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Swizik

Le train ne s'arrête jamais longtemps. D’ordinaire, il ne reste à quai qu’une heure au maximum, parfois même quelques minutes à peine. Mais aujourd’hui, c’est différent. Pour la première fois, le convoi stationnera pendant huit heures afin de permettre le changement de locomotive, une opération indispensable pour traverser les montagnes, car un moteur plus puissant est requis pour affronter ces routes escarpées. Mero accompagné de Leila, en profita pour découvrir le village des horlogers Swizik.

Le village des horlogers Swizik, niché entre d’imposants sommets enneigés au cœur de la cordillère de Tempelune, semblait tout droit sorti d’un rêve. Les maisons à colombages, aux toits en pente recouverts de tuiles rouges et ornées de volets colorés, s’accrochaient aux pentes abruptes. Leurs façades en bois sombre arboraient de délicates sculptures évoquant des montres anciennes et des mécanismes d’horlogerie. De petites fenêtres aux cadres blanchis laissaient filtrer une lumière douce et chaleureuse, même lorsque la nuit étendait son voile sur la cité.

L’air vif, chargé du parfum du bois brûlé et de celui du pain fraîchement sorti du four, enveloppait le village d’une ambiance à la fois chaleureuse et vivifiante. Les rues étroites, pavées de pierres grises, serpentaient entre les chalets, ponctuées çà et là de massifs de fleurs colorées et de plantes grimpantes, conférant à l’endroit un charme intemporel. Au loin, des cloches résonnaient en écho, se mêlant au doux murmure d’une rivière cristalline qui serpentait paisiblement entre les bâtisses, offrant une vision pittoresque qui contrastait avec la modernité du train et de l’Empire.

Dans chaque recoin, l’odeur fraîche et boisée caractéristique des montagnes s’imprégnait dans l’air. À chaque coin de rue, des horlogers s’affairaient dans de petites boutiques vitrées, exposant des engrenages étincelants, des aiguilles finement ajustées et des cadrans de montres disposés avec soin sur des tables de travail en bois. La langue des locaux, avec ses roulées de R prononcées d’un fond guttural qui rappelait, certes, la verve de certains marins mais en demeurant singulièrement différente, ajoutait à l’atmosphère un côté authentique et étrangement mélodieux, renforçant l’impression d’un lieu figé entre réalité et rêve, où le doux tic-tac des horloges remplaçait le tumulte habituel des grandes villes.

Emmitouflée dans un épais châle pour se protéger du froid montagnard, la nourrice de Mero arpentait les rues avec une curiosité non dissimulée. D’une voix feutrée, elle commenta : « C’est bien différent de ce que nous connaissons… » Tandis que Mero observait attentivement les lieux, il constatait que les rues pavées étaient bordées de petites boutiques proposant montres artisanales, chocolat épicé et étoffes brodées de motifs inspirés des montagnes. Les habitants, emmitouflés dans de chauds manteaux, saluaient poliment en passant, comme pour témoigner de leur fierté d’appartenir à ce lieu préservé.

Ils s’engagèrent sur la rue principale, déambulant au gré de leurs envies. Les enseignes en bois sculpté oscillaient doucement sous la brise, et à chaque coin de rue, un nouveau parfum se dévoilait. Un boulanger, sortant une fournée de pains dorés, laissait échapper un arôme irrésistible qui se mêlait harmonieusement à celui, plus capiteux, du fromage fondu provenant d’une auberge voisine.

Au détour d’une allée, la nourrice s’arrêta devant une boutique d’horloger, ses yeux pétillant d’émerveillement devant les montres exposées dans la vitrine. « Ces mécanismes sont d’une précision incroyable… » murmura-t-elle avec admiration, tandis que Mero, tout en scrutant les détails des objets, se laissait également imprégner par l’ambiance singulière du lieu.

Plus loin, la rue s’ouvrit sur une place animée où se tenait un marché. Des étals regorgeaient d’étoffes épaisses, de couteaux finement ouvragés et de bouteilles renfermant un alcool local à la teinte ambrée. Un groupe de musiciens, accompagné du claquement rythmé des chaussures à semelles cloutées d’un danseur, interprétait un air entraînant qui donnait à la scène une allure festive et authentique. C’est alors que le regard de Mero fut attiré par un étal particulier.

Installé sous un auvent de toile usée, un vieil homme vendait bijoux et objets en métal gravé. Parmi ces trésors, une boussole finement décorée retint immédiatement son attention. Son couvercle, orné d’un relief représentant un navire affrontant une tempête, semblait renfermer l’âme des mers lointaines. Mero s’approcha et, d’une voix posée, demanda au vieil homme l’histoire de cette boussole et comment il l’avait acquise.

Le vieil homme leva alors ses yeux clairs, pétillants d’un éclat malicieux sous des sourcils broussailleux, et prit délicatement la boussole entre ses doigts noueux. Il la fit tourner lentement, comme s’il réveillait un vieux souvenir enfoui au fond des flots du temps. « Ah, cette boussole, jeune homme… » commença-t-il d’une voix rocailleuse, empreinte d’un accent typique de la région, « elle a vu plus de mers que la plupart des hommes de ce village ! »

Il expliqua que jadis, un capitaine de passage, un marin au long cours, lui avait échangé cet objet précieux. « On raconte qu’elle appartenait à un corsaire redouté, un homme qui sillonna les eaux de l’Empire et au-delà, » ajouta-t-il en ouvrant avec soin le couvercle de la boussole pour révéler une inscription gravée dans le métal patiné par le temps :

« Que jamais l’horizon ne se referme sur moi. »

Le vieil homme esquissa un sourire en coin, comme complice d’un grand rêve. « On dit que cette boussole n’a jamais failli, qu’elle pointe toujours le bon chemin, même lorsque tout semble perdu. Mais, entre nous, ce ne sont peut-être que des histoires de marins. »

D’un regard curieux, il poursuivit : « Vous avez l’air d’un voyageur, vous aussi. Une boussole comme celle-ci pourrait bien vous être utile. »

Mero, passionné par la mer et les mystères qu’elle recèle, acquiesça silencieusement. Il remarqua également, dans un coin de l’étal, une petite montre à gousset. Le vieil homme, remarquant l’intérêt que portait le jeune homme, en sortit délicatement une autre de sa poche, attachée à une chaîne en argent finement ciselée. Bien que légèrement usée, cette montre dont le boîtier en laiton poli brillait à la lumière, semblait raconter sa propre histoire.

« Ah, celle-ci… » dit-il en appuyant sur un petit bouton, « elle est plus récente que la boussole, mais elle a son propre charme. »

Il la présenta à Mero en expliquant qu’un horloger voyageur lui avait un jour vendu cette montre, qui avait appartenu à un explorateur mesurant chaque seconde de ses aventures – les marées, les levers de soleil, et même le temps qu’il lui fallait pour écrire une lettre. Il pointa alors une inscription gravée sur le boîtier :

« Tempus Fugit – le temps fuit, mais celui qui porte cette montre le rattrapera toujours. »

Refermant la montre avec précaution, le vieil homme ajouta, avec un sourire malicieux :

« Et vous, jeune homme, préférez-vous savoir où aller, ou combien de temps il vous reste pour y arriver ? »

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Après cet échange riche en histoire, Mero s’intéressa au prix de la boussole. Le vieil homme, caressant l’objet avec délicatesse, déclara d’un ton mesuré :

« Cette boussole a guidé bien des hommes sur les flots, et pourrait encore rendre de grands services. Je pourrais vous la céder pour, disons, quarante piastres. Elle n’est pas une simple babiole ; elle est précise, robuste et chargée d’histoire. »

Mero, animé d’un esprit de négociation hérité de ses nombreuses expériences, entama la marchandise d’une voix assurée. D’abord, il proposa vingt piastres, ce qui fit froncer les sourcils au vieil homme qui, après un court silence ponctué d’un petit rire, répliqua :

« Vingt, vraiment ? Vous avez du cran, jeune homme, mais cette boussole a une valeur bien supérieure. Je suis certain que vous pouvez faire mieux que cela. »

Souriant d’un air malicieux, Mero rétorqua que, dans cette région, la boussole n’était guère utile, et qu’il serait contraint de la garder encore longtemps s’il ne pouvait la négocier à un prix plus raisonnable.

Le vieil homme, amusé par cette répartie, réfléchit un instant avant de proposer un compromis :

« Très bien, je vais baisser mon prix. Que diriez-vous de trente piastres ? Ce n’est certes pas une broutille, mais elle mérite cette valeur. »

Le regard de Mero croisa celui du marchand d’un air déterminé, et l’accord fut scellé d’un signe de tête.

« Marché conclu, » déclara le vieil homme, puis il ajouta en souriant :

Mero remit les trente piastres, et en échange, reçut l’objet précieux, qui scintillait doucement sous la lumière du soleil. Le vieil homme rangea alors la boussole dans une petite pochette de cuir et lui tendit, en guise de restitution, les piastres correspondantes.

Fort de ce nouvel acquis, Mero reprit sa promenade à travers le village pittoresque, la boussole désormais en sa possession, symbole de mystères et d’aventures à venir. Rapidement, la faim se fit sentir, et l’attention se porta sur un restaurant proposant un plat singulier nommé « raclette » – un terme encore inconnu aux oreilles du jeune héritier. Dans l’instant, Mero et sa nourrice se dirigèrent vers l’établissement pour découvrir ce mets.

À l’intérieur, le restaurant affichait une ambiance conviviale et chaleureuse. Le serveur, arborant un sourire accueillant, expliqua avec entrain que la raclette était un plat chaud à base de fromage fondu, servi sur des pommes de terre, des légumes, et parfois accompagné de charcuterie. Le fromage était disposé sur des plaques chauffées à côté de la table, permettant ainsi à chacun de déguster à sa guise ce festin simple et copieux.

Mero observa les autres convives, captivé par les arômes enivrants du fromage chaud et des ingrédients variés qui emplissaient l’air. Lorsqu’enfin le plat fut servi, il découvrit un appareil aux multiples petits poêlons sous lesquels le fromage fondait lentement, créant une harmonie de textures et de saveurs. Après la première bouchée, Mero se sentit envahi d’un plaisir sincère. Le fromage fondant, la douceur des pommes de terre et le croquant des légumes se mêlaient pour former un tout d’une délicatesse inattendue.

Regardant sa nourrice, Mero fit comprendre d’un geste qu’il venait de trouver son nouveau plat préféré. La nourrice, amusée par l’enthousiasme du jeune homme, éclata de rire et s’exclama :

« Je vois que tu as le goût d’un prince, même pour les plats les plus simples ! »

Son ton, mêlant tendresse et moquerie affectueuse, réchauffa le cœur de Mero, qui savourait chaque bouchée dans une ambiance détendue et conviviale. La discussion s’engagea alors entre eux, ponctuée de remarques sur la singularité du plat et sur les subtilités de la cuisine locale, tandis que le parfum du fromage et des pommes de terre créait autour d’eux une atmosphère presque magique.

Après ce moment de réconfort gastronomique, il fut temps de repartir en chemin inverse. Mero et sa nourrice reprirent la route, traversant à nouveau les rues pavées du village. Au détour d’une allée, ils passèrent de nouveau devant le magasin d’horlogers. La nourrice s’arrêta un instant, le regard songeur, devant une enseigne en bois sculpté. Mero, sentant l’envie de prolonger cette découverte, lui proposa de rentrer dans la boutique pour explorer d’éventuelles nouveautés.

L’intérieur du magasin offrait une atmosphère mystérieuse et intemporelle. Le carrelage craquait doucement sous leurs pas, tandis que l’odeur du bois ciré et du métal ancien les enveloppait. Le marchand, occupé à réarranger quelques pièces sur une étagère, aperçut bientôt les deux visiteurs et leur adressa un chaleureux sourire.

« Bienvenu Au temps qui passe ! » lança-t-il d’un ton enjoué.

La nourrice parcourut l’espace d’un regard attentif, ses doigts caressant ici et là de petites boîtes en bois et des mécanismes délicats. Son intérêt se porta tout particulièrement sur une grande horloge à pendule, dont la beauté et la complexité semblaient captiver son esprit. Cependant, Mero, conscient des convenances qui régissaient leur relation et du regard que la société portait sur elle, se rendit compte qu’un tel cadeau serait bien trop imposant. Une pendule aurait été une déclaration publique de leur lien, et bien qu’il en fût ému en son for intérieur, il savait que le monde qui l’entourait n’accepterait pas aisément une telle démonstration.

Plutôt que d’opter pour un cadeau aussi grandiose, Mero réfléchit à une alternative plus discrète, mais tout aussi symbolique. Il envisagea alors de lui offrir un petit objet, une montre de poche, par exemple, qui saurait exprimer son attachement sans briser les normes sociales. Se penchant vers le marchand, il demanda d’une voix posée :

« Auriez-vous quelque chose de plus discret ? Un petit objet raffiné qui pourrait plaire à une dame, sans être trop voyant ? »

Le marchand, semblant avoir deviné son besoin, hocha la tête avec un sourire complice. « Je crois avoir exactement ce qu’il vous faut, » répondit-il avant de se diriger vers un recoin de la boutique. Il en ressortit une montre de poche ancienne, finement travaillée et ornée d’une discrète inscription.

« Celle-ci est discrète, élégante et parfaite pour un cadeau personnel, » déclara-t-il.

Mero prit la montre entre ses mains, appréciant sa légèreté et la finesse de ses détails. Après un instant de réflexion, il tendit le bijou à sa nourrice d’un air sincère.

« Je pense que cela vous conviendrait mieux, » dit-il doucement à Leila, espérant que ce geste lui transmettrait toute la reconnaissance qu’il éprouvait pour elle.

La nourrice, d’abord hésitante, observa la montre avec une expression mêlée de surprise et d’émotion. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres, et après un court silence, elle murmura d’une voix tremblante :

« Je… je ne m’attendais pas à cela… C’est bien plus que ce que je n’aurais jamais imaginé recevoir. Je ne sais pas comment vous remercier… »

Bien que légèrement gênée par un tel cadeau, son regard exprimait une profonde gratitude, et elle serra la montre contre elle, comme pour en chérir la symbolique.

« Ce n’est qu’un petit geste, » répondit calmement Mero, un sourire apaisant aux lèvres. « Un présent pour celle qui a toujours été là pour moi, qui m’a guidé et soutenu. Vous méritez bien plus, mais j’espère que cela vous plaira. »

La nourrice acquiesça lentement, les yeux brillants d’émotion, avant de glisser délicatement la montre dans sa poche, le cœur encore un peu étonné par la délicatesse de ce présent.

Le temps pressait désormais. Tandis que la journée s’écoulait, Mero et sa nourrice prirent conscience que le train serait bientôt de nouveau prêt à repartir. Leurs pas se firent plus rapides alors qu’ils regagnaient les rues animées du village. La foule s’activait, les marchands rangeaient leurs étals et les préparatifs de départ se faisaient sentir dans l’air.

Accompagnés par la cadence des pas et les murmures de la population, ils traversèrent le village en direction de la gare. Une fois arrivés, ils furent rapidement escortés jusqu’au wagon réservé. La montée à bord semblait moins pesante cette fois, comme si Mero avait trouvé une forme de réconfort dans l’expérience vécue. La porte du wagon se referma derrière lui, scellant leur séparation momentanée de la vie trépidante du village.

La porte du wagon se referme derrière lui, et le train reprend son mouvement, une fois de plus en route vers l'inconnu.