Deux minutes plus tard, le Capitaine Braun arriva au pied du compacteur géant. C’était lui qui venait de réaliser cette impressionnante démonstration de tir. Il avait délaissé son uniforme d’officier pour une combinaison à camouflage urbain mélangeant plusieurs nuances de gris. À sa ceinture pendaient différents types de grenades et une carabine équipée d’une lunette infrarouge. C’était à se demander s’il chassait un enfant ou un Xenomorph.
Braun affichait le même visage renfrogné que la dernière fois et marmonna en réajustant son béret :
« Il tentait de se réfugier dans la base.
— Dans votre base, répondit Ali en insistant lourdement sur l’adjectif possessif. Sinon… joli shoot. »
Braun avait les yeux rivés vers les barbelés qui surplombaient le mur d’enceinte. Après un tel tir couplé à une chute mortelle, il n’y avait aucune chance de retrouver sa cible en vie. Pourtant, le Marine paraissait perplexe :
« Elle est fermée depuis des années. »
Puis, il nous révéla une information surprenante :
« C’était une ruche à clones.
— À clones ? Alors ce n’était pas du pipeau ! s’écria ma sapiens. Autrefois, les Marines étaient bien des clones ! »
Braun comprit qu’il n’avait plus grand-chose à cacher :
« Affirmatif. »
Décidément, une telle transparence de sa part était curieuse.
« Ces enfants possèdent des implants dans les oreilles. Comme vos Marines, lui dis-je.
— La ruche fonctionnerait encore ? Ils seraient sortis des cuves ? demanda Ali, les mains sur les hanches.
— Impossible, les clones sont fabriqués directement à l’âge adulte. Il n’y a jamais eu de croissance in vitro, expliqua Braun. Et surtout, l’usine est démantelée… »
Son interlocutrice fit la moue :
« Qu’est-ce que tu en sais ? »
C’était comme si le MP venait de prendre une douche froide. Il avait le regard vague et ses lèvres bougèrent sans qu’il ne prononce mot. Cette histoire allait donc plus loin encore.
De son côté, mon humaine était déjà en train de jouer les funambules sur le compacteur. J’avais sauté à sa poursuite pendant que nous attendions que Braun nous rejoigne.
« Allons au moins récupérer le cannibale junior ! »
Mais une fois de l’autre côté, l’enfant avait disparu. Il ne restait de lui que des traces de sang. Ces dernières se perdirent dans l’une des tranchées boueuses qui encerclait l’immense bâtiment cylindrique recouvert de verdure. De la base jusqu’à son sommet, celui-ci ne possédait aucune fenêtre apparente. Notre piste d’hémoglobine s’estompa peu de temps après, à l’entrée d’un tunnel. Là, des traces de pas miniatures prirent la relève, nous menant à un conduit rongé par l’humidité.
« Terriblement costaud. Vous ne voudriez pas les enrôler pour votre guerre autour de Saturne ? le taquinai-je.
— Fermez-la et dégainez vos armes. »
Ce fut les derniers mots qu’il prononça. Braun retira ensuite la lunette de sa carabine et l’équipa d’un chargeur d’assaut. Il s’infiltra le premier dans le conduit, Ali sur les talons.
Dans le tunnel d’aération régnait une atmosphère poisseuse. L’humidité et la chaleur atteignaient des records étouffants. Je dus prendre mon courage à deux mains pour mener le groupe une fois que l’obscurité fut trop importante.
« Stop ! chuchotai-je au G.I. Joe qui était juste derrière moi.
— Tu perçois quelque chose ? » demanda ma partenaire tout en jetant des coups d’œil en arrière.
Nous surplombions une immense salle carrée dont on ne voyait pas le bout. Celle-ci était baignée d’un halo verdâtre provenant de grandes verrières invisibles de l’extérieur, car recouverte de chèvrefeuille mutant.
Effondré, le conduit tunnel d’aération n’allait pas plus loin. Nous nous laissâmes tomber jusqu’au sous-sol sur le toboggan qui s’était formé.
La glissade fut plus dangereuse que prévu et ma pataude d’humaine s’affala devant deux demi-globes de verre crasseux de la taille d’un taxicab. Ces dômes transparents se comptaient par dizaines et occupaient toute la salle sur huit niveaux. Les étages, des mezzanines de métal rouillé, s’étaient à moitié effondrés par endroit.
« Qu’est-ce donc ? » demanda ma chasseuse de primes en tapotant la surface du sphéroïde.
Curieusement, cette dernière était molle. Une bulle s’évada de la base et glissa contre sa paroi, faisant remonter un cadavre partiellement décomposé et gonflé par l’humidité. Sa peau blanche effleura l’enveloppe du globe déposant un mucus brunâtre au fil de sa trajectoire.
Ali laissa échapper un cri étouffé. Moi-même dus reculer avec dégoût.
« Une tombe. »
Braun était sorti de son silence. Il slalomait entre les unités d’incubation de clones, canon levé et le doigt désormais sur la détente.
« C’est mégadégueulasse ! » chuchota ma partenaire en le rejoignant.
Notre camarade de fortune exprima finalement sa rancune :
« Ils n’ont rien vidé du tout ! Ils ont tout laissé en plan… ils n’ont vraiment aucune décence… »
Ce fut la première fois que je voyais un Marine remettre en cause son corps d’armée. Braun dissimulait une belle rancœur.
« Je crois que cette histoire sent définitivement mauvais, lui dis-je. Mais nous ignorons encore à quel point ! »
Et nous ne tardâmes pas à le découvrir. Derrière la grande couveuse se tenait un corridor toujours accessible menant à ce qui semblait être le laboratoire d’un savant fou.
Entre les cadavres momifiés soudés au sol et aux murs, s’alignaient anarchiquement des ordinateurs en fonctionnement. Sur les étagères, des écrans monochromes grésillant relataient une multitude de graphiques de couleur cyan à travers l’écrin de poussière. Le carrelage plastique apparaissait par endroit quand il n’était pas tapissé d’une épaisse couche de détritus et de cartes perforées pourries. Mais le pire était l’odeur. Nous avions droit à un exquis mélange de moisi, de sueur et…
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« … d’excréments ? compléta Ali.
— C’est invraisemblable de découvrir ça sur Cérès. Nous nous trouvons à quelques dizaines de mètres de l’un des ports les plus actifs de la ceinture ! » murmurai-je en inspectant un corps.
Braun imposa une fois encore le silence.
Au centre de la pièce se tenait un bureau effondré sur lui-même. Il était désormais le réceptacle d’un écoulement d’eau croupie ruisselant depuis l’étage supérieur. Des moisissures avaient poussé sur le bois ancien.
Mais le pire était derrière. Adjacent à une montagne d’immondices se trouvait un vieux lit médicalisé à ressort. Les écrans brillaient dans l’obscurité et nous entendions l’agonie d’un respirateur artificiel fatigué par le temps.
Ma partenaire rompit alors le silence :
« Braun ?
— Oui, répondit le soldat en s’approchant.
— Il y a un type dans ce lit.
— Oui… » réagit de nouveau le MP, désormais au pied du matelas gorgé d’humidité et de punaises.
Sous les draps sales se tenait un vieil homme, les yeux soudés par la poussière et une mycose violette. Sa peau n’était qu’un linceul prêt à se rompre à la moindre pression. Nous pouvions discerner chaque vaisseau sanguin, chaque tendon et chaque os qui dessinaient ses membres et son visage cadavérique. C'était la version poisseuse d'Anakin Skywalker à la fin du Retour du Jedi.
Lui ôter son respirateur fut un coup de poker. Le long tube de plastique tomba presque en poudre dans la main du Marine. D’ailleurs, l’épiderme y resta soudé avec une bonne partie du nez. Ce dernier n’était désormais plus qu’un morceau de cartilage tordu.
« Professeur Julius Cornerstone…
— Un ami à toi ? » demanda Ali.
Elle avait dorénavant un mouchoir sur les narines et la bouche.
« L’ancien Chirurgien-Général et directeur du programme de clonage…
— On dirait qu’il a au moins 150 ans… »
Je crus que Braun venait de sourire pour la première fois, mais l’éclairage m’avait joué un tour. Le pauvre MP essayait tant bien que mal de dissimuler un mélange de dégoût et de haine.
« C’est parce qu’il les a. »
L’individu eut un spasme au niveau de la mâchoire, nous faisant sursauter.
« Mes petits… »
Horreur ! Le cadavre avait parlé. Il s’était même faiblement redressé. Ali eut un haut-le-cœur, faisant presque tomber son arme dans une pile de linges gorgés de sang.
« Professeur ? Vous nous entendez ? »
La voix de Braun était à peine audible. La bouche et le nez derrière son coude, il inspectait les instruments qui s’emballaient. Ils étaient des plus vétustes avec leur puce mémoire apparente de la taille d’un paquet de cigarettes.
« Mes petits… » croassa de nouveau Cornerstone.
Son unique ligne de dialogue tournait en boucle comme ces jouets ; ceux avec une ficelle dans le dos. Il ne pouvait rien murmurer de plus. Le son de sa voix devint de plus en plus faible au fil des itérations. Sa respiration désormais naturelle évolua en une toux rauque. Sa propre cage thoracique lui broyait les poumons.
« Jamais on ne pourra le sortir d’ici, dit Ali. Regarde-le, il a fusionné avec les ressorts du lit !
— Ce type est le cadet de nos soucis à présent », la coupa Braun.
Et il avait raison. Horrifiés par la découverte du Professeur Cornerstone, nous nous étions laissés silencieusement encercler dans l’ombre. Tout autour de nous ricanaient une vingtaine d’enfants similaires à celui que nous avions poursuivi quelques minutes plus tôt. Comme des insectes, ils sortaient des montagnes de déchets ou des fissures dans les murs.
À leur façon de se mouvoir dans l’obscurité, ces enfants étaient terrifiants. Il n’y avait aucune lueur dans leurs yeux. J’avais l’impression d’avoir affaire à des pantins. Des marionnettes munies de vieilles mitrailleuses ZeG-2.
« Tu as un plan, mon Capitaine ? » toussa Ali.
Soulevés par nos ennemis, des spores et de la poussière nous rentraient dans la gorge.
« J’y réfléchis. J’y réfléchis. »
Braun n’était pas rassurant. Avec son arme semi-automatique il pouvait rapidement en liquider une demi-douzaine, mais ensuite ? Mes yeux de félins en voyaient en apparaître de plus en plus.
« Pouvez-vous cogiter plus vite les sapiens ? me manifestai-je en observant l’immonde spectacle dont j’étais témoin. Car je ne voudrais pas mourir cette nuit…
— Mais oui ! » cria mon humaine.
Elle s’était jetée sur Braun, provoquant le sursaut de ce dernier. Les gobelins en profitèrent pour se ruer sur nous. Elle nous ordonna ensuite de fermer les yeux.
Braun et moi nous exécutâmes aussitôt. Il y eut une grosse détonation près de ma queue puis une seconde un peu plus loin dans le couloir. Ali avait fait exploser les deux grenades flash du Marine, aveuglant ces êtres de la nuit. C’était brillant. Dans tous les sens du terme.
L’instant d’après, ce fut un déluge de plomb qui me chauffa les poils du dos. Leur première ligne fauchée comme du blé mûr par le MP, les enfants sauvages étaient aussitôt retournés dans leurs cachettes.
« Bien joué. Et maintenant ? s’écria Braun avec un ton bien monotone étant donné la gravité de la situation.
— Courrez, idiot ! hurlai-je en voyant de nouveau du mouvement parmi les décombres.
— Et Cornerstone ? »
Braun fut difficile à convaincre, mais un nouvel assaut des enfants lui fit entendre raison. Suite à cela, jamais nous n’avions couru aussi vite. Les balles fusèrent de partout crevant la plupart des globes. Il se répandit sur le sol un liquide jaune à la forte odeur d’alcool trop fermenté.
Au détour d’une allée, Braun glissa, prêt à être dévoré sur place par nos poursuivants. Il fut rattrapé in-extremis par Ali. Cette dernière me tint ensuite dans ses bras, car j’avais du mucus jusqu’à mi-patte.
« Vous désirez être fidèle à votre réputation ? fit le Marine après avoir atteint les montants d’aciers rouillés de l’issue de secours.
— C’est-à-dire ? »
Il tendit à Ali une grenade Balrog à phosphore blanc.
« Oh Capitaine, mon capitaine ! »
Elle m’échangea contre le dispositif incendiaire. Je ne pouvais pas lui en vouloir. C’était équitable.
Ma partenaire sourit puis lança l’engin explosif au milieu des globes. Trois secondes plus tard, tout le premier niveau était en train de s’embraser. Une fois dehors, l’usine cachée n’était qu’un immense brasier vomissant des gerbes de flammes à travers ses verrières.
Cornerstone avait disparu avec son dernier projet.
Nonobstant ma surveillance, ma tartine-à-toaster sauta du grille-pain. Elle tenta de se suicider quelques centimètres plus loin contre la radio sans que cet inutile droïde de J.A.P.A. ne puisse l’attraper au vol.
La Blaupunkt déréglée, le one-hit wonder de Blossom Child laissa sa place à un bref extrait d'infopubs. Les enceintes vibrèrent ensuite sous le rythme endiablé de Footloose. Par chance, cela correspondait davantage à mon humeur matinale.
« Nom de… jurai-je en retirant une mouche qui s’était scotchée sur le fromage Philadelphia avant qu’Ali ne vienne s’asseoir près de moi.
— On fait les tabloïds regarde, fit-elle en me tendant son poignet qui affichait la une du jour.
— « Deux idiots font sauter les réserves de Bleu du commissariat de Cérès18 », lis-je sur l’écran. C’est nous en effet ! Et rien sur la base ?
— Rien du tout. Raspoutine a dû étouffer l’affaire. Les Marines ne veulent pas faire les gros titres avec Cornerstone en méchoui.
— Au moins, Al-Dhedi a annulé toutes nos dettes », conclus-je en relativisant.
Le pilote automatique nous rapprochait du centre de Cérès City par le périphérique intérieur de la planète. De chaque côté se dressaient les tours résidentielles de la banlieue. Cela nous changeait du vide de l’univers. La capitale de la ceinture était l’une des plus grosses métropoles du système et la chasse aux contrats n’y cessait jamais.
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