Après une semaine passée à affronter le froid mordant et à naviguer péniblement parmi les glaces dérivantes, le vent tourne soudainement. Une brise tiède se lève, douce et humide, comme une caresse inattendue après des jours de tourmente. Les premières vagues viennent lécher la coque du navire, rompant enfin l’immobilité glaciale qui avait emprisonné l’océan. Des craquements se font entendre lorsque la glace cède sous la pression de l’eau retrouvée, et les marins poussent des soupirs de soulagement.
Les manteaux épais sont rangés, les écharpes dénouées. Le capitaine, jusqu'alors figé par l’inquiétude, retrouve son assurance. Les jours qui suivent offrent un répit bienvenu. L’océan, libéré de son carcan de glace, retrouve son éclat mouvant. Les marins sifflotent de nouveau en manœuvrant les voiles, et les conversations légères remplacent les silences pesants.
Les oiseaux marins réapparaissent, tournoyant dans le ciel avant de plonger gracieusement dans l’eau. Ce retour est un signe infaillible : ils approchent des eaux plus tempérées. Maître Antonin, toujours vigilant à l'éducation de Mero, profite du calme pour lui enseigner l'art complexe de la lecture des cartes maritimes. Assis à la table du poste de navigation, il trace des lignes imaginaires sur les parchemins jaunis.
— Regarde ici, Mero, dit-il en pointant une zone ombrée. C’est l’ancienne route des épices. Les marchands la suivaient autrefois, mais elle est devenue trop périlleuse à cause des courants imprévisibles.
Mero écoute avec attention, absorbé par les récits des anciennes routes commerciales et des périls maritimes que les navigateurs de jadis affrontaient avec bravoure.
Un cri déchire la tranquillité :
— Terre en vue !
La voix vient de la vigie. L'excitation se propage instantanément parmi l'équipage. Les marins accourent, se pressant le long du bastingage. Après des semaines passées à errer sur cette immensité sans repères, la perspective de toucher terre semble une bénédiction divine.
Mero se précipite dehors. Il plisse les yeux, scrutant l’horizon. Une fine ligne sombre se détache du bleu infini de l'océan, hésitante mais bien réelle.
— C'est le Royaume d'Ambrelune, déclare Maître Antonin en ajustant ses lunettes pour mieux observer la côte.
Un frisson parcourt l’échine de Mero. Il a tant entendu parler de ce royaume légendaire : ses cités marchandes prospères, ses maisons immaculées aux toits bleus qui rivalisent avec l’azur du ciel, et ses marchés regorgeant de merveilles venues des quatre coins du monde.
Le capitaine, une lueur de satisfaction dans le regard, donne ses ordres :
— Préparez-vous à accoster !
Les marins se précipitent pour ajuster les voiles et vérifier les amarres. Chacun s’active, galvanisé par l’idée de retrouver la terre ferme.
Lorsque le navire glissa lentement à travers les eaux claires de la baie d'Ambrelune, un paysage enchanteur se déploya peu à peu sous les yeux de Mero. Les falaises escarpées, d'un blanc éclatant, se dressaient fièrement en surplomb de l'océan, comme sculptées par les vents et les siècles. Elles étaient parsemées de maisons immaculées, dont les murs de chaux reflétaient intensément la lumière du soleil, donnant à l'ensemble l'apparence d'une toile vivante. Leurs toits d'un bleu vif rivalisaient avec l'azur éclatant du ciel, créant un contraste saisissant qui frappait immédiatement l'imaginaire.
Plus bas, les terrasses en cascade semblaient descendre jusqu'à la mer, reliées par un dédale de ruelles pavées et de sentiers escarpés. Les bougainvilliers, éclatants de pourpre, s'enroulaient autour des colonnes et des balcons en fer forgé, apportant une touche vibrante à ce décor presque irréel. Des moulins à vent, aux ailes immobiles sous la chaleur montante, ponctuaient l’horizon comme de vieux gardiens silencieux de cette côte baignée de lumière.
Le port lui-même s'animait d'une frénésie presque palpable. Les quais étaient bondés de monde, une marée humaine bigarrée composée de marchands criant leurs prix, de dockers aux muscles saillants portant d’imposants ballots de marchandises exotiques, et de voyageurs venus des quatre coins du monde. Les couleurs vives des étoffes suspendues aux étals se mêlaient au scintillement des bijoux en or et en argent exposés fièrement par les négociants.
If you come across this story on Amazon, it's taken without permission from the author. Report it.
Les odeurs mêlées de sel marin, d’épices chauffées par le soleil, et de poisson fraîchement pêché flottaient dans l’air, saturant les sens. Par moments, une brise légère, chargée de parfums floraux venus des hauteurs, parvenait jusqu’au pont, offrant un bref répit à la chaleur grandissante.
Le clapotis régulier des vagues contre les coques des navires rythmait l’activité incessante du port. De petits bateaux de pêche, peints de couleurs vives, dansaient sur l'eau, leurs filets chargés de poissons argentés étincelant sous le soleil. À côté d'eux, de majestueux navires marchands se tenaient fièrement, leurs mâts élancés semblant vouloir percer les cieux.
Des entrepôts de pierre aux toits de tuiles ocre bordaient les jetées, formant une muraille imposante. Leurs vastes portes, grandes ouvertes, laissaient entrevoir des piles de caisses en bois marquées de symboles mystérieux, témoins des routes commerciales complexes qui convergeaient ici. Des travailleurs allaient et venaient, leurs voix se mêlant au fracas des charrettes et au grincement des grues en bois manœuvrées avec précision.
Plus en retrait, de hautes tours de guet se dressaient fièrement, leurs sommets coiffés de coupoles bleutées. Des sentinelles y montaient la garde, leurs silhouettes se détachant nettement contre le ciel éclatant. Leurs regards scrutaient l'horizon avec une vigilance constante, prêts à signaler toute menace venant du large.
L’architecture d’Ambrelune captivait par son mélange harmonieux de pragmatisme portuaire et d’une élégance saisissante. Les grandes halles marchandes, vastes et aérées, étaient soutenues par des colonnades en pierre blanche finement ciselées. Sous ces arches ombragées, les négociants s’activaient, leurs voix résonnant en écho dans un brouhaha continu. Les discussions commerciales se mêlaient aux éclats de rire des marins et aux chants des crieurs publics vantant les mérites de leurs produits.
Sur une place centrale, une fontaine monumentale jaillissait, projetant des éclats d’eau cristalline sous les rayons du soleil. Des enfants y jouaient, éclaboussant joyeusement les passants, tandis que des vieillards, à l'ombre de palmiers gracieux, discutaient paisiblement en observant l’agitation alentour.
Plus loin, des terrasses de cafés s’étendaient sous des auvents colorés, offrant aux visiteurs un refuge bienvenu pour savourer une boisson fraîche tout en admirant le spectacle animé du port. Des serveurs aux tabliers immaculés allaient et venaient avec une efficacité maîtrisée, portant des plateaux chargés de mets appétissants.
Le spectacle offert par cette cité portuaire était une célébration de la vie elle-même, une mosaïque vibrante de couleurs, de sons et de senteurs qui frappait l'esprit par sa richesse et sa vitalité. Ambrelune, avec son éclat éblouissant et son effervescence constante, semblait être une promesse d'aventures et de découvertes infinies.
Lorsque le navire est enfin solidement amarré, le capitaine s'adresse à l’équipage :
— Vous avez deux jours pour vous reposer, faire des provisions et profiter du port. Mais écoutez bien : pas d’ennuis, pas de duels stupides, et surtout… pas de dettes de jeu impayées !
Les marins éclatent de rire avant de descendre en groupes sur les quais, avides de retrouver les plaisirs de la civilisation après tant de temps en mer.
Maître Antonin, fidèle à ses habitudes, se tourne vers Mero et Leïla.
— Nous allons explorer la ville. C'est une occasion unique d'en apprendre davantage sur les coutumes locales.
Mero acquiesce, le cœur battant d’excitation.
Alors qu'ils déambulent dans les ruelles pavées, un garçon des rues surgit devant Mero. Il tend une lettre scellée d'un cachet de cire noire, un sourire espiègle sur les lèvres.
— C’est pour vous, monsieur, dit-il avant de disparaître dans la foule.
Mero reste un instant immobile, déconcerté. Comment une lettre pouvait-elle lui parvenir si rapidement alors qu’il venait à peine d’accoster ?
Maître Antonin s'approche, intrigué.
— Une correspondance rapide, murmure-t-il en observant le sceau. Les pirates ont leurs propres moyens de communication...
Mero brise le sceau et déplie la lettre avec précaution. L’écriture élégante mais légèrement inclinée trahit une certaine urgence.
Mon cher fiancé,
J’espère que la mer t’a été clémente et que tu es arrivé sain et sauf à Ambrelune. Je voulais que tu reçoives cette lettre dès ton arrivée, pour que tu saches que je pense à toi. Mon père me prépare à mon rôle futur, et moi… je m’ennuie déjà de notre dernière nuit à bord.
Les mots de Mandarine semblent danser sous ses yeux, évoquant des souvenirs encore brûlants. Mais la suite de la lettre fait naître une tension glacée.
Prends garde. Il y a des yeux partout, et certains ne veulent pas que ce mariage ait lieu. Mon père a de nombreux alliés… mais aussi des ennemis. Si tu vois un homme avec un tatouage en forme de serpent sur le poignet gauche, évite-le à tout prix.
Le cœur de Mero se serre. Cette lettre, à la fois douce et inquiétante, porte un avertissement grave.
Il replie lentement le papier, le glissant précieusement dans sa veste. Une ombre semble désormais planer sur cette escale à Ambrelune. Mandarine avait pris soin que son message lui parvienne immédiatement. Mais si elle avait pu le faire si vite, d’autres forces pourraient déjà être à l’œuvre.
L’exploration de la ville prenait soudain une tournure bien plus périlleuse qu’il ne l’avait imaginé.