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KITTY KITTY // FRENCH ORIGINAL
#11 LE COEUR DE MÉTAL (2/2)

#11 LE COEUR DE MÉTAL (2/2)

Les têtes des chevaux explosèrent l’une après l’autre, faisant flotter dans le vide un cocktail brillant de cervelle et de plasma brun gelé. Jeté de selle, le droïde se rétablit. Il nous mit ensuite à couvert en gardant bien fermement les doigts sur la blessure de mon humaine.

Le néant n’avait pas transmis le son. La balle avait silencieusement frappé ma partenaire à la gorge, perforant sa combinaison. Sa visière était tachée de sang qui se cristallisait. Je ne pouvais plus voir son visage.

Outre le sang, c’étaient aussi le liquide chauffant et le précieux oxygène qui s’échappaient de la combinaison.

« Un projectile de 5,56 mm a sectionné le muscle sterno-hyoïdien, surplombant la clavicule, m’apprit MarKus. Et des fragments d’uranium appauvri se sont plantés dans la carotide. »

De nouveaux projectiles vinrent polir la surface de la stalagmite derrière laquelle nous nous étions abrités. La gravité hasardeuse fit voleter la poussière de sodium autour de la couverture à peine assez grande pour mes compagnons.

Tout en pinçant la combinaison d’Ali, MarKus fouilla dans un compartiment de sa cuisse. De sa trousse médicale, il extirpa deux shots encapsulés et un injecteur surcutané.

« Celui-là est pour dissoudre l’uranium, m’expliqua-t-il en appliquant l’injecteur équipé du premier shot vert à la base du cou de mon humaine. Le second est pour la douleur. »

Le produit fit effet en moins d’un battement de cœur.

« Ce n’est pas si mal au final… » balbutia Ali à travers la buée rouge qui se condensait sur sa visière.

Sa main tremblante serrait ma patte arrière droite. J’essayai d’aider MarKus du mieux que je pouvais en maintenant la combinaison spatiale rose fermée. Mais le trou provoqué par la balle était trop large. L’air fuyait et ma partenaire commençait à étouffer.

« Il doit vous croire morte après un tir pareil », dit le robot.

Écartant les billes de sang et les émanations turquoise du liquide thermique, il fouillait frénétiquement dans un autre compartiment de sa jambe. Après quelques secondes qui en semblèrent cent, il trouva enfin ce qu’il cherchait.

« Navré. Il est vraiment navré. »

Le MK plaqua violemment son fer à souder contre la gorge d’Ali qui hurla de douleur à travers son microphone. Les couches de thermoplastique fondu se mélangèrent à la chair brûlée pour sceller définitivement la fuite. Le tourment devait être incommensurable. Pourtant, mon humaine avait tenu bon. Je pus de nouveau voir son visage une fois sa visière nettoyée. La lueur dans ses yeux était plus terne que d’habitude. Elle n’était pas passée très loin de la mort.

Son sauveur imposa le silence quand le tueur s’invita sur notre canal de communication. Il eut raison, car Plague Cassidy était définitivement convaincu d’avoir abattu sa partenaire organique :

« Dis-moi MarKus ? Sa tête s’est-elle décollée du reste de son corps ? Je crois voir un truc flotter près de ton épaule. »

Le canal grésilla, puis Plague parla de nouveau :

« Tu ne vas pas pouvoir demeurer caché derrière ce rocher éternellement. Ce cratère est hautement magnétique. Tu vas finir par perdre un à un les octets de ton disque dur…

— Négatif. Il est très bien où il est, répondit MarKus. Et il n’a pas besoin d’oxygène contrairement à toi.

— Regarde où tu es, chasseur de primes… je vais te dessouder ! le menaça-t-il. Et je viendrai prendre les réserves de ta petite copine de viande. »

Le cyborg avait raison. Nous étions au milieu d’une clairière minérale. La seule couverture possible était celle que nous possédions déjà. Nous n’avions nulle part où fuir.

Le canal grésilla de nouveau. Nous entendîmes Plague réarmer son fusil avant que le droïde ne crypte le signal radio afin d’en évincer l’ignoble visiteur.

« Quel méprisable personnage, dit MarKus. Il se demande ce que le Shérif va pouvoir en faire. »

Ali lui avait saisi le poignet, mais je parlai à sa place :

« Ne me dis pas que tu n’as toujours aucune envie de le descendre ? »

MarKus retira la main de mon humaine avant de lui tapoter amicalement l’avant-bras.

« Il ne tue pas, Lee, soupira Ali. Laisse-le vivre sa vie… »

MarKus dégaina pour la première fois son pistolet. C’était un Desert Eagle calibre .50 comme Ali, mais avec cinq canons. Une telle puissance de feu arracherait l’humérus d’un humain normal ou même d’un cyborg.

« Et avec ça tu ne tues pas ? » m’insurgeai-je.

Le droïde inséra ensuite des balles aux douilles bleutées. C’étaient des munitions spéciales pour les cyborgs : des charges statiques lourdes. Par précaution, il en remplit aussi le calibre d’Ali avant de lui poser celui-ci sur son torse.

Malheureusement, toutes les tentatives de sortie s’étaient soldées par une pluie de plomb à l’uranium. Au bout d’une demi-révolution jupitérienne, nous ignorions toujours où se terrait la cible du contrat ganymédien.

« Il ne me restera bientôt plus suffisamment d’oxygène pour le retour, annonça Ali dont la blessure au cou avait commencé à cicatriser en une belle étoile rose.

— Les options s’amenuisent », avoua MarKus.

Le MK avait subi d’importants dommages sur son blindage lors de sa dernière sortie. Touché aux suspensions de l’épaule, notre partenaire avait le bras droit désormais immobilisé.

Son cœur avait aussi encaissé de dangereux impacts. Quand il l'effleura pour extraire un fragment d’uranium, celui-ci grésilla.

Hélas, le pire était à venir. L’ordinateur au poignet d’Ali émit une alerte inquiétante. Le taux de radiation grimpait en flèche : une tempête solaire approchait de Ganymède. Déjà, des aurores aux couleurs de l’arc-en-ciel zébraient le firmament noir.

« Impossible ! Nous sommes protégés par Jupiter ! hurlai-je.

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— Celle-là est plutôt costaud, compléta Ali en surveillant le moniteur. Tu vas tenir le coup, Markus ? »

L’œil levé vers l’espace multicolore, le droïde était perdu dans ses calculs. Ou bien admirait-il une dernière fois le cosmos. Car sa décision avait été prise :

« Il va le faire sortir. Préparez-vous à tirer. »

Le robot tenta de se mettre debout, mais ma partenaire l’arrêta aussitôt.

« T’es con ou quoi ? Il va surtout te faire sauter la caboche ! »

L’automate retira délicatement la main d’Ali de sa cuisse de métal. Il tapota ensuite du bout des doigts les aiguilles indiquant le niveau d’oxygène de la combinaison.

« Affirmatif, valida MarKus. Plague ne s’approchera que quand il sera sûr à 100 % qu’il sera hors circuit pour voler votre air. Ainsi, vous en profiterez pour l’arrêter.

— Ne fais pas ça ! Nous allons tenter une sortie et…

— Négatif. La probabilité d’être tué tous les deux est trop importante, refusa MarKus. Il ne peut pas prendre le risque que la tempête solaire le désactive. Le second scénario possible implique que vous mourrez tous d’asphyxie. »

Ali cria, mais MarKus bondissait déjà hors de sa couverture.

« Adieu Kitty. Vous lui avez été très agréable. »

Aussitôt, la tête du MK bascula en arrière. Plague avait tiré. Son œil unique désormais brisé et son sternum ne brillaient plus. Le corps sans vie du chasseur de prime au cœur de métal tomba lentement sur le sol. Il disparut dans un nuage noir et blanc.

Le ciel scintilla de mauve avant que les vents solaires ne le transforment en voile de rouille. La contemplation des astres devait cependant attendre. Nous avions un travail à terminer.

« Il y a du mouvement près d’une crête à 0100 », dis-je à Ali qui était toujours recroquevillée contre MarKus.

Les lunettes thermiques avaient repéré Plague qui venait de quitter sa dernière cachette. Il dérapait désormais sur un éboulement de sulfate blanc et disparut dans la poussière. Son arrivée provoqua un glissement de terrain.

Suspectant un coup bas, le cyborg avançait dorénavant avec le fusil braqué sur l’ultime bastion des chasseurs de primes.

« On a le droit qu’à un seul tir, articula difficilement Ali en récupérant son calibre. Ne le ratons pas. »

Dissimulé sous un épais manteau de minéraux, j’épiais la venue du meurtrier. Je reportais à ma sapiens chacun de ses pas, sa posture et sa progression. Il était bientôt à une portée suffisante pour tenter quelque chose.

« Impossible de viser la tête, annonçai-je à Ali. Il est protégé par son fusil.

— Je vais chercher le sternum, juste en dessous du magasin de sa carabine.

— C’est un cyborg, il doit avoir une plaque de kevlar pour préserver son cœur. »

Il été préférable d’assurer un tir mortel. Toutefois, je sentais que mon humaine souhaitait entretenir le vœu de MarKus. Il n’y avait plus qu’à espérer que les balles spéciales léguées par ce dernier, même stoppées par le kevlar, le mettent hors d’état de nuire.

« Cible à 12 m pile et 3,072 rad par rapport à ta position, annonçai-je. Son sternum est à 1,61 m du sol.

- Show time ! » murmura Ali dans son microphone.

Elle se leva en chancelant, s’entourant de poussières d’olivine. Plague tira par réflexe, mais son coup se perdit à l’horizon. La balle du Desert Eagle le frappa en plein torse et il vola à une dizaine de mètres en arrière malgré ses bottes lestées.

Nous courûmes en direction du cyborg. Proche de lui, ma partenaire ouvrit le canal de communication avant de plaquer son pied sur la fuite qu’elle avait créé dans la combinaison spatiale du forcené. Ce dernier, pourtant sonné, tentait en vain de saisir un couteau à sa ceinture.

« Ne m’oblige pas à percer ta combi', dit Ali. Tu n’auras pas assez d’oxygène pour le chemin retour. »

Plague éclata de rire.

« Je n’ai d’organique que la tête, la moelle épinière et mon cul ! Je n’ai presque pas besoin d’oxygène, sac à viande !

— Mais c’est une excellente nouvelle ça, conclut mon humaine d’une voix faible, mais les pupilles illuminées de malice. Tu vas être beaucoup plus simple à transporter. »

Conformément à la volonté de MarKus, le cyborg ne fut pas exécuté. À la place, son tronc et sa tête furent exposés quelques jours plus tard à l’entrée de la ville, flottants comme un ballon de baudruche. Le Shérif Park promit de le maintenir en vie aussi longtemps qu’il lui sera permis.

Le MK-III était mort dans ce cratère. Son générateur nucléaire avait été atteint et était irréparable. Des impacts de balle avaient endommagé les sockets du processeur rendant sa réintégration dans un corps d’androïde impossible pour les ingénieurs de Ganymède.

« Il aurait fallu un miracle pour qu’il refonctionne », nous avait annoncé le Shérif Park, plus touché par la perte du droïde que par celle de ses propres adjoints.

La prime du forcené couvrit une partie des frais de la sépulture de pierres noires de MarKus. Le MK fut érigé au rang de héros local après une existence de justicier sans taches ni bavures. À ce jour il devait être l’un des rares auxiliaires à être honoré. Et le seul et unique robot à posséder une statue.

Mais cette sombre tombe creusée dans la poussière grise de Ganymède ne convenait pas à Ali.

« Tu vas nous faire prendre ! maugréai-je en positionnant le Kitty sur la trajectoire d’une sonde Voyager de 96e génération.

— C’est juste un petit ajout de rien du tout, grogna Ali enfin guérie. Ces nerds de l’Agence Spatiale ne vont pas en faire un plat… »

La sonde était en vue. En quelques secondes, je parvins à la rattraper. La turbine de l’Hirondelle était à son maximum.

L’opération était délicate. Les dernières générations de sondes du projet Voyager étaient drapées de voiles solaires de plusieurs kilomètres. Extrêmement fragiles, celles-ci pouvaient se déchirer sur les équipements électroniques et l’artillerie du vaisseau. Et cette australopithèque voulait sauter dedans !

Les crochets magnétiques du Kitty se fixèrent sur l’un des stabilisateurs. La lumière du sas tourna au vert et mon humaine plongea dans le vide.

« Tu t’en sors ? m’enquis-je à travers la radio. Le voile solaire se cambre et je crains le pire ! Le temps presse et ce que tu essaies de faire est impossible ! »

L’opération fut cependant un succès et nous pûmes quitter la sonde avant sa prise de vitesse pour de lointaines exoplanètes.

« Nous allons pouvoir rattraper l’autoroute pour Saturne dans quelques jours, fis-je à Ali une fois celle-ci de retour dans le cockpit. Sinon, tu te sens mieux ? »

Assisse dans le siège de copilote, elle surveillait le point lumineux qui disparut parmi les astres.

« Ce bon vieux MarKus voulait voir les étoiles. Il va être servi. »

L’objectif de l’abordage de la sonde scientifique avait été d’y insérer le processeur du MK, son cœur de métal, qu’Ali avait refusé de laisser dans la sépulture.

« Comment va ta plaie ? demandai-je en jetant un coup d’œil aux sutures de ma partenaire.

— Un miracle d’être en vie après une expérience pareille… maugréa-t-elle

— Un miracle en effet. »

La nouvelle cicatrice s’additionnait à celle reçue sur l’astéroïde de Yaan-ze. Au début, leur fusion ressemblait à une étoile à cinq branches. Aujourd’hui, elle s’apparentait maintenant à un cœur.

Une pensée me traversa alors l’esprit :

« Dis-moi, quand tu as raccordé le processeur sur l’une des entrées de la sonde… est-ce que les diodes mauves se sont allumées ?

— Oui, faiblement. La sortie était alimentée, répondit Ali. Pourquoi ? »

Je souris. Sans aucun doute que ce bon vieux MarKus allait en voir des galaxies.

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