L’aube se leva doucement, nappant la mer d’une lumière d’or et de rose. Une brume légère flottait encore à la surface des flots, adoucissant les contours du monde. Pourtant, Mero sentit immédiatement que quelque chose avait changé. Mandarine n’était plus la même. Le feu ardent qui animait toujours son regard semblait s’être éteint, remplacé par une lueur douce mais mélancolique. Toute la matinée, elle resta silencieuse, contemplant l’horizon comme si une partie d’elle-même voulait déjà s’y fondre. Ses mains, habituellement agitées et expressives, reposaient inertes sur le bastingage, et ses lèvres, si souvent esquissant un sourire espiègle, étaient désormais serrées, comme pour retenir des mots qu’elle ne pouvait ou ne voulait pas prononcer.
Mero ne posa pas de questions. Il respecta son silence, bien qu’il brûlât d’envie de savoir ce qui pesait sur son cœur. Les gestes de Mandarine étaient mécaniques, comme ceux d’une âme égarée. Parfois, il surprenait ses lèvres frémissantes, comme si elle se parlait à elle-même. Le vent caressait ses cheveux noirs, jouant avec les mèches libres, mais elle semblait ne rien sentir. Elle était là, physiquement, mais son esprit semblait déjà ailleurs, emporté par des pensées qu’elle refusait de partager.
Vers midi, alors que le soleil atteignait son zénith, l’air changea brusquement. Un silence presque oppressant tomba sur le navire. Les marins, jusque-là détendus malgré les caprices de la mer, devinrent nerveux. Les regards se tournèrent vers l’horizon, où une silhouette massive commençait à se dessiner. Mero sentit son cœur se serrer. Quelque chose d’immense, d’imposant, se rapprochait.
— « À bâbord ! » hurla la vigie, sa voix brisant le calme soudain.
Mero tourna la tête et son cœur manqua un battement. Un navire immense fendait l’horizon, imposant et menaçant, tel un géant des mers surgissant d’une légende oubliée. Ses sept mâts se dressaient fièrement contre le ciel, chacun portant des voiles sombres qui semblaient boire la lumière du soleil. Les drapeaux noirs, ornés de symboles sinistres, claquaient dans le vent, annonçant sans équivoque l’identité de ce colosse : c’était un navire pirate, le plus grand que Mero ait jamais vu.
— « Repliez les voiles ! » ordonna le capitaine d’une voix tendue, rompant le silence qui s’était abattu sur le pont.
L’équipage obéit avec une précision frénétique, les mains expertes courant sur les cordages. Mero sentit une boule se former dans son estomac. Ce n’était pas un simple navire marchand ou même un vaisseau de guerre impérial. Non, c’était un navire pirate, un monstre flottant qui semblait défier les lois de la nature par sa seule présence. Leurs modestes voiles paraissaient dérisoires à côté de cette imposante silhouette.
Mandarine resta immobile, ses yeux fixés sur le sept-mâts qui se rapprochait inexorablement. Une larme brillante glissa le long de sa joue, trahissant l’émotion qu’elle tentait de contenir. Mero comprit alors. Ce navire venait la chercher. Ce colosse des mers n’était pas une menace, mais une convocation impériale pour elle. Son père, le Seigneur Pirate, venait reprendre sa fille.
Un silence tendu s’installa entre eux tandis que le sept-mâts glissait aux côtés de leur frêle embarcation. Les eaux se troublèrent sous l’effet des remous, mais aucun mot ne fut échangé entre Mandarine et Mero. Elle semblait se débattre intérieurement avec quelque chose de trop lourd pour être exprimé. Ses mains tremblaient légèrement, et son souffle était court, comme si chaque respiration lui coûtait un effort surhumain.
Le capitaine pirate, un colosse à la barbe grise tressée, se tenait sur le pont supérieur du navire géant. Sa présence imposante suffisait à réduire au silence tout un équipage. Mandarine releva le menton, retrouvant un semblant de sa fierté habituelle. Elle tourna lentement son regard vers Mero, et dans ses yeux verts, il lut un mélange de tristesse et de détermination.
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— « Je dois y aller, » murmura-t-elle enfin, sa voix à peine audible par-dessus le bruit des vagues.
Mero voulut parler, protester, mais les mots restèrent coincés dans sa gorge. Il sentit une douleur sourde s’installer dans sa poitrine, comme si une partie de lui-même était sur le point de se déchirer. Elle posa une main légère sur son bras, comme pour apaiser la tempête de sentiments qu’elle savait qu’il traversait.
— « Ce n’est pas un adieu, » ajouta-t-elle d’une voix douce, mais ferme. « Ce n’est qu’un au revoir, jusqu’à notre mariage. »
Le poids de ces mots s’abattit sur Mero comme une enclume. Mariage. Un mot qui, jusqu’alors, avait toujours sonné comme une contrainte imposée par leurs familles respectives. Mais aujourd’hui, il portait une toute autre signification. C’était une promesse, un engagement né d’une complicité forgée sur les flots. Il sentit son cœur se serrer encore plus, comme si chaque syllabe prononcée par Mandarine gravait une marque indélébile dans son âme.
— « Ne m’oublie pas, » souffla-t-elle, son regard brillant de mille promesses.
Mero hocha la tête, incapable de répondre autrement. Il sentit ses doigts se refermer sur le pendentif qu’elle lui avait donné, comme si ce simple objet pouvait la retenir ici, avec lui. Mais il savait que c’était impossible. Les pirates abaissèrent une passerelle de corde, et Mandarine la gravit avec une aisance naturelle. Son pas était ferme, mais son dos légèrement voûté trahissait son émotion. Au sommet, elle se retourna une dernière fois. Ses yeux verts, si souvent rieurs, étaient emplis d’une gravité qui transperça le cœur de Mero.
Le capitaine pirate posa une main protectrice sur l’épaule de sa fille, mais Mero ne vit que l’éloignement de celle qu’il avait appris à connaître. En un instant, elle disparut dans l’ombre des voiles imposantes du sept-mâts.
Le vaisseau pirate vira lentement, son équipage manœuvrant avec une précision effrayante. Les voiles se tendirent sous la brise, et le navire majestueux glissa sur les flots, emportant Mandarine vers une destinée qui échappait désormais à Mero.
Il resta là, immobile, jusqu’à ce que le navire ne soit plus qu’un point noir à l’horizon. Le vide qu’il ressentait était indescriptible. Une part de lui venait de partir avec elle. Le capitaine du navire impérial posa une main compatissante sur son épaule.
— « Les pirates suivent leurs propres lois, mais ils tiennent toujours parole, » dit-il gravement. « Elle reviendra. »
Mero acquiesça, bien que son cœur doutât encore. La mer, désormais calme, semblait porter le reflet de son chagrin. Les heures s’étirèrent interminablement. Leila et le maître de Mero respectèrent son besoin de solitude. Ils savaient que ce moment appartenait à une histoire personnelle, une transition entre l’enfant qu’il avait été et l’homme qu’il devenait.
Mero se tint à la proue du navire, le regard perdu dans l’immensité marine. Le vent caressait son visage, mais il ne ressentait rien d’autre qu’un vide oppressant. Chaque vague semblait murmurer le nom de Mandarine, et chaque embrun portait le souvenir de son sourire. Il sortit le pendentif qu’elle lui avait donné. Le métal brillant captait la lumière du soleil couchant. Ce simple objet symbolisait bien plus qu’un bijou; c’était une promesse silencieuse, un lien intangible entre eux.
La nuit tomba lentement, enveloppant le navire dans une obscurité apaisante. Les étoiles scintillaient au-dessus, offrant une carte céleste à ceux qui savaient les lire. Mero leva les yeux vers elles, cherchant une réponse, un signe. Mais seules les constellations indifférentes lui répondirent par leur lumière distante.
L’équipage, ayant senti la tension retomber, retrouva peu à peu sa bonne humeur. Mais Mero, lui, resta différent. Quelque chose avait changé en lui. Mandarine n’était plus là, mais elle n’était jamais vraiment partie. Elle restait gravée dans son esprit, comme une marque indélébile. Mero savait que ce mariage, autrefois une contrainte détestée, était devenu une promesse qu’il souhaitait maintenant honorer.
Et au fond de lui, une certitude grandissait. Il la reverrait. Leur histoire n’était pas terminée. La mer, capricieuse et libre, finirait par les réunir.