Le soleil se leva plus tôt ce matin, perçant la brume légère qui s’était installée pendant la nuit. Mero se réveilla à l’aube, la mer toujours calme, mais les vagues semblaient un peu plus nerveuses. La sensation de vide et d’immensité ne s’était pas dissipée, mais à présent, un autre sentiment se mêlait à l'angoisse : celui de l'attente.
Aujourd'hui, pour la première fois, il allait débuter les leçons imposées par son tuteur. Le voyage en mer était un passage obligé, et les études commenceraient maintenant, comme une sorte de préparation mentale avant l’arrivée à l'école impériale de Mor. Son tuteur, le professeur Antonin d'Ambrières, un membre éloigné de la famille royale, avait l’air plus strict que Mero l’avait imaginé. La nourriture et le confort étaient une chose, mais la rigueur académique allait être un tout autre défi.
Après avoir pris un léger petit déjeuner, Mero se rendit dans la petite salle d'étude du navire, une pièce exiguë mais fonctionnelle, où son tuteur l'attendait déjà. Antonin, vêtu de son costume d'apparat, semblait immobile, comme une statue de marbre, attendait sans un mot. À ses côtés, une grande carte du monde était tendue sur le mur, et des piles de livres étaient empilées sur une petite table en bois.
"Majesté," dit Antonin d'un ton grave mais calme, "nous commencerons par les bases. La langue impériale."
Mero s'assit à la table, essayant de se concentrer malgré l'angoisse qui commençait à poindre. La langue impériale n'était pas très différente de celle de Sel, mais elle était plus raffinée, plus nuancée. Antonin commença par des phrases simples, puis augmenta peu à peu la difficulté. Il n'y avait aucune pitié. Mero devait apprendre la syntaxe correcte, les expressions utilisées à la cour, et surtout, comprendre les subtilités de cette langue qui délimitait les frontières sociales et politiques.
La nourrice, qui se trouvait souvent près de la porte, jeta un coup d'œil discret, mais ne dit rien. Mero, malgré lui, se sentait un peu plus à l'aise en la sachant là, même si elle ne pouvait pas intervenir.
La matinée se poursuivit dans un silence lourd, seulement brisé par les instructions de son tuteur. Les heures passaient lentement, et chaque répétition semblait plus difficile que la précédente. Mero n’avait pas l’habitude de tant d’intensité. Au royaume de Sel, l’apprentissage se faisait de manière plus douce, plus fluide. Ici, tout semblait tourné vers l'efficacité, la précision.
À midi, la cloche retentit, annonçant la fin de la leçon de langue. Mero, les épaules tendues, se leva rapidement pour prendre une pause. Le reste de l’équipage continuait ses activités, et Baran, le cuisinier, lui lança un clin d'œil depuis le pont. Mero se força à sourire en retour, mais son esprit était ailleurs.
L’après-midi apporta avec elle une nouvelle série de leçons. Cette fois, c’était l’histoire de l’empire et de ses conquêtes. Antonin lui expliqua les guerres qui avaient permis l’unification du royaume de Dauph, et comment chaque région, chaque royaume conquis, avait dû s'adapter à l'ordre impérial. L’accent était mis sur l'importance de comprendre le passé pour pouvoir servir l’empire de manière appropriée.
"Tu vois, Mero," dit Antonin en feuilletant un vieux manuscrit, "l'empire n'est pas juste une vaste étendue de terres. C'est une vision. Une vision d’unité, d'ordre. C’est ce que tu dois comprendre si tu veux trouver ta place dans ce monde."
Mero écouta sans dire un mot, bien que ses pensées vagabondaient souvent vers le royaume de Sel, ses îles tranquilles, et son désir de tout laisser derrière lui. Mais il savait que c'était inévitable. La voix d'Antonin le ramenait toujours à la réalité : il n'était pas là pour ses rêves, mais pour remplir un devoir.
En fin de journée, comme l'avait promis le tuteur, Mero commença les cours d’armes. C'était la seule partie du programme qu'il appréciait, et encore, il se sentait un peu nerveux. La mer était pleine de secrets, et les marins qui participaient aux leçons d'armement étaient tout aussi pleins de mystères. Les épées, les arcs et les couteaux étaient des objets qu'il connaissait peu, et il était curieux d'apprendre.
Un des marins, un homme au visage marqué par les années de mer, se présenta comme le spécialiste des épées.
"On t’apprendra à les manier avec finesse, gamin. Pas juste à frapper, mais à réfléchir, à prévoir. Sur un bateau, les armes sont des extensions de toi-même, presque comme la mer."
Le soir, Mero se coucha tôt, épuisé par cette première journée de travail intense. Les vagues semblaient chuchoter des histoires lointaines, mais tout ce qu’il voulait à cet instant, c’était fermer les yeux et laisser ses pensées se noyer dans le sommeil. Un autre jour viendrait, un autre ensemble de leçons. Peut-être qu'il pourrait apprendre à apprécier cette discipline.
Le vent s'était levé cette nuit, agitant les voiles du navire. La mer était maintenant moins calme, avec des vagues plus imposantes qui secouaient doucement le bateau. Mero avait du mal à s'endormir, l'odeur du sel et la sensation du mouvement constant du navire le rendaient nerveux. Il n'avait jamais vécu une telle expérience. Les journées étaient longues et l'éloignement du royaume de Sel le pesait déjà.
Le matin arriva, et comme à son habitude, Antonin le fit travailler sur la langue impériale. Aujourd'hui, c'était une discussion complexe sur les expressions courantes à la cour. Mero, déjà fatigué, peinait à se concentrer.
La nourrice, comme d'habitude, était près de la porte, veillant silencieusement mais n'osant pas intervenir. Ce matin, elle semblait particulièrement attentive, comme si quelque chose l'inquiétait. Elle jeta un regard furtif à Mero avant de se tourner vers l'extérieur, observant les hommes de l'équipage.
Mero se tourna vers son professeur avec une expression sérieuse, tentant de dissimuler son malaise face à la rigidité de l’enseignement. Il posa sa question d'une voix calme, mais décidée.
"Maître Antonin, pourriez-vous me réexpliquer en détail la guerre du royaume de Dauph contre celui de Fine ? Celle qui a permis au royaume de Dauph de devenir un empire."
Antonin leva un sourcil, semblant surpris par l'intérêt sincère de Mero pour l’histoire de l'empire, mais il se redressa immédiatement, conscient que son rôle était de répondre à cette curiosité.
"Bien sûr, Mero." Il ajusta ses lunettes avec un geste qui trahissait sa propre rigueur et son goût pour la précision historique. "La guerre contre le royaume de Fine est un épisode crucial dans l'histoire de l'empire de Mor. Elle marqua la fin des royaumes indépendants et l'avènement d'une domination impériale."
Antonin fit une pause pour s'assurer que Mero était attentif, avant de commencer son récit.
"Le roi de Dauph fut attaqué par le royaume de Fine. Les armées se sont affrontés lors de nombreuses batailles que Dauph á en majorité gagné grâce à son artillerie et les stratégies du Général Mor. La guerre contre Fine finie après une série de tensions politiques, et la mort du prince Machiol, le fils du roi de Dauph, joue un rôle déterminant dans l’escalade. Vous devez savoir que c’est ce meurtre, survenu lors d’un accident tragique, qui a précipité le royaume de Dauph dans une spirale de guerre civile et de haine. Le meurtrier, Flavius, un simple soldat, fut pris dans la tourmente et, à son insu, le catalyseur du conflit qui allait tout changer."
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Antonin ajusta sa posture, s'assurant de captiver l'attention de Mero.
"Mais le plus important n’était pas la victoire militaire, mais le prix payé. Le royaume de Dauph perdit non seulement son prince, mais aussi toute stabilité. Le roi de Dauph, pris dans la folie et la perte de son fils, se suicida. C’est là que la vraie guerre commença, une guerre de pouvoir où les nobles se livrèrent à une série de trahisons et d’alliances brisées. Et quand le général Mor parvint à reconquérir les terres et à instaurer un nouvel ordre, Il créa le royaume de Mor, celui qui deviendra l’empire"
Antonin se tourna de nouveau vers la carte de l'empire, traçant les lignes des anciennes frontières.
"Les terres de Fine furent absorbées rapidement, mais à un coût. Ce fut une époque de conquête et de domination brutale, mais aussi d’assimilation forcée. Ce n’était pas juste une guerre militaire. C’était une guerre pour effacer les identités des peuples et les intégrer dans l’empire naissant."
Il se tourna de nouveau vers Mero, son regard devenant plus grave.
"Ce que vous devez comprendre, Mero, c'est que cette guerre n’a pas seulement redéfini les frontières, elle a redéfini l’âme même du royaume. L'empire n’a pas été construit sur la gloire ou la pureté, mais sur le sang, la souffrance et la survie. Flavius, ce soldat pris dans le tourbillon de la guerre, était au centre de cet engrenage."
Il laissa un silence pesant s'installer.
"Alors, le royaume de Dauph est devenu un empire, oui, mais à quel prix ? Un empire bâti sur la trahison, le meurtre et la souffrance des innocents. Et c’est ainsi que l’histoire s’écrit, Mero."
Une étrange sensation naquit en Mero. L'histoire de cette guerre, d'un pays envahissant l'autre, lui semblait à la fois fascinante et terrifiante. L'ampleur de l'ambition humaine, la fierté des royaumes, et le prix de la conquête... Il se demandait ce que tout cela signifiait pour lui, un simple garçon destiné à étudier dans cet empire en pleine expansion.
Antonin attendait une réponse de Mero, mais avant que celui-ci ne puisse poser une nouvelle question, il observa la mer en dehors de la cabine, signalant la fin de leur conversation pour le moment. Le vent soufflait fort, et le navire tanguait légèrement, apportant un silence solennel à l’air ambiant.
"Vous avez d'autres questions, Mero ?" demanda-t-il, ses yeux perçants scrutant le jeune garçon, qui semblait pensif.
Mero fronça les sourcils, l'expression pensive. Il savait que l'histoire de l'empire était complexe et que la question de l'unité était cruciale. Antonin avait mentionné à plusieurs reprises l’importance de maintenir la cohésion au sein de l’empire, mais les réponses restaient floues. Il espérait que cette nouvelle question lui permettrait d’en apprendre davantage.
"Maître Antonin," dit-il d'une voix calme, "comment l'empire parvient-il à rester unifié alors qu'il soumet des peuples de cultures et de langues différentes ? Je comprends que nous avons demandé à intégrer l'empire, mais ceux qui ont été soumis, comment réagissent-ils ? Comment l'empire réussit-il à faire face à ces différences ?"
Antonin se redressa à nouveau, cette fois comme s'il s'apprêtait à donner une réponse plus approfondie. Il prit un instant pour organiser ses idées, avant de commencer à expliquer.
"C'est une question complexe, Mero, et la réponse réside dans une série de mécanismes stratégiques." Il croisa les bras, adoptant une posture plus décontractée. "L'empire de Dauph a compris que la diversité des peuples qu'il a conquis pouvait être un atout, mais qu'il fallait des mesures rigoureuses pour éviter des révoltes. Après la guerre contre le royaume de Fine, par exemple, il n'a pas seulement imposé une domination militaire. Non, il a également introduit un système de gestion culturelle et de représentation politique."
Il s’arrêta un instant, comme pour appuyer ses mots.
"L'un des premiers principes qui a permis à l'empire de rester unifié a été l'introduction du concept de l'éducation impériale. C’est là que vous, les jeunes fils de familles nobles, entrez en scène. L'école de Mor, entre autres institutions, a pour but de créer une élite impériale capable de s'identifier à l'empire dans son ensemble, plutôt qu’à une seule culture ou territoire. Elle forme des dirigeants issus de toutes les régions de l'empire pour qu'ils partagent les mêmes valeurs et loyauté envers l’empereur."
Il fit une pause, laissant à Mero le temps de digérer cette information.
"Mais l'empire ne se contente pas de forcer une uniformité à travers l'éducation. Les traditions locales sont, dans une certaine mesure, respectées. C’est un peu comme un compromis : les peuples conquis peuvent conserver leurs coutumes et leur langue, mais ils doivent reconnaître l'autorité impériale. En échange, l'empire les soutient dans leurs efforts de développement et leur assure une certaine autonomie, tant que cette autonomie ne menace pas l'unité de l'empire."
Antonin s’avança un peu plus près de Mero, comme pour insister sur l'importance de son prochain point.
"Les grandes fêtes impériales, comme celles célébrées lors du solstice d'été ou de l'anniversaire de l'empereur, sont un autre moyen de maintenir la cohésion. Chaque région, chaque peuple doit y participer, montrant ainsi son allégeance à l’empereur, mais aussi la célébration de la diversité au sein de l'empire. L'idée est que, même si les cultures locales sont préservées, elles doivent se fondre dans une vision commune de l'empire, une grande nation unie."
Il se recula, observant Mero pour voir si ces explications répondaient à sa question. Mais il ajouta tout de même, d'un ton un peu plus grave :
"Cela dit, il existe toujours des frictions. Il y a des peuples qui résistent à l'intégration, qui ne veulent pas abandonner leurs cultures et qui, parfois, se rebellent. Mais l'empire a développé des méthodes pour gérer ces tensions. Les garnisons impériales sont placées dans les zones sensibles, et des espions et des informateurs assurent la surveillance. Les révoltes sont souvent réprimées de manière rapide et décisive, bien que, en surface, l'empire se veuille tolérant."
Il laissa le silence se poser un instant. "C'est un équilibre délicat, Mero. Il faut de la diplomatie, mais aussi de la force, pour maintenir l'unité tout en respectant les différentes identités des peuples."
Mero réfléchit un instant à tout ce qu'il venait d'apprendre. Un empire construit sur un équilibre précaire entre force et tolérance, entre uniformité et diversité. C'était fascinant et, en même temps, un peu inquiétant.
"Et donc, maître," demanda Mero après un moment, "si l'empire est si attentif à l'équilibre entre cultures, qu'en est-il des peuples qui résistent vraiment ? Ceux qui n'ont pas accepté la soumission, mais qui ont été contraints à rejoindre l'empire ?"
Antonin prit un moment avant de répondre, les yeux fixant Mero avec une lueur d'expérience.
"Il existe des peuples, comme ceux des montagnes du Nord, ou des îles de l'archipel Sagara, qui ont refusé la soumission. Dans ces cas-là, l'empire utilise la répression et la récupération. Après avoir écrasé les révoltes, l'empire s’efforce de réintégrer les rebelles en leur offrant une place dans le système impérial, souvent par la force, mais parfois en négociant un compromis."
Il se redressa à nouveau, son ton devenant plus sec.
"C'est un processus long et difficile. Mais l'empire est patient, Mero. Il ne se contente pas de conquérir, il assimile. Et au fil du temps, ces peuples apprennent à comprendre qu'il est plus profitable de faire partie de l'empire que de s'en éloigner."
Mero, bien que rassuré sur l'ampleur des efforts de l'empire pour maintenir l’unité, ne pouvait s'empêcher de se demander si cette "assimilation" était réellement une victoire pour tous les peuples concernés. Il se demanda ce que cela signifierait pour lui, un jour, lorsqu'il serait confronté à ces choix en tant que membre de la noblesse impériale.
"Je comprends..." murmura-t-il. "Merci, maître."
Le bateau commença à tanguer violemment, ballotté par des vagues de plus en plus imposantes. Une tempête semblait se préparer, le ciel s'assombrissant rapidement tandis que des nuages menaçants s'amoncelaient à l'horizon. Le vent se leva, sifflant à travers les mâts et les voiles, créant une symphonie inquiétante qui résonnait sur le pont. Les marins, bien que rompus aux caprices de la mer, s'affairaient avec une urgence palpable, hissant les voiles et vérifiant les cordages pour préparer le navire à l'assaut imminent.