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KITTY KITTY // FRENCH ORIGINAL
#10 L'ARCHE DE NOÉ (2/2)

#10 L'ARCHE DE NOÉ (2/2)

Néanmoins, la traque de Belle Sassie s’avéra plus complexe que prévue. Plongées dans le noir après le sabotage de l’alternateur, les coursives étroites de l’Intercepteur étaient son élément. Son corps fin et ses écailles lui permettaient de se faufiler dans les moindres recoins. Nous craignions tous de tomber dans une embuscade.

Nous nous séparâmes des autres à mi-chemin de la soute avant de descendre l’échelle menant à la chambre technique. Cette dernière était faiblement éclairée par des plafonniers de secours qui n’étaient pas d’une grande aide.

« Rien ne bouge dans les placards ? » me demanda Ali.

À en croire les piles de minicassettes, nous devions aussi être dans les appartements éphémères de Mute. Outre les bandes magnétiques de chansons, elle possédait la plus colossale collection de films de kung-fu du système.

« Rien de rien, répondis-je en inspectant le reste des VHS de la cigale. Procédons jusqu’au réacteur Baltimore.

— Rien pour nous non plus, annonça la voix de Braun à travers le talkie-walkie, mais il manque des couteaux dans la cuisine alors prudence.

— Rassurant, Camarade ! » maugréa Ali en laissant le canal ouvert.

L’étroite coursive qui menait au réacteur convenait peut-être à Mute, mais certainement pas à mon humaine. C’est en rampant qu’elle dut parcourir les douze mètres qui nous séparaient du sas anti-radiations.

« Sans ces diodes rouges, on serait bien embêtés, soupira Ali qui transpirait de plus en plus à cause de l’air chauffé par le réacteur. Ce ne serait pas le moment pour un petit guet-apens dans les règles de l’art.

— En parlant de ça… » miaulai-je timidement.

Je les avais remarqués quand nous étions à mi-chemin dans la coursive, mais pensais que c’était simplement le reflet des plafonniers de secours. Pourtant, c’était bien deux yeux blancs qui nous surveillaient depuis l’entrée ; là où nous nous trouvions deux minutes plus tôt.

« Tu te fous de moi ! » hurla ma partenaire en dégainant du mieux qu’elle put son énorme Desert Eagle.

Nous entendîmes un chuintement de reptile et des bruits de pas précipités dans la presque obscurité. Prise de panique, mon associée tira à plusieurs reprises. Les balles sifflèrent par-dessus mes oreilles. Chaque flash lumineux qui émana du canon dessinait l’ombre de la femme-salamandre contre les parois. À chaque tir, Belle Sassie se rapprochait davantage.

Son genou me frappa le nez. Je fus ensuite happé en avant par le pied d’Ali qui se faisait traîner jusqu’à la chambre du réacteur. Impossible de faire feu de peur que les balles ricochent sur nous ou pire, touchent des instruments de contrôle du Baltimore.

Lorsque j’atterris dans le sas entourant ce dernier, le courant avait été rétabli par Mel et Braun. Hélas ! Un revêtement magnétique bloquait tout contact radio avec eux. J’étais à la merci de Sassie Salamanca, les yeux remplis de rage, un couteau de chef sous la gorge de ce que je possédais de plus précieux : ma main nourricière.

« Sassie ? Belle ? Miss Salamanca ? Comment devons-nous t’appeler ? demandai-je en essayant de désamorcer la situation.

— La ferme ! Laisse-moi réfléchir ! » trancha d’une étrange voix rauque mon interlocutrice.

Ses brûlures avaient déjà entièrement guéri grâce à l’ADN de salamandre. Un sang sombre gouttait d’une blessure plus fraîche sur sa hanche. Une balle avait ripé contre sa chair humaine.

« La ferme Lee ! Laisse-la réfléchir ! » couina Ali en mauvaise posture.

La lumière blanche vira soudainement au bleu alors que le réacteur enclenchait un nouveau cycle. Le brusque cliquetis métallique fit sursauter Sassie Salamanca qui planta sa lame sous le menton de son otage. Ma sapiens réagit aussitôt en lui assénant un violent coup de coude dans ses yeux globuleux puis sur sa plaie au ventre.

Victoire ! Ali tenait désormais Sassie en joue pendant que j’écartais la lame qu’elle avait lâchée.

« Rien de grave ? demandai-je en la voyant se tâter l’arrête de la mâchoire.

— On mettra de l’après-rasage, répondit-elle alors que Sassie se recroquevilla en position fœtale sur le sol.

— Non ! Non ! Non ! Non ! Non ! Non ! » hurla-t-elle à s’en déchirer la gorge.

Le timbre de sa voix passa du rauque à l’aigu. Comme si elle muait. Elle possédait désormais la phonation d’une jeune femme :

« Par pitié, ne me faites pas de mal ! »

Mon humaine maintenait toujours une bonne distance de sécurité. De sa main valide, elle me désigna la trappe qui se situait au-dessus de nous. C’était un accès direct à la soute. Pendant que je sautai d’échelon en échelon pour activer l’ouverture mécanique, ma sapiens poursuivit la conversation avec l’étrange Freak :

« C’est un peu tard pour ça, non ? Fallait y penser avant de me coller un couteau sous la pomme d’Adam.

— Ali, pour la millième fois, seuls les mâles humains ont une pomme d’Adam ! » la corrigeai-je.

La femme salamandre se saisit la tête. Elle fut secouée de sanglots. Des larmes coulaient de ses grands yeux noirs et commençaient à goutter le long de ses écailles.

« Ce n’est pas moi, dit-elle. Ce n’est pas moi ! C’est Nash ! »

Ali et moi nous échangeâmes un regard.

« Nash ? insistai-je en actionnant l’ouverture de la trappe.

— C’est Nash qui fait du mal ! Il fait du mal à tout le monde ! À moi aussi il me fait du mal ! » pleura Belle toute recroquevillée, avant d’être secouée d’un nouveau spasme, plus violent :

« Ferme-la, pauvre sotte ! Tu es pathétique ! »

C’était de nouveau la voix rauque. Elle avait remplacé celle de Belle. Ses larmes avaient séché, aspirées par sa peau.

« Je vois, fit Ali qui était bien la seule à comprendre la situation. Nous avons donc encore une fois Nash face à nous.

— En personne ! cria Nash en se redressant. Et qui es-tu sale esclave de Lunapolis ? Une catin de chasseuse de primes envoyée par les Célestes et la Technocratie pour réprimer le vent de liberté qui souffle sur les colonies ? »

Une fois la trappe complètement ouverte, la tête de Braun apparut de l’autre côté. Son regard oscilla entre mon humaine et la Freak.

« Et voilà le Capitaine Braun Kamirov ! postillonna Nash. Le petit chien-chien de l’Amirauté. Tes ancêtres soviets seraient rouges de honte ! Sale commie de mes deux !

— Oui. Elle était bien plus charmante tout à l’heure. » commentai-je en faisant passer à ma partenaire la nouvelle paire de menottes tendue par Braun.

« Qu’est-ce que ça donne ? » Demanda le MP après nous avoir rejoints au module médical, une bonne heure après la capture de Sassie/Nash.

De nouveau sur pieds, Mute se perdit entre ses différentes cassettes et Ali dut prendre le relais :

« Tu veux la version courte ou le remake remastérisé ? »

Nous avions tous deux les yeux rivés sur les résultats qui s’affichaient sur le moniteur du module.

« Va pour la courte. Il va falloir que je retourne au cockpit, car l’ordinateur de contrôle a un problème de vitesse de calcul.

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— Nous avons dû l’attacher et la sédater pour qu’elle se tienne tranquille, poursuivis-je. Nous sommes face à un cas de dédoublement de la personnalité plutôt… Comment dire ? Criant.

— Le module militaire peut diagnostiquer ce genre de troubles mentaux ? demanda Braun.

— Pas la moindre chance, répondit ma partenaire. Il a pu cependant faire ressortir sur l’IRM le bel implant fixé à son lobe temporal droit. »

Attentif au compte-rendu, Mute tapota du bout de l’un de ses appendices en métal la marque noire laissée par le corps étranger non organique.

« Implant qui a dû nécessiter pas mal de puissance pour percer son petit secret, intervins-je avant que Braun ne fasse le rapprochement avec les problèmes rencontrés par l’ordinateur de l’Arche.

— Qui est ? insista le Marine.

— Un formidable et unique programme de prise de contrôle mental, répondis-je. Jusqu’ici de la pure science-fiction, soulignons-le. Il a été configuré à l’avance dans un but précis : détruire le commerce de gaz autour de Jupiter.

— Ça devrait te dire quelque chose, non ? ironisa Ali. Il est estampillé « Marine » sur tout l’algorithme de sécurité ! Avec une petite reconfiguration anonyme au-dessus. »

Les lignes de codes, autrefois protégées par un encryptage militaire, défilaient dans une fenêtre surplombant l’analyse électronique du data-core nanométrique. Je venais de lancer la sauvegarde sur disquette.

Braun tapa violemment du poing contre le montant du lit. Il se perdit alors en jurons et sprinta vers le cockpit sans même un remerciement.

« Ah, ce Raspoutine, souffla Ali. Toujours complètement à la ramasse. »

La femme-salamandre s’était réveillée malgré le puissant sédatif. Son ADN animal était véritablement à l’épreuve de tout. Ou bien était-ce la férocité de ce programme qui se dénommait Nash ?

« Vous êtes tous manipulés… toussa ce dernier de sa voix rauque. Les Célestes. La Technocratie. La Marine. Les mégacorporations. Un bien beau manège de menteurs et d’intrigants… »

Ses versets libertaires furent interrompus par la voix du Shérif Bunny qui grésilla à travers le talkie :

« Ali ? Mute ? On a un gros problème. Selon Pingu, le Buzz Aldrin fonce tout feu tout flamme sur Crossroads02, le plus important hub de raffinement de la région. L’ordinateur de contrôle du tanker est protégé par une clé cryptée. Belle a quelque chose à dire à ce sujet ?

— Belle ? cria Nash. Belle n’a rien à avoir là-dedans. Elle ne partage qu’un bout de moi. C’est moi qui suis à l’origine du dernier vol du Buzz Aldrin…

— Assez ! » s’interposa Sassie Salamanca de sa voix aiguë.

Rejetant le contrôle, son corps fut secoué d’autres spasmes. Mute voulut administrer une nouvelle dose de calmants, mais Ali l’en empêcha.

« Belle ? Es-tu avec nous ? » demanda mon humaine.

Elle passa sa main sur la joue de notre pauvre prisonnière qui se tordait de douleur. Outre la plaie au ventre qui s’était rouverte, elle souffrait d’une véritable torture psychique.

« Je peux pirater l’implant, mais l’ordinateur de contrôle risque de sauter, dis-je.

— Faites-le ! hurla Mel.

— Je coupe tous les systèmes auxiliaires, annonça Pingu. Agrippez-vous ! »

Il y eut une secousse et les lumières s’éteignirent. Le ronronnement continu du dispositif de filtration et les plafonniers s’étaient arrêtés. Seuls fonctionnaient encore le module médical et les micro-ordinateurs.

Les pattes arrière ancrées sur la banquette, je pianotai à tout allure afin de percer les barrières du data-core de l’implant pirate. Hélas, avec le combat en cours entre Sassie et Nash, aucun signal nerveux n’était stable. Mute le remarqua mais j’intervins avant qu’elle ne lui administre un shot de morphine :

« La drogue va tout corrompre. Tu ne dois surtout plus lui en donner !

— Que faut-il faire alors ? demanda ma partenaire qui luttait contre l’apesanteur.

— Dissocier, expliquai-je. Nous sommes face à un implant modifiant l’activité cérébrale et les champs électromagnétiques régissant les neurones non pas humain, mais semi-humain !

— English please ! insista Ali.

— Je n’en pas la moindre idée de ce que je fais, avouai-je. Je sais seulement que Sassie doit rester lucide sinon je suis incapable de m’immiscer dans Nash.

— Comment ? » croassa le radio-cassette de la cigale géante.

Ali prit dès lors l’initiative de parler à Belle Sassie afin de maintenir un embryon de conscience.

« Concentre-toi sur ma voix, Belle. Pas celle de Nash, poursuivit Ali d’une voix très douce. Juste la mienne.

— Non ! Non ! Non ! Non ! hurla la jeune femme, jonglant entre la voix de Nash et la sienne.

— Excellent ! Continue ! » criai-je afin de couvrir les vociférations et les sifflements de la femme-salamandre.

Mon humaine était plaquée contre cette dernière, torse contre torse. Elle lui murmurait à l’oreille en lui tenant la main. C’était une scène démente. Pendant ce temps, le data-core résistait, mais pas pour longtemps.

« Ma voix, Belle. Ma voix. » poursuivit Ali toujours aussi calmement.

Je quittai rapidement le module médical pour courir jusqu’au Kitty. Dans un tiroir sous l’ordinateur de contrôle, je possédai une collection de logiciels sur micro-CD acheté au marché noir de Cérès. L’un d’eux pourrait m’aider à faire crasher le pare-feu militaire le plus puissant qui bloquait mes derniers efforts.

À mon retour, Nash jura. C’était son ultime affront, car aussitôt mon virus enraciné dans le petit processeur de l’implant, toutes les barrières furent ouvertes. Le data-core était nôtre. Nash était temporairement mis hors course.

« 1776-1789-1791-1798-1804-1808-1821-1848-1854-1850 ! » énuméra ensuite Belle en serrant ses mâchoires.

C’était un code.

« Tu l’as eu, Mel ? » demandai-je à travers le talkie.

Le lapin grognon confirma la bonne prise en compte de ce qui fut vraisemblablement la clé cryptée. Ali et moi avions réussi à l’obtenir auprès de la conscience torturée de Belle. Le Buzz Aldrin pouvait désormais dévier de sa course meurtrière.

La Freak pleurait toutes les larmes de son corps. Elle s’était tellement débattue que ses avant-bras et ses chevilles étaient en sang. Mais déjà, ses plaies aux poignets cicatrisaient autour du métal qui la retenait.

« Aide-moi maintenant ! Retire-le, je t’en supplie ! »

Mute jonglait de ses cassettes pour faire entendre raison à mon humaine qui programmait le module pour une intervention chirurgicale. Hélas, Nash avait finalement repris le contrôle. Il riait. Après un crachat visant le visage d’Ali, il recommença ses incessantes menaces :

« Bien joué. Un bon petit trio. Mais c’est trop tard. Je vais la tuer lentement. Ta machine et ta pote la sauterelle ne pourront rien. »

Ma sapiens avait dégainé son calibre. Elle le posa sur le front de Belle.

« Tu n’oseras pas », caqueta Nash.

Mais mon humaine l’ignora :

« Belle ? Il va falloir que tu sois forte. »

Mute, seringues de morphine en bouche, donna le feu vert pour ce coup de poker insensé.

« La liberté ou la mort ! » hurla Nash.

Comme si un stupide programme pouvait réellement connaître l’un ou l’autre.

Deux heures jupitériennes plus tard, le calme était revenu à bord de l’Arche. Pingu et Mel paramétraient l’Intercepteur pour le vol retour. Braun, quant à lui, était venu nous transmettre la réponse du QG de la Marine concernant l’implant :

« Subtilisé dans un stock des laboratoires de Deimos il y a deux ans. Reconfiguré par les séparatistes pour des attaques de ce genre contre la Marine et la Technocratie. »

Je fis la moue.

« Un peu facile comme excuse… rétorqua Ali qui avait lu dans mes pensées.

— Peut-être, dit Braun. Mais notre boulot était de remettre les choses en ordre. Le reste… »

Ma partenaire ne l’entendit cependant pas de cette oreille. L’implication de Belle allait jeter les Freaks en pâture au pouvoir central de Mars.

« Arrêtez de vous focaliser sur le grand tableau, nous réprimanda Braun. La Technocratie… la hiérarchie intrastellaire… les guerres et les révolutions seront toujours là, peu importe que vous et moi brassions de l’air tout autour. Mais une chose a changé aujourd’hui !

— La vie de cette jeune femme », compléta le shérif qui nous avait rejoints.

Une cigarette continuellement au coin du museau, il jeta un regard à Sassie Salamanca qui guérissait lentement d’un type de blessure bien plus profonde que les chaînes ou les balles.

« Notre chère Mute a récupéré son FID, reprit-il. Les Freaks s’occuperont d’elle.

— Pour ma part, conclut le MP, Sassie « Belle » Salamanca est morte sur le Buzz Aldrin. »

Ali ne dit mot. Elle s’était détournée de la conversation pour se rendre au chevet de Sassie. Quand ma partenaire la toucha, cette dernière lui saisit la main. J'entendis lui murmurer un remerciement.

Le Shérif Bunny me proposa une cigarette avant de nous raccompagner avec le Marine vers notre vaisseau. Nous ne rentrions pas sur Amalthea. Je souhaitai profiter de l’attraction gravitationnelle de l’astre afin de poursuivre notre route jusqu’aux mondes extérieurs et les colonies.

Braun promit de nous verser la prime, mais Ali refusa. L’intégralité de la somme devait être donnée à Sassie, ou peu importe la nouvelle identité que Mute incorporera dans le FID tout neuf.

« Capitaine, ta copine est compétente, dit Mel quand Ali eut le dos tourné. Compétente, mais complètement folle.

— Compétente me convient parfaitement », conclut le soviet en refermant pour nous le sas du Kitty.

Back to business !