Novels2Search

Chapitre 17

Avertissement : Ce chapitre décrit des scènes de combats et de violence de manière relativement crue.

Tolas leva la tête vers le ciel, le corps trempé de sueur, aspirant goulûment de grandes bouffées d’air frais. Cela faisait très longtemps qu’il n’avait pas été dans une situation aussi tendue où sa vie était réellement en danger et il en avait presque oublié la pression et le stress qui en découlait.

Raphaëlle tomba sur un de ses genoux, elle aussi épuisée par ses efforts, et leva les yeux vers son poignard ensanglanté entre ses doigts tremblants.

Elle venait de tuer trois personnes.

Elle se souvenait encore de la sensation qui l’avait envahie quand elle avait tué Dokland, une sorte de vide dans son estomac où se mêlait de la joie et de la culpabilité ainsi qu’un profond sentiment de mal-être mais surtout de libération.

Tant d’émotions contradictoires qu’elle s’étonnait de ne pas retrouver à cet instant. Elle ne sentait rien de spécial. Pas de joie particulière ou de dégoût prononcé. Ces vies qu’elle venait de prendre ne comptaient pas pour elle. Mais avant qu'elle n'est le temps de s'interroger un peu plus, de lents applaudissements retentirent derrière elle. Puis d'un coup, un cri viscéral lui vrilla les tympans.

Tolas, qui lui faisait face, ouvrit d’un seul coup de grands yeux paniqués. Raphaëlle referma sa poigne autour du manche de son poignard et se retourna, prête à en découdre, avant de soudainement laisser tomber ses épaules, estomaqué par ce qu'elle voyait.

Un homme de près de 2 mètres, aux membres anormalement long et à la peau pâle comme la mort, était sorti de la cabine du Kemper, s’approchant lentement de leur position. Ses yeux rouges étaient rivés sur Raphaëlle.

Il portait seulement un pantalon bouffant noir avec une ceinture marron auxquelles étaient accrochés deux sabres incurvés, laissant son torse recouvert de cicatrices encore fraîches visible aux yeux de tous. Mais ce n’était pas son apparence physique qui les avait horrifiés.

C’était le corps battu à mort d’une enfant qu’il traînait par les cheveux sans ménagement. Elle ne devait pas avoir plus de dix ans et ses cheveux blonds étaient tachés de sang et de boue, son visage n’était que plaies et boursouflures et les haillons qu’elle portait semblaient être les vestiges d’une robe à fleur verte.

Cloués sur place, les marins de l’Altaïr entendirent des sanglots étouffés à côté d’eux. Les deux Ermythiens qui étaient encore sur le pont étaient en train de pleurer à chaudes larmes.

Puis soudain, sortant de la pénombre de la cabine encore ouverte, un autre homme fit son apparition, toujours en train d’applaudir. Cet homme-là portait un casque noir quasiment intégral , laissant seulement apparaître ses yeux noirs comme la nuit et son sourire mesquin. Il était habillé comme un jeune noble avec une chemise à froufrou taché de sang plus ou moins frais. Il s’avança jusqu’à l’homme pâle et s’arrêta à côté de lui au garde-à-vous, observant l’état du pont supérieur et les cadavres qui le jonchait.

-Un spectacle navrant, déclara l’homme masqué sur un ton dépité.

Sa voix aux sonorités quasi métallique fut comme un signal d’alarme pour Raphaëlle. Les descriptions des deux lieutenants de Scornwallis résonnaient encore dans sa tête, mais c’était une tout autre chose que de voir Lowell et Zedek en vrai.

Elle sortit de la transe dans laquelle l’avait plongée la vision du cadavre de la petite fille et se remit debout. Tolas aussi avait reprit une posture d’attaque. Zedek baissa les yeux vers Lowell, un air suffisant sur le visage.

-Je vous avais dit qu’ils étaient devenus trop faibles… dit-il d’une voix rauque.

-Je n’aurais jamais pensé que c’était au point de perdre contre des enfants, lui répondit son compagnon avant d’émettre un son strident plusieurs fois de suite qui ressemblait de très loin à un rire. Au moins, ça nous fera une bonne raison de demander un nouvel équipage à la flotte.

Lowell finit par reporter son attention sur le reste des personnes présentes, tournant lentement la tête jusqu’à s’arrêter sur Dande, dont les jambes se mirent soudainement à trembler.

-Ah, Dande…fit-il en hochant son casque de gauche à droite, tu aurais au moins pu faire un effort, j’ai rarement vu une tentative de mutinerie aussi…désordonnée.

L’intéressé semblait avoir du mal à maintenir un contact visuel avec le lieutenant casqué, luttant visiblement pour ne pas courber l’échine. Ce fut au tour du pirate pâle de se mettre à rire.

-Laisse-moi deviner…c’est à cause de Baste ? Hein ? C’est pour cette petite merde que t’es prêt à nous trahir ?

La mention du nom de son frère fut comme un électrochoc pour le pirate. Il releva la tête et foudroya Zedek du regard.

-Ta gueule Zedek ! La mission était terminée ! On avait le Cube ! Mais vous avez pas pu vous en empêcher ! Bande de connards avides et incultes ! Il est mort à cause de vous !

Zedek se mit à rire encore plus fort, ignorant complètement l’air rageur de Dande. Lowell reprit la parole :

-Lawrence, très cher, tu ne peux pas nous attribuer tout le crédit, ne penses-tu pas ? Après tout, n’es-tu pas celui qui l'a recommandé au capitaine pour cette…expédition ? l’interrogea-t-il sur un ton mielleux.

Les mains de Dande se crispèrent. Le pirate en costume prit une pose pensive, tapotant son doigt sur son casque au niveau de son menton de manière exagérée, tandis que Zedek s’esclaffait toujours autant.

If you discover this narrative on Amazon, be aware that it has been stolen. Please report the violation.

-La mémoire te fait peut-être défaut, très cher ? Heureusement pour toi, j’en ai une excellente ! C’est pour ça que je me souviens de ton air satisfait quand tu as vu qu’il allait faire partie des membres qui infiltrerait l’île. Je veux bien reconnaître un certain excès de zèle une fois que nous avons obtenu le Cube mais crois-moi…Baste s’en est aussi donné à cœur joie.

Le grand brun se mordit la lèvre inférieur, incapable de répondre, et baissa les bras avec un air défait.

Brusquement, l’homme pâle s’arrêta net de rire et tourna la tête. Son compagnon casqué remarqua son attitude.

-Zedek ?

L’homme pâle lâcha les cheveux de la fillette et celle-ci tomba au sol comme un pantin dont les fils auraient été coupés. Il fronça les sourcils, observant Tolas et Raphaëlle avec attention tout en posant une main sur l’un de ses sabres.

Les deux marins de l’Altaïr étaient restés silencieux mais avaient profité de la discussion des pirates pour calmer leurs respirations. Les deux adolescents avaient commencé à analyser la situation sous tous les angles, se demandant s'ils étaient capables de combattre les nouveaux arrivants . Mais l’instinct de la jeune louve lui disait de rester sur ses gardes. Et, aussi étrange que cela pouvait lui paraître, elle sentait bien que la plus grande menace n’avait pas encore fait son apparition.

-Si on s’y met tous les deux, commença à chuchoter Tolas tout en gardant les pirates en vue, je suis sûr qu’on peut les prendre de vitesse. Si Dande pensait qu’ils étaient toujours dans le coma, ils sont sûrement encore bien affaiblis. Il faut juste qu’on se concentre sur la même personne et on devrait pouvoir s’en sortir.

Au même moment, Zedek commença à retirer l’un de ses sabres de son fourreau et se mit à le pointer vers Tolas. Le pirate masqué se mit à regarder tour à tour le sabre, puis Tolas.

-Ces enfants seraient donc vraiment dangereux ? s’interrogea-t-il à haute voix.

-Encore plus que tu ne le crois, lui répondit une voix rieuse derrière lui.

Tout le monde tourna la tête vers les portes ouvertes de la cabine du capitaine. Un effroyable frisson se mit soudainement à parcourir le dos de Raphaëlle et la jeune femme se recroquevilla sur elle-même sans vraiment comprendre pourquoi. Et c’est là qu’elle les vit. Deux yeux bleus perçants qui luisaient légèrement dans la pénombre de la cabine assombrie.

-Capitaine ! s’écria soudainement Lowell en faisant une révérence. Vous n’aviez pas besoin de vous abaisser à venir. Zedek sera bien suffisant pour…

-Lowell, l’interrompit la voix qui résonnait étrangement depuis la cabine, ferme-là.

Le pirate masqué se figea et baissa ensuite la tête sans plus faire aucun bruit. A vrai dire, plus personne ne faisait aucun bruit sur le Kemper. Le silence était anormalement pesant et les deux marins de l’Altaïr se rendirent compte en même temps qu’ils s’étaient tous les deux mis à respirer beaucoup plus vite.

Puis enfin, le propriétaire de la voix sortit de la pénombre et Raphaëlle fronça les sourcils, confuse au plus au point.

L’homme qui était sorti de la cabine avait l'air tout ce qu'il y a de plus normal. Étrangement jeune pour une telle légende, il avait des cheveux châtains et un visage à l'air espiègle. Mais ses traits étaient tirés, comme s’il avait essayé d’aplanir des rides maintenant inexistantes. Avec sa redingote pourpre et ses bottes hautes, on aurait dit un adolescent qui porterait des vêtements juste un peu trop grands pour lui. La seule chose qui sortait de l’ordinaire chez lui semblait être ses yeux bleus. Il y avait quelque chose d'ancien chez eux, comme s’ils appartenaient à quelqu’un de beaucoup plus vieux.

Raphaëlle pouvait sentir qu’il voyait quelque chose quand il les observait, Tolas et elle, mais elle n’aurait su dire quoi. Tout ce qu'elle savait, c'était que les yeux bleus de Scornwallis dégageait une aura tellement sinistre qu'elle s'en retrouvait à trembloter sous le soleil matinal.

Ce dernier s’avança de quelques pas et des parties de son visage se mirent à légèrement scintiller sous le soleil. Raphaëlle fronça les sourcils, analysant le nouveau venu jusqu’à ce qu’elle finisse par remarquer un détail qui la fit tressaillir. Ses traits étaient tirés parce qu’ils étaient maintenus par de minuscules agrafes.Comme si celui-ci était complètement rapiécé.

-Ah, capitaine, vous rayonnez toujours de mille feux, s’écria Lowell avec des étoiles dans les yeux.

La tête de Scornwallis ne bougea pas d’un centimètre, seul ses yeux se fixèrent sur son subordonnée, qui semblait être à deux doigts de s'agenouiller. Il était sur le point de mettre la main à sa ceinture quand il se mit à renifler l’air. Un sourire vicieux étira alors ses traits.

-Lawrence…c’est pour te faire pardonner que tu m’as ramené ces petites surprises ? demanda Scornwallis sur un ton moqueur.

Dande, qui ne disait plus rien depuis un moment, serra les poings en tremblant comme une feuille, mais garda le silence. Le sourire de Scornwallis s’étendit encore plus, déformant complètement son visage, et il claqua soudainement des doigts. Zedek tourna la tête vers son capitaine, le sabre toujours levé.

-Lequel des deux ?

-La pisseuse, mais n’endommage pas trop le gosse, ordonna Scornwallis en humant l’air avec insistance. Il est…spécial…

Scornwallis se lécha les lèvres en fixant Tolas. Ce dernier fronça les sourcils mais resta sur ses gardes tandis que Zedek décalait son arme pour viser Raphaëlle. Quelques secondes s’écoulèrent dans un silence de mort.

D’un coup, Zedek se jeta en avant en retirant son deuxième sabre de son fourreau. Il parcourut les cinq mètres qui le séparait de ses victimes en un clin d’œil et lança deux attaques simultanées vers Raphaëlle en croisant ses lames. Même en voyant le coup venir, la louve eut à peine le temps de réagir et elle esquiva en se jetant en arrière, sentant l’air se fendre à quelques centimètres devant elle.

Dans le même instant où Raphaëlle sautait en arrière, Zedek prit Tolas par surprise en lui assénant un violent coup de pied dans les côtes qui propulsa le bosco en arrière, droit sur la trajectoire de Raphaëlle. Le corps de Tolas la percuta de plein fouet avant même qu’elle n’ait le temps de toucher le sol et les deux marins voltigèrent en arrière, s’étalant violemment sur le pont.

Tolas se mit à tousser, reprenant difficilement son souffle.

-Putain…j’ai l’impression d’avoir pris un coup de fouet…, cracha-t-il en relevant le haut de son corps pour toujours garder un œil sur leurs adversaires.

Zedek s’était remis en position d’attaque mais son visage était fermé et il avait l’air contrarié. Il fit bouger son bras droit de bas en haut plusieurs fois, grimaçant à chaque fois qu’il levait un peu trop l’épaule.

Raphaëlle, qui avait atterrit sur le ventre, se laissa une seconde pour respirer. La vitesse du pirate l’avait complètement prise par surprise. Si elle avait réagi ne serait-ce qu’une seconde plus tard, l'homme pâle l'aurait égorgé sans effort.

Relevant lentement la tête, elle remarqua le comportement étrange de Zedek et leva un sourcil interrogatif avant de comprendre ce qu’il se passait. La seule raison pour laquelle il ne l’avait pas tué sur le champ, c’était parce qu’il n’était pas au sommet de sa forme.

-Tolas ? demanda-t-elle en se remettant debout.

-Ouais ? lui répondit son ami en se remettant lui aussi debout à ses côtés.

Zedek avait retourné son attention vers eux et d’un coup, ses bras se crispèrent.

-Ne meurs pas.