Mero jette un dernier regard sur le train qui s’éloigne lentement dans l’horizon, comme s’il emportait avec lui une partie de ses souvenirs et de ses doutes. Ce train, imposant et moderne, incarne le passage du temps et l’inévitable marche du destin, un destin qui, pour le deuxième fils du Roi de Sel, se tisse depuis toujours entre l’héritage d’un passé glorieux et les promesses d’un avenir incertain. Sans perdre une seconde, il se dirige vers la porte de son wagon, où un serviteur au visage impassible l’attend. Ce visage, marqué par la rigueur du devoir et la froideur des convenances, ne trahit pourtant aucune émotion, si ce n’est la précision de l’urgence dans son attitude.
Le départ approche à grands pas, et Mero sait qu’il doit rejoindre la gare, ce lieu encore inconnu pour lui, mais chargé de mystère et de possibilités. Tandis qu’il avance dans les couloirs richement décorés du complexe hôtelier, une sensation d’excitation mêlée d’appréhension s’empare de lui. Depuis toujours, il a appris à mesurer ses émotions face aux exigences d’un monde où le luxe, le protocole et la hiérarchie se côtoient avec une régularité implacable. Pourtant, en ce moment précis, son cœur palpite d’une intensité nouvelle, celui d’un homme prêt à franchir un seuil qui pourrait bien marquer un tournant dans sa vie.
Guidé par le serviteur silencieux, Mero traverse les couloirs aux boiseries ciselées et aux tapis somptueux, qui témoignent de la magnificence de l’Empire, cette puissance centrale qui régit non seulement son royaume, mais une multitude de contrées et d’influences. Chaque pas résonne comme un écho du passé, chaque regard posé sur les décors raffinés lui rappelle qu’il n’est plus l’enfant qui fouillait du regard les mystères de son enfance, mais bien un jeune homme destiné à assumer des responsabilités lourdes de sens. Dans ce décor opulent, il se sent étranger, tiraillé entre l’obligation de perpétuer une tradition impériale et le désir ardent de suivre ses propres aspirations.
Bientôt, Mero se trouve à l’extérieur du complexe. L’air y est frais et vif, contrastant avec la chaleur feutrée de l’intérieur. Le bourdonnement de la ville s’élève, mêlant bruits de la vie quotidienne et murmures d’une modernité en effervescence. Une élégante voiture à chevaux attend patiemment, prête à le conduire jusqu’à la gare. Lorsqu’il monte à bord, il sent une légère pression se déposer sur ses épaules. Loin de l’intimité et du confort d’un palais ou d’une demeure familiale, ce voyage en calèche rappelle que, malgré les fastes du luxe qui l’entourent, il reste toujours un homme en quête de sa place dans le grand théâtre de l’Empire.
Arrivé enfin à la gare, Mero découvre un lieu aussi imposant et animé que le train dont il avait eu un bref aperçu plus tôt. La gare, véritable carrefour d’émotions et de destins, grouille d’activité : voyageurs affairés, marchands pressés, serviteurs disciplinés et membres de la noblesse se croisent dans un ballet incessant. Au milieu de cette agitation, le serviteur qui l’a accompagné le guide vers une zone réservée, loin de la cohue, où il doit prendre place dans le train moderne qui l’emmènera vers des terres inconnues et des promesses d’avenir incertaines.
En entrant dans le train, Mero ressent une pointe d’émotion douloureuse. Son cœur se serre à l’idée de ne pas avoir eu l’occasion de dire adieu à ceux qui lui sont chers. Il pense à Leïla, sa nourrice dévouée qui, depuis toujours, a veillé sur lui avec la tendresse d’une mère, ainsi qu’à son maître, figure respectée dans son univers, dont l’absence ce jour-là pèse lourdement sur son âme. Tandis qu’un autre serviteur l’amène à sa cabine, il ne peut s’empêcher de ressentir le poids de ce départ précipité. La cabine dans laquelle il pénètre est d’une opulence remarquable, digne du raffinement de l’Empire.
Là, un grand canapé en velours moelleux se trouve installé près d’une large fenêtre encadrée de rideaux épais, garantissant l’intimité dont il a tant besoin. Au centre de la pièce, une table en bois précieux semble inviter à la réflexion, tandis que des étagères garnies de livres anciens et de petites décorations raffinées ornent les murs. La salle de bain, séparée par une porte en bois finement sculpté, révèle un intérieur tout aussi somptueux : le marbre blanc des lavabos, les équipements modernes et les tapis épais qui adoucissent chaque pas témoignent d’un souci du détail exceptionnel.
Le serviteur, une fois Mero confortablement installé, s’incline avec respect et déclare d’une voix posée : « Si vous avez besoin de quoi que ce soit, mon prince, je suis à votre service. » Ces mots, emprunts de la rigueur de l’étiquette impériale, résonnent en lui comme une promesse de disponibilité, même si, en cet instant, il se sent submergé par un mélange d’émotions contradictoires.
Seul dans cette cabine luxueuse, Mero laisse échapper un soupir profond. La douleur de n’avoir pu dire adieu à Leïla ou à son maître se mêle à une étrange sensation de vide, comme si, en quittant ce lieu, il laissait derrière lui une part de son identité. Malgré tout le confort qui l’entoure, l’atmosphère feutrée et raffinée ne parvient pas à dissiper l’ombre de l’absence et du regret. L’odeur du bois poli, des tissus délicats et la lumière douce filtrée par la fenêtre lui rappellent qu’il se trouve désormais dans un autre monde, un monde d’apparences et de changements où il doit apprendre à se réapproprier son destin.
Pour l’instant, Mero décide de profiter de cet instant de répit. Il laisse son esprit vagabonder, tentant de trouver dans le silence de la cabine la force de se préparer à la suite du voyage. Sur un présentoir en argent, il remarque un journal posé délicatement aux côtés d’une carte du menu qui sera bientôt servi. Intrigué, il effleure du bout des doigts ces objets, comme pour se raccrocher à une normalité rassurante dans ce décor si étranger.
Peu après, le train se met en branle. Un léger frémissement se fait sentir sous ses pieds, et la sensation agréable de la vitesse commence à le transporter loin de la ville. Par la grande fenêtre de sa cabine, Mero observe avec fascination le paysage qui défile à toute allure : des champs d’un vert éclatant, des villages pittoresques aux toits de chaume, et des collines se découpent contre le ciel. Le vent, porteur d’une odeur de terre fraîche et de végétation, caresse doucement la vitre, ajoutant à cette scène une dimension presque poétique. Chaque tournant du chemin semble offrir un nouvel angle de vue, révélant un monde toujours changeant, à la fois étrange et fascinant.
Attiré par la douceur du mouvement, Mero se tourne à nouveau vers le présentoir où le journal repose. Il hésite un instant avant de le prendre en main, remarquant que l’article de première page relate des nouvelles du royaume – des échos de l’actualité qui lui rappellent que, malgré la beauté du paysage, le monde extérieur continue de tourner avec ses joies et ses peines. Pourtant, les mots se mêlent et se brouillent sous le poids de ses pensées. Son esprit, trop préoccupé par les enjeux du destin et par les visages aimés qu’il a laissés derrière lui, peine à se concentrer sur les détails matériels de l’information.
Après un moment d’hésitation, Mero repose le journal et se permet de laisser son regard errer à nouveau par la fenêtre. Le paysage qui défile lui offre un répit bienvenu, comme une invitation à laisser de côté, l’espace d’un instant, les préoccupations de son cœur. Peut-être, se dit-il, qu’en prenant le temps de s’arrêter pour observer le monde, il trouvera la réponse aux questions qui l’assaillent. Mais pour l’heure, il se contente d’exister dans ce wagon, emporté par le mouvement régulier du train et par le souffle discret du vent.
L’envie de rompre avec la monotonie du silence finit par l’emporter. Mero se lève et quitte sa cabine pour se diriger vers les wagons-restaurants, ce lieu de convivialité et de partage où les voyageurs viennent se restaurer et se confier, le temps d’un repas. À peine a-t-il franchi le seuil que quelqu’un lui fait signe de s’installer à la table qui lui est réservée. Tandis qu’il s’apprête à commander, il ressent soudain une caresse légère sur son épaule qui le fait sursauter. En se retournant vivement, il aperçoit Leïla, sa nourrice, dont le sourire chaleureux et complice semble dissiper, un court instant, le poids de son isolement.
Leïla, figure maternelle et fidèle alliée, se tient là, debout derrière lui, ses yeux pétillant d’une tendresse infinie. Sa présence, qui a toujours été pour Mero un ancrage précieux dans un monde de conventions et d’exigences, apaise aussitôt la tension accumulée en lui. D’une voix douce et taquine, elle lui lance : « tu n’avais pas cru que je te laisserait partir si facilement sans moi. » Sans attendre de réponse, elle prend place en face de lui, et son regard bienveillant semble lui redonner la force de continuer malgré l’incertitude.
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À peine quelques instants après, un serveur revient pour prendre sa commande. Tandis que Mero se laisse porter par la légèreté du moment, la nourrice ajoute, en observant l’agitation des lieux avec une curiosité mêlée de scepticisme : « Il y a tant de choses à apprendre ici – les trains, les hôtels, la nourriture… Et toi, mon prince, tu parais d’une tranquillité presque inquiétante pour quelqu’un qui va devoir s’adapter à tout cela. » Ces mots, quoique teintés d’une pointe de reproche affectueuse, parviennent à dessiner un sourire sur le visage de Mero. Il réalise alors combien il a toujours su prendre les choses à mesure, en dépit des multiples défis qui se dressent sur son chemin.
Le repas commence dans une atmosphère feutrée, rythmée par l’arrivée successive de plats aux saveurs exquises. Pendant que les mets s’empilent sur la table, une remarque inattendue de Leïla vient rompre la quiétude ambiante. D’une voix basse et empreinte d’une certaine amertume, elle lui confie qu’elle n’a pas eu le droit de rester à son hôtel, que ce n’était pas la place d’une servante. Elle explique que Maître Antonin, attendu à la capitale, a dû partir le jour même, et que, bien que son wagon soit confortable, elle ne peut pas lui être assignée pour des raisons d’honneur et de protocole propres à la compagnie de train.
Cette révélation touche Mero en plein cœur. Il comprend alors que, dans ce monde où les règles de l’étiquette et les distinctions de rang sont d’une rigueur implacable, la place de Leïla est continuellement remise en question. Pour lui, elle a toujours été bien plus qu’une simple servante : elle a été la figure maternelle qui a su éclairer ses jours sombres et le guider sur le chemin de la maturité. D’une voix empreinte de douceur, il lui répond : « Je vois… Mais sache que tu n’es pas une simple servante pour moi, Leïla. Tu as toujours été comme une mère, et cela, rien ni personne ne pourra jamais le changer. »
Les yeux de Leïla s’emplissent d’émotion tandis qu’elle lui sourit avec tendresse, malgré une tristesse discrète. « C’est une question d’honneur, mon prince, » murmure-t-elle, « et c’est le prix à payer pour préserver la dignité de chacun ici. » Elle jette alors un regard autour d’elle, sur les visages absorbés dans leurs propres préoccupations, et ajoute : « Quoi qu’il en soit, je veillerai toujours sur toi, même si je ne peux plus te servir comme avant. »
Les mots de Mero, empreints de sincérité, résonnent dans l’espace feutré du wagon. Il insiste en ajoutant, avec la gravité d’un héritier conscient de ses responsabilités : « Peu importe ce que disent les convenances, tu resteras toujours celle qui a veillé sur moi. Ton importance dépasse largement les limites que l’on tente de t’imposer. » Leïla, émue, hoche la tête en silence, reconnaissante de cet attachement qui va bien au-delà des simples conventions sociales.
Conscient qu’il ne peut se permettre de se laisser submerger par la mélancolie, Mero invite alors sa nourrice à rester plus près de lui dans le wagon, malgré les règles strictes qui régissent la présence des invités. Ainsi, Leïla accepte cette invitation avec un sourire reconnaissant, bien que son regard trahisse une certaine retenue. « Tu es bien trop bon, mon prince, » lui dit-elle doucement en s’installant dans un fauteuil du salon privé. « Mais je ne voudrais pas abuser de ta générosité. » Mero la rassure aussitôt : « Leïla, tu n’abuses de rien. Tu as toujours été là pour moi, et je souhaite que tu restes proche, même lorsque je devrai fréquenter l’École Impériale. »
La conversation glisse alors sur des notes plus légères, et Leïla, avec une pointe d’amusement, lui lance : « Tu grandis si vite… Autrefois, c’était moi qui te fixais des règles, et te voilà en train de me protéger du système. » Mero laisse échapper un léger rire, conscient de l’ironie de la situation, et réplique : « Peut-être est-ce toi qui m’as appris à penser par moi-même. » Leïla, faussement résignée, ajoute en souriant : « Alors je viendrai te voir de temps en temps, mais pas trop, afin de ne pas laisser à tes futurs compagnons l’impression que tu es encore un enfant choyé. »
Pour Mero, l’idée même que Leïla puisse être éloignée définitivement est inconcevable. D’un ton ferme, il insiste : « Viens autant que tu le souhaites. Même lorsque je serai à l’École Impériale, je veux que tu restes auprès de moi. » Leïla, touchée par cette promesse, laisse son regard s’adoucir avant de murmurer, « Nous verrons bien ce que l’avenir nous réserve… »
Au fil des heures, le train poursuit son voyage à travers des paysages toujours renouvelés. Mero, cherchant à occuper son esprit, se plonge dans la lecture des nouvelles quotidiennes et parcourt les livres qu’il a achetés lors de ses voyages. Pourtant, une attention particulière retient sans cesse son regard : une lettre soigneusement pliée et ornée d’un baiser de rouge à lèvres, envoyée par Mandarine. Mandarine représente pour lui un amour interdit et précieux, un lien d’affection et de révolte qui défie les codes établis par l’Empire. Chaque mot de sa lettre, chaque geste symbolique du sceau d’un baiser, évoque en lui des souvenirs intenses et des promesses d’un futur commun, malgré les obstacles que la vie impose.
Alors qu’il relit la lettre pour la énième fois, Mero remarque, du coin de l’œil, un sourire en coin sur le visage de Leïla. Ce sourire, discret mais chargé de sens, ne passe pas inaperçu. Ne pouvant contenir sa curiosité, il demande d’un ton feint d’indifférence : « Pourquoi ce sourire, nourrice ? » D’abord surprise, Leïla détourne brièvement le regard avant de laisser échapper un petit rire. « Oh, ce n’est rien, juste le bonheur de voir mon prince grandir, » répond-elle en malice, faisant écho aux souvenirs d’un temps où les rôles étaient inversés. Mero, amusé, lui lance en haussant un sourcil : « Grandir ? C’est tout ce que tu veux dire ? »
Leïla soupire légèrement, puis fixe son regard malicieux sur lui. « Disons simplement que cette lettre mérite bien plus d’attention que n’importe quel livre que tu as lu récemment. » La chaleur monte aux joues de Mero, et il admet, dans un soupir, que pour lui, cette missive revêt une importance capitale. « Elle… elle est importante, » murmure-t-il en rangeant soigneusement la lettre. Leïla, se levant pour poser une main affectueuse sur son épaule, lui assure avec douceur : « Non, mon prince, je n’en fais pas trop. Mais il me semble que tu ne réalises pas encore tout ce que cette lettre représente pour toi. »
Un sourire complice se dessine alors sur le visage de Mero, qui se surprend à se sourire à lui-même, conscient que, malgré toutes les conventions et les tourments, il savoure l’instant présent. Il se rappelle alors, avec une pointe d’amusement, qu’il a parfois tendance à embellir la relation qu’il entretient avec Mandarine, préférant la célébrer plutôt que de la renier. Ce rapprochement intérieur, cette douce contradiction, le pousse à se concentrer sur l’avenir, sur les responsabilités qui l’attendent, notamment au sein de l’École Impériale, où son destin en tant que fils du Roi de Sel se conjugue avec les ambitions de l’Empire.
Le temps s’écoule, et le train poursuit inlassablement sa route à travers des contrées changeantes. Dans un silence ponctué par le bruissement des pages du journal et le cliquetis régulier des rails, Mero se laisse bercer par le rythme du voyage. Tout semble indiquer que, malgré l’isolement apparent de ce wagon luxueux, il n’est jamais vraiment seul. Entre les mots de sa lettre, les souvenirs de Mandarine et la présence rassurante de Leïla, chaque instant résonne comme un prélude à une transformation inévitable, celle d’un jeune homme qui, jour après jour, se forge peu à peu une identité propre.
Alors que le repas se termine et que le tumulte des conversations s’estompe dans une atmosphère feutrée, Mero se détourne une nouvelle fois de ses lectures pour contempler, par la fenêtre, le vaste paysage qui s’offre à lui. Le monde extérieur, en perpétuel mouvement, semble défier toutes les certitudes et inviter son regard à se perdre dans l’immensité. Chaque seconde qui passe accentue le sentiment d’appartenance à un univers en mutation, où l’ancien et le moderne se côtoient dans une harmonie parfois discordante.
Peu à peu, l’ombre d’une mélancolie douce s’installe en lui, et il se surprend à méditer sur le sens de ce voyage, sur la direction que prend sa vie. Le souvenir de Mandarine, sa fiancée aux allures rebelles et au cœur tendre, se mêle à celui de sa nourrice, figure maternelle qui l’a toujours protégé, et à celui de son passé, aux lourdes attentes impériales. Le tout forme un kaléidoscope d’émotions dont il ne peut se départir, un équilibre fragile entre devoir et désir, entre honneur et liberté.
À mesure que le train traverse les paysages, Mero comprend que chaque instant vécu, chaque regard jeté par la fenêtre, chaque mot murmuré par le vent, est une invitation à se réinventer. Même si l’avenir demeure incertain et semé d’embûches, il sait désormais que le chemin qu’il parcourt est le sien, un chemin où l’amour, la loyauté et l’ambition se conjuguent pour former le récit unique d’un héritier qui cherche à se trouver.
Lentement, les lumières tamisées du wagon se font complice de ses réflexions, et il s’abandonne à cette quiétude trompeuse, savourant ces instants suspendus où le temps semble se dilater. Le train, tel un grand navire des temps modernes, fend l’obscurité et avance inexorablement, emportant Mero vers des contrées inconnues où l’avenir, riche de promesses et de mystères, se dessine à l’horizon.
Loin devant, quelque part, le destin l’attend.