Lorsque Maître Antonin et Leïla franchirent la porte de l’auberge, leurs visages étaient marqués par la gravité. Leurs vêtements légèrement froissés trahissaient une journée passée à négocier âprement, chaque mot pesé avec précaution. Le regard perçant de Maître Antonin contrastait avec celui de Leïla, empreint d’une inquiétude sourde, presque maternelle.
Mero, assis près de la cheminée vacillante, se redressa immédiatement à leur arrivée, devinant qu’une annonce importante allait suivre. Maître Antonin prit place à une table sombre, dont le bois usé portait les marques d’innombrables repas et disputes. Il lui fit signe de le rejoindre. Leïla resta debout à ses côtés, les mains jointes devant elle, comme si elle se préparait à une révélation lourde de conséquences.
— « La situation est plus complexe que ce que nous avions imaginé, » déclara Maître Antonin d’une voix posée mais inflexible.
Mero sentit un frisson parcourir son dos.
— « Le Seigneur Pirate est un homme d’honneur, mais aussi un homme fier. Il n’acceptera pas que tu refuses ces fiançailles sans perdre la face devant ses hommes. »
Il marqua une pause, croisant lentement ses doigts sur la table, comme pour dompter ses pensées.
— « Cependant, j’ai obtenu un sursis. Trois ans. Le mariage ne sera envisagé qu’après tes dix-sept ans, comme tu l’as demandé. D’ici là, nous serons loin, et cette promesse deviendra un souvenir lointain. »
Leïla, jusque-là silencieuse, prit enfin la parole, sa voix douce mais empreinte d’une tension palpable :
— « Mais cela signifie qu’aux yeux des pirates, tu es fiancé à cette fille. Ils te surveilleront et attendront de voir si tu respectes ta parole. »
Un mélange complexe de soulagement et d’inquiétude envahit Mero. Il avait évité le pire, mais restait enchaîné à une promesse qu’il n’avait jamais souhaitée. Trois ans. Trois années pour trouver une issue ou affronter les conséquences inéluctables.
Maître Antonin posa sur lui un regard appuyé, son visage grave mais satisfait de la maturité naissante du jeune garçon.
— « C’est une leçon que bien des hommes apprennent trop tard, » dit-il lentement. « Chaque geste, chaque parole, chaque choix a un poids, surtout pour quelqu’un de ta condition. Tu es peut-être encore un enfant, mais aux yeux du monde, tu représentes bien plus que toi-même. »
Leïla posa doucement une main rassurante sur l’épaule de Mero.
— « L’important, c’est que tu n’es pas seul. Nous sommes là pour te guider. »
Le silence s’installa, ponctué par les éclats de rire des marins et le fracas des chopes contre les tables en bois. Tout semblait normal autour d’eux, et pourtant, quelque chose avait changé. Une frontière invisible venait d’être franchie. Mero n’était plus seulement un spectateur de sa propre vie.
Maître Antonin se leva, s’étira légèrement et annonça d’une voix ferme :
— « Demain, nous quitterons cette île dès que le bateau sera prêt. Repose-toi, nous avons encore du chemin à faire. »
Leïla lui adressa un sourire tendre avant de ranger ses affaires. Comme toujours, elle veillerait sur lui. Mais ce soir, pour la première fois, Mero sentit peser sur ses épaules la responsabilité de son propre destin.
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Le repas achevé, ils allèrent se coucher. La nuit enveloppait l’auberge de son manteau silencieux, mais au plus profond de l’obscurité, un bruit tira Mero de son sommeil.
Des pas légers, furtifs, résonnaient sur le toit.
Le cœur battant, il jeta un regard vers les lits de Maître Antonin et de Leïla : ils dormaient profondément, inconscients de la présence inconnue.
Doucement, Mero saisit sa dague, son unique bien précieux, gravé de ses armoiries. Il avançait prudemment vers le balcon, les pieds nus effleurant le sol froid, chaque pas calculé pour ne faire aucun bruit. L’air frais de la nuit mordit sa peau lorsqu’il ouvrit doucement la porte vitrée du balcon.
La lumière argentée de la lune baignait la scène d’un éclat irréel. Une silhouette familière se tenait là, sur la balustrade, parfaitement équilibrée, comme une créature sauvage habituée aux hauteurs. Ses longs cheveux noirs ondulaient sous la brise nocturne, et ses yeux verts brillaient dans l’obscurité comme deux émeraudes vivantes.
Elle lui fit signe de la suivre sur le toit.
La raison lui criait de retourner à l’intérieur, de ne pas céder à cet appel dangereux. Mais une curiosité irrésistible, mêlée à une étrange excitation, l’attirait vers elle.
Serrant sa dague dans une main tremblante, il enjamba prudemment le rebord du balcon et se hissa sur les tuiles rugueuses. Chaque geste était mesuré, chaque mouvement précautionneux pour éviter de glisser.
Le vent nocturne caressa son visage alors qu’il retrouvait son équilibre. La fille se tenait là, parfaitement stable, un sourire malicieux flottant sur ses lèvres.
— « Petit prince, tu es plus courageux que je ne le pensais, » murmura-t-elle, sa voix se mêlant au souffle du vent.
Elle tendit une main vers lui.
Après une brève hésitation, Mero la saisit. Sa paume était chaude, contrastant avec le froid mordant de la nuit. Ensemble, ils avancèrent silencieusement jusqu’à une plateforme dissimulée à l’abri des regards, surplombant l’auberge et offrant une vue imprenable sur la mer scintillante au loin.
La fille se retourna vers lui, son expression soudain plus grave.
— « Tu pars demain, n’est-ce pas ? » demanda-t-elle d’une voix tremblante.
Mero hocha la tête, incapable de prononcer le moindre mot.
Elle sortit un pendentif en argent, finement ciselé, qu’elle tenait serré dans sa main.
— « Pour que tu te souviennes de moi… et de ces fiançailles, » dit-elle avec une gravité inhabituelle.
Il savait qu’il ne pouvait refuser ce cadeau sans risquer de mettre tout le monde en danger. Les traditions pirates étaient implacables, et rejeter un tel geste aurait été perçu comme une insulte.
Avec une résolution silencieuse, il tendit sa dague, gravée de ses armoiries.
— « Prends-la. C’est tout ce que j’ai. »
La fille esquissa un sourire à la fois heureux et triste.
— « Merci, » murmura-t-elle.
Sans attendre, elle l’embrassa. Le baiser fut à la fois doux et ardent, chargé d’une intensité qui fit vaciller Mero. Le temps sembla suspendu, les étoiles au-dessus d’eux témoins muets de cet échange clandestin.
Ils restèrent ainsi, enlacés, elle rayonnante d’avoir obtenu ce qu’elle désirait, lui perdu dans un tourbillon d’émotions contradictoires.
Le vent soufflait doucement, portant avec lui l’odeur salée de la mer et le murmure lointain de la ville endormie. Son corps chaud contre le sien, Mero sentait son cœur battre à un rythme calme, assuré.
Il avait beau savoir que tout cela était un jeu de pouvoir, une manœuvre dictée par les traditions de son peuple, il y avait une sincérité désarmante dans les gestes de la jeune fille. Ce pendentif, elle le lui avait donné avec une certaine gravité, comme si c’était plus qu’un simple bijou. Et en lui offrant sa dague, il avait fait bien plus qu’un échange de présents : il avait confié une part de lui-même.
Elle leva les yeux vers lui, ses iris verts brillant dans l’obscurité.
— « Petit prince… tu reviendras, n’est-ce pas ? »
Il voulut répondre, mais aucun mot ne vint. L’avenir était déjà tracé, contrôlé par des forces bien plus grandes que lui.
— « Je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve, » avoua-t-il finalement.
Elle sourit, un sourire triste mais satisfait.
— « Alors laisse-moi une dernière chose. »
Sans attendre de réponse, elle l’embrassa une dernière fois, un baiser qui scella ce moment hors du temps. Puis, lentement, elle recula, ses doigts glissant des siens comme un dernier au revoir.
— « Pars avant qu’on ne te surprenne. Je ne veux pas que mon père change d’avis. »
Il acquiesça, incapable de parler. Puis, avec une dernière hésitation, il redescendit silencieusement dans sa chambre, le pendentif serré dans sa main tremblante.
Sous les draps, son esprit restait tourmenté. Ce voyage ne cessait de le transformer, l’éloignant du garçon insouciant qu’il avait été.
Demain, ils quitteraient cette île. Mais une part de lui y resterait à jamais.