À peine eût-il le temps de finir sa phrase que Raphaëlle s’était déjà élancée dans l’escalier, dévalant les marches à toute allure. En moins de deux minutes, elle avait atteint le rez-de-chaussée de l’hôtel de ville et elle courut dans le couloir qui menait au centre de sécurité.
Elle percuta la porte du poste d’un coup d’épaule, faisant sursauter Tolas et légèrement tressaillir Skepta. Le bosco, qui avait la main sur le manche de son sabre, ouvrit de grands yeux ronds en voyant la jeune femme essoufflée qui essayait de calmer son rythme cardiaque du mieux qu’elle pouvait.
-Raph’ ? Qu’est-ce qui se passe, y a un problème ? lui demanda-t-il.
-On va avoir… de la compagnie… réussit-elle à lâcher avant de prendre une grande inspiration.
Le visage de Tolas se durcit alors que Skepta, lui, continuait de pianoter sur le clavier qui était devant lui comme s’il n’avait rien entendu.
-Je m’en doutais pas mal, vu ce qu’on a vu sur les vidéos de surveillance, il devrait y avoir plus d’une vingtaine de pirates encore en vie sur l’île. Il va falloir qu’on parte d’ici rapidement, dit Tolas en réfléchissant à voix haute.
-Vous avez réussi à tirer quelque chose des caméras ? demanda Raphaëlle en désignant Skepta du menton.
Ce dernier sentit que la question lui était adressé et fit signe à la jeune femme de s’approcher tout en gardant les yeux rivés sur ses écrans. Raphaëlle se mit à côté du technicien.
Elle pouvait voir qu’il était extrêmement concentré sur ce qu’il faisait mais elle devait avouer qu’elle ne comprenait pas vraiment ce qu’il était en train de faire. Elle observa les six écrans encore fonctionnels devant elle, voyant qu’ils montraient tous quelque chose de différents avant de remarquer un septième écran qui affichait seulement un écran noir et des lignes vertes qui défilaient à toute vitesse, juste en face de Skepta.
-C’est les autres écrans qui t’intéressent, lança le technicien alors qu’il était toujours aussi concentré sur l’écran qui lui faisait face.
La louve releva les yeux, étonnée du comportement complètement différent de son compagnon normalement si froussard. Son air sérieux et la vitesse à laquelle il pianotait sur son clavier lui conféraient une aura d'assurance qu'elle n'aurait jamais cru possible.
Se détachant enfin de ses pensées, Raphaëlle se re-concentra sur les images devant elle. Elle put ainsi contempler l’attaque des pirates de la flotte du Cormoran dans toute sa macabre splendeur.
Les caméras montraient des endroits complètement différents de la ville et pourtant, les pirates semaient la même destruction, attaquant les citoyens à vue sans aucune pitié. Sur un écran, on pouvait voir les maisons exploser, détruites par les canons des bateaux qui avaient assailli le port.
Une autre caméra braquée sur les docks montraient les forbans qui débarquaient pendant que leurs canons continuaient à cracher des boulets toutes les trois secondes. C’était une vision infernale qui coupa le souffle de Raphaëlle tant les images étaient puissantes.
Il n’y avait pas de son mais elle pouvait presque entendre les cris de peur des habitants d’Ermythie, le vacarme des armes qui résonnaient dans les rues de la ville, les éclats de violences aux accents indicibles qui marqueront pour toujours les mémoires des rares survivants au carnage.
Après le choc initial, la louve finit par remarquer que certaines images semblaient beaucoup moins violentes que les autres et qu’on y voyait de plus petites équipes se déplacer dans des environnements déjà détruits. On pouvait même voir ce qui ressemblait plus à des habitants d’Ermythie se déplacer furtivement de bâtiment en bâtiment.
-J’ai réussi à isoler et à looper les images des caméras qui sont encore debout et à rerouter le peu de jus qui leur restait vers ces écrans-là, lui expliqua le technicien. Sur les deux écrans du haut, t’as des images des caméras 42 et 84 mais ça date de la semaine dernière, le jour de l’attaque. C’est tout ce que j’ai réussi à en tirer, les caméras elles-mêmes sont sûrement mortes. Sur les autres écrans à côté, t’as les caméras 17, 33, 67 et 54 qui fonctionnent encore mais je t’ai remis les images qu’elles montraient la semaine dernière histoire que tu vois. Dans une minute, je remets les caméras en temps réel, on a besoin de savoir combien de temps il nous reste avant que les pirates nous tombent dessus.
Raphaëlle jeta un regard interloqué à Tolas, c’était la première fois en une journée entière qu’elle voyait Skepta agir comme un membre efficace de l’équipe et pas comme un thermomètre de la terreur ambiante. Le bosco lui fit signe que tout était tout à fait normal puis il s’enquit de l’état de Raphaëlle avec une moue inquiète en levant le menton pour poser une question tacite. La louve fronça les sourcils et se retourna vers Skepta, qui appuya sur un bouton qui relança les caméras en temps réel, montrant ainsi des rues vides et détruites.
-Et qu’est-ce que tu fais maintenant ? lui demanda la louve.
-Là ? J’essaye d’accéder au flux vidéo des caméras du laboratoire royale mais elles sont protégées par plusieurs mots de passe, des firewalls divers et variés et un SSO tellement complexe qu’il ferait crier un muet. Alors je sais pas si c'est de la chance ou si notre bosco l'avait prévu, mais sans moi...
Le technicien termina de pianoter sur son clavier et, dans un geste assez théâtral, appuya sur la touche « entrée » de son clavier et soudainement, l’écran noir laissa la place à une image fixe d’une salle délabrée avec des gravats éparpillés sur le sol.
-Monsieur Tolas ! s’écria Skepta. J’ai réussi !
Le bosco s’approcha du technicien en se plaçant à côté de Raphaëlle avec une expression mi-grave, mi-enjouée.
-Bon travail Skepta, se réjouit-il en posant sa main sur l’épaule du technicien et en inspectant l’écran. On peut confirmer une bonne fois pour toute que la flotte du Cormoran est bien arrivée jusqu’au labo. Est-ce que tu aurais un moyen de voir la vidéo de l’attaque ?
Ce fut au tour du technicien de prendre un air un peu grave et gêné à la fois.
Reading on this site? This novel is published elsewhere. Support the author by seeking out the original.
-Désolé monsieur, mais je peux rien faire de plus que capter le flux vidéo en temps réel du laboratoire. Il faudrait que je puisse avoir accès à l’ordinateur du poste de surveillance directement là-bas si vous voulez quoi que ce soit de plus. Je pourrais bien tenter de hacker tout le système mais vu l’état des ordinateurs… Même moi, j’y pourrais rien ! Alors à part si quelqu'un sait utiliser les arts mystiques, je crois qu'on va devoir y aller directement.
Tolas acquiesça silencieusement avant de tendre l’oreille avec un air soucieux. Il pouvait entendre des bruits de pas qui se rapprochaient à toute vitesse de l’entrée du couloir. Il posa sa main sur le pommeau de son sabre et il commença à le dégainer. Mais d’un coup, Raphaëlle leva sa main devant son visage pour l’empêcher d’agir alors qu’elle examinait encore les écrans de contrôle.
-Qu’est-ce tu fais ? l’interrogea le bosco.
-C’est Cornell qui arrive, pas besoin de se stresser, le coupa la jeune femme en plissant les yeux à la recherhe des pirates.
-Hein ? Comment tu…
Avant même qu’il ne finisse sa phrase, Tolas put entendre le souffle saccadé d’une personne qui avait couru bien trop vite pour son âge qui se rapprochait peu à peu. Passant lentement l’entrebâillement de la porte du poste, Cornell n’essaya même pas de parler et se laissa tomber sur les fesses en haletant, maudissant ses vieux os. Tolas tourna la tête vers Raphaëlle, toujours étonné de voir à quel point les sens de son amie étaient affutés.
-Skepta, lança la mousse, tu crois que tu pourrais zoomer avec cette caméra ? J’ai l’impression que je vois quelque chose qui brille dedans.
Skepta releva la tête vers Raphaëlle en haussant un sourcil.
-T’as de la chance, en temps normal, la plupart des caméras de surveillance n’ont pas de zoom et j’aurais pu ouvertement me moquer de ton manque de connaissance sur le sujet, mais là…
Appuyant sur la barre espace, le technicien fit zoomer la caméra sur la partie que lui indiquait la louve. Tous les matelots de l’Altaïr se rapprochèrent de l’écran, même Cornell qui avait fini par se relever.
On pouvait voir au fond de l’image des lueurs qui passaient lentement entre les ruines des maisons et on pouvait deviner que les lumières venaient de torches enflammées. Il était impossible de déterminer le nombre exact de personnes qui avançaient avec ces torches mais c’était sûrement une petite équipe qui devait comptait moins d’une dizaine de personnes.
-Skepta…, commença Tolas.
-C’est la caméra 33, monsieur, l’interrompit le technicien tout en faisant apparaître un plan de la ville. Elle est à moins de trois kilomètres d’ici, à cette intersection, juste là. Ils devraient arriver dans nos alentours d’ici vingt à vingt-cinq minutes au vu de leur vitesse.
Cornell ouvrit grand son œil, complètement incrédule. Il tapota discrètement l’épaule de Raphaëlle, qui se pencha en arrière pour l’écouter.
-Mais depuis quand il sert à quelque chose celui-là ? chuchota le vieux loup de mer.
-Apparemment, depuis qu’il est assis devant un ordinateur, lui répondit la jeune femme avec un sourire amusée.
-On pourrait pas lui en faire bouffer un ? Histoire qu’il reste aussi efficace ?
-Je vous entends hein ! s’écria Skepta, un peu vexé.
-Matelots !
La voix de Tolas retentit dans le poste de sécurité, les faisant sursauter. Raphaëlle tourna la tête vers son ami, prête à voir son air vexé de figure d’autorité ignorée mais elle fut surprise par le petit sourire qui flottait sur son visage malgré son expression sérieuse.
-Même si je suis heureux de voir que vous gardez votre bonne humeur malgré le danger imminent, je vous rappelle que notre temps est compté. On ne sait pas si les pirates se dirigent vers ce bâtiment en particulier ou s’ils ne font qu’une ronde, ce qui veut dire que nos options sont limitées. Nous pouvons soit essayer de fuir pour retourner dans la jungle, mais je ne sais pas si c'est la meilleure idée au beau milieu de la nuit. Ou nous pouvons essayer de nous battre mais je ne sais pas si nous serions à notre avantage ici. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Raphaëlle devait l’avouer, elle ne s’attendait pas à ce que Tolas leur laisse le choix de leurs actions. Le bosco osait à peine la regarder, préférant observer Skepta et Cornell qui avaient l’air de peser le pour et le contre de chaque décision. Skepta fut le premier à reprendre la parole, d’une voix claire et décidée :
-Honnêtement, je préférerais éviter les pirates. J’ai pu vérifier avec ce qui restait des caméras que le chemin vers la jungle était dégagé et je pense que c’est notre dernière chance de partir sans nous faire remarquer. Notre mission est normalement terminée, il faut qu’on réussisse à rentrer en vie sur l’Altaïr si on veut prévenir le QG de ce qu’il s’est passé ici. Logiquement parlant, je vois vraiment aucune raison de rester et de nous mettre encore plus en danger.
Cornell lâcha un petit sifflement admiratif.
-Et ben, on dirait qu’il a appris à mettre les formes, le technicien ! Ça fait plaisir à entendre plutôt que de te voir balbutier comme un gamin qui tiendrais pas son rhum ! T’as failli réussir à me convaincre !
Skepta leva un sourcil, l’air étonné. Cornell reprit avec un ton bien moins enjoué :
-Mais comment est-ce qu’on pourrait partir sans leur faire payer ce qu’ils ont fait à la pauvre gamine de l’accueil ? Je peux à peine imaginer ce qu’ils ont pu faire aux autres Ermythiens ! Si on part maintenant, tous ces salopards vont s’en sortir tranquillement et ça, tu vois, ça me défrise.
Les images de l’attaque étaient encore fraîches dans l’esprit de Raphaëlle, Skepta et Tolas. Cornell avait eu la chance de ne pas voir ce qui était arrivé, mais il avait l’air de s’en douter. Un frisson parcourut le corps du technicien et ses traits se durcirent.
-Il va falloir m’expliquer comment est-ce que tu veux qu’on leur fasse payer quoi que ce soit à nous quatre ! Monsieur Tolas et Raphaëlle ont peut-être leur chance, mais ils risquent pas de faire long feu si ils se font submerger par un tas de pirates prêt à les démembrer ou pire encore !
-D’accord, donc tu peux te sortir les doigts du cul pour les mettre sur un clavier mais pas pour défendre ta vie ? lui répondit Cornell en haussant la voix. On t’as pas appris à utiliser une arme en entrant dans la marine, garçon ? Je commence à me dire qu’on aurait peut-être mieux fait de prendre un ordinateur avec nous, il aurait déjà moins chialé sur le chemin !
-J’espère que tu te bats aussi bien que tu m’insulte, le vioque ! s’emporta Cornell, les mains visiblement tremblantes. Parce que sinon, tu vas vite terminer comme le reste des Ermythiens et crois-moi, c’est pas ce que tu veux ! On aura de la chance s’ils décident de nous tuer rapidement !
Cornell était sur le point de renchérir mais il se retint à la dernière seconde quand il observa réellement l’expression du technicien. Ce n’était pas que de la peur qu’il pouvait voir sur son visage, il pouvait sentir que tout son corps était tendu et que quoi que ce soit qu’il ait pu voir sur les caméras, cela le hanterait sûrement pendant un long moment. Le vieux matelot finit tout de même par remarquer qu’il y avait une personne qui n’avait rien dit depuis la déclaration de Tolas. Il se retourna vers Raphaëlle, qui avait l’air d’être en pleine réflexion.
-Petite louve ? lança Cornell.
La jeune femme leva directement les yeux vers le vieux marin, ce qui le prit au dépourvu. Quelque chose dans l’expression de son visage le laissait un peu sans voix. Après quelques instants, il reprit ses esprits.
-Qu’est-ce que tu penses qu’on devrait faire, petite louve ? Même si j’aimerais bien faire payer cette bande d’enfoirés, je dois avouer que Skepta a peut-être pas tort. Je sens que monsieur Tolas attends aussi ton avis sur la question alors…c’est quoi la meilleure chose à faire ? Se battre ou partir ?
Les trois hommes étaient désormais tournés vers Raphaëlle, attendant d’entendre sa décision. C’était la première fois qu’ils la voyaient autant plongés dans ses pensées. Après ce qu’il leur parut être un moment interminable, les yeux de la jeune femme se rallumèrent. Elle avait pris une décision.