Novels2Search
KITTY KITTY // FRENCH ORIGINAL
#01 RETRO COSMOS (2/2)

#01 RETRO COSMOS (2/2)

La balle avait traversé la table et l’assiette tellement vite que c’était à peine si le dernier morceau de pizza qui y reposait avait tremblé. Elle avait pénétré à travers sa pomme d’Adam puis continué jusqu’à l’exacte jonction de la colonne et de la base du crâne.

Il n’y eut pas de cri ni de saut en arrière comme ce qu’on pouvait voir dans les mauvais films en VHS. Juste quelques spasmes et un hoquet étouffé. Son corps possédait encore un soupçon de vie quand il s’effondra sur le sol, suivant la douce loi de la gravité, même artificielle. Les quelques molaires ayant pris la tangente et la balle qui par miracle, n’était pas ressortie, avaient transformé son cerveau anémique en gelée. En moins d’une seconde.

Déception ; il n’y eut pas non plus de grande gerbe de sang repeignant les murs décrépis du restaurant.

George Orwell avait écrit : Vous ne possédez rien, en dehors des quelques centimètres cubes de votre crâne. C'était vrai. Du moins jusqu’à que ce que ce cornichon refroidi ne vide entièrement le contenu de sa boîte crânienne sur le carrelage turquoise en rendant son ultime souffle.

« C’est malin ! » m’exclamai-je en me laissant tomber sur le sol.

J’atterris à quelques centimètres d’un morceau de langue et de la mare de liquide pourpre à l’odeur ferreuse.

Les regards des derniers clients qui n’en avaient pas profité pour déguerpir par les cuisines ou le motel s’étaient retournés vers notre table. Encore une fois, ma sapiens offrait un spectacle navrant de notre profession.

« Il était à deux doigts de nous voler la dernière part, se défendit Ali en ramassant la douille expulsée de son Desert Eagle calibre .50 aux reflets irisés. Donc, je plaide la légitime défense.

— Mais nous nous moquons de la légitime défense ! » lui répondis-je.

Notre sixième prise de bec de la journée fut interrompue par le cuisinier. Cet homme gras au cou de taureau devait vraisemblablement dormir dans l’arrière-cuisine à en croire les marques de plis sur son visage bouffi. Il avait finalement rassemblé son maigre courage pour intervenir une fois la menace écartée.

« Excusez-moi, Madame… » commença-t-il en replaçant le cran de sûreté de sa carabine.

Ma partenaire souleva son veston pour ranger son arme à feu dans le holster sous l’aisselle gauche, lui dévoilant son badge : une petite plaque en palladium de la taille d’une pièce de monnaie.

« Madame la chasseuse de primes…

— Nous préférons le terme d’Auxiliaire de Justice », répondis-je avant mon humaine en bondissant sur la table, là où les billets reposaient encore dans la sauce tomate séchée.

Ali me fit taire d’une tape sur la tête. C’était la seule personne autorisée à le faire. Et par « autorisée », j’entends bien que je le cautionnais avec répercussions diplomatiques mineures.

Le cuisinier put reprendre en se grattant la gorge :

« Certes… enfin… pourriez-vous, s’il vous plaît, vous hâter de récupérer son identifiant. Nous aimerions disposer du corps… cela ne nous fait pas une superbe publicité.

— Oui… oui… tout de suite, répondit Ali poliment, ses tennis blanches baignant dans le sang qui commençait à coaguler. Nous devons juste récupérer son identifiant.»

L’identifiant, ou le FID pour « Finger IDentification », dans la langue de Sir Christopher Lee, était un petit anneau visible qui remplaçait la première phalange de l’auriculaire gauche. Un implant de plastique et de métal, ancré en vous et contenant vos informations administratives, bancaires et médicales.

Non totalement infaillible, c’était cependant ce que les chasseurs de primes récupèraient pour prouver la réalisation d’un contrat. Toujours plus agréable que de se promener avec une tête dans un bac à glaçons à travers le cosmos. Du point de vue des sapiens en tout cas.

Ma partenaire sectionna sommairement le doigt de notre cible, un agitateur et meurtrier recherché pour C10'000 sur Phœbé, du nom de Joey Neill.

C’était donc là-bas que nous devions aller quérir notre récompense. La finalisation du contrat devait en effet se faire en main propre : pas d’envoi postal ni d’holoconférence. Nous avons su garder l’esprit Far West par-delà la ceinture. Que n’en déplaise à mon humaine.

« Je t’entends déjà fulminer à l’idée de faire un tel voyage, lui fis-je remarquer alors qu’elle plaçait le FID dans une boîte métallique spécifique. Regrettes-tu d’être intervenue ?

— C’est tellement loin ! Pourquoi le système extérieur ne fonctionne-t-il pas simplement comme les planètes médianes ou intérieures ? Je déteste les road trips !

— Tu parles d’une chasseuse de primes ! Je pense qu’il est de toute façon temps de retourner là-bas, dis-je en grimpant sur son épaule alors que nous quittions la salle. Au fait, as-tu remis un gracieux pourboire pour la mare d’hémoglobine que nous avons laissé ? Et le trou dans la table ?

— Je ne savais pas qu’il fallait tip avant la ceinture. C’est tellement dépassé comme système. »

This story has been taken without authorization. Report any sightings.

D’un coup de pied, elle fit sauter de ses gonds la porte que la gomme corrosive maintenait fermée. La violence du coup renversa le cendrier adjacent et son contenu sur le trottoir d’asphalte.

« Tu plaisantes ? la maudis-je. Encore un établissement où je ne pourrai plus revenir ! »

Par miracle, les battants retournèrent se claquer contre le montant tordu, mais la vitre en plexiglas se scinda en deux.

« Cela tombe plutôt bien. Je commence à en avoir marre des pizzas.

— Mais que dit cette humaine ? » miaulai-je sur le coup.

Je posai l’une de mes pattes sur sa tempe. Mon coussinet ne détecta pas de fièvre. Elle était des plus sérieuse.

« Tu changeras d’avis dans moins de vingt-quatre heures, comme d’habitude », préméditai-je à raison.

Dehors, comme le témoignaient les LED vertes au sol, le parking des arrêts courts était presque vide. Mais il n’allait pas tarder à se remplir.

Déjà, de l’autre côté du globe d’atmosphère artificielle, se dessinait une dizaine de points lumineux mauves et bleus. Ces derniers clignotaient dans la nuit infinie. C’était certainement un convoi de supercargos en route, comme nous, pour Cérès. Ils allaient s’arrêter ici pour quelques heures ou jours de repos.

Les voyages à travers l’espace n'étaient pas longs en soit mais consommaient beaucoup d’énergie que ce soit pour les hommes ou les vaisseaux. Le manque de soleil et le confinement pouvaient venir à bout du plus robuste des esprits.

Ali et moi-même avions trouvé notre parade : les fast food et les Betamax. Et nous n’étions pas les seuls. Les chaînes comme PizzaDroïde ou Blockbuster constellaient les autoroutes invisibles et attiraient la faune locale ou en transit ; tout comme les criminels. Les grandes distances avaient engendré un nouvel essor de l’âge de la contrebande et de la piraterie.

« Le plein de liquide de refroidissement est-il fait ? » demanda Ali au jeune garçon aux cheveux roux qui dormait à côté du hangar principal.

Somnolant contre l’une des immenses pompes thermiques, il ouvrit finalement les yeux et enleva le casque de son walkman.

« Hein ? Oui ! Pleine charge de Bleu, balbutia-t-il en nous voyant nous approcher. Sacrée pièce de musée que vous avez là ! »

Sous ses boutons d’acné, sa peau tournait au rouge vif. Encore un que ma sapiens faisait chavirer.

C’était la même chose partout où elle allait. Sa combinaison noire ne laissait ses courbes à aucune marge d’imagination. La gravité artificielle faisait délicatement flotter ses cheveux d’or ainsi que sa veste aussi légère que la soie, lui donnant un air féerique ou du moins, une présence surnaturelle. Et son sourire en faisait tourner plus d’un.

Du rouge cramoisi, ces prétendants passaient cependant généralement au blanc des plus blêmes quand elle soulevait son haut pour dévoiler son badge et le holster de son bien trop volumineux calibre afin d’attraper son portefeuille.

« Vous… vous êtes un auxiliaire de justice ? bégaya-t-il en ordonnant à un robot d’ouvrir la porte du hangar.

— Tout juste, répondit mon humaine qui comme moi, nota ici la bonne utilisation du terme.

— Incroyable ! Vous devez traquer les pires criminels pour être en mesure de vous payer une carcasse pareille ! »

Il actionna les projecteurs et l’intérieur du hangar fut inondé d’une lumière bleue blafarde. Au centre se tenait le Kitty, merveille à la confluence du design et de la technologie. Un chasseur militaire Swallow-II « Hirondelle » des anciennes Nations Unies, reconverti en frégate solitaire. Douze tonnes d’alliages et de céramiques à la peinture corail écaillée, héritage d’un triomphant passé. Une carlingue terrienne à la forme de l'oiseau éponyme entourant un véritable moteur post-nucléaire Baltimore-IV dernière génération d’il y a seize générations.

Niveau armement, pas de rayons laser certes, ni de jouets électroniques, mais de bonnes mitrailleuses de 40 mm à l’avant et une tourelle de 200 sous le ventre. Rouillées, mais efficaces. La classe rétro comme l’humain n’en faisait plus.

Enfin, je vous passe les détails sur l’ordinateur de contrôle et la puissance de son processeur 16bits de 50 MHz. Impressionné ? Arrêtez ! Vous me faites rougir.

« Et ça se laisse magner ? plaisanta le jeune garçon qui, comme vous pouvez désormais vous en rendre compte, abusait de sarcasmes malvenus face à cette splendeur des temps jadis.

— Ce bougre de boutonneux à face d’astéroïde se moquait donc du vaisseau ! marmonnai-je entre mes babines.

— Je ne sais pas. Je ne pilote pas, répondit Ali.

— C’est moi le pilote ! Espèce de… » fulminai-je avant que cette dernière ne me stoppe en me prenant dans ses bras.

Ce vaurien fut sauvé, car je m’apprêtais à en faire de la pâtée en boîte. Tant pis pour lui. Il ne saura jamais comment un chat pouvait piloter un chasseur lourd. Ce pompiste restera ignorant jusqu’à la fin de sa pathétique existence raccourcie par les radiations de réacteurs nucléaires.

Mais le grattage de menton censé m'apaiser fut promptement interrompu par un message qui s’afficha sur le terminal de ma partenaire. Ce dernier venait de se synchroniser avec l’ordinateur du vaisseau.

« Nouveau contrat ? demandai-je. Enfin ! »

Ma sapiens ouvrit le corps de l’annonce d’un geste de la main et fronça des sourcils.

« C’est une capture dans la ceinture. C’est sur notre chemin, mais… pas d’homicide autorisé. Capture uniquement. »

Je laissai échapper un gémissement de déception.

« Cap sur Cérès et la ceinture dès demain, conclus-je. Nous verrons en chemin pour d’autres contrats et s’il est possible de récolter de meilleures informations sur ce misérable pirate d’Oswald Avery. »

Ali avait déjà jeté l’annonce dans la corbeille virtuelle et nous montâmes à bord du Kitty. La clé cryptée dans le contact, je fis mugir les pompes à refroidissement. Le réacteur enclencha son cycle puis le tableau de bord s’alluma en même temps que la radio.

L’accent martien de Desireless fit vibrer les enceintes acoustiques au son de Voyage Voyage. Les coussinets sur les commandes, nous décollâmes vers le ciel étoilé.

Back to business !