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La chasse

Les rues du port étaient un champ de guerre, un théâtre de carnage où la mort dansait au rythme des lames et des cris étouffés. La puanteur du sang séché et de la sueur mêlée à la peur flottait dans l'air, une odeur âcre qui collait à la peau comme une seconde peau. Les pavés, jadis lisses et usés par le passage des chariots et des marins, étaient maintenant maculés de traînées sombres, de flaques visqueuses qui brillaient faiblement sous la lueur vacillante des lanternes. Chaque recoin, chaque ombre, semblait retenir son souffle, comme si la ville elle-même attendait, tendue, le prochain acte de cette tragédie sanglante.

Mero avançait dans ce paysage de cauchemar avec une détermination glaciale. Ses pas, bien que lourds, étaient mesurés, calculés. Chaque mouvement était une victoire sur la douleur qui lui déchirait le flanc gauche, où une plaie béante continuait de suinter, un rappel constant de sa mortalité. Mais la douleur, il l'avait transcendée. Elle n'était plus qu'un lointain murmure, un bruit de fond noyé dans le grondement sourd de sa rage. Une rage froide, implacable, qui brûlait en lui comme un feu noir, consumant tout sur son passage.

Il n’était plus une cible. Pas cette nuit. Cette nuit, il était le chasseur.

Ses ennemis avaient commis l’erreur fatale de le sous-estimer, de le prendre pour un gamin perdu, un agneau égaré dans un monde de loups. Ils allaient découvrir, trop tard, que la Maison de Sel ne produisait pas des agneaux, mais des prédateurs. Des chasseurs endurcis par le feu et le sang, forgés dans la douleur et la vengeance. Mero était l’incarnation de cette vérité, une ombre tranchante et insaisissable qui se déplaçait dans l’obscurité avec une grâce mortelle.

Dans les ruelles étroites et tortueuses du port, il était un fantôme, une présence furtive qui glissait entre les bâtiments comme une brume maléfique. Son visage, maculé de sang séché, était un masque de détermination froide, ses yeux brillant d’une lueur presque inhumaine. Un sourire cruel étirait ses lèvres, un sourire qui ne promettait rien d’autre que la mort. Cette ville allait se souvenir de son nom. Peut-être pas ce soir, mais bientôt, ils trembleraient tous en entendant parler de Mero de Sel.

Un bruit attira son attention, un son presque imperceptible dans le chaos ambiant : des pas précipités, une respiration haletante, le souffle court de quelqu’un qui fuyait. Mero tourna lentement la tête, ses yeux perçant l’obscurité comme des lames. Là, à quelques mètres de lui, un homme s’appuyait contre un mur, le visage déformé par la panique. C’était l’un des hommes du Maître Serpent, un sbire séparé de ses camarades, traqué par sa propre peur. Une main serrait convulsivement un couteau, tandis que l’autre tremblait, épuisée.

Erreur.

Mero glissa hors de l’ombre, silencieux comme la mort elle-même. Sa lame, fine et acérée, scintilla faiblement sous la lumière mourante d’une lanterne. L’homme n’eut même pas le temps de crier. La lame trancha sa gorge avec une précision chirurgicale, un mouvement rapide et fluide qui ne laissa aucune place à la résistance. Le sang jaillit, chaud et épais, éclaboussant les pavés avec un bruit mou. Le corps de l’homme s’affaissa lentement, comme une marionnette dont on aurait coupé les fils.

Un de moins.

Mero ne s’attarda pas. Il disparut à nouveau dans les ombres, le sang de sa proie encore tiède sur ses doigts. Les autres allaient comprendre maintenant. Ce n’était pas une chasse. C’était une guerre. Une guerre qu’ils ne pourraient pas gagner.

Les rues étaient en ébullition. Les gardes du port, alertés par les cris et les corps qui s’accumulaient, quadrillaient le quartier, leurs yeux scrutant chaque ombre, chaque recoin. Ils cherchaient un fantôme, un spectre qui semblait être partout et nulle part à la fois. Mero, lui, était insaisissable. Il se déplaçait avec une agilité déconcertante, toujours un pas en avance, toujours hors de portée. Chaque ruelle était une opportunité, chaque coin une embuscade potentielle. Le sang avait coulé, mais pas assez. Pas encore.

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Il repéra un autre sbire, accroupi derrière des caisses empilées près d’un entrepôt. L’homme était en sueur, ses yeux fous d’angoisse, scrutant nerveusement les alentours. L’odeur de la peur flottait autour de lui, un parfum écœurant qui chatouillait les narines de Mero. Il approcha sans un bruit, invisible, une ombre parmi les ombres. Sa main se referma brutalement sur la bouche de l’homme, étouffant tout son, tandis que la pointe glaciale de son couteau effleurait sa gorge.

— Où est le Maître Serpent ? demanda-t-il d’une voix froide, presque monotone, comme s’il parlait à un cadavre.

L’homme tremblait de tous ses membres, ses yeux écarquillés par la terreur. Il savait qu’il était mort, quoi qu’il dise. Mais la peur de la douleur, de la mort lente, était plus forte que la peur de la mort elle-même.

— Le port... souffla-t-il, la voix rauque et brisée. Il veut fuir...

Fuir ? Non. Pas après ce qu’il avait fait. Pas après tout ce sang versé.

D’un geste sec, Mero lui trancha la gorge. Le corps s’affaissa, un dernier râle s’échappant de ses lèvres. Mero ne le regarda même pas. Il se fondit à nouveau dans les ombres, ses pas le menant inexorablement vers le port, vers la fin de cette nuit de sang.

La nuit était tombée lourdement sur le port, une couverture opaque qui étouffait les bruits et les lumières. Les quais étaient illuminés par des lanternes vacillantes, leurs flammes dansant dans le vent marin. Des gardes patrouillaient en rang serré, leurs regards acérés, leurs armes prêtes. Ils connaissaient son visage maintenant. Ils avaient vu les corps, entendu les cris. Mais ils ne savaient toujours pas qui étaient ses véritables ennemis. Ils ne savaient pas que le Maître Serpent était la cible, que tout cela n’était qu’une mise en scène pour l’atteindre.

Le Maître Serpent était là, caché à bord d’un navire imposant, un vaisseau aux voiles blanches déjà gonflées par le vent, prêt à partir. Mero serra les dents, sentant la douleur lancinante de ses blessures lui rappeler sa mortalité. Mais il n’avait pas le luxe de faiblir. Pas maintenant. Pas quand il était si proche.

Il observa les quais, cherchant une faille, une opportunité. Une grue transportait des caisses au-dessus du bateau, un mouvement lent et régulier qui attira son attention. Une idée folle lui traversa l’esprit, mais une autre, plus ancienne, s’imposa à lui. La bataille navale de Tsipo. Une flotte inférieure en nombre qui avait triomphé en incendiant les voiles ennemies.

Le feu.

Il lui fallait un arc.

Mero se glissa dans l’ombre, son regard cherchant une solution. Une enseigne accrochée à une boutique attira son attention. Une boutique d’armes, légèrement éclairée par une lanterne vacillante. Il s’approcha silencieusement, ses sens en alerte. La porte était verrouillée, évidemment. Mais une fenêtre latérale était entrouverte. Assez pour lui.

Il se glissa à l’intérieur, l’odeur du métal et de la poudre noire saturant ses narines. Des épées, des mousquets, des armures... et enfin, un arc composite et un carquois rempli de flèches. Parfait. Il s’empara également d’une petite fiole d’huile à lampe. Si ses ennemis pensaient qu’il comptait les affronter à la loyale, ils allaient être cruellement déçus.

Un bruit de pas résonna à l’extérieur. Pas le temps de traîner. Mero sortit par la fenêtre, l’arc solidement en main, et disparut dans la nuit.

Le port était toujours en effervescence. Des gardes circulaient, nerveux, leurs regards scrutant chaque ombre. Mero gravit silencieusement les caisses empilées contre un entrepôt, atteignant le toit. De là-haut, il avait une vue dégagée sur le navire du Serpent. Les voiles blanches étaient tendues, prêtes à capturer le vent, à emporter le Maître Serpent loin de cette ville, loin de sa vengeance.

Mero s’allongea sur le ventre, ignorant la douleur lancinante de ses blessures. Cette position était idéale pour rester discret, mais difficile pour tirer à l’arc. Il ajusta une flèche, la trempant dans l’huile. Ses doigts tremblaient légèrement, mais il les força à rester stables. Il frotta la pointe contre une pierre, l’enflammant. La flèche prit feu, une lueur orange dans la nuit noire.

Le monde autour de lui s’effaça. Les cris des gardes, le martèlement des bottes, même la douleur cuisante… tout disparut. Il n’y avait plus que lui, l’arc et la cible.

Il visa la grande voile.

Il relâcha la corde.

La flèche fendit l’air, traçant une traînée incandescente dans la nuit. Elle se ficha dans le tissu tendu, et pendant un instant, le temps sembla suspendu. Puis les flammes éclatèrent, dévorant la voile avec une voracité insatiable. Les cris éclatèrent, les gardes se précipitèrent vers le bateau, tentant désespérément de contenir l’incendie.

Mero n’attendit pas de voir le résultat. Il se redressa, vacillant sous l’effort, et bondit du toit. L’impact lui arracha un grognement de douleur, mais il continua à courir, chaque pas une victoire contre la mort qui lui rôdait autour. Le feu illuminait le port derrière lui, un spectacle de chaos et de destruction.

Le Maître Serpent n’avait plus d’échappatoire.

Mero disparaissait dans la nuit, un sourire cruel étirant ses lèvres ensanglantées. La vengeance était proche. Très proche.