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KITTY KITTY // FRENCH ORIGINAL
#06 L'HONNEUR DES VOLEURS (1/2)

#06 L'HONNEUR DES VOLEURS (1/2)

Un nombre infime des espèces animales qui peuplaient autrefois la Terre existaient encore. Beaucoup avaient disparu avant que l’humanité n’atteigne la ceinture. Le peu qui fut sauvé s’était difficilement habitué à la vie dans le cosmos.

Les sapiens, en plus de détester la solitude, étaient mélancoliques de leur existence sur leur Ancien Monde. Il n’en fallut pas plus pour que des mégacorporations y voient là un marché extrêmement lucratif. Ainsi se développa la fabrication génétique des animaux qui ouvrit la boîte de Pandore menant aux Freaks, aux clones et à leurs cousins améliorés.

Mais il y avait des miracles dans l’univers. Certaines espèces avaient pu survivre en étant inaltérées. Moi par exemple, j’étais un vrai Maine Coon ; pas une bestiole de cuve.

La première fois que j’avais rencontré un poisson naturel était au marché aquatique de Cérès City. C’était il y a quelques mois, lors de notre précédent passage. Je me rappelle de cette petite carpe blanche tachée de rouge. Cette délicate créature était si sublime.

À notre retour sur Cérès, elle dansait toujours, là dans son bassin d’eau fraîche. Ses écailles soyeuses brillaient sous les lanternes tamisées.

Quelle magnificence ! Quelle prestance ! Le meilleur repas de toute mon existence.

« J’t’l’avais gardé spécialement pour toi celui-là », ricana Gonzo de son épais accent d’une Irlande évaporée.

Gonzo O’Maley, le visage masqué par sa barbe rousse hirsute, était le chef du restaurant le plus prisé du marché aquatique. Je m’étais lié d’amitié avec lui lors de ma dernière visite. À l’époque, Ali et moi avions assuré son chiffre d’affaires annuel en une semaine. Ce qui, avec du recul, devait certainement expliquer une partie de nos récents soucis d’argent.

« La p’tite Blondie n’est pas avec toi ? » demanda le cuisinier, me resservant une pinte de soda à partir de l’implant à sa main droite.

Ses épaules supportaient une collerette en plastique soutenant une bonne dizaine de briques d’alcool ou de Pepper Coke.

« 'parti faire ses trucs à Holotown… 'mangera peut-être plus tard !» parvins-je à prononcer la bouche pleine de curry de carpe.

Sans contrats intéressants à se mettre sous la dent depuis ce trafiquant de cartes électroniques, Ali avait disparu dans le quartier rouge de Cérès.

« Quelle slut celle-là ! »

Gonzo continua à me conter les dernières informations concernant la potentielle découverte de la neuvième planète par-delà les Naines. Entre les spots publicitaires, les tabloïdes ne cessaient d’en parler depuis quelques jours. Les colons et les corporations étaient en émoi.

Nous fûmes cependant interrompus par l’un des clients du restaurant, un grand niais avec des lunettes câblées. Dans ses mains tremblait J.A.P.A, pour une fois totalement muet. Le pauvre avait son antenne toute tordue et semblait terrifié.

« Goddam ! Qu’est-ce qui est donc arrivé à ta boîte de conserve ? » s’enquit mon interlocuteur après avoir remercié le client d’une petite assiette de chapatis au cumin.

J.A.P.A se ressaisit et redevint rapidement aussi pénible que d’habitude.

« Bonjour. Bonjour. Nigel Hemingwest, auxiliaire n°MA-1-20XX-111… caqueta le droïde.

— Hemingwest ! avais-je crié en me retournant pour jeter un coup d’œil à la salle encore calme.

— Un ami à toi ? demanda le restaurateur en s’essuyant les mains dans sa barbe.

— Une raclure de la pire espèce, répondis-je, toujours aux aguets.

— J’réitère : un ami à toi ? »

J’avais laissé J.A.P.A. à Gonzo en gage d’avance de paiement avant de filer droit sur la terrasse qui surplombait le marché aquatique. Lâché depuis un fourgon de la police planant à ma hauteur, un drone cubique effleura les étales et les aquariums.

Lorsque l’espion volant sonna au-dessus d’une cantine ambulante, je vis une douzaine d’agents en armure sortir du camion. Ils procédèrent à l’arrestation du prévenu. Malgré le masque à particules fines qui recouvrait sa mâchoire, je pus reconnaître le chasseur de primes que nous avions expulsé d’Yggdrasil.

« Te voilà dans de beaux draps Hemingwest. Voyons voir ce pour quoi ces fascistes te capturent ! »

Grimpant sur l’enseigne du restaurant de Gonzo, je parvins à sauter discrètement sur l’aéroglisseur du fourgon. Puis, je pus escalader les gyrophares latéraux pour atteindre le toit. Le véhicule de le CPD commença ensuite sa descente sur le marché.

Avant que les policiers n’escortent Hemingwest jusqu’aux portes arrière, je jetai un coup d’œil à l’intérieur par la grille du toit. Et quelle ne fut pas ma surprise d’y trouver ma partenaire :

« Ali ? Mais qu’est-ce que tu fais là, menottée de la sorte ? »

Celle-ci, en short boxer et entravée de la tête aux pieds, était assise seule sur l’un des bancs latéraux du fourgon.

« Coucou Lee ! me lança-t-elle. Les menottes ? Non, je les avais avant qu’ils ne me tombent dessus…

— Qu’est-ce que tu as encore fait ? criai-je par-delà les barreaux. Non. Attends ! Je m’en fiche ! Il y a plus important : Hemingwest a aussi été appréhendé juste en dessous de nous !

— Le casse-pieds au long nez ? Tu penses qu’ils savent pour Yggdrasil et Marcellàn ? » s’inquiéta mon humaine.

Je lui fis non de la tête. Il était peu probable que quelqu’un sur la station verte ait pu ébruiter l’incident. De plus, Hemingwest avait d’autant plus intérêt que nous à garder le silence.

Le chasseur de primes fut jeté sur le banc en face d’Ali. Il ne cessa de hurler sur les forces de l’ordre :

« C’est le type de ce boui-boui que vous devriez coffrer ! J’ai failli m’ébouillanter avec son lassi à température ambiante ! »

Il se tut une demi-seconde. Aussitôt qu’il reconnut ma partenaire, ce fut alors un florilège d’insultes jusqu’à ce que l’officier ne les tase tous les deux.

Le fourgon remonta à toute allure le marché aquatique qui avait allumé ses lampions de nuit annonçant le cycle nocturne. Nous survolâmes ensuite le parc aux mandirs colorés avant de rejoindre le cœur du district Central-Est par le boulevard intérieur. Surplombant des bassins d’agréments, l’immense commissariat avait des allures d’un intimidant gopuram comme il en existait autrefois sur Terre.

Je parvins à rester solidement accroché à l’aide de mes griffes malgré la vitesse du véhicule. L’heure n’était pas à s’extasier sur l’architecture de Cérès. Je devais absolument sortir ma sapiens de ce guêpier. Et quel guêpier !

Sur le tarmac se tenait le Techno-Gouverneur de Cérès et un groupe de droïdes d’assaut aux bourdonnants boucliers électriques ; mais surtout, à leurs côtés, avec le dos bien droit : le Capitaine Yossef Braun Kamirov. Mon humaine, la première à ressortir de la voiture cellulaire, fut aussi étonnée que moi.

« Maintenant que les deux électrons libres les plus imprévisibles du secteur sont hors d’état de nuire, nous pouvons poursuivre nos opérations, expliqua Braun au gouverneur tout en inspectant Hemingwest de haut en bas.

— Opérations ? De quel droit mettez-vous aux fers un auxiliaire de justice décoré tel que moi ? se plaint Hemingwest. C’est contraire aux accords passés avec l’Alliance ! »

Le MP le dévisagea. Puis il se tourna vers Ali. Un soldat avait placé une couverture isothermique verte fluorescente sur ses épaules.

« J’ai visiblement parlé trop vite, fit Braun. Il nous manque un trouble-fête…

— Me voilà mentionné… » maugréai-je.

Quittant ma cachette sur le toit, je m’étais glissé sous le fourgon.

« Mais peu importe… ce n’est pas le plus essentiel. »

Étrange. Raspoutine devait donc parler de quelqu’un d’autre alors.

« Vous êtes tous les deux là pour Zéphyr, je me trompe ? » poursuivit ensuite Braun.

J’ouvris des yeux ronds. Zéphyr était en ville ! Je sentis d’ici le sang d’Ali bouillonner. De petits nuages de vapeur n’allaient pas tarder à s’échapper de la couverture verte.

Toutefois, comme le défendit aussi Hemingwest, nous ignorions totalement que le Prince des Voleurs était sur Cérès. Braun ne voulut cependant rien entendre et jugea bon de jeter les deux chasseurs de primes en cellule d’isolement jusque ce que la menace soit écartée.

Le fourgon initia son décollage peu après que les policiers eurent escorté calmement Ali à l’intérieur du commissariat. Hemingwest n’eut pas cette chance et fut bousculé à coup de lathi après avoir craché sur les chaussures Carona à fleurs du gouverneur.

Je glissai alors discrètement dans le caniveau le plus proche, rampant jusqu’aux réservoirs de liquide de refroidissement. Il fallait éviter de les perdre de vue, mais les suivre directement était impossible. Heureusement, une bouche d’aération mal refermée se dessina à travers la poussière soulevée par le véhicule. Mais ce fut à ce moment que je fus saisi au cou par une pince métallique.

Le droïde d’assaut me toisa de ses quatre objectifs rotatifs. Il émit un sifflement strident en me rapprochant de son module d’identification.

« Namaste ? » miaulai-je, les oreilles plaquées en arrière.

La minute d’après, je me retrouvai en cage avec deux ratons laveurs. Notre destination fut sans équivoque : les étals du wet-market du district voisin.

Je ne vis la lumière artificielle que le jour suivant, quand un marchand aux mains tachées de sauce tenta d’attraper deux de mes compagnons d’infortune. Je lui mordis le pouce jusqu’au sang avant qu’un coup de bâton ne m’assomme à moitié. Il me saisit à leur place. J’avais sauvé ce charmant couple de « pandas des poubelles ». Mais c’était la fin pour moi.

« Lee ? »

Ma vision brouillée ne distingua pas les traits du visage qui me faisait face. Il y eut une dispute dans un langage que je ne comprenais pas puis on m’aspergea d’eau gelée.

Le choc thermique me ramena à la vie. Je m’étais redressé sur mes quatre pattes, le dos rond et la queue hérissée. J’étais prêt à me battre de nouveau. Puissent accourir le Ragnarök et le Kali Yuga !

« Je me disais bien que tu me disais quelque chose… poursuivit la douce voix d’une jeune femme au teint ébène.

— Meera ! hurlai-je. Je veux plutôt dire : Zéphyr ! »

L’androgyne me posa deux doigts froids sur le museau. Je fus bien tenté de les mordre s’ils n’avaient pas été faits de métal.

« Tais-toi, veux-tu… dit-il discrètement. Une chance que je passais dans le coin. Qu’est-ce que tu finasses ici ? »

Je plaidai dans un premier temps la libération de mes deux compagnons qui nous suivirent jusqu’à la sortie de la ruelle. Puis, en chemin vers sa planque, je racontai à Zéphyr la succession d’événements qui avait failli me voir transformer en rouleau de printemps.

« Je vois, fit-il en fermant la porte du taxicab au moteur thermique qui venait de nous déposer. Le Marine n’a pas apprécié le vol dans les archives du Camp MacArthur.

— Les archives ? Qu’est-ce qu’il peut y avoir d’intéressant pour qu’ils envoient le Terminator de service ?

— Des informations, chanta Zéphyr. Plein d’informations qui valent beaucoup de crédits ! Mais c’est déjà revendu et de l’histoire ancienne.»

Zéphyr m’ouvrit la porte de sa chambre d’hôtel : une suite luxueuse surplombant la Cité des Congrès et le Centre des Expositions de la Ceinture ; l’Angkor Wat de Cérès City.

Du patio, nous avions aussi vu sur le commissariat du district, véritable ruche tant les véhicules du CPD allaient et venaient. Braun avait mobilisé toutes les forces de l’agglomération pour arrêter le Prince des Voleurs et quiconque se mettrait sur son chemin.

« Qu’est-ce qui t’amène au tianzhu ? Qu’est-ce que la ceinture avait donc à t’offrir ? » demandai-je, une cigarette au papier de cachemire sur les lèvres.

Zéphyr avait ôté ses vêtements de ville et s’était passé un peignoir par-dessus les épaules. Il me rejoignit, une assiette de massala à la main. Du menton, le cyborg désigna l’immense complexe culturel en forme de pyramide qui se dessinait en contrebas.

« Une enchère assez particulière… un bibelot très précieux sera mis en vente dans trois jours. »

L’androgyne me sourit puis me gratta le dos, le regard perdu dans le sommet des immeubles cachés dans le smog. Leurs toits effleuraient presque la voûte de l’énorme caverne qui accueillait Cérès City. Il dit enfin :

« Tu dois savoir que je n’ai aucune raison de me rendre. »

Braun avait promis de libérer Ali dès que Zéphyr se trouverait derrière les barreaux. Mais cette capture n’était que pure utopie.

« Je m’en doute. »

L’imitant, je m’étais perdu dans la contemplation.

Quand enfin je me retournai vers lui, une personne totalement différente l'avait remplacé : un homme à la fourrure albinos clairsemée d’implants de silice. Il me sourit, dévoilant des dents jaunes et limées en pointe avant que son épiderme ne s’envole comme de la vapeur.

À sa place se tenait désormais une belle femme à la peau de caramel, un anneau d’or à la columelle. Peu après, un luxueux sari vermillon aux broderies orangées se modélisa autour de sa taille et de son épaule.

« Impressionnant holosuit, concédai-je. L’odeur pourrait te trahir cependant. Tu as beau être un cyborg, il y en a un soupçon.

— Remarquable outil en effet, à condition de mettre la dose de parfum, poursuivit l’androgyne en reprenant son apparence. Mais il consomme autant qu’un vaisseau. Son empreinte rayonne comme une supernova sous affichage infrarouge.

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— Est-il possible de le programmer pour être totalement invisible ?

— Théoriquement oui. Mais les calculs demanderaient des méga-octets d’informations et je grillerai sur place. »

Le cyborg s’installa sur le lit, un projecteur désormais branché sur son ordinateur au poignet.

« J’ai une proposition à te faire », dit-il.

Une reproduction miniature du hall des enchères se dessina tout autour de nous dans la pièce.

Un frisson me parcourut l’échine. Cette proposition me plaisait déjà à condition d’éviter un fiasco comme dans Un après-midi de chat.

« La limousine va nous attendre pour filer jusqu’au commissariat, ou faudra-t-il un autre véhicule ? » avais-je demandé pendant que Zéphyr se préparait dans la salle de bain.

Il ressortit en arborant une coupe de cheveux flip style laquée, maquillage noir appuyé et robe léopard arc-en-ciel. Le cyborg possédait maintenant l’attitude, les traits fins et les formes voluptueuses d’une certaine Miss Virginia Applebee, l’envoyée spéciale d’un hedge-fund douteux basé sur Mars. La véritable Applebee avait été plongée en sommeil artificiel dans une fumerie d’opium dès son FID reproduit.

« On prendra un taxicab, répondit-il en réglant les dernières petites défaillances du costume holographique. Personne ne laisse tourner une limousine devant un hôtel des ventes. Cela nous trahirait surtout que j’opterai ensuite pour une apparence plus commune. »

Le déguisement possédait un troisième défaut. La voix de Zéphyr restait identique et ne ressemblait en rien au timbre fumé de Miss Applebee. Il le remarqua aussi, mais se voulait rassurant :

« Cette gorgone n’est pas une grande bavarde. Et là où nous allons, il ne sera pas nécessaire d’engager la conversation. Les Célestes et les bourgeois se jugent à distance pour ne pas se refiler des germes. »

L'androgyne éteignit le poste de télévision où, sur l'une des chaînes locales, Byomkesh Bakshi coursait des bandits. Il était temps de partir.

Une fois arrivés à la Cité des Congrès, le plan se déroula comme prévu. Dans les bras du cyborg, je pus passer avec lui tous les contrôles de sécurité. Le costume holographique, bien trop rare pour être détecté, et la reproduction du FID marchaient formidablement.

« C’est presque trop facile ! » soupira Zéphyr.

La salle des ventes était un amphithéâtre moderne aux tapisseries pastorales. Il n’y avait pas de rangées de sièges, mais une succession de petits salons entre lesquels naviguaient des droïdes serveurs, un plateau sur le sommet du crâne.

Plusieurs Techno-Députés nous saluèrent de loin. Un sapiens portant un turban jaune nous adressa un sourire avant de nous céder son fauteuil au plus près de la scène. Là y défilait les œuvres au bras de laquais humains. Il ne nous restait plus qu’à attendre que l’objectif du Prince des Voleurs soit mis en vente pour passer à l’étape suivante.

« Au fait… je trouve ça plutôt banal un vol de bracelet, murmurai-je à l’oreille de Zéphyr pendant qu’il buvait sa seconde coupe de vin Sula. Je pensais que tu étais plus dans le trafic de datas… »

Il me fit signe de me taire. Un déplaisant personnage à la tête de crapaud lévitait vers nous. À la présence d’une couronne de diamants volant au-dessus de son scalp et de ses servants à la peau de chrome, nous avions affaire à un Céleste de Lunapolis.

« Bien la non-révérence, sub-humaine Virginia Applebee », grogna notre interlocuteur d’une voix d’outre-tombe.

Son torse se gonfla sous l’effort de diction. Les tubes transparents qui épousaient son gosier injectèrent dans sa chair grise un mélange gélatineux.

« Vrai-plaisir sincère, méta-novus, répondit Zéphyr en une parfaite imitation de Miss Applebee. Que nous vaut l’auguste visite de votre enveloppe sur Cérès, Arch-Baron ? »

Le Céleste mouilla ses lèvres d’un revers de langue. Il se racla plusieurs fois la gorge. Entretenir la conversation lui demanda un effort incommensurable.

« Simple non-courtoisie, grommela-t-il. L’odeur de curry me donne la nausée. Excellentes enchères à votre sub-personne. »

Puis il se laissa glisser un peu plus loin, vers un groupe de gradés de la Marine.

« Quel hideux Freak, commentai-je une fois l’Arch-Baron à distance.

— Jamais un Céleste ne saurait être un Freak. C’est un humain, me corrigea Zéphyr. À au moins 10 %. »

Un droïde passa près de nous, nous proposant des petits gâteaux à la vraie semoule.

« Je disais, poursuivi-je la bouche pleine, le coup du bijou m’étonne de toi. »

La fausse Miss Applebee sourit ce qui nous valut quelques regards curieux. Zéphyr se ravisa aussitôt :

« Des informations sensibles sont contenues sur un microfilm à l’intérieur du bracelet, avoua-t-il enfin. Mais le bijou coûte son pesant en diamant donc double bonus ! »

Un beau raisonnement digne d’un chasseur de primes. Je commençais à comprendre pourquoi j’appréciais de plus en plus ce voleur.

Et puis, je me rappelai que mon travail était de mettre hors d’état de nuire les gens comme lui.

Le bracelet en fer météoritique fut présenté au dénouement d’une série d’œuvres d’art classiques dérobées aux communistes à la fin de la guerre. Certains tableaux tombaient en lambeaux tellement les toiles étaient usées par les âges.

Zéphyr en acquit un au premier prix afin d’assurer la suite du plan. Subséquemment, différents acheteurs des lunes des planètes médianes s’affrontèrent avec férocité jusque à ce qu’une envoyée droïde remporte le précieux bracelet pour C850'000.

« C’est idiot de ne pas faire ça en ligne…

— Car c’est tout aussi amusant d’exhiber son portefeuille avec un toast à la main », me confia-t-il.

L’androgyne prit la direction des salons de ventes situés au dos de la scène. L’Arch-Baron et l’homme au turban vinrent la féliciter pour son acquisition avant de prendre congé pour la nouvelle série de reliques militaires.

L’assistant de transport en charge du bracelet, un crâne d’œuf au nez crochu et aux improbables favoris, avait quitté l’estrade et passa juste devant nous pour se rendre également dans les arrière-salles. L’acheteuse quant à elle, traînait ses circuits précisément derrière nous.

« À toi de jouer », murmura Zéphyr en lui cédant la place devant nous au nouveau contrôle de sécurité.

Je me laissai alors doucement tomber sur le sol avant de glisser entre les jambes du droïde. De cette façon, je la suivis jusqu’au bureau où allait être effectuée la transaction.

Le cabinet de ventes était un placard à balai habillé de lambris en faux bois. Un second auxiliaire accueillit l’acheteuse robotique. Son pantin de sécurité, à l'apparence d'une mante religieuse, scanna aussitôt la plaque d’identification de cette dernière.

Je me plaçai silencieusement sous la table en plastique injecté tandis que l’assistant au bracelet entra dans la pièce pour remettre l’objet à son collègue qui l’examina à l’aide de ses lunettes câblées. Lorsque le crâne d’œuf repartit, l’ensemble des acteurs restants s’installa dans un fauteuil.

« Encore un qui utilise des bots pour réaliser ses enchères », maugréa l’auxiliaire de transaction sans se rendre compte qu’il était le seul humain de la salle.

La troisième phase du plan fut alors mise en route :

« Chicka-chick-ah! »

Le sapiens aux lunettes câblées passa sa tête sous le bureau. L’effort lui fit rosir les joues et je reconnus là l’homme qui m’avait rapporté J.A.P.A au restaurant de Gonzo.

« Mais je te connais, toi, sourit-il en approchant sa main. »

Quelle coïncidence ! Mais dommage pour lui, cela ne changeait rien à la suite des événements.

« Harami ! Mais quel sombre crétin de mammifère ! » hurla-t-il.

Je lui avais griffé le menton et mordu l’oreille. Le droïde de sécurité, coincé derrière le fauteuil de son maître, ne parvint pas à m’attraper. Je pus revenir à la charge avant que l’assistant au crâne d’œuf ne rentre en renfort.

« Sanjay ! Jetez-moi ça à l’extérieur ! » vociféra ce dernier.

La cohue fut totale, mais je fus finalement mis dehors à grand renfort de coups de pied.

« Crâne d’œuf » me maintenait par le cou et fonça vers la sortie de secours la plus proche, écartant du bras les services d’ordre. Une fois au loin, il me déposa au sol. Puis éclata de rire :

« J’adore quand un plan se déroule sans accroc ! »

Son complet trois pièces se volatilisa et apparut une combinaison bleue d’agent de dépannage de l’interweb. L’holosuit poursuivit sa transformation pour, au dernier moment, révéler le vrai visage de Zéphyr.

« Tu as pu échanger le bracelet avec la copie ? » demandai-je en me doutant de la réponse.

Le cyborg entrouvrit la fermeture à scratch du costume pour me laisser apercevoir le bracelet de fer contre la peau de sa hanche.

Un nuage de vapeur m'aveugla. Si son épiderme n'avait pas été de métal, il aurait fondue sous l'intense chaleur.

Un taxicab nous attendait au bout du quai et nous pûmes quitter rapidement les lieux. L’alerte avait déjà été donnée comme pouvait en témoigner le détachement de véhicules de police qui passa au-dessus de notre tête quelques secondes plus tard. Braun allait broyer à mains nues les droïdes de sécurité de la salle d’enchères.

« Mince ! Les nouvelles vont vite ! s’étonna Zéphyr alors que nous franchissions un péage entre deux tours de dépollution. Il est un peu sur les dents ce MP, non ?

— Tant mieux, fis-je remarquer. Tu vas pouvoir te faire passer pour lui au commissariat sans risques… »

Le bracelet en lieu sûr dans une cabine d’holosex abandonnée, il était désormais temps d’aller secourir Ali au cours de la dernière étape du programme élaboré par mes soins. Plan irrémédiablement censuré par Zéphyr.

« Je t’ai déjà dit non… me coupa-t-il alors que j’essayais de la convaincre que l’explosion des cuves de Bleu était une parfaite diversion pour couvrir notre fuite.

— Refais-moi ta voix de Braun », lui demandai-je toujours vexé.

Les quelques images du soviet dans les journaux de l’interweb avaient permis la réalisation d’un costume holographique basique, mais convenable.

« Je m’appelle Braun Raspoutine. Et j’ai un balai profondément enfoncé dans l'anus. »

Excellent ! Il avait saisi cette mélodieuse harmonie de condescendance et d’autorité qui caractérisait le MP.

Une fois dans le commissariat, il n’y eut aucun obstacle jusqu’aux cellules tant les bureaux ressemblaient davantage à un véritable champ de foire. Tout le monde courrait dans tous les sens à travers a fumée de cigarette. Les téléphones à cadran sonnaient sans que personne ne prenne le temps de répondre. Braun avait menacé d’expédier aux colonies tous ceux qui ne participaient pas à la traque de Zéphyr.

Zéphyr qui, d’ailleurs, déambulait maintenant dans le quartier de haute sécurité en sifflotant. Les gardes avaient tellement peur du Marine que, comme prévu, personne ne vérifia le FID de l’androgyne.

Dans sa cellule, Ali faisait le poirier avec le peu de mouvement que lui autorisaient les menottes. À ses côtés, Hemingwest était au bord de la crise de nerfs et se rongeait les ongles jusqu’au sang. Lorsqu’il vit Braun, une lueur d’espoir illumina son regard :

« C’est bon ! Vous l’avez attrapé ?

— La ferme, Nigel ! Ali peut sortir. Pas toi. » toussa Zéphyr.

Hemingwest savoura tout de même cette demi-victoire. Il était à présent débarrassé de mon humaine qui me prit alors dans ses bras enfin libérés de leurs entraves grâce aux talents du maître voleur.

Le soulagement fut bref, car à l’instant où Zéphyr referma le battant pour le verrouiller, le véritable Braun fit irruption au bout du couloir. Tous les sapiens jurèrent les uns après les autres.

Le cyborg rouvrit brutalement la porte dont le battant barra le passage à Braun. Mais cela permit à Hemingwest, qui avait compris la situation, de s’évader lui aussi. Nous dévalâmes alors les escaliers de la prison jusqu’au tarmac. Là, nous nous volatilisâmes enfin dans le nuage de prospectus soulevés par le retour du convoi du CPD revenant de la salle de vente.

« Par ici ! » cria Ali en choisissant la direction des cuves de Bleu.

Zéphyr avait disparu. Désormais seul au milieu des pistes d’atterrissage, Hemingwest décida de nous suivre.

« Votre pote le voleur a pris la tangente par le garage et l’on a tous les flics du district aux fesses par votre faute ! » vociféra l'exécrable individu.

Le tarmac était séparé de la rue adjacente en contrebas par un haut dénivelé. Il nous fallait sauter quitte à nous rompre le cou. Si nous ne prenions pas assez d’avance, les engins volants de la police allaient nous rattraper en un clin d’œil.

Ali se jeta dans le vide et atterrit brutalement dans une benne à ordures. Hemingwest, voyant les droïdes s’approcher, démolit le capot du terminal de contrôle des cuves. Il jura à n’en plus finir :

« Nom d'une goupille ! Il faut tout faire soit même, ici ! »

Pianotant sur les grossières touches en plastique, il provoqua une surchauffe de la pompe. Sous la pression, les durites d’acier gonflèrent comme des ballons de baudruche. L’écran cathodique de la console brisé, Hemingwest avait obtenu l’étincelle qui allait mettre le feu au liquide.

« Fripouille ! L’explosion était mon idée ! » hurlai-je en sautant avec lui.

Nous rejoignîmes ma partenaire dans une impasse protégée de la vue des drones par un enchevêtrement de fils électriques. Elle devait servir autrefois de décharge aux riverains, car elle était encombrée de vieilles bouteilles en verre et divers caissons de déchets ne pouvant être recyclés.

« Je crois que je me suis tordu un truc », avoua Ali après avoir échoué à se remettre sur pied.

Assise sur un fut de bière Kingfisher, elle se massait la cheville douloureuse. Hemingwest s’approcha d’elle pour l’examiner, mais révéla rapidement son véritable objectif. Un culot brisé dans la main, il avait plaqué mon humaine contre le tas d’ordures.

« Ma famille va devoir jouer de relations peu désirables afin de faire oublier ce petit manège, mugit-il. Entre ça et Yggdrasil, je commence à en avoir assez de toi, blondinette !

* Tu n’étais pas obligé de nous suivre… » balbutia ma partenaire.

Il serra davantage le goulot entre ses doigts ; sa lame de verre à quelques centimètres de la gorge d’Ali. Mais il s’arrêta non sans avoir fait couler quelques gouttes de sang.

Le visage de ma partenaire disparut sous des volutes de fumée rose qui l’aveuglèrent. Zéphyr apparut sous les traits holographiques. Il repoussa ensuite l'agresseur qui il glissa pour mieux chuter sur le sol.

« Pour une surprise ! » glapis-je.

Zéphyr enjamba la crapule qui avait tenté de l'assassiner, les pieds de chaque côté de sa tête. Le goulot de verre en main, il s’assit alors sur son torse de tout son poids d’humain amélioré à grand renfort de métal.

« Je règle une dette envers le Kitty aujourd’hui. »

Et Hemingwest ne fut plus jamais un problème.

Nous retrouvâmes plus tard la véritable Ali à l’entrée du parking où nous avions garé l'Hirondelle. Hélas, les droïdes et les hommes de Braun patrouillaient la zone, nous empêchant d’y accéder. Zéphyr nous invita donc dans sa suite le temps que la situation revienne à la normale sur Cérès.

« Je me sens vraiment nue sans mon arme », maugréa Ali.

Son calibre et son badge encore au commissariat et ses vêtements perdus lors de son arrestation, ma partenaire ne portait toujours que son boxer sale.

« Je suis sûr que la police te les rendra dans la semaine, la rassurai-je. Ils ne vont pas se mettre l’Alliance à dos pour quelques cuves de Bleu. »

Allongée sur le lit géant, je l’entendis soupirer en faisant sauter le bracelet brillant entre ses mains.

« Tu oublies ta petite séance de cambriolage !

— Pas de preuves… répondis-je en allumant la radio après avoir commandé une bouteille de Champagne pour fêter la libération de mon humaine.

— Il n’est même pas beau ce bracelet », grommela Ali, le bijou à son poignet.

Occupé à ôter son costume, Zéphyr réagit :

« C’est la seconde partie d’un puzzle. Il contient un microfilm avec un fragment de clé cryptée ayant appartenu aux Triades Disparues. »

Enfin débarrassé de son holosuit, l’androgyne déposa ce dernier dans la baignoire. Du nuage de vapeur s’échappant de la salle de bain, je vis que, malgré son corps artificiel, le pauvre cyborg devait définitivement cuire dans un tel accoutrement.

« Une chasse au trésor ? ironisa mon humaine. Comme dans les Goonies ? Du genre pièces d’or et bateau pirate ? »

Zéphyr rit avant d’ajouter :

« Plutôt l’Arche d’Alliance. Du style à faire fondre du nazi comme une Häagen-Dazs. »

Je répondis d’une moue, avant de compléter :

« Je vois que tu es un cyborg de culture. »

Libéré de tout vêtement, Zéphyr se servit un verre d’eau rempli à ras bord de glaçons tétraédriques qu'il plaqua contre son front.

Après toutes ces transformations, je le préférai dans son apparence originelle, à se déhancher sous la mélodie de Kang Susie diffusée sur les ondes. Au regard d’Ali, l’avis était partagé.

« Un vol excusé dans ce cas », me justifiai-je relativement au premier et dernier pas du Kitty dans le domaine du crime.

Notre hôte, amusé par nos commentaires, vint s’asseoir à côté d’Ali. Il tendit ensuite les doigts vers elle pour récupérer son butin. Celle-ci le lui rendit.

Mais quand il effleura sa peau pour saisir le bracelet, ils se figèrent tous deux comme si un champ magnétique les empêchait de se séparer. Comme pétrifiés, ils se dévisagèrent longuement et silencieusement. Ma sapiens s’était perdue dans les yeux sans reflets du cyborg.

« Lee ? »

Oh. Oh. Je connaissais cette intonation. Je n’allais pas tarder à être expulsé des lieux sans autre forme de procès. J’étais bon à passer la soirée avec Gonzo ou regarder le match des Phobos' Giants au bar de l’hôtel.

Mais c’était préférable. Le coït des humains, cyborg impliqué ou non, était de toute façon un spectacle dégoûtant.

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