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Chapitre 20

Raphaëlle leva son arme et cligna des yeux. Au moment où elle les rouvrit, Scornwallis était déjà arrivé entre elle et Tolas. D’un seul mouvement, il mit un coup de coude dans la nuque de Tolas puis, avec deux doigts, il frappa avec précision la trachée de Raphaëlle.

Tolas décolla du sol vers l’avant, propulsé par la violence du coup alors que la respiration de la louve était coupée par l’attaque du pirate. Elle avait beau insister, c’était comme si l’air refusait de passer dans sa gorge. La panique commençait à s’emparer d’elle tandis que le pirate la toisait d’un air curieux. Tolas, encore au sol, réussit à se lever très lentement avant de se secouer la tête pour essayer de rester conscient.

Après ce qu’il lui sembla être une éternité, Raphaëlle réussit enfin à reprendre son souffle et elle vacilla en arrière, son poignard toujours devant elle. Le flibustier lui jetait un regard un peu confus

-Tu pouvais pas me parer ? Vraiment ?

D’un coup, il bougea sur le côté et la lame de Tolas, qui s’était approché discrètement de lui par derrière, le manqua complètement. Scornwallis ferma son poing et, avec la même précision qu’auparavant, frappa le menton de Tolas. Le jeune homme sentit ses jambes se dérober sous lui et tomba à genoux, incapable de se relever.

Raphaëlle tenta de mettre un coup de poignard vers le pirate mais celui-ci intercepta sa main et il la tordit, la faisant grimacer de douleur en lâchant son arme. Le pirate rattrapa la lame au vol et la fit virevolter entre ses doigts avant de subitement l'enfoncer dans l'avant bras de la jeune femme qu’il maintenait sur place. Elle lâcha un cri de douleur et essaya de se débattre pendant que Scornwallis lui créait une longue entaille de plusieurs centimètres de profondeur. Il mit le couteau entre ses dents, ignorant complètement les coups que Raphaëlle lui mettait pour le faire lâcher prise, et de sa main libre, il écarta légèrement l’entaille pour observer directement la chaire exposée.

La jeune femme se mit à hurler en se débattant encore plus, sous les yeux brillants d’intérêts de Scornwallis, qui triturait l’intérieur de son bras.

-…Attends, mais t’as rien de spécial au final, s’exclama le pirate sur un ton déçu avant d’ouvrir grand les yeux et de renifler l’air.

Il lâcha brusquement le bras de Raphaëlle, recracha le poignard dans sa main maintenant libre et para à la dernière seconde une attaque de Tolas qui visait sa gorge.

Le bosco enchaîna les coups de sabre, essayant de prendre le pirate par surprise mais Scornwallis paraît tous ses coups sans problème, l’observant avec son même sourire figé sur son visage rapiécé.

Raphaëlle, qui était tombée en arrière et qui se tenait maintenant le bras, le front en sueur, observait le combat du bosco avec de plus en plus d’étonnement. A mesure que le temps passait, Tolas ne faisait qu’accélérer et ses attaques semblaient devenir de plus en plus lourdes. Petit à petit, le marin commençait à prendre le dessus et faisait reculer le capitaine en arrière en l’emmenant très lentement vers le bastingage. Scornwallis ne disait plus rien, il avait l’air d’être concentré sur le combat mais quelque chose dans son attitude ne rassurait pas la louve. Même s’il était sur la défensive, il n’avait pas spécialement l’air d’être en difficulté. La louve ramassa l’un des sabres de Zedek et se découpa un morceau de tissu qu’elle noua autour de son avant-bras ouvert. La douleur lui faisait voir des étoiles et il lui était de plus en plus difficile de ne pas tourner de l’œil. Puis un bruit de métal brisé lui fit reprendre pied et elle ouvrit de grands yeux effarés.

Tolas était maintenant en train de reculer, tenant son sabre brisé en deux dans ses mains tremblantes. Scornwallis, détenant toujours le poignard de Raphaëlle, regardait Tolas en se léchant les lèvres, les doigts de sa main libre gesticulant dans tous les sens.

-Moi qui pensait que ton peuple n’était qu’une légende… commença le pirate en se faisant craquer le cou et en jetant le poignard par terre.

Le bosco se jeta tout de même vers le corsaire et tenta de le poignarder au niveau de l’estomac mais le pirate, comme pour Raphaëlle juste avant, intercepta sa main. Tolas réagit immédiatement en lâchant le pommeau de son sabre pour le rattraper avec sa main libre et il réussit à planter le flanc exposé de Scornwallis.

Le visage du pirate ne changea pas d’un iota et, comme si de rien n’était, il broya la main de Tolas dans la sienne, le faisant hurler de douleur. Il relâcha Tolas et ce dernier recula en tenant sa main mutilé, prenant de grandes bouffées d’air. Il eut à peine le temps de relever la tête que Scornallis lui décochait un uppercut droit dans le ventre. Le bosco décolla du sol de plusieurs centimètres, crachant du sang sur le torse de son adversaire et tombant à genoux devant lui. Ce dernier essuya le sang avec son index qu’il lécha ensuite et ses yeux se mirent de nouveau à briller.

-Oh oh oh…C’est excellent ça ! Un grand cru, cet Oka ! dit-il en partant d’un grand rire moqueur.

Le capitaine attrapa brutalement Tolas à la gorge et, comme avec l’Ermythienne auparavant, il commença à le soulever tout en serrant de plus en plus fort. Le bosco tenta de se débattre du mieux qu’il pouvait, frappant avec sa main encore intacte et avec ses pieds, visant à chaque fois la blessure qu’il avait fait au corsaire. Ce dernier continua de s’esclaffer :

-Tu perds ton temps, gamin, ça fait déjà longtemps que je ressens plus rien.

Scornwallis attrapa le t-shirt en lambeau de Tolas et l’arracha, dévoilant son torse blessé et un grand tatouage faits de centaines de petites marques noires sur son pectoral droit . Ces dernières semblaient presque être en relief sur sa peau. Toutes les petites coupures provoquées par le combat contre Lowell et Zedek étaient lentement en train de se résorber sous les yeux ébahis de Scornwallis. Il remarqua tout de même que les blessures qui se trouvaient dans les alentours du tatouage se résorbaient plus vite que celles qui en étaient éloignées.

-J’ai vraiment touché le jackpot avec toi, se réjouit le pirate en passant sa main libre sur le torse du bosco qui étouffait de plus en plus.

Puis, d’un seul coup, Scornwallis se retourna et lança un énorme chassé vers Raphaëlle, qui réussit difficilement à se protéger en mettant ses bras en croix devant elle. La jeune femme décolla du sol, projetée en arrière sur plusieurs mètres avant d’atterrir brutalement sur le dos, complètement épuisée.

-Tu pensais vraiment que le même coup marcherait à chaque fois ? se moqua Scornwallis. T’es vraiment trop prévisible, pisseuse, dès que je t’ai perdu de vue, je savais que t’allais m’attaquer par derrière.

Le capitaine, tenant toujours Tolas au bout du bras, banda ses muscles et il lança l’adolescent contre le pont de toutes ses forces. Le corps de Tolas percuta le sol si fort que le bois s’affaissa légèrement sous la violence de l’impact. Les paupières du bosco se mirent à papillonner.

-Hé là, t’endors pas ! s’exclama Scornwallis en se baissant et en attrapant la tête de Tolas pour la relever vers lui. Tu vas manquer le clou du spectacle.

Reprenant bruyamment son souffle, Raphaëlle essaya de se relever mais ne réussit qu’à se mettre sur un genou.

Elle sentait le sang battre dans ses tempes, ses cheveux trempés de sueur collés sur son front et la douleur qui engourdissait peu à peu ses multiples blessures ouvertes. Les yeux dans le vague, elle réussit tout de même à se reconcentrer sur Scornwallis, qui la toisait en tenant encore la tête de Tolas. Puis son regard croisa celui de son ami mal en point et la jeune femme se mordit la lèvre.

Ils ne pouvaient pas gagner. Scornwallis était beaucoup trop fort pour eux. Cette réalisation fut comme si un immense rocher tombait dans son estomac. Elle avait été trop sûre d’elle. Toute cette aventure sur l’île l’avait conforté dans son idée qu’elle était devenue assez forte pour ne plus jamais avoir à craindre qui que ce soit. Mais c’était faux. Depuis le début, ils avaient eu de la chance. S’ils étaient tombés sur l’équipage de Scornwallis la semaine précédente, ils n’auraient eu aucune chance d’arriver aussi loin. Elle avait pris des circonstances favorables pour ses propres qualités de combattante et de stratégiste.

Raphaëlle serra les dents, un goût amer dans la bouche.

Scornwallis lâcha Tolas et avança lentement vers elle, le visage fermé.

-S’il y a bien une chose que je déteste plus que tout, pisseuse, c’est d’être déçu.

Il arriva enfin devant elle et il l’attrapa par les cheveux. Raphaëlle tenta en vain de se défendre mais elle avait même du mal à lever les bras. Le pirate continua sa tirade :

-Ça faisait longtemps que j’attendais que les Dande me trahissent et quand ce merdeux de Gaste est mort, je me suis dit que Lawrence oserait jamais essayer de me faire tomber et ça, ça m’a déçu. Je l’ai envoyé avec Monigam en me disant qu’il m’en débarrasserait peut-être mais quand j’ai plus eu de nouvelles de lui dans la nuit, j’ai commencé à avoir un doute.

Il commença à tirer sur les cheveux de Raphaëlle jusqu’à ce qu’il soulève son corps au-dessus du sol. La douleur vrillait le cerveau de la jeune femme.

-Et quand je vous ai vu tout à l’heure, reprit-il sur un ton jovial, après que vous ayez butez mes lavettes de pirates sur le pont, j’ai commencé à espérer. Oh, et l’odeur de ton petit copain, mais quel pied ! Si tu savais depuis combien de temps j’ai pas senti un Oka aussi…délicieux. Là, je me disais qu’il y avait quelque chose de spécial qui se préparait. Le coup du poignard dans l’œil de Lowell, c’était… magique !

Le visage de Scornwallis, qui s’était presque illuminé, s’assombrit d’un seul coup.

-Je savais que tout seul, ton copain n'arriverait à rien contre moi. Alors j’ai espéré de tout mon cœur, de toute mon âme, que tu étais comme lui. Mais non, t’es qu’une gamine banale.

Il gifla soudainement Raphaëlle, lui faisant cracher du sang.

-Une gamine qui m’a fait perdre presque tout ce qui me restait de mon équipage...

Il la gifla à nouveau, un peu plus fort cette fois. Elle avait l’impression que sa joue était en feu.

-Dont deux lieutenants qui auraient encore pu m’être utiles !

Il la gifla une troisième fois, encore plus fort que les fois précédentes. La louve était proche de l’inconscience mais quelque chose dans les paroles de Scornwallis l'avait fait tilter. Un rictus ensanglanté étira les traits fatigués de la jeune femme et un petit rire faible s’échappa de ses lèvres tuméfiées.

-Je peux savoir ce qui te fais rire ? lui demanda Scornwallis sur un ton agacé.

-L’équipage… du « boucher des Isla Novaes » s’est fait… massacrer… par une gamine de dix-sept ans…, gloussa-t-elle en grimaçant de douleur.

La mâchoire du pirate se crispa alors que des veines se mirent à pulser sur son cou et sur son front. Raphaëlle, qui sentait qu’elle n’avait plus rien à perdre de toute façon, réussit à trouver le regard de son ennemi.

-Imagine…. si j’en avais eu vingt… murmura-t-elle en souriant de toutes ses dents.

Les yeux de Scornwallis se mirent à briller et il serra son poing libre de toutes ses forces. Puis son corps tressaillit d’un seul coup et, plutôt que de frapper Raphaëlle, il la lâcha et mit un coup de pied circulaire derrière lui. Tolas, debout derrière lui, l’arrêta de sa main gauche.

-Déjà debout ? s’étonna le pirate. T'es plutôt -

Le bosco ne laissa pas Scornwallis terminer sa phrase. Il agrippa fermement la jambe tendue du pirate et le tira vers lui avant de lui asséner un terrible coup de poing de la main droite directement dans le nez, le fracturant sur le coup. Le pirate tomba sur le dos, complètement déséquilibré et Tolas, qui le tenait encore, le balança derrière lui plusieurs mètres plus loin. Il se retourna ensuite pour aider Raphaëlle à se remettre debout et celle-ci lui attrapa le bras, incrédule.

-Ta…ta..main...,balbutia-t-elle faiblement, comment est-ce que…

Elle leva les yeux et fut surprise par l’air crispé de Tolas. Le jeune homme avait le corps tourné vers l’entrée de la baie de Vyx, ses yeux rivés sur l’horizon. Pendant ce temps, Scornwallis se relevait sans difficultés, des étoiles dans les yeux et le nez de travers.

-J’ai pas rêvé, t’as vraiment reconstruit ta main en quelques minutes, s’exclama un Scornwallis visiblement ravi. Je vais me faire un plaisir de t’écorcher vif !

Tolas ne daigna même pas tourner la tête vers lui et continua de l’ignorer en se concentrant encore plus vers l’horizon. Puis son visage changea presque de couleur alors que ses yeux s’écarquillaient. Ses traits se renfrognèrent.

-To…Tolas ? s’enquit Raphaëlle.

-Il arrive, annonça-t-il le ton grave.

-Quoi ? Qui ça ?

Le jeune homme jeta un regard sombre à son amie et celle-ci fronça les sourcils avant de comprendre. Elle se mit à sourire tristement :

-Il aura pris son temps…mais je sais pas si ce sera suffisant…