Le matin se leva sur une atmosphère pesante, bien différente de tout ce que Mero avait connu jusqu’ici. Les rues de la ville, habituellement animées par les cris des marchands et les rires des enfants, semblaient aujourd’hui étouffées sous une chape de plomb. Les gardes du seigneur pirate patrouillaient autour de l’auberge, leurs silhouettes imposantes imposant un silence chargé de tension. Leurs armures, bien que rudimentaires, brillaient d’un éclat menaçant sous les premiers rayons du soleil, et leurs regards perçants balayaient chaque recoin, chaque mouvement, comme s’ils cherchaient à déceler la moindre menace. Les passants, habituellement bruyants et insouciants, marchaient maintenant avec une prudence inhabituelle, évitant soigneusement de croiser le regard des hommes de mer. L’air était lourd, presque palpable, comme si la ville entière retenait son souffle, attendant que quelque chose se produise.
Confiné dans sa chambre d’auberge, Mero errait comme une âme en peine. Les murs, autrefois rassurants, semblaient maintenant se resserrer autour de lui, l’étouffant lentement. Le temps s’étirait à l’infini, chaque seconde paraissant une éternité. L’absence de Maître Antonin et de Leila laissait un vide profond, presque palpable. Mero ne pouvait s’empêcher de penser à leur rencontre avec le seigneur pirate, une rencontre qui pourrait bien déterminer le cours de leur destinée. Les images tourmentaient son esprit, mais il refusait de laisser la peur s’emparer de lui. Il fallait rester lucide, se concentrer sur l’aspect stratégique de la situation.
Il s’assit sur le bord du lit, les mains jointes, et tenta de rassembler ses pensées. Si le seigneur pirate avait accepté de reporter les fiançailles et le mariage, il devait certainement nourrir des attentes précises. Peut-être voulait-il tester l’engagement de Mero, ou évaluer l’influence et les ressources de sa famille. Ce genre de négociations pouvait durer des jours, voire des semaines. Il faudrait se montrer prêt pour toutes les éventualités. Mero se demanda si le seigneur pirate cherchait simplement à gagner du temps, ou s’il avait un plan plus complexe en tête. Les pirates n’étaient pas connus pour leur patience, et pourtant, celui-ci semblait jouer un jeu subtil, presque raffiné.
Dehors, les gardes entouraient l’auberge comme une muraille vivante, réduisant toute incertitude à néant. La situation semblait figée, prisonnière d’une attente oppressante. Mero n'avait d’autre choix que de patienter, espérant que Maître Antonin revienne bientôt avec des instructions. Il se leva et se dirigea vers la fenêtre, jetant un regard furtif à l’extérieur. Les gardes étaient toujours là, immobiles, comme des statues de pierre. Leurs yeux ne quittaient pas l’auberge, et Mero sentit un frisson lui parcourir l’échine. Il se demanda combien de temps ils devraient rester ainsi, enfermés dans cette chambre, à attendre que quelque chose se produise.
Le silence dans la chambre devint presque insoutenable, chaque minute semblant s’étirer plus longue que la précédente. Mero se mit à arpenter la pièce, essayant de chasser l’angoisse qui le rongeait. Puis, soudain, une silhouette apparut sur le balcon. La jeune fille se tenait là, immobile, son regard fixé sur lui à travers la fenêtre. Elle frappa doucement, presque timidement, comme si elle attendait une permission tacite. L’image avait quelque chose de surréaliste : alors que les gardes maintenaient leur vigilance en contrebas, elle osait braver cette tension pour venir à sa rencontre.
Son sourire espiègle contrastait étrangement avec l’atmosphère lourde qui régnait. Ses gestes élégants et sûrs trahissaient une habitude à naviguer dans les situations complexes. Elle semblait jouer un rôle bien plus subtil que celui de la simple fiancée imposée par son père. Mero resta figé un instant, incertain de ce qu'il devait faire. Pourquoi était-elle là, alors que son père avait déjà pris les choses en main ? Était-ce une autre manœuvre pour le tester, ou cherchait-elle réellement à discuter sur un plan plus personnel ?
Il finit par se lever lentement, entrouvrant la fenêtre. Sans un bruit, elle se glissa dans la chambre avec la grâce féline d'une panthère. Ses yeux verts capturèrent immédiatement les siens, et un sourire mystérieux effleura ses lèvres. Elle s’approcha doucement, son regard planté dans le sien. Mero recula instinctivement, mais le mur derrière lui mit un terme à sa fuite. Piégé entre cette présence envahissante et l'espace restreint, il sentit son souffle devenir plus court.
La jeune fille leva une main légère, caressant son visage avec une douceur désarmante. Avant qu’il ne puisse réagir, elle posa ses lèvres sur les siennes dans un baiser rapide mais chargé d’une urgence troublante. La pièce sembla se resserrer autour de lui, l'air lui-même vibrant sous la tension flottante qui suivit ce geste audacieux. Lorsqu'elle se recula légèrement, un sourire satisfait et énigmatique joua sur ses lèvres, comme si elle connaissait déjà la moindre de ses pensées.
Mero demeura immobile, perturbé, son esprit envahi par une confusion mêlée de fascination. La jeune fille le scrutait, attentive à la moindre de ses réactions, comme si chaque micro-expression avait une signification cruciale. Qu’attendait-elle de lui ? Une réponse, une approbation, ou simplement une preuve de ses limites ? La situation avait pris une tournure inattendue, et Mero savait que rien ne serait plus pareil après cet instant suspendu.
Le contact de ses doigts sur la joue de la jeune fille suspendit l’instant, comme si le monde autour de Mero s'était figé, n'existant plus que dans cette caresse inattendue. Sa peau, douce et tiède sous ses doigts, semblait presque irréelle, un contraste déconcertant avec l'atmosphère tendue qui pesait sur la chambre. Il aurait dû reculer, rompre ce lien insensé, mais son corps refusait d'obéir à la raison. Un frisson imperceptible parcourut la nuque de la jeune fille, mais elle ne bougea pas.
Son sourire, jusque-là malicieux, se transforma en quelque chose de plus subtil, presque énigmatique, comme si elle avait prévu ce geste, l'avait espéré, voire manipulé pour qu'il advienne. Ses paupières s'abaissèrent lentement, savourant chaque seconde, puis se rouvrirent sur un regard incandescent. Ses yeux verts, captivants et insondables, fixaient Mero avec une intensité qui le laissait démuni.
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Il voulait parler, trouver des mots pour reprendre le contrôle de la situation, mais sa gorge resta sèche. Les pensées tournaient en boucle dans son esprit, sans jamais former de phrases cohérentes. Elle, en revanche, semblait parfaitement à l’aise, maîtresse de ce moment suspendu. Puis, sans crier gare, elle se pencha légèrement, approchant ses lèvres de son oreille. Le souffle chaud qui l’effleura fit frémir Mero.
— Ne sois pas si réticent, murmura-t-elle d'une voix douce, presque caressante, mais chargée d'une ambiguïté troublante. Chaque syllabe sembla s'enrouler autour de lui, laissant derrière elles une tension palpable. Avant même qu’il ne puisse réagir, elle recula légèrement, le fixant toujours de ce regard magnétique.
L’esprit de Mero vacillait entre la rationalité qu'il avait toujours cultivée et une pulsion qu’il ne comprenait pas entièrement. Cette jeune fille, avec ses gestes calculés et son mystère envahissant, le poussait dans un territoire inconnu. Chaque fibre de son être lui criait de rester sur ses gardes, mais une autre voix plus primitive, plus audacieuse, l’encourageait à la suivre, à découvrir ce qu’elle cachait derrière ce sourire troublant.
Elle esquissa un pas en arrière, un éclat malicieux dans les yeux, et lui fit signe de la suivre.
— Viens, dit-elle simplement, comme une invitation à franchir une frontière invisible.
L’air de la chambre se fit plus lourd, chargé d'une tension oppressante. Mero avança, les jambes tremblantes sous le poids de l’adrénaline. Chaque pas semblait le mener plus loin dans un monde dont il ignorait les règles. Pourtant, une part de lui brûlait de curiosité, de ce besoin impérieux de comprendre cette fille énigmatique et les intentions de sa famille.
Alors qu'il tendait la main pour saisir son poignet, déterminé à ne pas la laisser s’échapper, elle esquiva avec une aisance déconcertante, glissant hors de sa portée comme une ombre insaisissable. Son rire cristallin résonna dans la pièce, léger mais chargé d'une provocation calculée.
— Tu es encore trop lent pour moi, lança-t-elle d'une voix douce, mais teintée de défi.
Avant qu’il n'ait le temps de réagir, elle pivota sur ses talons et se dirigea vers le balcon. Sa démarche était fluide, presque féline, comme si rien ne pouvait l'atteindre. Mero fit un pas en avant, mais elle s’éclipsa dans un dernier éclat de rire, disparaissant aussi soudainement qu’elle était apparue.
Le silence retomba dans la chambre, mais l'air semblait encore vibrer de son passage. Le cœur battant à tout rompre, Mero resta figé, la main toujours levée dans le vide. Une colère sourde monta en lui. Avait-elle joué avec lui ? Était-ce une simple provocation, ou un test plus subtil, destiné à jauger ses réactions ?
Il passa une main nerveuse sur son visage, tentant de calmer le chaos dans son esprit. Depuis son arrivée ici, tout semblait régi par des codes obscurs, des règles tacites qu’il peinait à comprendre. Son regard se posa sur la boîte trouvée au marché, celle ornée des anciennes armoiries de sa famille. L’objet semblait maintenant chargé de significations mystérieuses, une pièce d’un puzzle dont les contours lui échappaient encore.
La rage monta en lui, brutale et incontrôlable. Il avait toujours vécu dans un monde structuré, où chaque chose avait une place définie, où les actions suivaient une logique implacable. Ici, tout était différent, chaotique, insaisissable. Il donna un coup dans le mur, le poing serré, cherchant une issue à cette frustration dévorante. Le bruit sourd résonna dans la pièce, mais cela ne calma en rien la fureur qui grondait en lui.
Après plusieurs longues minutes de cette tempête intérieure, Mero finit par respirer profondément. Cela ne servait à rien. La rage aveugle ne lui apporterait aucune réponse. Il passa une main tremblante dans ses cheveux, fixant à nouveau la boîte. Quelque chose avait changé, il le sentait. Une ligne invisible avait été franchie. Rien ne serait plus jamais comme avant.
Mero descendit lentement les escaliers de l’auberge, chaque marche protestant sous son poids avec un craquement sec, comme si le bois lui-même refusait de supporter la tension qui pesait sur ses épaules. La salle principale grouillait de vie, un chaos organisé où les rires gras des marins se mêlaient au crépitement des flammes dans l’âtre. Des hommes aux visages burinés par le sel et le vent étaient attablés, leurs mains calleuses enserrant des chopes de rhum qui débordaient de mousse. L’air était saturé d’effluves âcres de tabac et d’alcool, se mêlant aux arômes épicés d’un ragoût qui mijotait dans une marmite noircie suspendue au-dessus du feu.
D’un pas mesuré, Mero traversa la pièce, évitant soigneusement les regards insistants des clients. Les yeux des marins semblaient le suivre, chargés de curiosité et de méfiance, comme s’ils sentaient qu’il n’appartenait pas à leur monde. Le comptoir, massif et lustré par des années de service, lui parut étrangement imposant sous la lumière vacillante des lanternes accrochées au plafond bas.
— Un jus de fruit, demanda-t-il d’une voix ferme, brisant la cacophonie ambiante.
L’aubergiste, un homme large d’épaules dont le tablier portait les stigmates de mille repas préparés à la hâte, plissa légèrement les yeux, visiblement surpris.
— Du jus ? répéta-t-il, comme si ce mot lui était étranger.
Mais il hocha la tête sans faire davantage de commentaires et disparut derrière le comptoir. Quelques secondes plus tard, il déposa devant Mero un verre rempli d’un liquide orange intense, probablement une concoction locale mêlant fruits tropicaux et agrumes acidulés.
Sans attendre, Mero saisit le verre, ignorant les murmures amusés de certains marins qui avaient probablement espéré le voir demander du rhum, comme tout homme respectable dans cette taverne. Leurs rires étouffés résonnèrent dans son dos, mais il n’y prêta aucune attention. Il avait d’autres préoccupations en tête.
Il remonta les escaliers aussi silencieusement qu’il était descendu, portant toujours ce poids invisible qui lui comprimait la poitrine. Une fois dans sa chambre, il verrouilla la porte derrière lui, coupant définitivement le brouhaha du monde extérieur. Le calme relatif de la pièce l’enveloppa comme une couverture apaisante. Les murs de bois, patinés par les années, dégageaient une odeur subtile de résine, rappelant les forêts lointaines d’où ils avaient été arrachés. Le lit rustique, couvert d’une couverture épaisse aux teintes ternes, l’attendait patiemment, mais Mero n’avait aucune intention de s’y reposer.
Il posa le verre sur la petite table près de la fenêtre et sortit le livre acheté pour Leïla. Les pages, jaunies par le temps, craquèrent légèrement sous ses doigts tandis qu’il les feuilletait avec précaution. Le recueil renfermait des contes et légendes venues d’un autre temps, des récits peuplés de dieux capricieux, de héros oubliés et de royaumes engloutis. Les mots semblaient danser sous ses yeux, et pendant un instant, il parvint à échapper à la tourmente qui menaçait de l’engloutir.
Le regard de Mero se perdit dans la pénombre de la chambre, fixant un point invisible au-delà des murs. La jeune fille, son baiser furtif, son sourire énigmatique… Tout cela tournait dans son esprit, se mêlant aux mots du livre.
Il ferma le livre avec un claquement sec, rompant le silence de la pièce. Le verre de jus de fruit, à moitié vide, reposait toujours sur la table, oublié. Mero se leva et se dirigea vers la fenêtre, poussant les volets pour laisser entrer la brise nocturne. L’air frais caressa son visage, mais il n’y trouva aucun réconfort.
Les étoiles brillaient au-dessus de la ville, indifférentes aux tourments des hommes. Mero les contempla un moment, cherchant une réponse dans leur lumière lointaine. Mais les étoiles restaient silencieuses, comme elles l’avaient toujours été.
Il savait qu’il ne pourrait pas échapper à ce qui l’attendait.
Mero ferma les volets et retourna s’asseoir, reprenant le livre entre ses mains. Pour cette nuit, il devait se contenter de légendes.