La nuit tombait lentement, comme une lourde couverture drapée sur le navire, alors que la fête battait son plein sur le pont. Les marins, les mousses et les officiers étaient tous parés de leurs plus beaux atours, transformant le vieux vaisseau en une scène de réjouissances flamboyantes. Le soleil couché semblait prolonger l’instant de plaisir, réchauffant les visages, rendant l’air presque enivrant, rempli des éclats de rires et des cris joyeux. Mero, cependant, se sentait plus spectateur qu’acteur dans cette scène animée. Il se tenait à l’écart, appuyé contre le bastingage, les yeux perdus dans l’horizon où le ciel et la mer se confondaient dans une palette de couleurs orangées et pourpres. Les rires des marins, les mélodies entraînantes des instruments de fortune, les claquements des sabots sur le pont… tout cela semblait lointain, comme s’il observait la scène à travers une vitre épaisse.
Les marins, en habits de fête, se déhanchaient avec une énergie frénétique. Leurs rires emportaient les vagues, leurs voix et leurs pas se mêlant à la brise marine qui fouettait le pont. Le capitaine, droit et imposant, se tenait à une table surélevée, son regard perçant semblant scruter chaque mouvement. Leïla, elle, était la reine de la danse, glissant avec grâce parmi les marins, sa silhouette élégante comme une déesse de la mer. Et Mero, là, à l’écart, se sentait tel un oiseau dans une cage dorée, perdu entre la joie de l’instant et la solitude qu’il ressentait au fond de son cœur.
Il s’avança lentement sur le pont, le bruit des talons des marins martelant le bois résonnant dans sa tête. Ses yeux scrutaient les visages joyeux autour de lui, observant les gestes familiers, mais il ne parvenait pas à se fondre dans la masse. Le spectacle était beau, mais l’angoisse, invisible mais bien présente, s’insinuait en lui. Il ne faisait pas partie de ce monde. Pas encore. Peut-être qu’il ne le ferait jamais.
« Tu n’as pas l’air bien, Mero », dit une voix douce, familière.
Mero tourna la tête et aperçut Leïla, qui s’approchait de lui avec un sourire espiègle, une étincelle malicieuse dans ses yeux. Elle portait une robe d’apparat, d’un bleu profond, qui contrastait avec ses cheveux noirs, et elle était absolument à l’aise dans cette fête, absorbée par l’atmosphère festive.
« Tout va bien, » répondit Mero, presque par automatisme, bien qu’il sache que Leïla ne serait pas dupe de sa fausse tranquillité.
Elle haussa un sourcil, les bras croisés sur sa poitrine, attendant qu’il parle davantage, mais Mero détourna les yeux, évitant son regard insistant.
« Tu sais, Mero, » reprit-elle, sa voix douce mais ferme, « tu ne peux pas rester éternellement à l’écart. Cette fête est aussi pour toi. »
Il prit une profonde inspiration, essayant de se remettre dans l’instant, de se fondre dans la foule. La musique résonnait désormais dans ses oreilles, une mélodie entraînante, festive, tandis que les marins se lançaient dans des danses improvisées, une danse qui semblait les libérer de toutes leurs inhibitions. Mero, malgré son cœur battant plus fort, finit par sourire, un sourire timide qui se transforma en un rire nerveux. Ses pas l’amenèrent un peu plus près de l’attroupement, une part de lui curieuse, l’autre craintive, se demandant s’il pouvait, lui aussi, rejoindre ce cercle de joie.
Mais à cet instant, le capitaine fit une annonce.
« Joyeux anniversaire, Mero ! »
Un silence soudain, comme si le monde autour de lui s’était figé. Tous les regards se tournèrent vers lui, comme une mer déchaînée, l’engloutissant. Mero sentit son cœur battre à tout rompre, et un frisson froid parcourut son échine. Lui ? Lui, en plein centre de cette fête, sous le feu des regards ? C’était absurde. Comment avait-il pu en arriver là ? Il se sentait comme un enfant pris au piège dans une situation qui le dépassait.
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Le capitaine, implacable comme toujours, lui offrit un sourire, un de ceux qu’on réserve aux membres d’équipage les plus respectés. L’expression de son visage était impassible, mais ses yeux brillaient d’une lueur qui faisait se tordre les entrailles de Mero. Les marins, eux, étaient pleins de vivacité et applaudissaient, leurs mains résonnant sur le bois du pont comme des tambours. Mero, cependant, se sentit complètement à l’écart de cette joie collective. Il n’était pas prêt. Pas prêt à être sous le feu des projecteurs.
Son maître, qui était resté jusque-là en retrait, observa la scène avec un regard de fierté presque paternel. Il adressa à Mero un sourire discret, un de ceux qu’il lui réservait en des moments où il voulait dissimuler ses véritables intentions. Leïla, quant à elle, se permit un clin d’œil malicieux, comme pour lui dire qu’il n’avait aucune raison de s’inquiéter. Pourtant, Mero était à peine capable de répondre, le malaise dans son ventre pesant lourdement. Il balbutia quelques mots, tentant de masquer son trouble.
« Merci… à tous, » dit-il enfin, la voix légèrement tremblante. Il aurait voulu y mettre plus de force, de conviction, mais il n’arrivait pas à y parvenir. Les regards des marins, pleins de respect mais aussi d’attentes, pesaient sur lui, et il se sentit plus vulnérable que jamais.
Heureusement, la fête reprit vite son cours. Les applaudissements cessèrent peu à peu, et les marins, après avoir dansé autour de lui, se remirent à leurs réjouissances. Mais Mero n’arrivait pas à se débarrasser de ce sentiment de décalage. Qu’est-ce que ce monde de surface cachait en réalité ? Il avait l’impression de ne pas être à sa place, et pourtant, il savait que, dans un sens, il n’y avait nulle part ailleurs où il aurait dû être.
Alors, comme dans un rêve où tout semble irréel, les cadeaux commencèrent à être remis. Le capitaine s’approcha de lui, un paquet en mains. Il lui tendit un couteau de marin, magnifiquement orné, son manche en os de tarasque marine gravé de motifs complexes représentant des sirènes. Le métal brillant capturait les derniers rayons du soleil. Mero le prit avec une hésitation marquée, le poids du couteau agréable dans sa main. Ce cadeau, apparemment simple, était une marque de confiance. Une promesse. C’était le genre d’objet qui allait devenir une part de lui, une arme mais aussi un symbole de ce qu’il devait devenir. Le regard des marins se fit plus appuyé, plus respectueux, et il ne pouvait ignorer ce poids qui pesait désormais sur ses épaules.
« Un couteau, c’est plus qu’une arme, Mero, » dit le capitaine, sa voix grave et solennelle. « C’est un outil, un compagnon. Il te protégera, mais il te rappellera aussi que tu fais partie de cet équipage. »
Mero hocha la tête, incapable de trouver les mots pour exprimer ce qu’il ressentait. Le couteau, dans sa main, semblait presque vivant, comme s’il portait en lui une part de l’âme du navire.
Leïla lui tendit un paquet plus petit. Lorsqu’il l’ouvrit, il y trouva des biscuits, les mêmes qu’il aimait tant lorsqu’il était enfant, des douceurs simples qui rappelaient un passé révolu. Il sentit un frisson de nostalgie parcourir son dos. Ces biscuits, fabriqués avec soin et offerts avec une tendresse qu’il devinait dans le geste de Leïla, lui rappelaient une époque plus simple, avant les responsabilités, avant les choix difficiles. Il la remercia avec un sourire sincère, la nostalgie se mêlant à un sentiment étrange, celui de la reconnaissance et de la perte.
« Je savais que tu les aimais, » dit-elle simplement, un sourire doux sur les lèvres. « Ils te rappelleront d’où tu viens, même lorsque tu seras loin. »
Enfin, son maître s’approcha de lui. D’un geste solennel, il lui tendit un pistolet de marin. La crosse, en bois de sanglin, d’un rouge éclatant, brillait sous les lumières tamisées. Mero le prit dans ses mains, conscient que ce cadeau allait au-delà de la simple fonction d’un objet. Il s’agissait d’un héritage. Un symbole de la transition vers un monde adulte, fait de dangers et de responsabilités. Il n’était plus un enfant. Il ne pourrait plus se cacher derrière son innocence. Le regard de son maître ne laissait aucune place au doute : il attendait beaucoup de lui.
« Ce pistolet, Mero, est plus qu’une arme, » dit son maître, sa voix basse mais empreinte d’une gravité qui fit frissonner Mero. « C’est un rappel. Un rappel que tu es désormais responsable de ton destin, et de celui de ceux qui comptent sur toi. »
Mero sentit un poids s’installer sur ses épaules, un poids qu’il n’avait jamais ressenti auparavant. Les cadeaux, chacun à sa manière, semblaient tissés d’une même toile invisible, un fil d’argent qui le reliait à ce monde de marins, à ces hommes et ces femmes qui composaient son nouveau foyer, son nouveau destin. Il était maintenant un homme parmi eux, un futur membre de cet équipage. Il le sentait dans ses os. Le poids des objets était comme un enchaînement qui l’attirait vers un avenir encore flou.
Le reste de la soirée se déroula dans une atmosphère étrange, marquée par un mélange de joie et d’introspection. Mero se sentait ailleurs, un peu déconnecté, observant la fête comme un témoin. À mesure que la nuit avançait et que les derniers rires se perdaient dans la brume du matin, il monta vers sa cabine, épuisé mais heureux, emportant avec lui les cadeaux, ces symboles de son passage à l’âge adulte.
Il s’assit sur son lit, une profonde fatigue le gagnant. Le silence de la nuit, avec le seul bruit des vagues caressant la coque du navire, l’enveloppait dans une étrange paix. Ses yeux se posèrent sur les objets qu’il avait reçus. Le couteau, les biscuits, le pistolet. Chacun d’eux portait une signification profonde. Les vagues de la mer, le tumulte des émotions, tout cela s’éloigna lentement tandis que Mero se laissait engloutir par le sommeil.
Mais au fond de son esprit, une question persistait : ce futur, avec ses responsabilités et ses choix, serait-il aussi lourd à porter qu’il le redoutait ?