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KITTY KITTY // FRENCH ORIGINAL
#14 COCKTAIL DE GANGS (2/2)

#14 COCKTAIL DE GANGS (2/2)

La Chrysler avait désormais de nouveau rejoint le bitume humide des artères d’Electric-City. Nous faisions route vers le quartier du port, contrôlé par le gang, quand un nouveau véhicule fut repéré par le programme de Satori.

« Je pense que ces gentlemen dans la Peugeot ne seront finalement pas très ouverts à la discussion, fit remarquer ce dernier. Malgré la pluie, j’aperçois un lourd arsenal dans cette caisse. »

Ma partenaire proposa de leur jeter par les portes arrière l’homonyme qui nous avait causé tant de soucis. Ada évoqua alors son regret d’avoir laissé germer cette idée dans le cerveau détraqué de son amie. Il s’ensuivit une discussion houleuse avant que Satori n’intervienne.

Hélas ! La situation dégénéra violemment. Arrivée à l’intersection, la Nissan rouge de la tour Silanub refit surface et nous percuta l’aile gauche. Le minivan chancela sous le choc, avant de se renverser, les quatre roues en l’air.

« Puttana ! D’où ils viennent ceux-là ? » jura Ada en attrapant Ali par le col.

Sonné par la collision, je parvins tout de même à quitter la carcasse broyée par le pare-brise brisé. Des klaxons provinrent du boulevard perpendiculaire. Six hommes en costume noir sortirent de la Nissan.

« Des Yakuzas ! » cria Ali qui ouvrit le feu, les forçant à se mettre à couvert derrière un taxicab en service.

D’autres coups de feu vinrent aussi de l’arrière. La Peugeot s’était garée sur le trottoir, renversant les machines à journaux. Cinq gangsters au crâne rasé et au corps couvert de tatouages bousculèrent les promeneurs pour se frayer un passage jusqu’à nous.

« Des Janeiros ! » cria Ada avant, cette fois-ci, d’extirper le banquier hors du van comme elle le ferait d’une mauvaise herbe.

Ali le saisit ensuite par la cravate afin de le mettre à couvert. Les deux groupes de truands se rapprochaient dangereusement et Satori était toujours bloqué à l’intérieur.

« Gagnez du temps ! ordonna Noisy en nous jetant une paire de grenades incendiaires. Big-Brain est coincé par le tableau de bord ! »

Des balles ricochèrent contre les montants d’aciers ou s’enfoncèrent dans la gomme des pneus. Sur le trottoir, la foule se dispersait, ouvrant une fenêtre de tir pour les Janeiros.

« Dépêchez-vous, soufflait l’informaticien. Je ne sens plus mes jambes !

— Tu ne les as jamais sentis, idiot ! s’emporta Ali en dégoupillant les grenades. Tu es paraplégique ! »

Le dernier membre de l’équipe enfin a couvert, nous pûmes battre en retraite dans une ruelle encombrée de déchets et de rats aussi gros que moi. Derrière nous, sur l’avenue, la fusillade se poursuivit entre les deux gangs dans le chaos le plus total.

Un hélicoptère de la télévision était le premier sur les lieux. Il fut immédiatement suivi par les fourgons d’un détachement de la BPD avec ses drones de surveillance dont les sirènes nous percèrent les tympans.

Sur les épaules de sa partenaire, Satori exigea une pause à l’abri de la pluie afin de commander une extraction depuis son terminal portable. Cela me permit de reprendre mon souffle et aux deux humaines de recharger leurs armes.

« Qu’est-ce qu’ils viennent faire ici les Yakuzas ! » cria Ada en manquant de jurons pour la première fois de la soirée.

La patience fragile de la mercenaire avait pourtant cédé aux appartements de Rubero. Il suffisait désormais d’une petite étincelle pour faire déborder le vase.

« Et bien c’est-à-dire que je suis leur banquier… » pleurnicha le corpo, certainement le plus essoufflé par la course.

Incroyable ! Il n’y avait pas un seul suit ne trempant pas dans le blanchiment d'argent au sein de cette ville. Ali avait dû empêcher son amie d’éventrer sur place le malheureux otage avant que les détonations de fusils d’assaut ne se mettent à raisonner dans notre dos.

Faisant fi des civils, les forces de police étaient intervenues à grand renfort de gaz asphyxiants. Ces derniers avaient obligé les Yakuzas à se retrancher dans notre venelle de repli.

« Cassez-vous ! C’est déjà pris ici ! » hurla Ali en pressant la détente de son calibre.

La riposte des Japonais fusait au-dessus des épaules de ma partenaire qui fut stoppée par le bras robotique d’Ada. La mercenaire avait eu la même idée que moi :

« Laissons le banquier, ils vont nous foutre la paix ! »

Khelil avait lui aussi fait le calcul. Profitant du fait que Noisy soit trop encombrée par Satori et mon associée occupée à recharger son arme, il fit volte-face pour rejoindre ses camarades malgré l’arrivée d’un drone.

Un pistolet automatique nous forçâmes à prendre une couverture devant la sortie de secours d’un immeuble. Hélas, notre fardeau de la soirée n’avait pas eu ce réflexe. Avant que l’espion volant de la police ne lâche une nouvelle grenade de gaz, il gisait face contre terre.

« Ils lui ont tiré dessus ! miaulai-je.

— Pour peu qu’ils aient des filtres au nez ou des masques, ses petits copains vont se pointer, maugréa Ada Grant. Le temps presse, Satori !

— Ce cafard à hélices brouille les communications ! répondit ce dernier en tapotant furieusement les touches mécaniques situées sous son poignet. Il faut se tirer à pied ! »

D’un côté de la ruelle, des yakuzas déchaînés n’allaient pas tarder de sortir d’un nuage de gaz lacrymogènes. De l’autre brillaient désormais les gyrophares d’un véhicule de la BPD fraîchement arrivé. Une voix robotique transmise par haut-parleur nous ordonna de nous rendre.

Ali décida de mettre en joue le drone qui repartait au-delà les balcons et les fils électriques.La police répliqua de coups de feu sans aucune sommation.

Le gaz commençait à me piquer les yeux. La mercenaire avait confié son ami aux jambes de chiffons à ma sapiens. Avec ses bottes cloutées, elle nous poussa à l’intérieur du bâtiment.

J’avais atterri contre une surface molle et chaude. Je reconnus par l’odeur un mélange de lilas et de vermouth un peu trop vinaigré. Il y avait aussi une pointe de cigarette dans l’haleine de l’humaine qui me cria ensuite dans les oreilles :

« Un rat !

— Alors là ! J’exige des excuses ! » répondis-je outré, tandis que je fus chassé d’une paire de seins encore invaincus par la gravité.

Entouré de corps si peu vêtus, je crus que nous avions atterri dans un brothel comme il en existait des centaines à Electric-City. Mais à la Funk qui émanait de la salle suivante, je conclus que nous transgressions le secret des coulisses d’un bar à hôtesses.

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« Satori ? » s’étonnèrent deux danseuses aux cheveux verts dont le costume se résumait à ne pas en porter.

Son calibre .50 dans une main et l’ingénieur dans l’autre, mon humaine ne laissa pas le temps à sa combinaison d’humidifier la moquette de la même couleur que sa veste. Elle sprinta à travers les vestiaires.

Je fus pour ma part chassé sans ménagement à coup de balais et de sous-vêtements. Trempé jusqu’aux os, je pus facilement m’extirper des bras d’un videur qui était venu à la rescousse.

« Des amis à toi ? » demanda Ali alors nous atteignîmes la sortie du local des hôtesses.

— Ne mouftez pas à Ada ! » grogna Satori avant de tourner sa tête pour surveiller l’arrivée de son binôme.

Ce ne fut pas Ada Grant qui passa les portes extérieures du vestiaire, mais deux agents de police lourdement équipés et épaulés par un droïde MK.

« Kuso ! Ils ont ramené leurs copains de la Section 9 ! s’écria l’ingénieur. Ce n’était pas le moment de se fritter avec eux avec toutes ces émeutes et le traité de paix. »

Enfonçant des battants tagués, nous débarquâmes dans le club. Plongée dans la demi-obscurité rosâtre et les vapeurs de neige carbonique, la lie de Babylone arrosait de faux Champagne les corps dénudés d’hommes et de femmes au salaire minimum.

« Tu devrais plutôt t’inquiéter pour Ada, non ? » demandai-je en slalomant lentement entre les jambes de cette masse organique débauchée du mieux que je pouvais.

Ali, qui avait arrêté de courir, ne possédait pas cette délicatesse et bousculait tout ce qui se mettait en travers de son chemin : danseuses, cabotins, videurs, clients…

« Noisy est solide comme un roc, répondit Satori. Contentons-nous d’échapper à la flicaille et retournons à notre appartement regarder la fin de K 2000 sur le câble !

— Déjà vu ! Inoubliable ! » dit Ali.

Les poils recouverts d’alcool et de paillettes, je pus rejoindre le vestibule d’entrée du club avec les deux sapiens sur les talons. D’un coup d’épaule, ma partenaire défonça le plexiglas d’un guichet fermé, glissant entre les deux cyborgs qui en gardaient l’accès. Une alarme sonna et une grille de métal s’abattit sur le MK qui avait pu nous suivre jusqu’ici.

« Attention ! » hurla Satori.

Dehors, un véhicule de police criblé de balles et au revêtement brûlé par un cocktail Molotov percuta les deux voitures de luxe qui étaient prises en charge par les valets. Aux commandes, Ada fit crisser le train atterrissage du fourgon avant d’en déployer les portes-papillons, pulvérisant le pupitre d’accueil.

« Comme au bon vieux temps ! N’est-ce pas Ali ? gloussa la mercenaire en faisant rugir les propulseurs.

— Pourquoi est-ce que chaque minute est pire que la précédente avec vous ? miaulai-je dépité.

— Génial ! Un modèle 5. Je peux conduire ? » demanda Satori.

Ali l’avait déposé dans la geôle avant d’y plonger la tête la première. Pour ma part, j’étais de retour au poste de copilote aux côtés de la solo.

« Hors de question mi amore, lui répondit cette dernière. Il y a des pédales pour les gens normaux ! »

Big Brain fit la moue. Comme nous tous, il tenait à activer une fois dans sa vie la sirène d’un véhicule des forces de l’ordre.

« Appel à toutes les unités. 444 à Electric City. Fusillade sur la 28e Avenue. Présence de gangs signalée. Demande de renforts. Over. Grésilla le poste de radio à moitié fondu.

— Ici Central, répondit une IA de sa voix métallique. Négatif. 507 downtown. Émeutes toujours en cours sur la 13e, la 18e et Huygens Plaza. Terminé. Possibles débordements à Herschel Island et Cronus District. Out ! »

La réaction de l’agent fut moins polie que sa requête. Mais cette nouvelle était rassurante : le BPD était plus que dépassé pour ignorer un 444. Nous avions le champ libre pour dissimuler le véhicule et prendre la fuite.

Celui-ci fut abandonné un peu plus tard sur un pont du périphérique. Des sans-abris pourraient le désosser pour s’acheter des cigarettes ou une nuit au calme dans une cabine d’holosex.

Symbole ultime de l’échec que fut cette soirée, nous rentrâmes tous en métro aérien jusqu’au Kitty qui s’avéra être le lit le plus proche ; mis à part les cercueils des hôtels du Cronus District.

« Que d’émotions ! soupira Satori une fois à l’intérieur. J’ai les jambes qui flageolent… »

Du cockpit, j’entendis le son mat d’un coup de poing contre la chair. L’informaticien, une bosse sur le front, se contenta ensuite de complimenter le poste de pilotage de l’Hirondelle après que les deux femmes l’aient banni de la soute pour se changer.

Pendant ce temps, j’étais penché à la radio pour écouter les nouvelles alarmantes qui venaient du centre-ville. Nos péripéties avec la pègre locale passeront aux oubliettes face aux centaines de morts qu’avaient produits les émeutes. D’après les bulletins nocturnes, le traité de paix n’avait été qu’un mirage. La Technocratie allait arriver pour imposer sa victoire sur Titan par la force de sa Marine.

« Le bon côté des choses c’est qu’on va encore avoir pas mal de boulot », soupira la mercenaire qui avait maintenant commencé à retirer de son bras de fer les munitions magnétiques tirées par les drones de la police.

Son partenaire vint ensuite à sa rescousse avec la trousse de secours du Kitty apportée par Ali. Satori la remercia avant d’exprimer ses inquiétudes :

« Je pense que vous ne devriez pas traîner sur Titan. Si tu souhaites rendre visite à ton papa, il faut que tu le fasses ce matin. 

— Es-tu prête pour ça, Ali ? » demandai-je en la voyant retourner dans la soute ?

Elle acquiesça.

Le cimetière de Tannhäuser Gate était un amphithéâtre de pierre et de grès. Nous n’y rencontrâmes presque personne. Celui-ci étant l’un des plus anciens de Saturne, la plupart des stèles dataient des premiers colons.

Un groupe de moines en toge orange croisa notre chemin au détour d’une allée bordée de vrais cèdres. Ali leur acheta un petit paquet d’encens aux notes de mandarine. Puis, nous nous dirigeâmes vers les niveaux inférieurs ; la plupart occupés par des autels ancestraux.

Le haka anonyme du père d’Ali était caché à l’ombre d’un mausolée de calcaire noir. Il n’y avait pas non plus de nom gravé sur les sotoba, ces planches en bois destinés à sa famille. C’était courant chez les chasseurs de primes afin d’éviter les vengeances post-mortem.

« Tu es sûre que c’est celle-ci ? » demandai-je en me rapprochant du caveau.

Ali coinça silencieusement l’encens dans un modeste réceptacle en forme de chaton. C’était le seul ornement de la tombe avec un petit cadre abritant une photographie Polacolor qui semblait miraculeusement conservée après toutes ces années.

Après analyse, son dépôt était toutefois récent. Et un bracelet de perles d’ivoires reposait dessus.

« Étrange. Qui d’autre pourrait connaître ton père ?

— Je ne sais pas. »

L’instantanée représentait un homme d’âge mûr à la longue barbe grise. Ses épaules étaient si grandes qu’elles prenaient presque toute la largeur. Le père d’Ali était effrayant avec son cache-œil en acier et ses balafres. Ces dernières traçaient des sillons d’oreille à oreille, s’entrecroisant sur son nez cassé.

Sous son bras droit aux pistons métalliques apparents se terrait ma future partenaire ; encore enfant, mais reconnaissable à ses mèches blondes. Un énorme soda dans la main, elle ne souriait pas.

Et à la gauche du colosse barbu se tenait une seconde petite fille, plus âgée et bien plus joyeuse. Elle possédait de longs cheveux bruns et une peau caramel. Elle me disait quelque chose.

« Qui est-ce ? » demandai-je.

Ali ne m’avait jamais parlé d’une autre enfant élevée par Koviràn.

« Nora. C’était ma sœur », répondit Ali en quittant les lieux pour ne plus jamais y revenir.

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