et même Mars. Une aubaine qui tombe plutôt bien !

— L’Africa ? s’étonna Ali. Ça doit être l’espèce de gros tas d’acier qui manœuvre en face de nous. »

J’avais été tellement absorbé par ma lecture que je n’avais pas vu l’escadre qui se dessinait tout autour de l’Hirondelle. Entre les destroyers et les cuirassiers, derrière les escortes Atlas et Kilimandjaro, se tenait la merveille de la 3e flotte : l’hypercroiseur T.M.S Africa avec sa déesse égyptienne en figure de proue. Celle-ci devait partir pour Jupiter et reprendre le système extérieur aux pirates.

Un Intercepteur que je reconnus comme l’Arche de Noé accueillit ensuite le Kitty dans sa soute. Ali, décoiffée et encore affublée de son pyjama à l’effigie de Barbapapa taché de sauce salsa, attendait le soviet de pied ferme dans l’habitacle.

« J’en connais un qui va prendre pour son matricule », soupirai-je pourtant satisfait de revoir notre sauveur d’Obéron.

Braun apparut alors que je rejoignais ma partenaire à l’entrée du sas. Comme prévu, elle lui sauta dessus, mais s’effondra aussitôt dans ses bras. Jamais je ne l’avais vu autant pleurer de joie.

« Tout ne peux que mieux aller désormais... » conclus-je en voyant arriver les autres membres de l'Arche.

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