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Chapitre 13

L’équipe de l’Altaïr attendit un moment que Dande reprenne son récit mais celui-ci n’avait pas l’air d’avoir envie de continuer. Sentant qu’ils n’arriveraient à rien si personne ne faisait quoi que ce soit, Tolas décida qu’il était temps de changer de conversation.

-Bon, disons qu’on décide de vous faire confiance, c’est quoi votre plan ?

Dande releva la tête d’un seul coup avec un air mélancolique avant de reprendre une expression un peu plus neutre.

-J’en ai qu’un seul de viable. Fuir. On repart par où vous êtes arrivés. Même si la jungle est incroyablement dangereuse la nuit, je peux vous assurer que je serais pas de trop pour vous aider à la traverser.

Cornell, qui était resté silencieux le temps d’écouter ce que disait Dande, se mit à taper du pied au sol avec impatience. Tolas et Dande tournèrent la tête en même temps vers le vieillard.

-Donc ce que tu nous proposes, c’est qu’on se carapate en te rajoutant dans nos valises, c’est bien ça ? C’était bien sympa de ta part de pas nous mettre du plomb dans la cervelle mais je vois pas pourquoi est-ce que tu viendrais avec nous.

-Parce que je sais pas mal de choses sur la flotte du Cormoran papy, lui répondit le pirate sur un ton arrogant. Et je pense que tu te rends bien compte que la marine tuerait pour la moindre information tangible sur la composition de la flotte.

Tolas et Cornell se regardèrent avec le même air intéressé. S’il disait vrai, le pirate pouvait être une véritable mine d’or pour la marine tout entière. Cela faisait plus de quarante ans que la Flotte du Cormoran écumait toutes les mers sans que personne ne puisse apprendre quoi que ce soit de valable sur son organisation. Cela participait d’ailleurs à la légende du Cormoran, car jamais aucun pirate n’avait révélé d’information compromettante sur la flotte. Malgré les immondes sévices que la couronne était prête à employer quand un pirate se trouvait à sa merci, le mystère restait entier.

D’un seul coup, le pirate aux traits tirés ressemblait beaucoup plus à une aubaine inespérée pour le jeune bosco et la vieille vigie. Raphaëlle, qui s’était un peu mise en retrait pour vérifier l’état de santé de Skepta, fit une moue un peu déçue.

-…D’accord, et c’est quoi vos autres plans ? l’interrogea tout de même Tolas pour ne pas avoir l’air trop convaincu du premier coup.

-Je vous ai dit que Scornwallis allait envoyer des hommes ici dans pas trop longtemps, pas vrai ? Si mes estimations sont bonnes, ça voudrait dire qu’il restera moins de dix personnes encore en état de se battre sur le Kemper, et je compte Scornwallis et sa garde dedans. J’aurais préféré qu’on soit cinq mais à nous quatre… on doit avoir l’ombre d’une chance. Ça fait déjà plusieurs semaines que mon frère et moi, on parle avec certains membres de l’équipage et ils adoreraient passer sur un autre bateau de la flotte. Tant qu’ils sont loin de Scornwallis, ils accepteraient n'importe quoi. Et maintenant que Monigam est mort, ce salopard de boucher n’a plus que deux hommes dans sa garde.

-Donc, laissez-moi deviner, l'autre plan, ce serait d’attaquer le bateau en espérant qu’une partie des pirates changent soudainement de bord pour se rallier à nous ? l’interrogea Tolas sur un ton peu convaincu.

-Oui, avec ceux qui changeraient de bord et si il y a esclaves encore debout, je pense qu’on a des chances de s’en-

-Les quoi ? s’indigna Raphaëlle en se relevant d’un seul coup.

-Les esclaves, répéta Dande en pensant que la jeune femme avait mal entendu, ceux qui étaient déjà sur l’île et la petite poignée d’Ermythiens survivants. Ils devraient se rallier à nous sans trop de soucis et pis, au pire, ça nous fera de la chair à canon.

-Vous avez fait des survivants…des esclaves ?

Le pirate leva un sourcil songeur, se demandant ce que Raphaëlle ne comprenait pas.

-Ben…oui, Scornwallis allait pas les laisser pourrir ici quand même. Vu le prix des femmes sur le marché, il aura de quoi recruter une bonne équipe s’il revend celles qui survivront au voyage, continua d’expliquer Dande, il gardera sûrement les gamins pour lui, cet pourriture à des...passes-temps...euh...

Dande ne réussit pas à terminer sa phrase sans qu’un frémissement ne lui traverse le corps tout entier. Raphaëlle était en train de le regarder fixement, les poings serrés à s’en blanchir les jointures.

Cornell et Tolas, qui ne comprenaient pas pourquoi le pirate avait arrêté de parler, se lancèrent un coup d’œil interrogateur avant de voir Raphaëlle. Tolas reconnut immédiatement la fureur au fond des yeux de son amie. La dernière fois qu'il l'avait vu, un homme avait fini égorgé. Le bosco se plaça devant la jeune louve, l’empêchant ainsi de continuer à dévisager Dande.

-Pousse-toi Tolas, ordonna-t-elle sur un ton glacial.

-Raph’, qu’est-ce que tu comptes faire là ?

-T’as entendu ce qu’il a dit ? Le ton sur lequel il l’a dit ? s’emporta la jeune femme, le corps tremblant de colère.

-Je sais, j’ai entendu Raph’, lui répondit Tolas d’une voix rassurante et en lui posant une main sur l’épaule. Mais tu devais bien t’en douter non ? C’est un pirate, c’est pas étonnant que ça soit normal pour lui.

Raphaëlle toisa Tolas avant de faire claquer sa langue avec dédain et de retirer sa main de son épaule :

-Ouais, et j’ai failli oublier que c’était normal pour la marine aussi.

Tolas accusa le coup en silence pendant que Raphaëlle se calmait légèrement. Dande, lui, avait repris de sa contenance et avait l’air d’être en train de réfléchir.

-Bon, vos états d’âme, c’est votre problème, lança-t-il avec impatience, mais je vous rappelle que notre temps est compté alors il faut qu’on se dépêche de partir d’ici.

-Partir ? Hors de question, lui répondit Raphaëlle, on va pas laisser les Ermythiens crevé entre les mains du boucher.

Le ton impérieux qu’avait employé la jeune femme était absolument inflexible. Elle ne pouvait pas imaginer une seule seconde laisser ces gens à leur sort.

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-Attends Raph’, c’est pas à toi de prendre cette décision ! s’exclama Tolas d’une voix aussi forte que celle de la louve.

Elle s'apprêtait à surenchérir mais Tolas lui coupa l’herbe sous le pied.

-Je sais que tu préférerais qu’on aille les sauver tout de suite, mais on est clairement désavantagé si on y va comme ça ! On serait quatre contre plus de dix personnes, on serait sur leur terrain et en plus, on a un blessé avec nous ! On risquerait nos vies pour rien !

-Pour rien ? rétorqua Raphaëlle, estomaquée.

-T’as compris ce que je voulais dire, reprit le bosco sans se laisser distraire, nos chances de réussir à les attaquer et de nous en sortir après sont proches de zéro ! On ferait mieux de rentrer sur l’Altaïr ! Comme ça, on pourra revenir avec de l’aide !

La jeune femme s’arrêta de bouger et lança un drôle de regard à son ami. Tolas, lui, pensait que sa tirade l’avait peut-être convaincu et il lui lança un petit sourire timide. La louve haussa un sourcil avant de le pousser légèrement sur le côté pour voir Dande.

-Dans tous les cas, Scornwallis va envoyer des hommes ici, c’est bien ça ?

-Oui, je pensais que j’avais été assez clair les trois premières fois ou je l’ai dit, répondit un Dande exaspéré.

-Très bien.

Avant que quiconque n'ait le temps de réagir, Raphaëlle fonça prendre les escaliers de la tour de guet et se mit à les monter quatre à quatre. Elle put entendre Tolas et Cornell crier son nom depuis le rez-de-chaussée mais elle se savait bien plus rapide qu’eux. Elle se doutait aussi que Tolas n’oserait pas laisser leurs compagnons seuls avec Dande, juste au cas où celui-ci attendait qu’ils baissent leurs gardes.

En moins de deux minutes, elle avait atteint la pièce de repos de la tour de guet. Elle s’autorisa à prendre une minuscule pause, se pliant en deux en posant ses mains sur ses genoux pour reprendre son souffle, puis elle se releva et se dirigea d’un pas décidé vers l’ouverture dans le mur.

La nuit avait déjà bien avancé mais le ciel était encore noir et la lune commençait à être masquée par quelques nuages grisâtres. La mousse se passa une main dans le dos et retira le pistolet de détresse qu’elle avait caché sous sa chemise de toile avant de le braquer vers le ciel. L’espace d’un instant, un doute lui traversa l’esprit. Est-ce qu’elle agissait de manière trop hâtive ? Est-ce que Tolas avait raison, n’aurait-il pas été plus malin de fuir l’île et de revenir plus tard avec le reste de l’équipage de l’Altaïr ?

D’un coup, une image vivide lui traversa l’esprit. Le marché aux esclaves de Morwell. Le désespoir sur les visages des pauvres âmes réduites à l'état de marchandises. L'idée même de savoir qu'à peu de choses près, elle aurait pu finir à Ermythie dans un rôle très différent la fit frissonner. Si elle pouvait sauver ne serait-ce qu'une personne, elle se devait d'essayer. Elle appuya sur la détente, et dans une détonation sonore, une fusée éclairante rouge écarlate déchira le ciel nocturne.

Elle redescendit les marches encore plus vite qu’elle n’était montée et rejoignit le rez-de-chaussée en un rien de temps. Quand elle arriva à l’accueil, elle put voir que Dande et Tolas observaient l’extérieur depuis la porte d’entrée pendant que Cornell avait réussi à refaire prendre conscience à Skepta et qu’il l’avait assis sur la moitié de bureau au fond de la pièce. Tolas et Dande se retournèrent en même temps quand ils entendirent Raphaëlle arriver. Celle-ci retint difficilement un sourire satisfait quand elle vit l’expression mortifiée que partageaient les deux hommes.

-Mais t’es complètement malade de faire ça ?! hurla Dande en pointant le ciel rouge du doigt. Tu veux vraiment qu’on se fasse massacrer c’est ça ?

-Les hommes de Scornwallis viendront ici de toute façon, non ? lui répéta Raphaëlle sur un ton défiant.

-Comment est-ce que tu as eu cette fusée de détresse ? l’interrogea Tolas, le regard noir.

La jeune femme le lui rendit sans sourciller.

-A ton avis ?

Tolas fronça d’abord les sourcils avant d’ouvrir de grands yeux, l’air outré. Il serra la mâchoire et se retourna vers la porte d’entrée, cachant du mieux qu’il pouvait son expression. Il expira un grand coup avant de reprendre la parole :

-On verra pour ton insubordination plus tard, on a plus le temps. Pourquoi est-ce que t’as fait ça ?

-Tu disais qu’on avait pas l’avantage numérique, non ? Et ben ça va changer. Plutôt que d’attendre d’arriver jusqu’à l’Altaïr, on a qu’a faire venir l’Altaïr jusqu’à nous !

-Mais tu crois que l’équipage est à nos ordres ou quoi ? Rien nous dit qu’ils vont tous débarquer pour nous aider ! T’as oublié comment fonctionne le capitaine ? s’emporta Tolas.

-C’est pas lui que j’attends, lui répondit Raphaëlle.

Tolas, faisant toujours dos à Raphaëlle, préféra changer de discussion sur le champ.

-Dande !

Le pirate, qui était encore en train de gesticuler en panique, se retourna.

-Quoi ?

-On change de plan. On va aller dans la baie pour s’occuper de Scornwallis.

Raphaëlle ne cacha même pas son petit sourire. Dande, lui, eût l’air d’être au bord de la crise cardiaque.

-Quoi ! Mais… non ! Y a pas besoin de changer notre plan d’un seul coup, on peut toujours s’enfuir !

-Non, ce serait plus dangereux pour nous de nous enfuir que d’essayer d’arriver jusqu’au port, lança d’un coup Raphaëlle avant que Tolas ne puisse se justifier auprès du pirate. Maintenant que tes petits copains ont vu la fusée de détresse, ils vont sûrement diviser leurs attentions entre la tour de guet et la mer. Et maintenant qu’on a appelé l’Altaïr, le seul moyen qu’ils vont avoir pour accoster sur l’île…

-Ce sera par la baie de Vyx, termina Tolas qui était en train de comprendre la logique de Raphaëlle.

-C’est bien beau tout ça, les coupa Cornell en aidant Skepta à se relever, mais si vous pouviez discuter de ça en bougeant, ça nous arrangerait sûrement !

-Putain, il dit pas grand-chose le vioque, mais quand il parle, il a raison ! lança Dande. Bon, vous me laissez plus trop le choix là, suivez-moi. Si qui que ce soit viens par ici, ils emprunteront forcément le chemin qu’on a tracé entre la baie et l'hôtel de ville. On va prendre un autre chemin un peu plus long qui nous fera passer près du labo de l'île, ok ?

-Attendez ! cria faiblement Skepta. Je…je vais être un poids pour rien…Je tiendrais pas jusqu’à la baie !

-Il a pas tort, renchérit Cornell en le soutenant fermement par l’épaule, que ce soit lui ou moi, on risque juste de vous ralentir ! Il va falloir que vous alliez à la baie de Vyx sans nous.

-Mais on va pas vous laisser là, s’écria Raphaëlle. Dande ! Je suis sûr que tu connais un endroit où ils pourraient se cacher !

Le pirate sembla réfléchir mais Tolas prit la parole avant lui.

-Non, ce serait une mauvaise idée qu’ils se cachent dans les alentours. On aurait aucun moyen de savoir si ils se font fait avoir par les pirates ou pas. Il faut qu’ils viennent avec nous, même si ça nous ralentit !

-Attends, je sais ! Dande ! Comment est-ce que t’as prévenu Scornwallis qu’on était dans l’hôtel de ville ?

Les yeux du flibustier se mirent à briller.

-T’es loin d’être bête toi ! J’ai laissé mon talkie-walkie dans la vieille épicerie à deux trois rues d’ici. Il est connecté à la radio du Kemper !

-Donc, si on veut pouvoir venir chercher Skepta et Cornell, ça veut dire qu’on est obligé d’aller sur le Kemper dans tous les cas ? demanda Raphaëlle tout en ne quittant pas Tolas des yeux.

-J’ai compris, c’est bon, se résigna Tolas. Allons-y maintenant. Dande ? Amène-nous vers la baie de Vyx !

Le pirate fit un faux salut de marin en levant les yeux au ciel et se mit en marche, suivi par Raphaëlle puis Tolas et Cornell qui soutenaient tous les deux Skepta.

Dande n’en menait pas large. Ils n’étaient plus que trois pour attaquer le Kemper. Lui qui n’était déjà pas un grand optimiste à la base, il était désormais au bord de la crise de panique. S’il n’arrivait pas à convaincre les autres pirates de s’attaquer à Scornwallis, il savait pertinemment que les jeunes marins qui l’accompagnaient n'auraient aucune chance de l’emporter sur le boucher des Isla Novaes. Dande se mordilla la lèvre en réfléchissant à toute vitesse. Si les circonstances ne jouaient plus en sa faveur, il trouverait un moyen de s’en sortir. Quel qu’en soit le prix.