« Blue Monday. New Order ! » s’écria Satori alors que résonnaient les premières notes.
Le techie de Titan demeurait indétrônable à ce jeu de blind test. Je ne pouvais rivaliser face à lui et je détestais ça.
« Que donne le score ? demanda McCoy qui passait par hasard dans ce recoin de la cantine.
— La décence m’interdit de le dire à voix haute, répondit Big Brain en quittant la table grâce à la faible pesanteur causée.
— Tu n’as pas un Falstaff à améliorer, toi ? maugréai-je en rembobinant les cassettes prêtées par Mute ; déesse absolue de ce type de divertissement.
— Si, justement ! Pas facile, la vie de corsaire ! »
Le hasard avait joué de subtilité. Rescapé de la bataille du Firmament de Feu, le Marquis Rodrigue de Bellescharettes avait dérivé inconscient avec les restes du vaisseau pirate d’Osborn jusqu’à la frontière de la ceinture principale. Sauvé in extremis de l’oubli par des récupérateurs de métaux, l’ex-Commodore de la C.I.G. était destiné au recyclage avant qu’un mercenaire reconverti du nom de Satori ne le reconnaisse au dernier moment.
Remis à neuf, l’androïde avait pu rejoindre Jupiter et dirigeait désormais un équipage de corsaires. Avec son nouveau second, ils pilotaient un Falstaff amélioré grâce à la technologie miroir du Freak T-Rex.
« D’ailleurs où est passé mon capitaine ? » demanda mon adversaire en ajustant ses lunettes câblées une fois de retour dans son fauteuil.
La gravité se modifia un court instant suite au changement de cycle des réacteurs nucléaires ce qui fit teinter la vaisselle du réfectoire.
« Parti avec Ali et mon capitaine. Une histoire de salle d’escrime sous pesanteur artificielle, répondit McCoy avant de s’éclipser définitivement
— Tu vois ? se moqua Satori. Pas de jalousie ! Tu me dois C1’000. »
J’avais été une mauvaise langue. Le trio s’entendait à merveille. Je m’en voulais d’avoir douté de Braun ou même de Rodrigue. Mais j’apparaissais des plus réjouis pour ma partenaire.
« As-tu songé à votre avenir une fois cet Arch-Prince Céleste Tarama transformé en Régilait ? me demanda Big Brain en décapsulant sa brique de Seltzer. Vous pensez laver votre nom envers l’Alliance ? »
Ali et moi n’avions pas vraiment réfléchi à la question. Constituer des plans n’était pas dans notre nature. Mais il est vrai que vivre traqués par nos anciens pairs ne m’enchantait guère désormais. Malheureusement, je doutai qu’une prime si importante puisse être levée si facilement. Même Nora n’avait rien pu faire. Taranis hors d’état de nuire, les autres psychotiques de sa Caste pourraient tout autant entrer dans la danse.
« Tu n’en sais rien, hein ? poursuivit Satori face à mon silence.
— La vie autarcique du Nouveau Monde pourrait me plaire, rétorquai-je enfin en contemplant les étoiles immobiles malgré la vitesse incroyable à laquelle se propulsait l’Africa. Mais Ali ne survivrait pas dans un environnement aussi sauvage.
— Tu comptes donc rester avec elle ? N’as-tu pas pensé à voguer de ton côté ?
— Voilà une bien ridicule question ! Nous formons un duo.
— Peut-être a-t-elle envie de se poser avec le soviet, non ?
— Parlons-nous de la Ali que nous connaissons ? De celle qui a mordu un Techno-Délégué de Triton pour lui avoir volé une part de pizza ? »
Satori me dévisagea, avant de poursuivre :
« Les gens changent, Lee. Ne souhaites-tu pas entendre l’avis de Bambi sur le sujet ? »
Je perçus à son regard qu’il pensait à Ada. Ces deux intrépides mercenaires possédaient-ils ce projet de retraite en quittant Titan ? Je n’osai pas aborder la question.
Mais Big Brain avait bien entendu raison. Moi qui trouvais jusqu’ici ma quiétude dans le chaos, les incertitudes infinies qui bouleversaient actuellement mon existence commune avec ma sapiens commençaient à m’emplir de doutes. Bien que mon phare dans la nuit fût sa présence, aujourd’hui, la simple pensée de la perdre me remplissait de désarroi.
« Ali fera ce qu’elle veut, comme elle l'a toujours fait. Et moi et bien…
— Rodrigue te prendrait volontiers dans son équipage, mentionna Satori en vidant le fond de sa Seltzer.
— Lee, le pirate ?
— Lee, le pirate. »
Lee le pirate. Le contrebandier. Le vaurien. Pourquoi pas.
Le reste de la traversée s’avéra calme. Big Brain avait percé le mystère des MK de chrome assurant la garde des Célestes. Ainsi, il nous fit un long cours théorique sur le sujet alors que nous rencontrions les premières comètes de Brown-Tyson.
À plusieurs reprises, l’alerte fut donnée quand les radars du T.M.S. Africa détectèrent des flottilles de pillards près des Sphères de Tycho. Ceux-ci avaient préféré se détourner de notre route après quelques tirs de sommation. À travers les hublots, c’était comme voir la neige tomber. Car dans les champs de vide, la moindre explosion faisait valser les particules de glace se formant contre la coque de l’hypercroiseur.
L'événement le plus étonnant de notre traversée fut cependant notifié par l’Intercepteur Alita, alors parti en éclaireur près d’un O.C.E.P. coupant notre chemin. Là, encastré dans un astéroïde, un cosmodon reposait dans un écrin de verre éternel. Comment le colosse soviétique avait dérivé aussi loin de la Terre ? Un mystère.
Sedna fut en vue quelques jours plus tard. Baignant ainsi dans l’obscurité du cosmos, la dernière Naine avant la fin du système était lugubre avec son manteau pourpre et noir. Son activité géothermique, réanimée pour les besoins de la seule station habitable de sa surface, Far Harbor, lui conférait une maigre atmosphère qui ressemblait davantage à un voile fantomatique.
« Vaisseau ennemi identifié dans le quatrième quadrant ! » alerta l’un des officiers, alors que tout le pont de commandement semblait hypnotisé par l’astre morbide.
Le navire d’argent et d’ivoire dérivait en orbite, caché dans un train de satellites. Autour de lui dansaient les immenses nefs en forme de galets blancs que nous avions auparavant croisées. L’Arch-Prince était donc déjà là. Et avec des renforts. Ils nous avaient devancés et le guet-apens tombait à l'eau !
Le Céleste devait aussi nous avoir détectés. Car au moment où la course de l’Africa ralentit pour capter le champ gravitationnel de Sedna, un halo lumineux émergea de l’un des aéronefs chromés. Puis, le rayon d’énergie frappa silencieusement un astéroïde qui passa par-dessus nous.
« Attaque ennemie lancée », maugréa Satori.
Tout comme Ali et les autres, je contemplai l’écran cathodique principal surplombant la passerelle quand un officier nous alerta d’une communication entrante.
« Que pensez-vous accomplir ici ? ricana l’Arch-Prince quand son hologramme à taille réelle apparut sur le module de conférence.
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— Loin de la corruption technocratique, ton pouvoir s’amoindrit ! rétorqua Caïus en s’approchant au plus près du Céleste qu’il savait capable de se matérialiser. Sans ta cryocuve, ce sera un duel dans les règles de l’art. Canons contre canons !
— Un combat régulier ? Mais pour qui vous prenez vous, sub-humains ? »
Il dévisagea le Commandant, Braun puis Rodrigue et enfin Ali. Taranis fixa ensuite l’Amiral Toto, à quelques mètres derrière nous. Celle-ci pointait son arme de service vers ma partenaire. Le cliquetis du cran de sûreté résonna à travers le rire étouffé du Céleste.
Caïus se détourna de l’Arch-Prince pour se placer sur la trajectoire de tir tandis que plusieurs soldats braquaient maintenant leurs fusils vers nous et le Capitaine du Falstaff. Le reste des militaires demeurèrent figés, ignorant quelle position prendre dans cet affrontement.
« Qu’est-ce que cela signifie, Sigourney ? demanda Caïus en toisant sa supérieure hiérarchique d’un regard noir.
— Oh, Gaylord, ne fais pas l’enfant, rétorqua Toto. Tu sais très bien comment cela se passe. Ta confiance aveugle te cause encore bien des torts. »
Taranis, fier de son manège, s’esclaffa en faisant briller les diodes de son crâne :
« Bien. Je pense que vous avez maintes choses à discuter. Amiral Toto ?
— Oui ? grinça la traîtresse sans jeter le moindre regard vers l’hologramme.
— Gardez-moi la fille de cuve en vie. Exécutez tout le reste.
— Certainement, Arch-Prince. »
Le silence retomba sur le pont, juste après que Caïus eut fait un pas en avant vers l’amiral.
« Je ne peux pas te laisser poursuivre cette folie, ma chère, répliqua immédiatement celui-ci.
— Comment comptes-tu t’y prendre sans pistolet ni sabre ?
— Je n’ai nullement besoin d’ustensiles de pâtisserie pour te coller une correction ! »
Gaylord Caïus bondit en avant, ignorant les balles qui le percutèrent au thorax et au cou, pour envoyer une gifle stratosphérique à Toto. Cette dernière vola sur le côté avant de pulvériser une console de contrôle. Aucun projectile n’avait perforé l’uniforme du Commandant qui parut totalement indemne.
« Mince alors ! s’exclama Ali. Il l'a décalquée !
— C’était nul comme combat ! s’écria Satori sans que personne lui ait demandé quoi que ce soit. Remboursez !
— Silence ! mugit Caïus, à en raidir sa moustache, avant que le reste des soldats et des mercenaires de Rodrigue n’ajoutent leurs commentaires. Tout le monde à son poste ! Et fissa ! »
Après un bref échange de coups de feu, les Marines loyalistes laissèrent glisser leurs armes sur le sol pour se rendre aux fidèles de Caïus. Les officiers de ponts débutèrent les manœuvres d’attaque. La bataille de Sedna allait commencer.
Sous le hurlement des sirènes, Braun entraina ensuite Ali par le bras jusqu’au monte-personne menant au hangar à vaisseaux. Sur nos talons Rodrigue distribuait des ordres à son équipage.
« Nora est certainement encore sur la station, affirma Braun. Tu dois la retrouver et je vais t’aider à rejoindre la surface !
— Nous allons aussi vous porter assistance ! intervint l’androïde orgatronique.
— Il faudra l’Arche et le… quel est le nom de ton bâtiment déjà ? demanda le MP se tournant vers le pirate.
— Ada Millenium, répondit Satori à la place de son capitaine.
— OK. Nous allons aider le Kitty à traverser les essaims de MK-X. Une fois Ali et Lee sur la planète, nous retournerons en orbite nous occuper de son escadre.
— Et pour Taranis ? demandai-je alors que les immenses portes de l’élévateur se refermèrent. Tu penses qu’il va se rendre sur Sedna pour retrouver Nora ou rester en orbite à diriger sa flotte ?
— Taranis est la mission de la Marine. Et puis, d’après notre expérience sur Terre, j’ai bien peur qu’il puisse agir partout à la fois… grommela Braun. Mais comme je vous l’ai dit, son champ d’action est désormais limité à Sedna. Il est coincé sur cet orbite !
— Évitez de faire les héros sur Far Harbor, intervint enfin Rodrigue. Les MK-X vont se heurter à une folle résistance de la part des colons en cas d’attaque de la station. Vous serez pris entre deux feux. Ce sera un carnage !
— Nous, on appelle ça un mardi, commenta Ali en ajustant son gilet rose avant que nous nous séparions dans le couloir menant aux différents garages.
—Godspeed ! conclut Braun. On reste en contact radio ! »
Notre trio de vaisseau quitta le hangar quand les premiers obus éclatèrent contre le blindage. L’aéronef de Taranis amorça un nouveau tir de canon à photons et visait cette fois-ci le T.M.S. Africa sous le contrôle du Commandant Caïus. Si loin du soleil, le galet de chrome ne put produire qu’un anémique rayon qui frôla l’aile des télécommunications, ne générant que des incendies mineurs et vite maîtrisés par le vide. La nuée de MK-X, quant à elle, présentait un tout autre niveau de dangerosité.
« Si l’un de ces pantins d’aluminium nous touche, il va s’infiltrer dans le vaisseau !
— Je sais, me gronda ma partenaire. Satori nous a tenu le même discours sur les MK en aciers à mémoire de norme.
— Forme ! Ce sont des droïdes à mémoire de forme ! »
Je fis réaliser au Kitty une embardée de dernière seconde dès la sortie du hangar, me remontant l’estomac sous les amygdales.
« Catsplaining ! grogna ma sapiens. Si tu n’arrêtes pas d’être condescendant, ce sera régime musical Bananarama ! Ou The Bangles. Ou mieux encore !
— Tu n’oserais pas ! »
Trop tard ! Je virevoltais entre les vagues de MK-X copiant la stratégie d’attaque des habituels droïdodrones, mitraillant tout ce qui passait à portée. Mon réel objectif ? Que le bruit des chocs sur la carlingue de l’Hirondelle couvre les affreux aboiements d’Ace of Base.
She leads a lonely lifeShe leads a lonely life
À nos côtés, l’Intercepteur traversa une nouvelle pluie d’ennemis, laissant un tueur de métal s’accrocher à ses instruments. Heureusement, l’abordage fut avorté quand les turbines de l’Ada Millenium frôlèrent l’Arche, pulvérisant les intrépides MK dans une manœuvre suicidaire de la part de Satori.
When she woke up late in the morning lightAnd the day had just begun
A l’extérieur, le sombre cosmos se transforma en silencieux feu d’artifice. Les MK-X détruisaient un à un les chasseurs légers de l’armée dans un terrifiant dix contre un.
J’entendis Braun hurler à travers la radio et Rodrigue lui répondre tout aussi poliment avant qu’Ali n’augmente le volume pour la suite du couplet :
All that she wants is another babyShe's gone tomorrow, boyAll that she wants is another baby
Ma partenaire accomplissait des miracles à la tourelle. Mais un androïde parvint tout de même à s’accrocher à la ventilation externe du Baltimore. Quelques secondes plus tard, l’ordinateur m’alerta d’une intrusion dans le système de survie et plusieurs avaries décrivant un chemin vers le cockpit.
« Tu t’en charges ? hurlai-je pour couvrir le chant des sirènes qui mirent un terme aux envolées lyriques aux sous-entendus non masqués. Ali ? »
La tête de chrome émergea au niveau de la radio, dans les ouvertures du dispositif d’aération.
« Ali ! » insistai-je.
Ma partenaire bondit depuis l’habitacle les pieds en avant, coinçant le visage aux traits parfaits de statue grec du MK entre ses cuisses. Le robot tenta de reprendre sa forme liquide, mais son sort était déjà scellé. D’un seul tir, elle exécuta l’androïde qui se désintégra en une fine poussière métallique qu’il ne fallait surtout pas ingérer.
« Bien joué ! la félicitai-je. Effectivement, leur module de contrôle est fixé derrière l’arcade sourcilière au niveau de la jointure avec le nez.
— Ah bon ? dit Ali en désactivant les différentes alarmes sonores.
— Quoi ? Je croyais que tu avais écouté l’exposé de Satori.
— J’avais mon walkman sur les oreilles après la troisième diapo… »
Grâce aux efforts conjoints du Kitty, de l’Arche de Noé et de l’Ada Millenium, la haute atmosphère de la planète naine se dégagea. Far Harbor apparut derrière les nuages de glace pourpre et de rejets de tholins.
« Rappelez-vous ! Nous alerta le Marine. Une fois en bas, vous ne pourrez compter que sur vous-même ! Nous devons retourner aider Caïus et abattre Taranis !
— Merci pour toi, Yossef ! dit Ali. Et merci Rodrigue !
— Chacun son combat, maintenant ! conclut le Marquis à travers les ronchonnements de Satori qui ne souhaitait pas être oublié. Bonne chance pour retrouver votre sœur, Dame Ali ! »