Il hésite un instant, un frisson parcourant son échine alors qu’il contemple le message qui s’imprime dans son esprit : « Je te tiens ». Ces mots résonnent comme une menace, un avertissement qu’il n’arrive pas à ignorer. Il déglutit, sentant une pression lourde sur sa poitrine. L’idée que quelqu’un ou quelque chose pourrait l'observer, l’attendre, le suivre, le hante. Quelque part dans son esprit, une question brûlante prend forme : qui est derrière ces mots ? Qui, ou quoi, « le tient » ?
Avec une précaution presque machinale, il reprend le papier et le sceau, ses mains tremblantes malgré lui. Il les place doucement dans la boîte, fermant le compartiment avec une violence contenue, comme si en les enfermant à nouveau, il pouvait échapper à ce sentiment oppressant. Mais il sait que ce n’est pas le cas. Le message, bien que désormais caché, continue de le hanter. C’est comme si la boîte elle-même avait pris une forme de pouvoir sur lui, un pouvoir qu’il n’arrive pas à comprendre mais qui, indéniablement, le lie à elle.
Il ferme les yeux un instant, essayant de repousser l’anxiété qui monte en lui. Mais même en fermant les yeux, le texte est là, imprimé dans sa mémoire. « Je te tiens ». La boîte, maintenant fermée, semble encore plus lourde, comme si elle contenait non seulement des objets, mais aussi la promesse de révélations terrifiantes. L’ombre d’un danger inconnu plane au-dessus de lui, et malgré ses efforts pour éviter de s’y attarder, il sait qu’il ne pourra pas l’ignorer longtemps.
Avec un dernier regard inquiet, il range la boîte à son endroit habituel, la cachant de sa vue pour un moment. Mais la peur, elle, ne disparaît pas.
Mero se lève lentement, veillant à ne pas réveiller Maitre Antonin ni Leila. La lumière du matin, encore douce et tamisée, commence à envahir la pièce, réchauffant peu à peu l’atmosphère. Il s’efforce de repousser l’agitation dans son esprit, de retrouver un semblant de calme. Il sait qu’il est temps de les réveiller et de poursuivre leur voyage. Ce n’est pas une précipitation qu’il cherche, mais une nouvelle détermination.
Il s’approche avec précaution, observant d’abord Leila. Elle dort paisiblement, une expression sereine sur son visage. Maitre Antonin, de son côté, semble avoir trouvé un sommeil léger, comme à son habitude. La boîte, cependant, reste là, silencieuse, un fardeau qu’il porte seul pour l'instant. Le message du parchemin, « Je te tiens », n’a cessé de le hanter, et la boîte semble maintenant faire partie de lui, comme une présence tangible qu’il n’arrive pas à repousser.
Il se penche doucement pour les réveiller, mais il n’a pas encore de réponses. Il sait que la quête de ce mystère doit attendre. Peut-être que plus tard, dans un moment plus sûr, il pourra percer à jour ce secret. Mais pour l’instant, il se concentre sur l’île, sur le port, sur les réparations du bateau. Ce secret, aussi lourd soit-il, attendra encore un peu, comme il a attendu pendant si longtemps.
Cependant, alors qu’ils se préparent à quitter l’auberge, un bruit sourd résonne sur le toit. Au départ, il n’est que le son de quelques gouttes éparses, mais très vite, il se transforme en une pluie torrentielle, battant les tuiles avec une force hypnotique. Par la fenêtre, Mero observe les rues se transformer en ruisseaux, emportant branches, feuilles et morceaux de papier abandonnés.
Il n’y a ni vent ni éclairs. La pluie tombe simplement, drue et incessante, comme si le ciel avait décidé de libérer toute son eau en une fois. L’atmosphère est étrange, tendue, comme un calme avant quelque chose d’inévitable.
« On dirait que nous ne partirons pas tout de suite », murmure Maitre Antonin, observant le ciel depuis la fenêtre. Son ton est pensif, mais sans inquiétude. « Cette île a ses caprices, et le climat en fait partie. »
Leila, pragmatique, dépose un linge sur le rebord de la fenêtre pour empêcher l’eau d’infiltrer davantage. Elle jette un regard vers Mero. « Reste à l’intérieur. La pluie peut sembler anodine, mais ici, elle cache parfois des surprises. »
Les marins, eux, se sont regroupés à l’entrée de l’auberge, surveillant les alentours avec vigilance. Leur tension est palpable, comme s’ils attendaient un signe, un changement imminent. Peut-être n’est-ce que de la prudence, ou peut-être en savent-ils plus que ce qu’ils laissent entendre.
Mero s’assoit près de la fenêtre, observant les flaques se former dans les ruelles en contrebas. L’île, déjà mystérieuse, devient encore plus énigmatique sous cette pluie. Une question le taraude : cet orage est-il un simple caprice de la nature, ou un signe, un présage d’épreuves à venir ?
Malgré l’inconfort d’être bloqués, Maitre Antonin décide de ne pas perdre de temps. « Nous avons un peu de temps avant que la pluie cesse. Ce sera une journée d’étude. » Ils s’installent dans un coin de l’auberge, à l’écart des marins qui passent leur temps à jouer aux cartes et à chanter des chansons légères.
Maitre Antonin déroule une carte maritime sur la table et commence à y placer de petits jetons en bois, représentant des navires. « Puisque nous sommes sur une île de pirates, parlons de la guerre navale, » dit-il en croisant les bras.
« Quelles stratégies seraient les plus efficaces en combat naval, Mero ? »
Mero réfléchit un instant avant de répondre. « Tout dépend du type de navire et de son armement. Un navire rapide et léger cherchera à harceler un plus lourd en restant hors de portée de ses canons. Un vaisseau bien armé, lui, préférera un abordage ou un duel d’artillerie. »
Maitre Antonin hoche la tête. « C’est une bonne analyse. Mais n’oublie jamais que la mer elle-même est un champ de bataille. Le vent, les courants, même la pluie d’aujourd’hui peuvent jouer un rôle dans l’issue d’un combat. Une flotte mal positionnée face au vent devient vulnérable. »
Il déplace quelques jetons sur la carte, illustrant comment certaines batailles ont été gagnées non par la force brute, mais par la ruse.
Leila, qui écoute attentivement tout en s’occupant de son travail de couture, intervient doucement. « Et les pirates ? Comment se battent-ils ? »
Maitre Antonin esquisse un sourire. « Contrairement aux marines impériales, qui suivent des tactiques rigides, les pirates comptent sur la surprise, la vitesse et la peur. Ils attaquent souvent à l’aube ou dans le brouillard, préférant les embuscades aux batailles rangées. »
Mero, fasciné, se perd dans cette discussion, son esprit tournant autour des stratégies navales. Comment une île comme celle-ci a-t-elle pu rester indépendante, malgré la puissance des flottes qui l’entourent ? Les récits de batailles et de stratégies le captivent. Peut-être qu’un jour, il en aura besoin pour sa propre survie… La pluie continue de tomber, mais Mero, absorbé par ses pensées, n’y prête presque plus attention.
Les cours de stratégie maritime se mêlaient aux anecdotes historiques des batailles navales, et Maitre Antonin ne se contentait pas de transmettre des tactiques. Il enrichissait ses leçons de récits captivants, mêlant habilement stratégie et histoires de batailles célèbres.
« Prenons l'exemple de la bataille du Détroit de Solmar », commença-t-il en traçant une ligne sur la carte avec son doigt. « Une flotte impériale de vingt navires de guerre affrontait une coalition de pirates, bien plus nombreux, mais mal organisés. » Il disposa des jetons pour représenter les forces en présence.
« Le commandant impérial, plutôt que de se lancer dans une confrontation directe, opta pour une ruse. Il fit semblant de battre en retraite vers un passage étroit entre deux îles. Pensant avoir piégé leur proie, les pirates se précipitèrent… mais c’était un piège. Des navires dissimulés derrière les îles refermèrent l’étau, forçant les pirates à se battre dans un espace où ils ne pouvaient plus manœuvrer. »
Mero observa attentivement la carte, imaginant le chaos de la bataille.
Leila, intriguée, demanda : « Et que s’est-il passé ensuite ? »
Maitre Antonin sourit, satisfait de l’intérêt de ses élèves. « La moitié de la flotte pirate fut détruite ou capturée. Ceux qui tentèrent de fuir furent traqués un à un dans les jours suivants. Depuis ce jour, aucun pirate n’ose naviguer dans ce détroit. »
Mero hocha la tête, impressionné. Ce n'était pas seulement une démonstration de force, mais un coup de maître en stratégie.
Les leçons se poursuivirent ainsi, alternant récits de batailles célèbres et exercices tactiques. Maitre Antonin défia les élèves :
« Imaginez que vous commandez une flotte et que vous devez défendre un convoi marchand contre des assaillants. Quelle stratégie adopteriez-vous ? »
Mero réfléchit un instant avant de proposer une formation défensive, avec les navires marchands au centre et les navires de guerre en cercle autour. Maitre Antonin écouta attentivement, puis pointa une faiblesse :
« Un tel cercle est trop rigide. Si l’ennemi attaque de plusieurs côtés, il peut isoler et abattre les navires un à un. Essayons autre chose… »
La pluie continuait de tomber, mais Mero était trop absorbés par ses leçons pour se soucier du temps. Mero ressentait déjà que ces connaissances lui seraient précieuses.
Pour défendre un convoi marchand contre des assaillants, il était crucial d'évaluer la menace en identifiant les types d’assaillants et leurs capacités. La préparation incluait l’organisation des navires marchands en formation serrée, avec des escortes armées assignées à leur protection. Une communication efficace entre tous les navires était essentielle pour coordonner les actions défensives. Des patrouilles de reconnaissance devaient être déployées pour détecter les menaces à l'avance, permettant aux escortes de se positionner pour intercepter les assaillants. Si une menace était détectée, les escortes devaient engager les assaillants avec des armes à longue portée pour les dissuader ou les neutraliser. Des manœuvres évasives, comme changer de cap ou disperser les navires, pouvaient être utilisées pour éviter l’engagement direct. Si la situation devenait critique, des renforts supplémentaires devaient être appelés et des plans d’évacuation préparés. Après l’engagement, il était important d’évaluer les dommages et d’effectuer les réparations nécessaires. Une analyse des combats et une formation continue des équipages étaient essentielles pour améliorer les stratégies futures. En suivant ces étapes, la sécurité du convoi marchand pouvait être maximisée et les risques d’attaques réussies minimisés. lui dit Mero en se remémorant un passage d'un livre qu’il avait lu le mois dernier
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Maitre Antonin écouta avec attention, un sourire appréciateur sur les lèvres. Lorsqu'il eut terminé, il hocha lentement la tête.
« Très bien, Mero. Tu as couvert presque tous les aspects cruciaux d'une défense maritime réussie. Ta capacité à structurer ta pensée et à anticiper les différentes phases d'une attaque est remarquable. C’est une excellente base pour une stratégie défensive. »
Il s'approcha de la carte et repositionna quelques jetons.
« Cependant, je te mettrai en garde contre un excès de confiance dans les patrouilles de reconnaissance. Elles peuvent être efficaces, mais exposent aussi les éclaireurs à un danger isolé. Il faut trouver un juste équilibre. De plus, si les assaillants disposent d'une force supérieure en nombre ou en puissance, il peut être préférable de privilégier la fuite ou la négociation plutôt que d’engager un combat risqué. »
Il marqua une pause, regardant Mero dans les yeux.
« Ce que tu viens de décrire montre que tu as compris une vérité essentielle de la stratégie maritime : il ne s'agit pas toujours de vaincre, mais de survivre avec le moins de pertes possible. »
Leila, qui écoutait en silence, intervint timidement :
« Mais que faire si les assaillants utilisent des tactiques non conventionnelles, comme se cacher parmi des navires neutres ou attaquer de nuit ? »
Maitre Antonin sourit à cette question.
« Excellent point, Leila. C’est pour cela que l’entraînement des équipages est aussi important que les tactiques elles-mêmes. Un équipage bien formé pourra s’adapter rapidement à des situations imprévues. C’est là que l’importance d’une bonne discipline et d’une chaîne de commandement claire devient cruciale. »
Mero réfléchit à ses paroles, prenant conscience que la stratégie ne se limitait pas aux schémas tracés sur une carte. C’était un art vivant, fait d’adaptation et de prise de décisions sous pression.
Maitre Antonin posa une main sur l’épaule de Mero.
« Continue de lire et de réfléchir comme tu le fais, Mero. La connaissance est une arme précieuse, et tu sembles en avoir saisi la valeur. »
Sa reconnaissance remplit Mero de fierté, et il se promit de poursuivre ses études avec encore plus de sérieux.
L’heure de la pause sonne, et Mero s’approche de quelques mousses qui jouent aux dés. Il leur demande s’il peut se joindre à eux.
Les mousses le regardent avec surprise, échangent un regard furtif avant de se concerter. L’un d’eux, un garçon au visage parsemé de taches de rousseur, finit par hausser les épaules et fait signe à Mero de s’installer.
« Si tu sais jouer, pourquoi pas, » dit-il en lançant les dés sur le pont en bois de l’auberge.
Mero prend place, observant les règles du jeu. Ils utilisent de petits dés sculptés dans l’os, et l’objectif semble être d’obtenir une combinaison spécifique pour remporter les mises placées au centre. L’enjeu est modeste : quelques boutons, un morceau de corde solide, une aiguille de cuivre… des trésors pour des mousses.
« Tu mises quoi ? » demande un autre mousse, un garçon plus grand, avec une boucle d’oreille en argent terni.
Mero réfléchit un instant. Il ne veut pas donner l’impression de les écraser avec sa position, mais il souhaite tout de même être pris au sérieux.
« Cette pièce, » dit-il en sortant une monnaie en cuivre frappée aux armes de l’Empire. Ce n’est pas grand-chose pour lui, mais pour eux, c’est une somme raisonnable.
Les mousses échangent un regard, puis hochent la tête. Le jeu peut commencer.
Les dés roulent sur le bois du sol, produisant un bruit sec avant de s’arrêter. L’un des mousses grogne en voyant son résultat, tandis qu’un autre pousse un cri de satisfaction.
« Ha ! Trois faces pleines, j’prends l’avantage ! » s’exclame le plus jeune, un garçon aux cheveux noirs en bataille.
C’est au tour de Mero. Il prend les dés dans sa main et les lance.
Premier lancer : 4 et 2.
Un score moyen, ni bon ni mauvais. Les mousses rient en voyant sa réaction neutre.
« Pas de chance, mais t’en fais pas, p’têt que tu vas te rattraper, » dit le garçon à la boucle d’oreille.
Pendant que les dés continuent de tourner entre les mains des joueurs, Mero engage la conversation.
« Vous jouez souvent ? »
« Ouais, dès qu’on peut. Ça passe le temps, » répond le rouquin. « Mais sur le bateau, faut pas qu’les officiers nous voient, sinon on s’prend une engueulade. »
« C’est pas si grave, tant qu’on mise pas des trucs trop importants, » ajoute un autre.
Mero hoche la tête. Le jeu continue, et il tente un second lancer.
Deuxième lancer : 6 et 5.
Un bon coup cette fois-ci ! Les mousses sifflent d’admiration.
« Hé ben, t’as d’la veine, m’sieur ! Encore un lancer comme ça et tu nous rafles la mise ! »
L’ambiance est légère. Les mousses le traitent plus comme l’un des leurs, sans trop de formalisme. Ils continuent de jouer tout en discutant des navires, des ports qu’ils ont visités et des histoires qu’ils ont entendues sur cette île de pirates.
Troisième lancer : 3 et 2.
Un score médiocre. Les mousses ricanent en voyant Mero perdre son avantage.
« Eh bah, on dirait qu’la chance t’a quitté, m’sieur ! » plaisante le plus jeune.
« Ça arrive, ce n’est pas grave, » répond Mero en haussant les épaules.
La partie continue encore quelques minutes, jusqu’à ce qu’un des mousses, celui à la boucle d’oreille, l’emporte avec un dernier lancer spectaculaire. Il lève les bras en signe de victoire sous les protestations moqueuses des autres.
« T’as triché, avoue ! » lance le rouquin, faussement outré.
« Moi ? Jamais ! J’suis juste béni des dieux, c’tout, » répond-il avec un sourire malin.
L’ambiance reste détendue. Mero a réussi à s’intégrer au groupe sans trop attirer l’attention. Ils discutent encore un peu des navires, des manœuvres dangereuses qu’ils ont vues en mer et des pires tempêtes qu’ils ont affrontées.
Il reste assis avec eux, écoutant leurs histoires tout en relançant les dés distraitement.
L’un des mousses, un garçon aux cheveux noirs coupés courts, se penche vers lui et demande :
« Dis, m’sieur, t’es un noble, non ? Pourquoi t’traînes avec nous ? »
Les autres se taisent un instant, curieux d’entendre sa réponse.
Mero sourit, se souvenant de ses conversations avec Maître Antonin et des règles imposées par sa nourrice. Il répond, tout en cherchant ses mots avec soin :
« Maître Antonin me donne toujours des leçons quand je lui parle, et ma nourrice n'a pas le droit de me parler sauf si c'est nécessaire. Et comme vous avez presque le même âge que moi, j'aimerais mieux vous connaître. Peut-être qu'un jour l'un de vous deviendra capitaine et j’aurai peut-être besoin de lui, ou si j'ai besoin de marins de confiance, je vous aurai vous. »
Les mousses échangent des regards surpris, puis un sourire éclaire le visage de l’un d’eux, le garçon aux taches de rousseur.
« Eh ben, t’es pas comme les autres nobles, toi. D’habitude, ils nous regardent à peine. »
Un autre, plus méfiant, croise les bras :
« Ouais, mais comment on sait qu’tu nous prendras pas de haut une fois que t’auras un vrai bateau et des galons ? »
Je préfère faire travailler ceux en qui je fais confiance. Dans la noblesse c'est la compétition entre nous, et pour lutter contre les autres il faut des hommes et femmes de confiance. Si nous arrivons à être amis, une fois que mes études seront finies, vous n’aurez plus à vous inquiéter pour vous nourrir.
Les mousses semblent touchés par sa réponse. Celui aux taches de rousseur hoche lentement la tête, tandis que l'autre, le plus méfiant, semble réfléchir un instant.
« Ça, c’est du sérieux, » dit-il finalement en souriant. « J’ai entendu des nobles parler comme ça avant, mais jamais un d’entre eux ne l’a vraiment fait. » Il marque une pause. « Bon, t’es différent. On verra bien. »
Les autres murmurent entre eux, apparemment impressionnés par son approche. Le plus jeune d’entre eux, un garçon aux cheveux noirs épars, lance un regard admiratif.
« Si tu tiens tes promesses, on aura de quoi manger toute notre vie, » rigole-t-il. « Je te ferai confiance, pour ma part. »
Les dés roulent à nouveau, et le jeu reprend. L'atmosphère est un peu plus détendue, et Mero sent qu’il a gagné un peu de respect, du moins pour l'instant. Ils ne sont pas encore des alliés fidèles, mais ils semblent ouverts à l’idée d’un futur partenariat.
Le jeu continue, et l'atmosphère devient plus décontractée à mesure que les discussions s'enchaînent entre les lancers de dés. La tension d’avant disparaît peu à peu, remplacée par des rires et des plaisanteries entre les mousses. À chaque tour, Mero remarque de petites attentions qu'ils lui montrent, comme des sourires complices quand il réussit un coup ou un regard approbateur lorsqu’il se montre respectueux des règles, même si ce n’est pas toujours pour gagner.
Le plus jeune mousse, celui aux cheveux noirs épars, finit par confier une anecdote sur un de ses anciens capitaines.
« Ce capitaine, » dit-il, « il n’était pas comme les autres. Il avait une façon de gérer son équipage que je n’avais jamais vue avant. Pas de distinction entre nobles et marins. Tous égaux, et pourtant on l’écoutait plus que tout. »
« Comment faisait-il ? » demande un autre mousse, curieux.
« Il nous emmenait tous à terre, chaque fois qu’on arrivait dans un port, pour une journée de repos. Pas de distinction, pas de noblesse qui se cache dans les quartiers. On était tous à égalité, tous libres. » Il sourit en repensant à ces souvenirs. « C’était… un vrai chef. »
Mero se rend compte que ces jeunes marins, malgré leurs conditions, ont une vision de la hiérarchie et de la loyauté différente de celle qu’il a connue jusque-là. Ce capitaine a su gagner leur respect d’une manière qui ne se limite pas à des promesses de nourriture ou de richesse, mais par une vraie solidarité.
Ils continuent de jouer pendant un long moment, les éclats de rire résonnant autour d’eux. La confiance se construit peu à peu, au fur et à mesure que les heures passent.
Mero profite de l'instant pour approfondir cette histoire intrigante.
« Ce capitaine dont tu parles... » commence-t-il, en s’appuyant sur ses mains pour mieux les écouter, « il semblait vraiment différent des autres. Vous disiez qu’il traitait tout le monde sur un pied d'égalité. Mais, dans le fond, comment gérait-il l’autorité ? Parce que, vous savez, il ne suffit pas de dire qu’on est égal pour que ça fonctionne. Les hommes respectent un chef pour sa capacité à mener, pas seulement par ses gestes, mais aussi par ses décisions. »
Les mousses le regardent attentivement, surpris par sa question. Le jeune mousse aux cheveux noirs épars, celui qui lui avait raconté l’histoire, hoche la tête.
« C’est vrai. Il n’avait pas une voix forte ni un regard menaçant. Mais chaque décision qu’il prenait avait du sens. Par exemple, il faisait toujours une réunion, avant qu’on quitte un port. Il nous parlait des dangers qu’on risquait, des opportunités, de ce qu’il attendait de nous. Mais il n’agissait pas comme un homme qui attendait des ordres. Il agissait comme un égal, et il nous expliquait tout. »
Il marque une pause, comme s’il revivait ces moments dans son esprit.
« Le plus fou, c’était qu’on ne savait jamais s’il allait prendre une décision difficile tout seul, ou s’il nous demanderait ce qu’on en pensait. Il nous faisait participer aux choix, nous écoutait, mais quand le moment venait de trancher, il savait où il allait. On savait qu’il avait pris le temps de réfléchir. Il ne se laissait pas emporter par l’émotion. »
Un autre mousse, plus âgé, intervient alors avec un sourire en coin.
« Et parfois, il nous faisait travailler ensemble, au lieu de faire des groupes en fonction des grades. Ça soudait tout l’équipage. Les nobles étaient dans la même équipe que les mousses, les marins étaient là aussi. Personne n'avait de privilèges, et chacun avait sa chance de montrer ce qu'il valait. »
Mero reste pensif un moment, en observant l’enthousiasme avec lequel ils racontent ce capitaine. C’est un homme qui, de manière presque paradoxale, a réussi à imposer une discipline stricte sans jamais sembler étouffer l’esprit d’initiative de ses hommes.
« Et toi, tu penses que ce type de gestion pourrait marcher aujourd'hui, sur un bateau comme celui-ci ? » demande-t-il.
Les mousses échangent quelques regards avant que le jeune mousse aux cheveux noirs épars réponde.
« Je pense que oui. Mais ça prend du temps. Il faut savoir écouter, et surtout, savoir quand il faut être dur et quand il faut lâcher prise. Ce n’est pas facile. C’est pour ça qu’on ne trouve pas souvent des capitaines comme lui. »
Mero hoche la tête, pensif. Peut-être que ce capitaine lui a appris une chose importante, une leçon qu’il pourrait appliquer à l’avenir.
Mero se redresse légèrement, le regard pensif, et commence à parler d'une voix posée :
"Dans mon pays, on raconte souvent l’histoire d’un marin légendaire, un homme d’une grande persévérance. Il s’appelait Eryck, et il avait servi sous le Capitaine Kod, le tout premier à avoir réussi à faire le tour du monde, à une époque où une telle entreprise semblait impensable. Le Capitaine Kod n’était pas comme les autres. C’était un homme de terrain, pas seulement de stratégie."
Un silence s'installe brièvement, les mousses accrochés à ses paroles. Le plus jeune, celui aux cheveux noirs épars, fixe Mero avec une attention particulière.
"Eryck, ce marin, n’avait ni l’expérience ni les talents des autres membres de l’équipage au départ. Simplement une détermination de fer. Le Capitaine Kod l’avait remarqué tout de suite. Plutôt que de l’envoyer accomplir les tâches ingrates, comme c’était la coutume, il l’avait pris sous son aile. Il lui avait enseigné la navigation, la cartographie et même la diplomatie avec les peuples rencontrés en mer."
Certains mousses échappent un sourire, se laissant captiver par cette histoire.
"Après plusieurs années, Eryck était devenu un marin aguerri, à la tête d’un groupe d’hommes sous l’autorité du Capitaine Kod. Ils avaient traversé des océans déchaînés, bravé des tempêtes apparemment insurmontables. Mais le Capitaine Kod, au lieu d’imposer des ordres aveugles, expliquait toujours les raisons de ses décisions. Il impliquait ses hommes dans le processus."
Mero marque une pause, guettant leurs réactions.
"Bien sûr, tout ne fut pas une série de victoires. Lors d’un voyage vers une île inconnue, leur bateau avait été endommagé par un rocher. Le Capitaine Kod aurait pu ordonner de continuer malgré tout, mais il avait choisi de rebrousser chemin pour réparer le navire et prendre soin de ses hommes. Une fois la tempête passée, ils avaient repris leur route. Quand ils étaient enfin arrivés sur l’île, il avait déclaré : 'Il vaut mieux perdre un jour que perdre un homme.' Cette phrase est devenue un principe parmi les marins."
Les mousses restent silencieux, leurs visages assombris par la réflexion. Ils comprennent déjà, malgré leur jeune âge, la valeur de la vie et la notion de sacrifice.
"Eryck est devenu une légende chez nous. Pas seulement pour ses exploits en mer, mais parce qu’il avait appris à donner du sens à chaque action. Il avait compris que la loyauté et la confiance ne se décrètent pas. Elles se bâtissent."
Mero les observe, attentif à leurs réactions. Les mousses échangent des regards, certains visiblement pensifs, d’autres légèrement impressionnés.
Le mousse au sourire timide finit par prendre la parole, hésitant :
"J’pense qu’c’est un peu comme ça qu’on essaie de nous apprendre ici, pas vrai ? Mais... c’est pas toujours facile. Des fois, on n’a pas le choix. Le Capitaine et les officiers disent de suivre les ordres, alors on fait comme on nous dit."
Un mousse plus âgé, dont la barbe commence à poindre, hoche la tête avec gravité.
"Un bon capitaine, ça fait toute la différence. Mais parfois, suivre les ordres, ça veut aussi dire faire face à des sacrifices. Faut pas avoir peur de se perdre pour sauver les autres."
Le plus jeune, enthousiaste, se tourne vers Mero :
"C’est comme ça qu’on devient des hommes de mer, non ? Pas juste en suivant les ordres, mais en comprenant pourquoi on les suit. C’est l’esprit d’équipage."
Ils semblent réfléchir, absorbés par l'idée de forger des liens solides et d’apprendre de leurs erreurs. Le mousse qui avait ouvert la discussion finit par sourire :
"Je crois qu’on peut être à la fois un bon marin et un bon homme, si on apprend à s’entraider, comme dans ton histoire. Faut pas juste courir après la gloire. Et puis, peut-être qu’un jour, on sera capitaine à notre tour."