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L'Empire de Mor - Mero [French]
Le village de Garabol

Le village de Garabol

Les journées passaient, rythmées par une discipline implacable. Sous l'œil vigilant de Maître Antonin, Mero subissait un apprentissage rigoureux, où la moindre faiblesse était traquée et corrigée. Chaque matin, l'air salé de l'océan se mêlait aux pages rugueuses des anciens textes impériaux. À mesure que les jours s'enchaînaient, les lectures devenaient plus denses, mêlant récits de batailles historiques, traités philosophiques complexes et documents diplomatiques où chaque mot pesait comme une promesse ou une menace.

Le goût âcre du sel semblait imprégner jusqu'aux mots gravés sur ces parchemins fatigués par le temps. Mero peinait parfois à aligner les tournures alambiquées des érudits, mais sa persévérance était sans faille. Chaque correction de Maître Antonin résonnait comme une frappe métallique sur une lame encore imparfaite. Lentement, son esprit se forgeait, maîtrisant les subtilités du langage imprérial. Désormais, il pouvait discourir avec une certaine élégance, imitant sans trop d'efforts les tournures précieuses utilisées dans les hautes sphères de l'Empire.

Les après-midis n'apportaient guère de répit. Assis à même le pont ou dans une alcôve du navire, protégée du vent mordant, Mero plongeait dans l'univers complexe des sciences et de la politique. Le vieux maître dessinait des cartes précises, traçant les frontières mouvantes des royaumes voisins, évoquant les alliances secrètes et les rivalités acharnées. Chaque traité signé n'était qu'un pion avancé sur l'échiquier impitoyable du pouvoir. Chaque guerre avait ses raisons, souvent invisibles aux yeux des simples soldats qui en portaient le poids.

« N'oublie jamais, Mero, disait Maître Antonin en traçant une ligne nette sur une carte, un roi ne prend pas les armes pour une insulte. Il le fait parce que cette insulte menace quelque chose de bien plus précieux : le commerce, l'honneur, ou parfois sa simple survie. »

Le jeune homme buvait ces paroles, conscient que cet enseignement, bien que théorique pour l'instant, deviendrait peut-être vital un jour.

Mais les leçons ne se limitaient pas à l'esprit. Chaque fin d'après-midi, l'entraînement physique reprenait. Le pont du navire se transformait en une véritable arène où le claquement des lames et les halètements des combattants remplissaient l'air. Le sabre devenait une extension du bras de Mero, tandis que la dague et l'arc exigeaient une précision que seul l'entraînement intensif pouvait offrir. Ses muscles se durcissaient, son souffle devenait plus régulier, et ses mouvements gagnaient en fluidité.

Un soir, alors que l'air se teintait des premières ombres du crépuscule, une agitation inhabituelle gagna l'équipage. Les marins, las de la routine impitoyable de la traversée, cherchaient une distraction.

« Capitaine, s'il vous plaît ! lança l'un d'eux, un gaillard à la barbe poivre et sel. On pourrait organiser un concours de tir ! Voir qui est le meilleur tireur à bord. »

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Le capitaine, un homme massif aux yeux perçants, réfléchit un instant, puis hocha la tête.

« D'accord. Mais pas de folie. Trois tirs chacun. Une cible sur la plage. Celui qui touche le plus près du centre gagne. Le prix ? Une bouteille de bon rhum pour les marins. Pour les autres... on verra. »

Un cri de joie retentit. Chacun s’activa à préparer le concours. Une cible grossière fut peinte sur une planche de bois usée, un cercle rouge marqué en son centre. Les mousquets furent vérifiés avec soin, la poudre mesurée avec précision.

Le premier tireur prit place sous les regards concentrés de ses camarades. Le coup de feu résonna dans l'air, laissant une traînée de fumée blanche. Le projectile frappa la cible, mais légèrement en dehors du cercle rouge. Des rires fusèrent.

« T’as visé une mouette, c’est ça ? » plaisanta un marin.

Les tirs suivants se succédèrent, certains brillants, d'autres complètement ratés. Les commentaires fusaient, mêlant moqueries et encouragements.

Quand ce fut au tour de Leïla, un murmure d'étonnement parcourut l'assemblée. Peu s’attendaient à la voir participer. Silencieuse, concentrée, elle chargea son mousquet avec une assurance déconcertante.

Le coup partit, net. Le projectile frappa en plein centre du cercle rouge.

Un silence incrédule tomba. Le second tir vint confirmer l'exploit, tout comme le troisième. Trois tirs parfaits. L'équipage éclata en applaudissements et en rires nerveux.

« Où t’as appris à tirer comme ça ? » osa demander un jeune mousse.

Leïla se contenta de hausser les épaules avec un sourire énigmatique.

« Rappelons-nous de ne jamais l’énerver, » plaisanta un marin, provoquant une nouvelle vague de rires.

Mero prit place à son tour, déterminé. Le premier tir frappa solidement la cible, le second également. Mais le troisième, précipité par un excès de confiance, dévia largement, se perdant dans le sable.

« Pas mal, mais t’auras pas le rhum, » lança un compagnon en riant.

La compétition terminée, le capitaine déclara Leïla victorieuse, et la soirée prit une tournure festive.

Un grand feu fut dressé sur la plage. Les flammes s'élevaient haut, dansant sous le ciel étoilé. L’air se chargea d'odeurs enivrantes de bois brûlé, de sel et de viande grillée. Des instruments apparurent : un tambourin, une vielle à roue bringuebalante, une flûte de bois. La musique envahit l'espace, entraînante et joyeuse.

Les mousses, encore exaltés par le concours, inventaient des pas de danse maladroits mais pleins d’énergie. Les marins plus âgés, le rire facile, partageaient des anecdotes de tempêtes, de monstres marins et de trésors cachés.

Leïla, toujours en retrait, finit par céder aux invitations respectueuses de certains membres de l’équipage. Elle dansa avec une grâce inattendue, suscitant l’admiration silencieuse de ceux qui l'observaient.

Même Maître Antonin, d'ordinaire si austère, se laissa gagner par l'ambiance. Il tapait du pied en rythme, esquissant même un sourire rare.

Mero, emporté par l'euphorie ambiante, se mêla aux danseurs. Les tensions des jours passés s’évaporèrent sous la chaleur du feu et la magie de la musique. Il riait avec les mousses, tentait quelques pas maladroits, et savourait pleinement cette parenthèse de légèreté.

La mer, en arrière-plan, continuait son chant éternel, mêlant ses murmures à la fête humaine.

Alors que la nuit avançait, certains marins, épuisés mais heureux, s'endormaient à même le sable, bercés par les vagues et les dernières notes des musiciens. D'autres retournaient au navire, le cœur encore léger de cette soirée inoubliable.

Mero, assis près des braises mourantes, contempla les étoiles qui parsemaient le ciel. Une douce fatigue alourdissait ses membres. Cette nuit resterait gravée dans sa mémoire, non seulement pour la compétition, mais pour la camaraderie sincère qui s'était tissée autour du feu.

Le voyage vers l'inconnu continuait, mais cette escale imprévue avait apporté une chaleur précieuse à l’équipage. Les lames du détroit de Garabol attendraient encore un peu avant de dévoiler leur menace, tandis que les cœurs des navigateurs s’étaient momentanément remplis d’une lumière réconfortante.