Les paroles d’Hélène résonnent dans l’esprit de Mero comme une vague puissante, chargée de sens. Ce qu’elle a laissé entendre va bien au-delà des politesses creuses d’une simple conversation. Cette rencontre n’a rien d’un hasard : c’est un signe, une reconnaissance discrète mais lourde de conséquences. En un instant, Mero réalise que son rôle, jusque-là effacé dans l’ombre de son titre, a pesé dans une manœuvre diplomatique d’envergure. L’intégration d’Ambrelune à l’Empire, un événement qu’il croyait relégué à de simples parchemins administratifs, s’avère être le fruit de choix subtils – des décisions invisibles aux yeux des foules, mais cruciales pour les puissants qui tirent les ficelles.
Hélène a mis en lumière une vérité qu’il n’avait jamais osé envisager. Il n’est pas juste le second prince du royaume de Sel, une figure décorative dans les couloirs de l’École Impériale de Mor. Il est un rouage essentiel dans un jeu bien plus vaste, un échiquier où chaque mot, chaque geste peut faire basculer des royaumes. La princesse a vu en lui une finesse rare : une capacité à saisir les courants sous-jacents, à décrypter les intrigues sans jamais troubler la surface. Cette révélation le secoue, ébranlant l’image qu’il avait de lui-même.
Quand Hélène s’éclipse aussi vite qu’elle est apparue, une sensation étrange envahit Mero. La solitude qui l’enveloppe n’a plus rien de familier. Ce n’est pas le calme réconfortant de ses moments d’isolement habituels, mais une lourdeur nouvelle, presque étouffante. Il n’est plus un simple étudiant, ni même un prince en attente de son heure. Ses choix, désormais, pourraient redessiner les contours de l’Empire, influencer ses mentors, ses pairs, peut-être même l’Empereur lui-même. Cette prise de conscience le frappe comme un vent glacial sur les quais de Sel.
Il quitte la salle à manger, le cœur pesant, l’esprit en ébullition. Les couloirs déserts du dortoir défilent sous ses pas, mais la clarté qu’il cherche lui échappe encore. Ce n’est pas la fatigue qui l’agite – au contraire, il n’a jamais été aussi éveillé. Les mots d’Hélène s’impriment en lui comme une marque au fer rouge, une vérité qu’il ne peut chasser. Ce qui n’était qu’une quête pour trouver sa place dans cet Empire tentaculaire prend une tout autre ampleur. La pression de cette responsabilité l’écrase autant qu’elle l’enflamme.
Dans sa chambre, le luxe qui l’entoure – les tapis brodés, les meubles polis – lui semble soudain vide de sens. Ce refuge, autrefois un cocon, se transforme en une cage silencieuse. Les murs paraissent se rapprocher, incapables de contenir le tourbillon de ses pensées. La solitude qui le submerge est plus profonde, plus tranchante qu’avant. Allongé sur son lit, il fixe le plafond, incapable de fermer les yeux. Comment pourrait-il dormir avec ce poids sur ses épaules ? Chaque décision qu’il croyait anodine révèle maintenant des ramifications qu’il n’avait pas soupçonnées. Son avenir, qu’il imaginait comme une route droite tracée par son rang, se mue en un labyrinthe obscur.
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Les heures s’étirent, interminables. Il sait que ce moment marque un tournant, une porte qu’il ne pourra plus refermer. Ses doigts glissent vers le pendentif qu’il porte toujours – un bijou simple, gravé des vagues de Sel, symbole de son héritage. Il le serre doucement, cherchant un ancrage dans ce geste familier. Mais même cette vieille habitude ne suffit pas à apaiser le doute qui s’insinue en lui. Est-il vraiment prêt pour ce qui l’attend ? Finalement, épuisé par ses propres pensées, il sombre dans un sommeil agité, hanté par des questions sans réponses.
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Le matin se lève, baignant la chambre d’une lumière dorée, mais Mero n’y trouve aucun répit. L’air frais de l’aube s’infiltre par la fenêtre entrouverte, portant l’odeur saline qui lui rappelle Sel. Pourtant, son esprit reste lourd, prisonnier des décisions qui se dessinent à l’horizon. Le silence amplifie cette sensation d’urgence, chaque seconde semblant suspendue dans l’attente.
Un coup discret à la porte le tire de sa torpeur. Le tailleur entre, un homme mince aux gestes précis, un maître dans l’art du tissu. Sans un mot superflu, il déplie ses étoffes – des bleus profonds, des ors discrets – et ajuste les mesures avec une assurance presque mécanique. Mero l’observe en silence, fasciné par cette quête de perfection dans les détails. Aujourd’hui, même ses vêtements semblent porter une signification nouvelle, comme un reflet de l’ambition qui grandit en lui. Une fois vêtu de cette tenue plus impériale, il se regarde dans le miroir. L’image qui lui fait face n’est plus celle d’un prince en devenir, mais d’un homme prêt à affronter son destin – ou du moins, à essayer.
Les cours débutent peu après, bien différents de ceux de maître Antonin et de sa rigueur implacable. Ces leçons-là exigent une attention totale, plongeant Mero dans les méandres de l’Empire : ses lois, ses alliances, ses subtilités politiques. Les professeurs, remarquant son sérieux, le poussent vers des matières plus complexes – stratégies maritimes, diplomatie avancée. Il ne cherche pas à briller, mais à se dépasser, dévorant chaque concept avec une curiosité insatiable. C’est un défi qu’il s’impose, une façon de tester ses limites face à ce rôle qui s’impose à lui.
En fin de matinée, un coursier frappe à sa porte. Mero l’accueille d’un signe de tête et lui tend un colis – des tableaux aux teintes vibrantes, des mers déchaînées et des sommets enneigés, un cadeau pour Mandarine. « Fais-le parvenir aux pirates, précise-t-il d’une voix calme. Voici les instructions. » Le coursier s’incline, emporte le paquet et disparaît sans bruit. Ces petits gestes, ces transactions discrètes, renforcent son sentiment d’être pris dans un réseau invisible, un filet où chaque fil compte.
La journée s’achève sur une autre session de cours, plus intense encore. Mero s’y plonge corps et âme, tissant des liens naturels avec ses camarades. Les rires fusent entre deux débats, les discussions s’animent autour des tables d’étude. Même la princesse impériale, d’ordinaire distante, semble apprécier sa présence, un sourire fugace adoucissant son visage sévère. Il cultive cet équilibre fragile entre respect et camaraderie, évitant avec soin les pièges des intrigues qui murmurent dans les couloirs.
Petit à petit, il trouve sa place – non seulement parmi ses pairs, mais dans cet Empire qu’il commence à comprendre. Il n’est plus un simple spectateur des jeux de pouvoir. Il en est un acteur, un prince dont chaque pas résonne plus loin qu’il ne l’aurait cru. Et si cette pensée l’effraie encore, elle allume aussi en lui une étincelle d’excitation : celle d’un avenir qu’il devra façonner, envers et contre tout.