Mero referma la porte de sa chambre avec un léger grincement, s'isolant de l'animation de la fête qui s'estompe lentement derrière lui. Les rires des marins, les éclats de musique et la chaleur du feu s'éloignaient, mais l'écho de cette soirée imprégnait encore ses pensées. Il se sentait soudainement étranger à tout cela, comme si une part de lui, qu’il n'avait jamais totalement reconnue, s’était échappée et se trouvait maintenant sur cette île lointaine, là où tout avait commencé : Mandarine, avec son regard vert perçant et son sourire espiègle. Le souvenir de l’île aux pirates le hantait plus que jamais, tout comme cette promesse qu’ils s’étaient échangée en silence, un pacte scellé sous les étoiles, un lien invisible mais inaltérable.
Il passa une main distraitement sur le pendentif qu'elle lui avait offert, comme pour sentir son poids, comme pour se rappeler la force de ce lien. Ce bijou, fragile mais lourd de sens, semblait toujours l’ancrer à un passé qu’il ne pouvait fuir. Il était curieux de savoir ce que ce présent représentait pour elle. Était-ce un symbole, un simple souvenir, ou une promesse qu’elle n’avait pas encore eu le temps d’accepter ? Leïla n’avait jamais semblé aussi distante. Parfois, Mero avait l'impression qu’elle était en train de se fondre dans une autre réalité, quelque chose d'indéchiffrable, qu’il ne comprenait pas entièrement.
Perdu dans ses pensées, il s'assit sur le bord du lit. Une fatigue étrange l’envahit, mais ce n'était pas seulement l'épuisement physique. Non, c'était un autre poids, quelque chose d’indéfini qui s'alourdissait chaque jour un peu plus dans son esprit. Leurs vies étaient liées, lui et Mandarine, mais dans quel sens ? Se sentait-il toujours aussi libre qu'il l’avait cru à l’époque de l'île ? Ou bien était-il pris dans les filets invisibles de ses choix passés ?
La chaleur de la fête paraissait soudainement insupportable, le bruit des rires semblait lointain, presque inaudible. Il se souvint des toits de la ville pirate, de cette nuit où lui et Mandarine s'étaient retrouvés seuls sous les étoiles. Ils avaient partagé leurs rêves, leurs peurs, leurs projets d’avenir, tout en riant comme deux enfants, oubliant l’univers autour d’eux. Une brise douce soufflait alors, et Mero avait cru à cet instant qu’il pourrait tout avoir, tout accomplir. Mais à présent, ce souvenir lui paraissait irréel, comme une illusion, comme un mirage qui s'effritait avec le temps.
Un frisson d’incertitude le parcourut. Où était-elle maintenant, Mandarine ? Était-elle là, sur le pont de son grand navire pirate, scrutant l'horizon, le regard tourné vers un avenir aussi flou que le sien ? Peut-être était-elle entourée de ses hommes, dirigeant son équipage avec la même assurance, la même prestance qu’elle déployait lors de leur rencontre. Peut-être, tout simplement, pensait-elle à lui. Cette pensée le saisit, et il se demanda si elle pensait à lui autant qu’il pensait à elle, s'il avait encore une place dans son esprit, ou si l'océan avait déjà effacé sa silhouette de sa mémoire. Un soupir lui échappa, lourd, puis il chassa cette question. Il était trop tôt pour se perdre dans de telles considérations. Il avait un chemin à suivre, des choix à faire, et le temps pour les regrets n’était pas encore venu.
Finalement, il se coucha, les pensées tourbillonnant dans son esprit comme une mer déchaînée. La mer, elle, était calme ce soir. Il entendait le bruit lointain des vagues frappant la coque du navire, un bruit apaisant qui contrastait avec le tumulte de ses pensées. Le sommeil tarda à venir. Et même lorsqu’il ferma les yeux, les souvenirs de la fête, de Mandarine, de l'île, revenaient sans cesse. Il se leva, la sensation d’une angoisse irrationnelle l’étreignant. Il avait l’impression de ne pas pouvoir respirer dans cette chambre, comme si l’air était trop lourd, trop chargé de l’ombre des choses non dites. Il fallait qu’il sorte.
Lentement, il se leva de son lit, marchant en silence dans la pénombre de la chambre. Le bateau était calme, l’air était frais. Il traversa la pièce avec précaution, tâtonnant dans l’obscurité, tout en essayant de ne pas troubler le sommeil des autres. Leïla n’était pas dans son lit. Une absence silencieuse. Il s’était habitué à sa présence à ses côtés, ou du moins à la savoir dans la pièce. Mais cette nuit-là, comme bien d’autres, elle n’était pas là. Cela devenait presque habituel. Parfois, elle se retirait pour discuter avec Maître Antonin, ou pour des raisons qui échappaient à Mero. Ces discussions, toujours discrètes, avaient quelque chose de mystérieux. Il n’avait jamais osé interroger Leïla sur ce qu’elle pouvait bien partager avec l’érudit, mais une part de lui restait curieuse, perturbée. Que se disaient-ils à ces moments-là ? Quelles paroles pesaient lourd dans l’air ?
Intrigué, il s’approcha de la porte de leur chambre, tentant de ne pas se faire entendre. Un silence épais régnait, presque oppressant. Peut-être qu’elle était là, en train de discuter de choses importantes, des choses qu’il n’avait pas le droit de savoir. Peut-être qu’elle n’avait pas envie de le mêler à leurs conversations. Mero se détourna de la porte, préférant éviter d’éveiller des soupçons ou des curiosités. Après tout, il ne devait pas se mêler à ce qui ne le concernait pas.
Il se dirigea alors vers la poupe du navire. L’air frais de la mer apportait une sensation de liberté, un souffle salvateur qui effaçait un peu de la lourdeur qui pesait sur ses épaules. Il resta là, seul, le regard perdu dans la nuit. Le ciel était noir, constellé d’étoiles lointaines. La mer, agitée et instable, semblait infinie. Et tout autour de lui, il ressentait cette étrange solitude qui l’accompagnait toujours, même au sein de l'équipage, même avec Leïla et Maître Antonin. Le regard de Mero se perdit dans l’obscurité de l’horizon, comme une quête sans fin, sans but précis. Le monde lui paraissait à la fois immense et confiné. L’incertitude de son avenir le frappait à chaque instant. Ce voyage… il ne l’avait pas choisi, mais il s’y était engagé sans pouvoir reculer. Il pensait au destin qu’il aurait pu avoir, à celui qu’il aurait voulu construire, mais la mer ne répondait pas. Elle restait calme, distante.
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Soudainement, un soupir de soulagement. Mero se retourna, plus calme, comme si ce temps passé seul lui avait permis de respirer à nouveau. Il se dirigea vers sa chambre, éteignant la bougie qu’il avait allumée pour éclairer la pièce. Puis, sans un mot, il se laissa tomber dans le lit. La nuit avançait, les premières lueurs de l’aube pointaient à l’horizon.
Il sortit un parchemin, une plume, et commença à écrire une lettre à Mandarine, comme il le faisait parfois, même si ces lettres n’étaient pas envoyées. Un moyen pour lui de poser sur le papier ce qu’il ne pouvait dire à voix haute. Il lui décrivit ses journées, ses progrès, les rencontres, les doutes. Le temps était passé si vite, et pourtant, chaque mot écrit semblait lourd, presque empli de regrets. Il voulait partager avec elle les petites choses, celles qu’il ne pouvait confier à personne d’autre, les pensées qu’il chérissait en silence, espérant qu’elles traversent l’immensité des océans pour atteindre son cœur. Peut-être qu’un jour, à un autre moment, il pourrait réellement lui envoyer cette lettre.
Mero resta un long moment immobile après avoir tracé le dernier mot sur le parchemin. La bougie vacillait, projetant des ombres dansantes sur les murs de la cabine exiguë. Ses pensées étaient lourdes, denses comme la brume du matin qui embrassait parfois la mer. La lettre étalée devant lui semblait insuffisante pour contenir tout ce qu'il voulait dire à Mandarine.
Il relut chaque ligne, son cœur se serrant à chaque évocation.
« Ma chère Mandarine, » écrivait-il, les mots empreints d'une chaleur sincère, presque douloureuse. Sa plume avait glissé sur le papier avec une hésitation tendre, cherchant la juste mesure entre retenue et passion.
Il poursuivit sa lecture mentale, ses yeux sombres scrutant chaque phrase.
« Les jours ici sont à la fois longs et remplis d'enseignements. Mon maître, comme toujours, me guide sans relâche à travers une multitude de disciplines, mais je ressens que mon esprit se perd parfois dans l'infinité de la mer et des sciences. »
Chaque mot ravivait en lui des images fugaces : la silhouette de maître Antonin, inflexible, lui tendant des cartes nautiques complexes ; les nuits interminables passées à étudier sous la lueur vacillante des lanternes. Pourtant, malgré l'intensité de ces apprentissages, une pensée persistante lui revenait toujours : Mandarine. Elle était l'ancre qui le maintenait, même lorsque son esprit menaçait de chavirer sous le poids des responsabilités.
« Pourtant, chaque moment passé à apprendre me rapproche de mon but, et peut-être d’un jour où nous pourrons être ensemble dans ce monde que nous choisissons. »
Cette phrase lui arracha un soupir. Quelle étrange promesse que celle qu'ils avaient échangée, là-bas, sur l'île aux pirates. Mandarine, avec ses yeux verts flamboyants et son sourire défiant le monde, l'avait entraîné dans une danse audacieuse dont il ne connaissait encore ni les pas ni la destination. Mais il savait une chose : il voulait être à ses côtés, quoi qu'il en coûte.
Le grincement du bois sous la houle le ramena à la réalité. La nuit était profonde, mais la mer ne dormait jamais. Tout comme son cœur, toujours agité par des pensées de lointains horizons et de promesses inachevées.
« Le voyage continue, lent et incertain, mais nous avançons. »
Il revit les longues journées à naviguer sous un ciel changeant, les tempêtes menaçantes qui fouettaient le pont du navire, et ces instants de grâce où l'océan semblait devenir un miroir parfait du ciel. Chaque vague, chaque souffle du vent portait un message d'infini. Pourtant, malgré la beauté brute de cette aventure, il lui manquait quelque chose — ou plutôt quelqu'un.
« Chaque jour est une nouvelle découverte, et j'ai souvent pensé à toi, même dans les moments de silence entre mes études et mes devoirs. Ton souvenir me réchauffe, même dans les froides nuits en mer. »
Il se revit, assis à la proue du navire, scrutant l'horizon avec l'espoir insensé de voir apparaître l'île aux pirates, comme un mirage né de ses souvenirs. Le parfum salé de la mer se mêlait dans son esprit à celui, plus doux, de Mandarine.
« Je t’écris cette lettre, non seulement pour te raconter mes progrès, mais aussi pour te dire que même dans les moments de doute, ton image me guide, comme une lumière dans la nuit. »
Une chaleur sourde monta en lui. Mandarine n'était pas seulement une compagne de souvenirs ; elle était devenue une étoile polaire, une force invisible qui l'orientait dans ce monde incertain.
« Je ne sais pas ce que l’avenir me réserve, mais je suis déterminé à continuer. »
Il posa sa main sur le parchemin, les doigts légèrement tremblants. Cette détermination dont il parlait, il la sentait vibrer en lui comme jamais auparavant. Le monde leur était hostile, mais il se battrait pour tracer une route jusqu'à elle.
« J'espère que tu vas bien. Le voyage semble à la fois interminable et trop rapide. »
Là encore, une vérité simple, presque poétique. Chaque jour semblait à la fois un défi interminable et une course effrénée vers un futur incertain.
« Avec toute mon affection,
Mero »
Il relut une dernière fois ces mots d'adieu. "Toute mon affection" semblait bien pâle face à ce qu'il ressentait vraiment. Mais les mots avaient leurs limites, et peut-être que Mandarine comprendrait ce qui restait indicible.
Mero roula délicatement le parchemin et le scella avec de la cire rouge, y imprimant le symbole discret du navire. Il savait qu'il lui faudrait attendre une escale pour envoyer cette lettre, mais l'acte même de l'avoir écrite apaisait quelque peu le tumulte en lui.
La bougie vacilla une dernière fois avant de s'éteindre, laissant la cabine plongée dans l'obscurité. Mero resta assis, le regard perdu dans les ténèbres.
"Mandarine..." murmura-t-il, comme une prière adressée à la mer.
Le matin arrivait calmement, mais il sentit au fond de lui que cette paix ne durerait pas. L'avenir, comme les vagues, était imprévisible. Mais une chose était sûre : il continuerait à avancer, porté par une force plus grande que la mer elle-même.