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KITTY KITTY // FRENCH ORIGINAL
#16 LA CHUTE D'ICARE (2/2)

#16 LA CHUTE D'ICARE (2/2)

Ali s’exécuta, mais les balles prirent des trajectoires aléatoires avant de se perdre au sein de la bibliothèque géante ou bien se figèrent tout simplement juste devant leur cible. Cette dernière était maintenant à trois mètres de nous, le bras droit transformé en lame.

« Titania. Stop. »

Une voix artificielle d’un calme impérial venait de faire trembler mon ventre. Elle provenait de partout et nulle part à la fois. Curieusement, l’androïde de bismuth s’était arrêté et se retourna pour sonder le vide.

La voix reprit :

« Zéphyr est de retour. Conduis-le à moi, Titania. »

Cette dernière vola vers Ali afin de saisir délicatement la carcasse métallique de notre ami. Elle nous invita silencieusement à la suivre jusqu’au gouffre où la température grimpa en flèche.

Sous mes poils, je souffrais le martyre. Incapable de transpirer comme les êtres humains, je devais tirer la langue. Mes papilles séchèrent aussitôt. Sans ma combinaison et son liquide thermique, j'aurai été mort avant d’atteindre l’antre de cette curieuse voix.

La sueur envahissait la combinaison spatiale de ma sapiens qui, dans ce four, dut finalement la retirer. Une fois dans le gouffre, ce furent sa seconde peau noire puis ses sous-vêtements qu’elle jeta dans ce puits de ténébreux qui avait semblé interminable.

Cette Titania nous avait conduits au cœur de l’astre dans une immense salle ovale comme un œuf d’une centaine de mètres de diamètre. Partout voletaient ces petites fées d’informations. Elles venaient parfois se poser sur la sphère de quartz titane aux couleurs irisées des vents cosmiques qui trônait en son centre, juste en-dessous le précipice.

« Bonjour, enfants du génome », fit la voix, toujours aussi calme.

Elle provenait maintenant de cette curieuse sphère minérale plus grande que mon humaine.

« Bonjour, nous sommes Ali et… commença ma sapiens en flottant entre les étincelles volantes pour se placer en face de la boule parlante.

— Je sais qui tu es. Ainsi que pourquoi tu viens. »

Un lit de roche noire se matérialisa à sa surface. Se positionnant entre elle et nous, elle accueillit Zéphyr peu après que l’androïde l’eut posé délicatement

« Nous recherchons Mancéphalius, dis-je en ressentant comme une conscience nous observant.

— Je suis Mancéphalius. L’IA que vous cherchez. »

Ali rejoignit le matelas de pierre de Zéphyr. Non sans jeter un regard à la femme de bismuth, elle s’assit ensuite sur le rebord, la main sur la joue de l’androgyne.

« Zéphyr nous a demandé de venir ici, dit-elle alors. Il nous a dit que tu pouvais l’aider. »

Repoussant délicatement mon humaine, le lit de fer se plia en deux, enfermant le corps du cyborg. Se redressant avant de flotter un peu plus en retrait, il forma un cocon ovale. Titania alla appliquer ses paumes contre sa surface sombre.

« Je vous remercie de m’avoir rapporté mon enfant.

— Votre enfant ? »

Ma tête fourmillait de questions sur ce lieu insolite, mais ce fut la seule que je parvins à formuler. À son regard perdu, ma partenaire était aussi confuse que moi.

« Zéphyr est venu me voir il y a des années. Il portait autrefois le nom d’Howard Icarus. Un Céleste de Lunapolis.

— Vous l’avez donc transformé en cyborg ? demanda Ali.

— Oui. »

Un champ électrique parcourut la sphère noire aux reflets arc-en-ciel. Il s’évapora en une petite étincelle de lumière qui alla flotter avec ses consœurs. Ces dernières venaient d’arriver dans la pièce par le gouffre au-dessus de nos têtes.

« Vous avez mentionné les Célestes, fis-je remarquer. Pourquoi un Arch-citoyen de Lunapolis deviendrait-il un simple voleur de données ?

— Lunapolis est la corruption incarnée, expliqua Mancéphalius. C’est en tentant de fuir ce repère de la folie qu’Howard s’est vu détruire son enveloppe charnelle. C’est aux portes de la mort que je l’ai recueilli ici. »

Je comprenais Zéphyr. Et je pense qu’Ali partageait aussi mon avis sur la question. Les Célestes de Lunapolis, ces monstres hors du temps, ne pouvaient distiller que de la haine.

Mon humaine s’était rapprochée de notre curieux hôte, écartant du bout des doigts les nouvelles fées qu’il avait fait apparaître.

« Vous êtes plutôt loquace pour un courtier en informations, fit-elle remarquer.

— Je ne me serai jamais laissé évoquer le passé d’Howard sans son accord. »

Poussé par Titania, le cocon médical était de retour à nos côtés. Imitant ma partenaire, j’effleurai de la patte la surface noire et ressentis une légère vibration. Je demandai alors :

« Va-t-il s’en sortir ?

— C’est incertain, répondit l’IA en se montrant peu rassurant. Pourquoi est-il important à vos yeux ?

— C’est un ami, rétorqua mon humaine. Même bien plus encore. »

Il y eut un silence. Un nuage de fées émergea du gouffre désormais au-dessus de nos têtes et vint voleter autour de la boule de quartz géante. Aucune des lucioles ne se colla à elle. Les êtres de lumière ne faisaient que l’effleurer, s’arrêtant à quelques millimètres de sa surface provoquant des étincelles.

« Un ami ? Comme MarKus ? »

Il parlait du droïde chasseur de primes de Ganymède. D’où était-il au courant ?

« Vous connaissez MarKus ? demanda Ali en m’ôtant les mots de la bouche.

— IA et cyborgs. Nous sommes tous frères et sœurs errant dans les forêts d’informations. Forêts où virevoltent mes délicieuses petites fées. »

Une réponse énigmatique pour un être énigmatique. Il poursuivit ensuite dès que les étincelles eurent disparu en son sein :

« Nous sommes tous une même famille. Et Zéphyr, avec mon aide, s’est intéressé à la vôtre. »

Je sentis une pulsation sous mes coussinets, ce fut comme si le cocon noir s’était mis à respirer.

La roche opaque se dissipa en un nuage pour ne laisser qu’un bloc rectangulaire sur lequel reposait toujours le corps du cyborg. Ses yeux sans reflets fixaient ma sapiens. Il parla enfin d’une voix très faible :

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« Ali ? »

Mon humaine était à son chevet, la main gauche sur le cœur et l’autre sur son front. J’étais moi-même à ses côtés, assis près de sa tête.

« Ali, je suis désolé. Ne sois pas fâché », continua Zéphyr.

Celle-ci lui sourit. Elle n’était en rien en colère.

« Ali. Il y a quelque chose que tu ignores. »

Mon humaine eut un mouvement de recul. Elle fronça les sourcils avant de croiser mon regard incrédule.

« Quoi donc ? » demanda-t-elle en revenant auprès de l’androgyne qui avait de plus en plus de mal à synthétiser une voix stable.

Mais aucun son ne sortit de sa bouche. Mancéphalius dut prendre le relais :

« Votre sœur, enfant du génome. »

Ma sapiens s’était figée, les yeux dans le vague.

« Nora ? dis-je.

— Nora est vivante, Ali », formula enfin difficilement le cyborg.

Sur ces mots, la plaque noire s’était arrêtée de vibrer. L’infime pulsation disparut. Les fées encore présentes dans la pièce venaient de s’évanouir, plongeant les IA et ma partenaire dans les ténèbres. Zéphyr s’en était allé.

« Zéphyr ? Zéphyr ! » cria Ali en lui tapotant lui caressant la joue.

Une fois les feux follets de retour, je me tournai alors vers le courtier inorganique :

« Est-il mort ?

— Mort ? Oui. Mais cela ne veut pas dire qu’il a cessé d’exister. Ses souvenirs et ses rêves font désormais partie des forêts d’informations. N’est-ce pas là la continuité de l’existence ? »

De Zéphyr émergèrent soudainement des dizaines puis des centaines de fées qui vinrent virevolter autour de Titania et de Mancéphalius. Le nuage fit ensuite demi-tour pour me traverser ainsi qu'Ali avant de disparaître dans le gouffre.

« Remarquable, chuchota le data-broker. Les humains possèdent déjà l’immortalité après laquelle ils courent sans cesse. »

Ma sapiens n’était hélas pas d’humeur pour entendre les élans philosophiques d’une intelligence artificielle. Elle retenait les quelques larmes qui commencèrent à couler. La chaleur qui régnait au centre de l’astre les faisait presque s’évaporer avant qu’elles n’atteignirent ses joues.

L’IA le remarqua et eut alors une douce pensée :

« Pleurez pour moi Ali, car je regrette d’en être incapable. »

Mais mon humaine s’était déjà redressée. Elle faisait désormais face à Mancéphalius.

« Où est-elle ? réclama mon associée.

— L’enfant du génome du nom de Nora Koviràn, fille de Félix Koviràn ? demanda Mancéphalius. Je l’ignore. Mais ensemble nous pourrons chercher. »

Ali resta silencieuse le temps qu’une entité lumineuse descende du puits pour venir voleter autour de Titania, toujours immobile. Au contact de la fée, elle quitta les lieux pour se diriger vers le niveau des alvéoles.

« Des vaisseaux de l’Alliance viennent d’arriver, reprit l’IA après le départ de sa gardienne de bismuth. Mais je peux racheter votre conduite auprès d’elle après vos frasques sur Umbriel.

— C’est vrai ? Comment ? demandai-je.

— En échange d’informations. Je protège éternellement mes enfants. »

Je vis Ali hésiter puis attendre mon avis. Je n’eus pas besoin de le donner. D’un regard, je lui fis comprendre que quoi qu’elle choisisse, je partirai avec elle chercher sa sœur Nora.

« C’est d’accord !

— Très bien. Je vous suis extrêmement reconnaissant pour Zéphyr, aussi terrible que soit ce dénouement, dit Mancéphalius. Hélas, l’assassinat de Nigel Hemingwest a provoqué le courroux de son Clan.

— Ses demi-frères ?

— Oui, confirma Mancéphalius. Ce sont eux dehors. La flotte familiale au grand complet.

— Enfer ! Comment allons-nous nous sortir d’ici ? Même si avec votre aide, l’Alliance peut nous pardonner, eux ne nous laisseront jamais partir en vie.

— Ce Clan maudit pourrait tomber que ce système corrompu s’en porterait mieux. Leur discrète élimination contentera autant l’Alliance que la Technocratie.

— Vous êtes cocasses, vous ! m’emportai-je. La flotte de la fratrie Hemingwest doit compter au moins une dizaine de navires ! »

Toujours muette, Ali était restée auprès du corps de Zéphyr qui n’était désormais qu’une coquille vide aux yeux clos. Elle l’embrassa ensuite sur le front avant de lui adresser un dernier sourire. Il lui fallait quelques instants de recueillement. Perdre la vie était si déchirant. Qu’il était si triste de ne pas en avoir neuf.

Quelques minutes plus tard, une fois de retour au Kitty, nous pûmes voir la flotte du Clan Hemingwest. Comme prévu, une dizaine de vaisseaux avait été rassemblée par les demi-frères du chasseur de primes. Ils attendaient que nous prenions notre envol hors du Royaume des Fées pour nous tomber dessus.

« Aussi bon pilote que je suis, je crois bien que nous tenons là le dernier vol de l’Hirondelle, dis-je en activant le cycle du réacteur. Qu’en penses-tu ? »

Ali était en train d’armer la tourelle de 200 mm. Je l’entendis soupirer à la radio :

« C’est de ma faute.

— Quoi donc ? D’avoir collé une décharge de plomb à travers le visage de leur frère ? »

Je redressai le manche du Kitty pour amorcer notre montée en direction des étoiles.

« Dommage. J’aurais aimé rencontrer ta sœur, poursuivis-je. Même si avec deux Koviràn je ne pense pas avoir été capable de survivre.

— Nous étions très différentes. »

L’ordinateur m’alerta du verrouillage du vaisseau par des instruments non identifiés. Les systèmes de visée de la flotte Hemingwest nous mettaient déjà en joue. Ils étaient venus venger leur frère coûte que coûte.

« Le jour où tu m’as sorti de cet égout, je me suis juré de te suivre jusqu’à la nuit des temps », dis-je enfin en armant les mitrailleuses avant.

J’étendis ma partenaire ricaner à travers le contact radio.

« Tu étais tout petit à l’époque, répondit-Ali. Et déjà, tu griffais tout ce qui passait à ta portée ; y compris mon visage. »

La turbine émit un clapotement. J’attendais le feu vert de mon humaine. Il était temps d’y aller. Confrontés à une telle puissance de feu, nous n’avions aucune chance. Nous pouvions juste espérer de faire suffisamment de dégâts pour en emporter un maximum avec nous.

« Fonce quand tu veux, grincheux matou ! » grésilla la radio.

Mais quelque chose me troublait. Cela provenait du système de communication. Ma partenaire n’était pas la seule sur le canal crypté. Quelqu’un s’y était invité. Ou plutôt quelque chose.

« Ali ? Tu entends ? »

Il y eut un silence et le bruit évolua afin d’être plus perceptible.

« Oui. Tu as mis de la musique ? »

Mon associée avait raison. Il y avait une chanson. Elle devenait de plus en plus audible. Nous pouvions discerner une mélodie. Et puis des claquements.

« Il n’est pas sérieux ! » s’exclama soudainement ma sapiens en éclatant de rire.

Je ris aussi.

« Tu es arrivé à le corrompre avec ta bêtise. C’est un nouveau record pour le Kitty ! »

Les paroles étaient enfin discernables à travers le statique. Celles-ci disaient :

There lived a certain man in Russia long ago

He was big and strong, in his eyes a flaming glow

L’Intercepteur de Braun venait d’apparaître de derrière un astéroïde. Piloté par Pingu, le vaisseau ouvrit le feu sans sommation sur l’aile gauche de la flotte des Hemingwest, abattant deux de leurs chasseurs.

Au milieu des explosions, les voix de Boney M résonnaient toujours sur la radio avec leurs rythmes entêtants :

Most people looked at him with terror and with fear

But to Moscow chicks he was such a lovely dear

Il passa ensuite au travers d’un troisième avant que Mute, vraisemblablement aux commandes de l’artillerie avec McCoy, ne projette des obus sur le plus gros d’entre eux. En moins de dix secondes, le soviet avait semé un chaos sans précédent.

« Parée à tirer ! » cria enfin Ali à travers le microphone.

Le manche plaqué vers moi, le Kitty fonça vers l’ennemi pris de panique. Je m’exclamai alors à travers le refrain de Rasputin :

« Back to business ! »