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Chapitre 23

-Qu’est-ce…est-ce que tu sais de quoi il voulait parler ? l’interrogea la jeune femme.

Spirit hocha la tête, l'air aussi confus qu'elle. L’esprit brumeux de Raphaëlle s’emplit de questions mais la mousse était tellement fatiguée qu’elle arrivait de moins en moins à former des pensées cohérentes. Elle avait l'impression qu’elle avait déjà entendu les dernières paroles de Scornwallis quelque part. Si seulement elle arrivait à se rappeler où.

-Putain, mais… il y pas de barque ! hurla soudainement Dande depuis la proue.

Raphaëlle et Spirit tournèrent la tête en même temps vers le pirate, qui était complètement sorti de leurs esprits respectifs. Le Second soupira avant de se diriger vers Dande, qui continuait de geindre en se tenant l’épaule.

Raphaëlle partit retrouver Tolas. Le bosco semblait avoir repris conscience mais il gardait les yeux fermés et respirait profondément comme s’il était en pleine méditation. La jeune femme s’apprêtait à l’appeler quand elle se souvint qu’il lui restait encore une mission urgente à accomplir.

Fouillant la redingote rouge que Scornwallis avait laissé sur le pont, Raphaëlle trouva dans l’une des poches le talkie-walkie du corsaire. Avec un grand sourire fatigué, elle alluma l’appareil qui se mit à grésiller bruyamment.

-Cornell ? Cornell… est-ce que tu m’entends ? demanda-t-elle en appuyant sur le bouton de transmission. Cornell, c’est… Raphaëlle !

Le silence qui suivit sa transmission l’inquiéta. Elle appuya sur le bouton en parlant un peu plus fort.

-Cornell ?... Skepta ? Répondez, c’est Raphaëlle ! On…on a battu les pirates et Spirit est avec nous !...Allez…répondez !

-Hey, du calme petite louve ! On a plus le droit de faire une petite sieste ? répondit enfin la voix de Cornell depuis le talkie-walkie.

La louve souffla un grand coup, enfin rassurée.

-Vous allez bien tous les deux ? Comment va Skepta ? s’enquit la jeune femme.

-Il survivra, t’en fais pas. Bon, par contre, si on veut qu’il garde sa jambe, faudrait voir à pas trop tarder.

-T’as de la chance…la cavalerie est en train d’arriver, répondit-elle. Il faudrait juste que… tu nous indique ta position. Tolas et moi, on pourra pas venir vous retrouver.

-Tu pourrais pas envoyer le pirate qui vous accompagnait ?

-Non ! s’exclama-t-elle sur un ton catégorique en levant la tête vers le-dit pirate que Spirit avait presque rejoint.

-Oh. Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Il est mort, c’est ça ?

-Hein ? Non, non, c’est juste que…on peut pas lui faire confiance…tu te souviens ?

En même temps, près de la proue, Dande se retournait vers Spirit avec un air désespéré sur le visage.

-Mais comment…t’es pas venu jusqu’ici à la nage non ? Comment t’es arrivé sur le Kemper !

Spirit pointa seulement l’horizon du doigt sans un mot. Dande suivit la direction qu’indiquait le Second et fut étonné de voir deux canots de sauvetage remplis d’hommes de la marine qui s’approchaient rapidement de leur position. Le pirate regardait tour à tour les canots, puis Spirit, l’air de plus en plus confus.

-C’est…C’est pas possible, conclut-il sur un ton incrédule.

De son côté, Raphaëlle était retournée s'asseoir à côté de Tolas, qui ouvrait enfin les yeux, l’air absolument exténué.

-Encore…la première debout..., dit-il avec une pointe d’ironie.

Avec un petit sourire en coin, Raphaëlle passa une main dans les cheveux de son ami, heureuse de le voir toujours en vie.

-Et ouais…peut-être que ça devrait être moi le Bosco, lui répondit-elle.

Le regard triste qu'il lui lança lui déchira le cœur.

-Peut-être bien…,murmura-t-il d’un ton défait.

La jeune femme fronça les sourcils et attrapa la tête de Tolas en le forçant à la regarder.

-Hey, raconte pas n’importe quoi. C’est grâce à toi qu’on est encore en vie !

-Non…c’est grâce à lui, déclara Tolas sur un ton rageur en fixant la silhouette de son grand frère au loin.

Raphaëlle leva les yeux au ciel.

-T’as vraiment du mal à reconnaître quand tu fais du bon travail toi. Tu l’as dit tout à l’heure, t’as rempli ta mission. Toute ton équipe est encore en vie…même si j’ai pas arrêté de nous mettre en danger…Et on a battu Scornwallis et son équipage ! Je suis sûr qu’on a une énorme prime qui nous attend !

Le visage de Tolas se détendit un peu et il leva les yeux vers Raphaëlle.

- …Tu sais que t’es pas obligé de grossir le trait pour que je me sente mieux, dit-il en poussant la main de la jeune femme et en se relevant légèrement. Sans toi, j’aurais jamais pu accomplir cette mission jusqu’au bout. Merci Raph’.

Cette dernière posa sa main sur la sienne avec un petit sourire espiègle.

-Toujours un plaisir.

Le bruit des canots se rapprochant de plus en plus, Raphaëlle demanda à Cornell de se préparer à tirer sa fusée de détresse pour que les marins de l’Altaïr puissent vite les retrouver.

Ceux-ci débarquèrent juste à côté du Kemper et ils montèrent sur le pont. Ils furent accueillis par le spectacle macabre des cadavres de pirates et d’Ermythiens éparpillés de part et d’autre du pont du navire. Spirit leur fit signe de s’approcher et leur lança Dande dans les bras, qui n’essaya même pas de résister, trop heureux d’avoir survécu. Il désigna également les deux autres pirates qui étaient encore inconscients sur le pont.

Les marins se dépêchèrent de les attacher et de les emmener avec eux sur l’un des canots.

Rossignol, l’un des infirmiers de l’Altaïr, avait accompagné l’équipe de sauvetage et son visage changea presque de couleur quand il vit l’état de Raphaëlle qui l’accueillit avec un petit sourire désolé.

-Pourquoi est-ce qu’à chaque fois que je te vois, tu es dans un état lamentable ? se plaignit l’infirmier en sortant un kit de premier secours.

- J’aime bien... te faire sentir utile, réussit à blaguer la jeune femme avant de se mordre les lèvres quand l’infirmier versa une bouteille d’eau sur son avant-bras.

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-J’ai du mal à croire que tu sois encore consciente vu tout le sang que tu as perdu, constata Rossignol en sortant une petite pince qu’il utilisa pour retirer les petits bouts de bois qui s’étaient fichés dans la plaie.

-C’est… parce que je suis… une dure à cuire ? proposa Raphaëlle, le visage crispé par la douleur.

-Je crois plutôt que c’est l’adrénaline qui te fait encore tenir debout. Et tu as de la chance, aucune artère n’a été touchée, tu devrais t’en sortir sans séquelles majeures…

Rossignol s’arrêta une seconde pour vraiment observer la plaie de Raphaëlle, qui le regardait avec curiosité.

-Qu’est-ce qui se passe ?

- Non, ce n’est rien, c’est simplement que…cette incision est incroyablement précise, reconnu Rossignol avant de continuer à prodiguer ses premiers soins. De visuel, j’aurais pu croire que c’est un médecin qui te l’aurait faite.

Raphaëlle jeta un coup d'œil vers le cadavre de Scornwallis, que les marins de l’Altaïr n’avaient pas encore bougé. Si seulement ils avaient pu le capturer vivant. Elle aurait peut-être eu une chance d’avoir des réponses aux milliards de questions qu’elle se posait à cet instant.

-Voilà, je t’ai rafistolé du mieux que j’ai pu, mais on va devoir te transfuser une fois que tu seras rentrer, expliqua Rossignol en sortant des bandages de sa sacoche. En attendant, tu restes tranquille, c’est bien clair ? Et mange quelque chose, ton corps en a bien besoin.

Raphaëlle mima un salut militaire devant Rossignol qui leva les yeux au ciel. Et une seconde plus tard, l’estomac de la jeune femme se mit à gargouiller bruyamment. L’infirmier leva un regard suffisant vers la jeune femme, et cette dernière acquiesça en silence.

Elle se mit soudainement à penser à Sam et se souvint des repas qu’il leur avait préparés et qui attendaient d’être déguster, toujours au fond des sacs que Cornell avait gardé avec lui.

Quelques minutes plus tard, les marins furent pris de panique quand ils virent une fusée de détresse décollé depuis le centre d’Ermyhtie. Raphaëlle s’empressa de leur expliquer de quoi ils en retournaient et une petite équipe se prépara à partir chercher Cornell et Skepta. Rossignol termina d’appliquer un pansement de fortune sur l’avant-bras de la mousse avant de partir avec eux.

Pendant ce temps, les autres marins avaient libéré les Ermythiens enfermés dans la soute du Kemper et les avaient descendus à terre pour s’occuper des habitants les plus mal en point.

Les Ermythiens, blessés et fatigués, s’étaient lentement éparpillés le long du quai. Ils étaient silencieux, tous portant un air hagard comme s’ils sortaient d’un affreux cauchemar, et certains d’entre eux pleuraient à chaudes larmes.

Raphaëlle, assise près du bastingage face au port, les regardait d’un œil désolé. Tolas, qui venait de se faire examiner par d’autres membres du corps médical, était en train de s’approcher d’elle quand il sentit une présence familière derrière lui.

-Il faut qu’on parle, lui dit Spirit.

Le visage du bosco s’assombrit d’un seul coup et il se retourna pour faire face à son frère.

-Je t’ai déjà dit que je ferais un rapport complet au capitaine une fois qu’on sera sur le bateau, c’est pas suffisant ?

-Tu sais très bien que je veux pas parler de ça.

La mâchoire de Tolas se crispa.

-…J’avais pas le choix, d’accord ? J’allais pas le laisser la...nous tuer, se reprit le bosco. Il était beaucoup plus fort que ce que je croyais...

-Tu l’as sous-estimé ? le coupa Spirit.

-Non ! Rien à voir ! Il m’a juste…pris par surprise ! Et on venait de se battre contre tout le reste de son équipage, on était crevés !

-Mais vous auriez dû vous replier dans ce cas-là, vous aviez déjà lancé la fusée de détresse, répliqua Spirit en gardant son calme. Vous deviez vous douter que l’Altaïr était en chemin, si vous aviez attendu…

-D’autres Ermythiens allaient mourir, d’accord ? On pouvait pas les regarder mourir sans rien faire !

-Oh, tu veux peut-être parler de ces deux personnes là-bas ? demanda Spirit en pointant le cadavre du vieillard et de l’adolescente qui avaient été recouvert d’un drap en toile. Vous avez fait quelque chose et pourtant, regarde-les.

Tolas tremblait de colère de la tête aux pieds mais il resta silencieux.

-Un Bosco doit savoir prendre les bonnes décisions en toutes circonstances. N’oublie jamais que tu as un des rôles les plus important sur notre navire. Alors comporte-toi comme telle.

Tolas se mordillait les lèvres, souhaitant répliquer de tout son cœur mais sachant pertinemment qu’il n’y avait rien qu’il pouvait dire qui ne le discréditerait pas encore plus aux yeux de Spirit. Après tout, il avait pu voir son grand frère imposer sa force et sa volonté sur l’Altaïr depuis des années malgré sa jeunesse comparée à d’autres marins bien plus expérimentés. S’il voulait prétendre au même niveau de respect, il ne pouvait pas se permettre de se confondre en excuses à la moindre remontrance. Ravalant sa fierté, il baissa la tête.

-Oui monsieur, répondit-il sur un ton aussi neutre que possible.

Spirit soupira discrètement, le regard un peu triste, avant de reprendre son expression impassible.

-Combien d’années tu viens de perdre en soignant ta main ? demanda-t-il doucement.

Tolas leva la tête, les yeux un peu fuyants, puis il la rabaissa, tout penaud.

-Je…crois que j’ai dû en perdre une et demie… voire deux, avoua-t-il un peu honteux.

Spirit remua les doigts de sa main droite un peu distraitement.

-On était déjà presque à mi-chemin quand j’ai senti Scornwallis te la broyer. Je comprends mieux comment il a pu nous échapper toutes ces années. La marine n’avait aucune chance.

-Spirit, Scornwallis, il…il savait. Pour nous. Il arrivait à me sentir, à sentir quand j’utilisais l’Oka. Et ces hommes, Zedek et Lowell…eux aussi, ils étaient différents.

Le Second prit un air pensif. Il se souvenait avoir vu les cadavres des deux pirates et il avait remarqué leurs apparences atypiques. Surtout celle de Zedek. Soudain, ses yeux s’écarquillèrent.

-Quoi ? l’interrogea Tolas.

-Rien, lui répondit Spirit en tournant la tête vers l’horizon.

-Spirit, qu’est-ce qui se passe ?

Le Second ignora son frère, déjà plongé dans ses propres pensées, et il se dirigea brusquement vers l’un des officiers qui l’avait accompagné. Tolas resta immobile, essayant de ne rien laisser paraître sur son visage, mais une rage sombre bouillonnait déjà dans son esprit. Malgré tout son beau discours sur les responsabilités d’un bosco, Spirit le traitait toujours comme un enfant. Il ne savait plus quoi faire pour prouver sa valeur.

Soudain, la voix de Raphaëlle retentit derrière lui.

-Tolas ? Ça va ?

La jeune femme, toujours assise sur le bastingage, s’était retourné et avait vu les deux frères discuter sans pour autant se rapprocher, sentant bien que leur conversation était privé. Voyant que Tolas ne semblait pas réagir, Raphaëlle s’approcha lentement de lui.

-Hey, Tolas ?

Le bosco tourna la tête vers Raphaëlle, le visage crispé. Malgré tout l’amour qu’il pouvait lui porter, au fond de son cœur, il pouvait sentir naître un horrible sentiment qu’il préférait ne pas reconnaître tout de suite. Quelque chose à mi-chemin entre de la jalousie et du ressentiment qu’il faisait de son mieux pour tuer dans l’œuf. Voyant la manière dont il la dévisageait, la jeune femme se sentait un peu mal à l’aise.

-Je t’ai vu parler avec Spirit, tout…tout va bien ?

Tolas, toujours aussi silencieux, baissa les yeux et essaya de souffler un peu pour calmer son cœur.

-Ouais…t’en fais pas. Il m’a juste parlé de la mission.

Raphaëlle, loin d’être dupe, attrapa la main de Tolas et la lui serra tendrement.

-Hey, quoi qu’il ait pu te dire, souviens-toi que c’est grâce à toi qu’on a survécu, d’accord ?

Tolas essaya de sourire à la jeune femme mais il en était incapable. Il ne pouvait s’empêcher de penser à tout ce qui venait de se passer sur l’île et au nombre de fois ou Raphaëlle avait arbitrairement pris le dessus sur son commandement.

Malgré le succès de sa mission, il aurait peut-être mieux fait d’ignorer la volonté de son amie pour seulement accomplir l’objectif qu’on lui avait donné. Mais il savait qu’il ne pouvait pas non plus ignorer à quelle point la mousse l’avait aidé et qu’il n’aurait peut-être jamais terminé cette mission sans elle.

L’idée qu’il était peut-être en train de devenir dépendant de la présence de Raphaëlle à ses côtés commençait peu à peu à l’inquiéter. Alors qu’il était plongé dans sa réflexion, la louve regardait la main de Tolas avec intérêt.

Elle se souvenait avoir clairement vu Scornwallis la réduire en charpie sous ses yeux moins d’une heure auparavant. Pourtant, quelques instants plus tard, Tolas s’était remis à se battre avec, comme si de rien n’était. Et ce n’était pas la seule chose étrange qui était arrivé durant le combat. La force démentielle que Tolas avait déployé pour retenir Scornwallis avait aussi eu l’air de sortir de nulle part. Elle savait que le bosco était considéré comme un petit génie sur le bateau mais cela ne pouvait pas être seulement expliqué par du talent.

-Comment t’as fait pour ta main ? demanda soudainement Raphaëlle en fixant Tolas. Et commence pas à essayer de me mentir, j’ai très bien vu Scornwallis te la défoncer.

Le corps tout entier de Tolas se crispa.

-Je…non, je peux pas t’en parler, marmonna t-il.

-Comment ça, tu peux pas m’en parler ? C’est trop tard de toute façon, j’ai déjà tout vu ! Ça à un rapport avec tes tatouages ? insista Raphaëlle d’un ton pressant.

-Raph’, je vais pas t’en parler, d’accord ? Lâche-moi, s’il te plaît…

-Allez Tolas, tu sais que tu peux tout me dire non ? Après ce qu’on vient de vivre, tu me dois bien ça quand même !

Cette phrase fut celle de trop. D’un seul coup, tout le ressentiment que Tolas avait pu accumuler depuis leur départ de l’Altaïr la veille explosa en lui. Il rejeta brusquement la main de Raphaëlle et la fusilla du regard.

-Raph’, merde, je t’ai dit d’arrêter, ok ? Je te dirais rien, c’est tout !