Novels2Search
L'Empire de Mor - Mero [French]
Le détroit de Garabol

Le détroit de Garabol

Grâce au nom du Seigneur Pirate, la traversée se déroula sous une étoile bénie, marquée par une tranquillité presque surnaturelle. Aucun navire pirate n’osa croiser leur route. Même les flottes corsaires et les armadas ennemies semblaient s’effacer à leur passage, comme subjuguées par une force invisible. Les jours défilaient sous un ciel d’un bleu immaculé, la mer lisse et docile comme une amante fidèle.

Sur le pont, les marins murmuraient entre eux, la méfiance cédant peu à peu à une perplexité admirative. Certains, habitués à scruter l’horizon avec une tension constante, osaient enfin marcher plus détendus, le sourire au bord des lèvres. Le silence des dangers semblait si étrange qu’il en devenait presque oppressant.

Un matin, alors que le soleil naissait doucement à l’horizon, projetant des reflets dorés sur les flots, Mero se tenait à l’arrière du gaillard, les yeux fixés sur l’infini. Le capitaine s’approcha, croisa les bras et adopta un air pensif.

— Vous réalisez ce que cela signifie, n'est-ce pas ? demanda-t-il sans détour.

Mero hocha lentement la tête.

— Oui. Ce n'est pas seulement une dot que le Seigneur Pirate m'a donnée. C'est un sceau. Une protection. Tant que je suis lié à Mandarine, son père veille sur moi.

Le capitaine haussa un sourcil, un sourire ironique aux lèvres.

— Exactement. Mais souvenez-vous : si un jour vous trahissez cette alliance… la mer entière se retournera contre vous.

Cette pensée fit frissonner Mero malgré lui. Il avait envisagé ce risque, bien sûr, mais l'entendre formuler à haute voix donnait une gravité nouvelle à cette promesse tacite. Ce n'était pas simplement un engagement entre lui et Mandarine. C'était un pacte de sang entre son avenir et celui du monde de la piraterie.

Maître Antonin, qui avait discrètement écouté l’échange, s’approcha, l’air grave.

— Ce genre d’alliance est rare, presque inédit, déclara-t-il d’une voix posée. Mais souvenez-vous, Mero : ce n’est pas une cage, c’est une opportunité. À vous de décider comment la saisir.

Les paroles résonnèrent comme un avertissement autant qu’un encouragement. Mero porta la main à sa poche, serrant le pendentif que Mandarine lui avait donné. Ce petit bijou, simple mais lourd de sens, symbolisait une promesse silencieuse, un lien invisible qui le rattachait à elle… et à tout un empire maritime.

----------------------------------------

La traversée paisible se poursuivit, mais une inquiétude latente pesait dans l’air. Tous savaient que ce calme ne durerait pas. Le détroit de Garabol se dressait encore sur leur chemin. Un passage légendaire où les océans Théteien, de Glace et Vert se rencontraient, créant des courants chaotiques et des vagues capables de briser les navires les plus robustes.

Lorsque le navire accosta dans ce petit village de pêcheurs niché sur des falaises battues par les vents, l’atmosphère sembla changer immédiatement, comme si nous étions passés dans un autre monde. L’endroit, modeste et austère, portait les marques d’une lutte incessante contre les caprices de la mer. Ici, chaque pierre, chaque planche de bois racontait une histoire de survie.

Les maisons, construites en bois grisâtre usé par le sel et le vent, se dressaient sur de hauts pilotis pour échapper aux marées imprévisibles. Leurs toits en chaume étaient solidement arrimés par des cordes épaisses nouées autour de lourdes pierres, comme si elles craignaient d’être arrachées à tout moment. Les volets des fenêtres, souvent fermés, battaient parfois sous les rafales avec un bruit sec, ajoutant une musique inquiétante à l’ambiance déjà tendue.

Les ruelles, étroites et sinueuses, étaient pavées de galets polis par les années. L’air était saturé de l’odeur âcre de l’iode mêlée à celle plus âpre du poisson séché. De longues bandes de filets, accrochées entre des poteaux, claquaient au vent, tandis que des bouées colorées dansaient comme des marionnettes prises dans une frénésie invisible.

Sur le quai principal, des pêcheurs à la peau tannées par les éléments déchargeaient des caisses de poissons encore frétillants. Leurs visages burinés étaient marqués par des années de labeur rude, et leurs gestes étaient précis, presque mécaniques. Certains levaient brièvement les yeux vers nous, mais leurs regards restaient méfiants. Ici, les étrangers n’étaient pas rares, mais ils étaient tolérés avec une distance prudente.

Un peu plus loin, une vieille femme enveloppée dans un châle de laine sombre scrutait l’horizon, ses lèvres remuant comme si elle récitait une prière silencieuse. Elle tenait entre ses mains un talisman de bois flotté sculpté en forme de poisson, symbole de protection contre la mer en furie.

Les enfants du village, pieds nus malgré le froid, couraient le long du quai, riant sous les cris agacés de leurs mères. Ils semblaient insouciants, habitués à vivre au bord du précipice que représentait ce détroit légendaire. L’un d’eux, un garçon à la tignasse indomptée, s’arrêta pour nous observer avec une curiosité franche avant de repartir en courant, le vent jouant dans ses cheveux.

Le long de la falaise, des sentiers escarpés menaient à des abris taillés à même la roche, des refuges pour les pêcheurs surpris par les tempêtes soudaines. Des bateaux de bois, robustes et usés, reposaient sur des cales de fortune, prêts à braver à nouveau les flots tumultueux dès que le détroit le permettrait.

Le capitaine observa l'ensemble du village avec un regard critique puis il donna ses ordres d'une voix ferme :

— Pas d’ennuis. Nous devons juste attendre que le détroit nous accorde un passage.

Attendre, oui… mais combien de temps ? Le détroit décidait seul du moment propice pour laisser passer les navires.

Maître Antonin, toujours avide de transformer chaque situation en opportunité pédagogique, esquissa un sourire malicieux.

— Nous devrions en profiter pour observer le détroit et étudier ses courants. Il y a toujours quelque chose à apprendre, déclara-t-il avec enthousiasme. Ce village est une véritable leçon de résilience, déclara-t-il en ajustant son manteau. Regarde les fondations des maisons, continu a-t-il en désignant une rangée de pilotis renforcés par des plaques de métal rouillé. On voit qu'ils ont appris à anticiper les pires colères de la mer.

Mero, lui, ressentait une étrange sensation en regardant la mer déchaînée. Une intuition ou un simple pressentiment ? Peut-être était-ce l’angoisse face à ce passage redouté, où tant de marins avaient perdu la vie.

This text was taken from Royal Road. Help the author by reading the original version there.

Alors qu’il descendait à terre, une rafale glaciale lui mordit le visage. Les habitants du village les observaient silencieusement, leurs regards empreints d'une méfiance discrète. Ici, les étrangers n’étaient pas rares, mais ils n’étaient jamais les bienvenus trop longtemps. Le détroit décidait qui passait… et qui disparaissait à jamais.

Alors qu’ils avancent dans le village, un vieil homme au visage buriné par les ans les interpella.

— Vous attendez le calme, vous aussi ? grogna-t-il, une pipe suspendue à ses lèvres fendues par le froid.

— Oui, répondit Maître Antonin. Vous avez une idée de combien de temps cela prendra ?

L'homme haussa les épaules avec fatalisme.

— Peut-être demain, peut-être dans une semaine. C’est la mer qui décide, pas nous.

Il se détourna, laissant derrière lui un sillage de fumée âcre. Maître Antonin murmura, pensif :

— Quelle philosophie pragmatique.

Leila, toujours active, discutait déjà avec des femmes du village pour obtenir des informations sur les provisions locales. Elle revint rapidement avec un sourire satisfait.

— Du poisson séché et du pain noir, dit-elle. Pas de festin, mais ça nous tiendra.

Le paysage du détroit de Garabol offrait un spectacle saisissant, où la majesté brute de la nature rencontrait une menace constante. Les falaises, hautes et imposantes, se dressaient telles des murailles naturelles, leurs parois abruptes striées par le vent et les siècles. Des teintes de gris, d'ocre et de noir se mêlaient dans leurs strates, témoins des éruptions anciennes et des millénaires d’érosion. Ces géants rocheux semblaient plonger directement dans une mer furieuse, leurs bases battues sans relâche par les vagues.

La surface de l’eau, loin d’être calme, se transformait en un champ de bataille liquide, où les courants s’entrechoquaient avec une violence incontrôlée. Des tourbillons d’écume blanche éclataient à la surface, signalant des gouffres invisibles où la mer s’engouffrait en grondant. Ici et là, des veines sombres trahissaient des remous profonds, tandis que d’énormes colonnes d’eau jaillissaient soudainement, comme des geysers marins, projetées par des lames de fond aussi imprévisibles que terrifiantes.

Le ciel, chargé de nuages bas et lourds, ajoutait à l’aura dramatique du détroit. Par moments, un rayon de soleil perçait la couverture nuageuse pour illuminer brièvement les vagues, révélant des nuances d’émeraude et de bleu acier dans les creux des remous. Mais ces instants de lumière étaient éphémères, rapidement balayés par l’ombre des nuages en mouvement.

Le rugissement de l’océan emplissait l’air, mêlé au sifflement du vent qui s’engouffrait dans les crevasses des falaises. Ce vent, chargé de sel et d’humidité, mordait la peau et transportait avec lui des embruns qui semblaient flotter comme une brume légère au-dessus de l’eau. Les rares oiseaux marins, courageux ou inconscients, planaient haut au-dessus des vagues, leurs silhouettes noires se détachant sur le ciel tourmenté.

À l’horizon, là où la mer rencontrait les cieux, le chaos aquatique semblait s’étendre à l’infini. Les crêtes des vagues scintillaient un bref instant avant de s’effondrer dans un fracas sourd, comme si l’océan ne connaissait ni repos ni répit. On devinait la puissance inexorable de ce détroit, un lieu où même les navires les plus robustes hésitaient à s’aventurer sans une fenêtre d’accalmie.

La journée s’étira dans une attente nerveuse. Maître Antonin, fidèle à lui-même, transforma leur promenade en un cours magistral.

— Regarde ces falaises, dit-il en désignant une paroi sculptée par l’érosion. Elles datent d’un temps où la mer recouvrait toute cette région. Le vent et l’eau les ont façonnées pendant des millénaires.

Un peu plus loin, il s’accroupit pour ramasser une poignée de sable.

— Vois ces grains ? Certains viennent des montagnes au nord, charriés par les fleuves. D'autres sont issus des récifs coralliens brisés par les tempêtes. Le sol lui-même raconte l’histoire des océans.

Mero l’écoutait, fasciné malgré lui. Chaque élément de la nature semblait murmurer ses secrets à Maître Antonin, et il apprenait peu à peu à entendre ce langage.

— Observe les nuages, continua le maître en levant les yeux vers le ciel. Ils sont bas et denses. Cela signifie que la pression est en train de chuter. Un changement de temps est proche.

Il désigna ensuite les oiseaux qui planaient au-dessus des falaises.

— Quand les goélands restent près du sol, c’est que les vents en altitude sont trop forts. Si les albatros disparaissent, c’est que la tempête approche.

Ils atteignirent un promontoire rocheux offrant une vue imprenable sur l’entrée du détroit. Le promontoire rocheux surplombait l’entrée du détroit comme un trône de pierre brut sculpté par le temps. La vue qu’il offrait embrassait une étendue d’eau infinie et tourmentée. À perte de vue, les flots sombres et épais bouillonnaient, leur surface zébrée par des tourbillons capricieux et des crêtes d’écume effilées. La mer semblait vivante, animée d’une colère ancienne et indomptable.

Sous la surface mouvante, des récifs invisibles guettaient, traîtres silencieux prêts à broyer la coque des navires imprudents. L'eau, teintée de bleu profond et d'acier sombre, se hérissait autour de ces pièges sous-marins, laissant deviner des remous puissants là où la roche affleurait à peine. Par instants, les vagues se fracassaient contre ces obstacles invisibles, projetant des gerbes scintillantes qui retombaient en une pluie d'embruns.

Soudain, sans avertissement, des colonnes d’eau jaillissaient vers le ciel, projetées par des forces mystérieuses tapies dans les abysses. Ces geysers marins éclataient avec une puissance brute, formant des arcs liquides éphémères avant de retomber bruyamment dans le chaos aqueux. Le fracas de leur éruption résonnait comme un coup de tonnerre, se mêlant au grondement incessant des vagues.

Le vent, ascendant et froid, balayait le promontoire, portant avec lui des éclats d’embruns salés qui piquaient la peau. Les odeurs mêlées de sel, d’algues et de roche humide emplissaient l’air, accentuant l’impression de sauvage intemporalité du lieu. Sous leurs pieds, les rochers étaient dénudés, sculptés par les assauts répétés de la pluie et des vents marins, polis jusqu’à briller par endroits comme des miroirs de basalte.

L'horizon, indécis entre ciel et mer, vacillait sous une lumière changeante. Les nuages lourds couraient rapidement, déchirés par de rares éclats de soleil qui venaient nimber l’eau d’une lueur spectrale. Mais ces instants de clarté semblaient aussitôt avalés par l'ombre mouvante des nuées.

Au loin, des colonnes brumeuses flottaient comme des fantômes liquides, tandis que les vagues formaient des ondulations hypnotiques, parfois si hautes qu'elles semblaient vouloir escalader les falaises elles-mêmes. Chaque mouvement de l’océan portait en lui une force implacable, témoin du caractère légendaire de ce détroit redouté par tous les marins.

Le promontoire offrait un poste d’observation idéal mais impitoyable, un rappel silencieux de la puissance indomptable de la nature, où la mer, éternelle et souveraine, régnait sans partage.

— Le plus grand danger ici, ce sont les courants, expliqua Maître Antonin. Regarde là-bas.

Il montra une zone où l’eau bouillonnait étrangement.

— Un maelström. Ces tourbillons peuvent engloutir un navire entier.

L’idée fit frissonner Mero.

— Alors comment sait-on quand passer ? demanda-t-il.

Maître Antonin répondit d’un ton grave :

— On attend. On écoute la mer, le vent, les étoiles. Les marins du village connaissent le bon moment. Nous devrons leur faire confiance.

Un silence pesant s'installa tandis que Mero contemplait ce passage légendaire. Le détroit de Garabol ne laissait rien au hasard. Ici, la nature seule décidait du destin des hommes.

----------------------------------------

De retour au village, les habitants semblaient toujours aussi peu enclins à engager la conversation. Mero se surprit à observer leurs visages burinés, leurs mains calleuses, témoins d’une vie rude et indomptée. Un vieil homme, assis près du port, surveillait la mer d'un œil expert. Mero s'approcha timidement.

— Vous attendez que la mer se calme ? demanda-t-il.

Le vieillard hocha la tête sans quitter l'horizon des yeux.

— Elle parlera quand elle sera prête, répondit-il d'une voix rauque. Mais gare à ceux qui n'écoutent pas.

Ces mots restèrent gravés dans l'esprit de Mero. Le détroit n'était pas seulement une épreuve physique. C'était un test de patience, d'humilité. La mer ne se soumettait à personne.

Alors qu'ils regagnaient le navire, Mero sentit une tension familière revenir. Cette paix insolente ne durerait pas. Le calme avant la tempête n'était qu'une parenthèse trompeuse.

Et il était prêt à écouter ce que la mer aurait à lui dire.