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KITTY KITTY // FRENCH ORIGINAL
#04 LES CAVERNES MÉLODIEUSES (1/2)

#04 LES CAVERNES MÉLODIEUSES (1/2)

Le Hum cosmique empoisonnait souvent mes nuits.

Les humains avaient rencontré ce phénomène sur Terre sans en découvrir véritablement l’origine. Les spéculations étaient nombreuses : des otoémissions spontanées aux mouvements des plaques tectoniques des planètes magmatiques. L’espace devait y mettre un terme. Hélas, un bourdonnement basse fréquence continuait de rendre fous les plus sensibles d’entre nous.

« Voyons voir ce que nous avons capté cette nuit. » grommelai-je, maussade.

Mes équipements d’enregistrement avaient été perfectionnés par mes soins au fil du temps. En se positionnant sur la bonne fréquence, il était possible d’isoler ce désagréable bruit. Il n’avait jamais été aussi puissant que proche de la ceinture principale. Le reste du temps, il n’était audible que si je tendais l’oreille.

Avec mes mesures, j’étais à deux coussinets de confirmer mon hypothèse. Selon moi, ce Hum céleste était une résurgence magnétique provenant de la ceinture. Autrement dit, les astéroïdes chantaient dans la nuit. Et ils chantaient très mal.

J’introduisis l’audiocassette dans le lecteur de la radio pour réaliser un enregistrement du phénomène. Puis je montai le volume à l’extrême afin de percevoir la moindre harmonique de cette mélodie du diable.

Il y eut alors un murmure. Un grincement que l’ordinateur identifia comme d’origine minérale. C’était issu d’une vibration.

« Une vibration d’astéroïde ? »

Je fus tiré de mes pensées par le visage de Zéphyr, qui venait de passer devant les vitres du cockpit. Quelqu’un avait imprimé un avis de recherche avant de le coller sur une vieille canette de nutrigel.

« Ali ? m’enquis-je après avoir saisi mon casque. As-tu fini tes facéties ? »

La boîte de métal fut trouvée de part en part et les balles ricochèrent contre le blindage du Kitty. Dehors, ma partenaire s’entraînait dans sa combinaison spatiale.

Elle avait conçu un véritable stand de tir flottant. Ses pigeons d’argile étaient à l’effigie de Zéphyr, d’Hemingwest ou encore de cet esclavagiste que nous avions croisé peu après les premiers clusters d’astéroïdes de la ceinture.

Les pieds ancrés à la surface du rocher dérivant sur lequel nous nous étions amarrés, Ali tira de nouveau. Il n’y eut aucun bruit, juste une sphère de fumée émanant du bout de son canon. La balle d’acier démolit sa dernière cible alors que la jeune femme fut doucement propulsée en arrière.

Mon humaine revint de cette façon au vaisseau, coup par coup ; valsant dans le vide. Elle ne dédaigna reprendre la conversation qu’après avoir ôté sa combinaison hors du sas.

« Tu avances dans tes travaux ? demanda-t-elle avant d’enlever son t-shirt trempé de sueur.

— Je reste dubitatif, répondis-je. L’origine du son semble minéralogique : des astéroïdes qui vibrent et produisent un Hum. C’est plutôt saugrenu. »

Cela attira son attention et elle se rapprocha des écrans. Ma partenaire analysa les informations que j’avais obtenues tout en dégrafant son soutien-gorge.

« Et comment tu perçois le bruit ? C’est impossible dans l’espace. »

La remarque était pertinente et l’explication peu complexe :

« Aucune idée. »

Elle fit la moue. Le reste des résultats était obscur et cela même pour moi. Il fallait attendre quelques heures pour que l’ordinateur puisse analyser les méga-octets d’informations et puisse enfin déterminer une possible origine du chant entendu pendant mon sommeil.

« File à la salle d’eau, me fit-elle en me poussant hors de mon fauteuil de pilote. Je passe après toi. Et gare à tes fesses s’il y a des poils ! »

Je détestais le bain. Mais pire encore, je haïssais me lécher. Le nutrigel avait pour effet bien connu d’acidifier la salive. Pour un chat, cela signifiait courir le risque de finir aussi chauve que le Capitaine Picard. C’était donc à contrecœur que je me dirigeais à l’arrière du vaisseau.

« En contrepartie ne laisse pas traîner tes sous-vêtements dans le cockpit ! »

J’entendis la détente d’un élastique et vit son caleçon sale aller se nicher sur les manivelles du panneau de commande. Cette humaine était sauvage. Impossible à dresser. Je commençais à comprendre pourquoi aucun mâle ne s’attardait bien longtemps dans son champ gravitationnel.

Quelques minutes plus tard, l’ordinateur de contrôle émit une alarme sonore. Il n’avait pas finalisé ses analyses, mais avait terminé la mise à jour de la base de données de l’Alliance.

« De nouveaux contrats intéressants ? » demandai-je.

J’étais de retour dans le cockpit. Ali flotta nue en direction du moniteur latéral. Plusieurs noms s’illuminèrent en gras sur l’écran, mais le premier était doublement souligné. C’était un contrat bonus. Notre organisation offrait des cadeaux et des bons d’achat pour sa capture.

« Cixi Mixcoatl a.k.a. « Thunder Sword ». Une jolie voie lactée de taches de rousseur mise à prix pour C200'000, m’expliqua-t-elle. Un contrat super-bonus, car elle a été localisée sur un astéroïde répertorié, mais inoccupé au cœur de la ceinture : Cerkron78.

— Si c’est encore pour avoir des réductions à Rogers Vidéo…

— Qu’est-ce que tu as contre Rogers ? C’est un loueur comme les autres.

— De VHS ! La qualité est minable, m’énervai-je devant ce blasphème au sacro-saint Betamax.

La VHS ne marchera jamais. J’en mis ma queue à couper avant de me concentrer de nouveau sur le contrat :

« Sinon, tu as parlé de Cerkron. Est-ce une plate-forme minière ? »

L’ordinateur émit un nouveau bip. Il venait de terminer mes calculs sur l’origine des émissions de Hum beaucoup plus rapidement que prévu.

« Abandonnée, répondit Ali avant de consulter le résultat sur le moniteur central. Mais apparemment située dans la large zone isolée par les calculs comme l’une des sources du Hum. »

Excellent. Ainsi, nous pouvions faire une pierre deux coups.

Nous mîmes aussitôt les gaz au cœur de la ceinture. Cérès City et ses dix-huit ports attendront quelques jours que nous ayons quelques milliers de crédits à dépenser au bowling.

Il fallut deux jours pour rejoindre Cerkron78. Bizarrement, des dizaines de vaisseaux de toute taille et de toute apparence se pressaient contre les alvéoles de stationnement qui constellaient l’une des faces.

« Pour une mine désaffectée, il y a foule », me fit remarquer Ali en aidant le Kitty à s’arrimer au ponton d’acier.

Un sas dépliable vint se fixer à l’ouverture de la soute. Aussitôt en dehors de l’Hirondelle, nous fûmes accueillis par la gravité artificielle et par des hôtesses droïdes similaires à des aspirateurs du début de l’ère atomique. Entre les incessantes formalités de bienvenue, elles nous invitèrent à les suivre jusqu’à l’ancien réfectoire de la station.

Nous pénétrâmes peu après dans un immense hall segmenté en plusieurs niveaux. On aurait dit les gradins d’une arène de boxe pour géants. Chacun d’eux était occupé par des stands de boissons et de nourritures qui sortaient du sol entre les tables et les chaises. Il régnait dans l’air une odeur de fête et de viande grillée.

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« Une prime à C200'000 ne se cacherait pas sur une station aussi fréquentée. Si ? » me murmura Ali en jetant des regards inquiets par-dessus son épaule.

Cette guinguette de village improvisée grouillait de monde. À en croire la multitude de badges de palladium aux reflets argentés, tous étaient chasseurs au sein de l’Alliance.

« Encore moins si près de Cérès, lui répondis-je. Une telle alerte super-bonus a attiré ici tous les auxiliaires de la ceinture. Il y a bien une centaine de nos ravissants collègues ! »

Dans cette foule hétérogène, je discernais certains grands noms du registre. À une table devant nous, derrière son hot-dog, était accoudé Dicklan Hemingwest l’ancien tireur d’élite, l’un des sept demi-frères de Nigel croisé sur Yggdrasil. Quittant des toilettes mixtes, l’étrange Beverly B. Bones et son équipage de zombies traînaient des pieds pour rejoindre des officiers de la Meute de Canif, le Freak d’Amalthea à la tête d’un véritable régiment d’auxiliaires. Il y avait aussi Ahmed Hadzidi, un grand barbu recouvert de tatouages qui somnolait près du flipper avec Ekko N’Guyen.

Toutefois, la plupart m’étaient totalement inconnus. Certains sortaient du lot comme ce samurai en tenue traditionnelle, au large chapeau en roseau et aux bracelets de perles blanches.

« C’est la foire aux monstres ! m’écriai-je. Sommes-nous tombés sur un concert de Billy Idol ?

— Lee ? demanda Ali, le regard fixé sur le centre de la salle plus en contrebas. Je crois finalement que Cixi Mixcoatl était bien sur cette station. »

Derrière des rambardes de sécurité et un bar bondé se tenait un bûcher de plusieurs mètres de haut. Sur un pieu et dévoré par les flammes d’éthanol avait été empalé le cadavre éventré d’une jeune femme. Il ne restait plus grand-chose de Cixi Mixcoatl mis à part son macuahuitl, une espèce de glaive ou pelle à tarte géante en alliage de magnésium, en travers de la gorge.

« Enfers ! Sans cette histoire de Hum, nous serions venus pour rien ! » conclus-je avant de monter sur les épaules d’Ali.

Dispensée aux quatre coins de la salle par des haut-parleurs, une voix robotique demanda soudainement une quiétude qu’il fut difficile d’obtenir. Quand le dernier trouble-fête fut violemment mis au silence par Beverly B. Bones, le speaker put enfin commencer son annonce.

« Salutations et bienvenue sur Cerkron78, fit l’IA au timbre métallique. Nous sommes honorés de votre présence. »

La voix eut le droit à quelques hurlements de la part de certains éléments du public un peu trop saouls.

Ceux-ci se turent rapidement une fois que les accès au ponton principal furent verrouillés. Une vague de contestation s’éleva témoignant d’une inquiétude grandissante. Les autres voies menant au cœur de la station restèrent cependant ouvertes.

« Du calme ! Taisez-vous ! La paix ! tonna la voix. Je vais tout d’abord me présenter : je suis le Dungeon Master. Et nous sommes réunis en ce jour pour fêter la fin de la carrière de « Thunder Sword »… »

Un groupe de mutants au lourd arsenal lancèrent un cri de victoire juste derrière nous.

« … ainsi que d’un certain nombre d’entre vous. »

Un silence de mort envahit alors la salle. L’audience resta figée ; sauf le samurai qui glissa doucement vers une sortie du réfectoire à notre droite.

« Nous vous présentons la Purge ! s’écria ce Dungeon Master. Étant désormais confinés sur la station, voici les règles de cet événement. Et elles sont plutôt simples : un seul Auxiliaire de Justice, et je dis bien : un seul, pourra quitter Cerkron78.

— Quoi ? balbutia ma partenaire.

— Vous avez douze heures. À la fin de quoi le complexe sera projeté hors de la ceinture pour un long voyage vers notre brillante étoile. Bonne chance !

— C’est un scandale ! hurla Hadzidi. Il faut prévenir l’All... »

Une balle lui traversa la glotte et il s’effondra sur le sol.

Il n’avait pas rendu son dernier soupir que la situation tourna au carnage général. Les groupes possédant leurs armes à portée de main ouvrirent le feu sur leurs voisins, parfois le verre ou le sandwich encore entre les doigts.

MiKron, le robot tueur, manqua de nous arroser de napalm avant que nous prenions la fuite à travers le couloir de service le plus proche.

« C’est du grand délire ! » hurla Ali en me prenant dans ses bras.

Nous dévalâmes rapidement des escaliers jusqu’aux galeries logistiques par lesquelles était acheminée la nourriture depuis les chambres froides. Une fois dans ces dernières nous fûmes pris à dépourvu :

« Plus un geste ! Qui êtes-vous ? » croassa quelqu'un.

Un homme qui se présenta comme Dan le Crow sortit de l’ombre, son canon scié braqué sur le visage de ma sapiens qui ne dit mot.

Dan portait un terrifiant masque de corbeau. En argent, celui-ci recouvrait sa tête ainsi qu’un large caban vert et violet.

Il fut aussitôt rejoint par une autre figure en toge de moine possédant un curieux implant à la forme de pyramide inversée sur son front dégarni.

« Descends-les Dan, continua son compagnon tandis que son implant tournait au vermillon. La surpopulation menace notre refuge ! »

Mais Dan ne lui donna pas raison :

« Nous devons gagner la mine. Et nous ne serons pas de trop avec cette gamine en plus. »

Le cyborg nous dévisagea avant d’examiner ma sapiens de la tête au pied. Sa plaque frontale vira alors à l’orange et il disparut dans notre dos afin de refermer l’entrée de la chambre froide.

« Vous avez parlé de la mine ? » demandai-je, quelque peu vexé d’avoir été mis de côté.

Dan sorti un calumet de sa sacoche à la taille et l’alluma. Ensuite, pendant que son partenaire verrouillait la porte, il nous expliqua le plan qu’il avait imaginé.

Derrière lui, un hublot donnait sur le vide. En face, par-delà ce même vide, se tenait une entrée auxiliaire des mines sur un pan de l’astéroïde. Pour s’y rendre, il fallait donc traverser une dizaine de mètres à l’extérieur de la station jusqu’à atteindre le sas. Une fois dehors, débloquer manuellement ce dernier serait réalisable avec un coup de feu bien placé.

« Avec la dépressurisation, impossible d’y aller chacun à notre tour, finit d’expliquer Dan. Nous devons tous nous engouffrer dans le sas ouvert. Enfin à l’intérieur de celui-ci, j’activerai la manivelle de fermeture. »

Quand Ali lui fit remarquer que cette opération ne nécessitait pas trois humains et un chat, Dan sourit.

« Ramsès penche plus pour les armes blanches, justifia-t-il en désignant son compagnon. Quant à moi, mes balles sont dépourvues d’oxygène. D’où l’intérêt que suscite le calibre .50 que vous dissimulez sous cette belle veste. »

Il crapota ensuite un peu de fumée rose à la douce odeur de jasmin avant de ranger son calumet.

« Prêts ? » demanda l’homme amélioré quand son implant tourna de nouveau au rouge.

Il avait détecté à l’avance les fous furieux qui tambourinèrent aux portes quelques secondes plus tard.

« Tenez-vous par la ceinture. Fermez les yeux, fit Dan en se collant au plus près du verre. Enfin… sauf toi, jeune fille… »

Dan ouvrit le hublot. Ce fut alors comme si une main de glace m’avait saisi par la gorge avant de m’arracher du sol. Nous fûmes aspirés dans le vide et flottâmes un bref instant. Ali tira. Je le discernai à la vibration qui secoua son épaule. Puis une nouvelle force nous happa et je percutai une paroi métallique.

La décompression me perfora les tympans puis ce ne fut que silence. Enfin pas tout à fait. Je percevais la voix de Dan et les cris d’un autre homme. Lorsque j’ouvris mes sens, l’acouphène disparut et je pus entendre de nouveau ce maudit Hum. Il était plus intense que jamais.

« Tout va bien, jeune fille ? » répéta Dan qui tournoyait dans l'apesanteur.

Ma sapiens se frotta les yeux. Des billes de glace s’étaient formées à la jointure de ses paupières.

« Je suis aveugle, mais en vie, répondit Ali.

— Ramsès ? »

L’homme à l’implant se tenait le bras gauche duquel perlait du sang qui flottait désormais autour de nous.

« Là-bas ! La menace est sur l’autre flanc de la station ! » hurla-t-il en pointant du doigt une ombre entre les antennes relais qui sortaient de la roche.

Un impact en toile d’araignée se dessina sur le hublot du sas. Un tireur en combinaison spatiale nous avait pris pour cible et nous dûmes quitter le sas pour nous enfoncer rapidement dans les mines.

Après une demi-heure martienne de marche, la vue d’Ali n’était toujours pas revenue. Du sang suintait désormais de ses paupières clauses sur lesquelles Dan le Crow avait appliqué des pansements anti-décompression sortis de sa sacoche. De nouveau perché sur ses épaules, je devais devenir son guide pour les heures à venir. Survivre sur Cerkron78 se compliquait de minute en minute.

« Lee ? Tu entends ? » me demanda mon humaine.

Elle s’était arrêtée avant de poser sa main sur la roche grise.

« L’astéroïde. Il chante. »

Cela n’avait en effet plus rien à voir avec le bourdonnement habituel. Le son était désormais beaucoup plus pur. C’était une belle mélodie. Le Hum n’était donc définitivement pas le fruit de mon imagination ni une erreur de mon matériel de mesure.

L’ancienne mine s’annonça finalement moins sûre que prévu. Au premier embranchement de galeries, une scène fort peu plaisante se devina dans l’obscurité. Beverly Bones et son équipage mort-vivant avaient repeint les murs de leurs boyaux. Le crissement métallique qui accompagnait chacun des pas des humains témoignait de la présence d’un véritable tapis de douilles en cuivre.

« Avec une telle puissance de feu, impossible de les rater, dit l’ombrageux Ramsès en saisissant un fusil qui tournoyait en hauteur. Il fallait au moins ça pour dessouder cette sorcière de Bones et ses pantins. »