Avertissement : Les prochains chapitres vont décrire des scènes de combat et de violence de manière relativement crue.

Ils atterrirent sur la voile avec seulement quelques secondes d’écart. Leurs poids combinés firent violemment trembler le mât d’artimon dont l’une des pointes brisées reposait sur le pont, faisant tout de suite se retourner toutes les personnes qui y étaient présentes.

-C’était quoi ça ? lança un des pirates en lorgnant l’arrière du pont.

-Je crois bien que l’artimon à complètement rendu l’âme cette fois, expliqua un autre pirate qui s’en désintéressa dans la seconde.

-Peut-être qu’il y a une mouette qui s’est mangé la voile, hurla un énième pirate en riant.

-Hey, Franc, va jeter un œil, il faudrait pas que ça dérange le capitaine pour rien ! cria le premier pirate.

Le dénommé Franc, un petit pirate avec un chapeau de marine tailladé de part en part, grommela en se dirigeant vers les escaliers à moitié cachés par la voile.

Pestant contre ses compagnons, il grimpa les marches quatre à quatre et souleva la bordure avant de s’engouffrer en dessous pour essayer de voir si quelque chose n’allait pas. Le soleil n’était pas assez haut pour que sa lumière puisse traverser le tissu, le pirate avança donc à tâtons vers le point de drisse* de la voile.

Puis d’un coup, il eut l’impression de sentir quelque chose passer à côté de lui et il recula d’un pas. Soudain, une main sortit de nulle part à côté de son épaule et se posa violemment sur sa bouche. Puis une sensation glacée lui traversa la gorge et il sentit un liquide chaud se répandre sur son torse nu. Il tomba à genoux, sa vision devenant de plus en plus trouble mais une présence à sa droite lui fit lever la tête. La dernière chose qu’il vit fut le visage d’une jeune femme qui l’observait avec dédain, l’ombre d’un sourire satisfait sur son visage.

La plupart des pirates avaient déjà reporté leurs attentions sur les Ermyhtiens et ils les exhortaient à reprendre le combat. L’un d’entre eux avait même mit un grand coup de pied dans le dos de l’adolescente pour qu’elle se reconcentre sur son « adversaire ». Mais celui qui avait ordonné à Franc d’aller jeter un coup d’œil derrière eux se mit à froncer les sourcils.

-Il en met du temps ce con… se dit-il à haute voix en lorgnant l’arrière du bateau avec insistance.

Voyant que personne d’autre n’avait l’air d’en tenir compte, le pirate se mit en marche vers les escaliers, un air suspicieux sur le visage et s’approcha de la bordure de la voile avec prudence. Il la souleva lentement, la main sur la garde de son sabre.

-Franc ?

A peine eut-il le temps de lever le tissu que le sabre de Tolas lui transperça la gorge. L’attaque fut tellement soudaine qu’il n’eut même pas le temps de comprendre ce qu’il lui était arrivé. Il tomba en arrière, s’écrasant lourdement quelques mètres plus bas. Au moment où son corps toucha le sol, Raphaëlle et Tolas sautèrent directement sur le pont, atterrissant juste à côté du corps du pitate.

Les autres membres de l’équipage de Scornwallis ne réagirent pas immédiatement, et cela laissa le temps à Raphaëlle de se ruer vers le premier flibustier qu’elle voyait, un homme avec une oreille manquante, et de réussir à lui planter son poignard dans le flanc droit. Celui-ci lâcha un cri où se mêlerent douleur et surprise et il s'écroula brutalement sur le sol, se vidant très vite de son sang. Son cri fut comme une prise de conscience générale et d’un coup, ses compagnons dégainèrent leurs armes et se lancèrent à l’assaut des deux marins.

Deux pirates, un petit chauve avec des bandages sur le torse et un homme très bronzé avec un cache-œil, s’attaquèrent en même temps à la louve avec deux taillades que celle-ci esquiva en se jetant en arrière, se réceptionnant en roulé boulé pour se relever dans un seul mouvement. Le chauve tenta un coup vers la poitrine de Raphaëlle mais celle-ci para l’attaque d’un coup de poignard vers le bas, faisant dévier la lame du pirate. Elle essaya de profiter du fait que le chauve avait le haut de son corps complètement exposé et leva son poignard en visant sa gorge. Mais le borgne, qui était juste derrière son compagnon, le poussa d’un coup en avant et celui-ci percuta Raphaëlle d’un violent coup d’épaule qui envoya voler la jeune femme en arrière.

La louve atterrit lourdement sur le dos, le souffle coupé par la force de l’impact. Le borgne en profita pour essayer d’abattre son sabre vers elle. Mais cette dernière réussit à rouler sur le côté, sentant l’air se fendre juste à côté de ses oreilles, et elle entendit le bruit du sabre qui se planta profondément dans les planches du pont.

Raphaëlle se remit debout en même temps que le chauve, qui s’était affalé de tout son long après lui être rentré dedans tandis que le borgne essayait de déloger son arme du pont. Sans attendre, le chauve se mit à hurler en fonçant vers Raphaëlle, le bras levé bien haut, l’arme au poing.

Un souvenir d’une de ses leçons d’escrime avec Spirit et Tolas lui revint à l’esprit. Ce jour-là, la leçon portait sur les bonnes réactions à avoir quand on se faisait attaquer. Tolas s’était jeté sur Spirit de la même manière que le pirate devant elle, laissant son corps complètement exposé. Mais alors qu’elle s’attendait à ce qu’il pare l’attaque, Spirit fit seulement deux pas en avant, se plaçant juste devant Tolas qui termina son geste dans le vide.

-Reste près du corps et loin de l’arme, lui avait-il expliqué à ce moment.

Elle se souvenait avoir pensé qu’il était seulement en train de lui démontrer une évidence mais à cet instant précis, elle comprit ce qu’il voulait vraiment dire.

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Une fois de plus, elle eut l’impression que le monde s’était mis à tourner au ralenti et elle eut tout le temps d’observer son assaillant. D’un coup, elle pouvait remarquer un tas de détails et de faiblesses dans sa posture.

La lame de son sabre était trop en arrière et cela ralentirait la vitesse à laquelle il allait pouvoir l’attaquer. Les bandages autour de son torse indiquaient aussi qu’il était blessé et donc qu’il aurait moins de force dans la partie supérieure de son corps. Et malgré l’impression qu’il donnait de courir aussi vite que possible, le chauve n’était pas à pleine vitesse puisque, sur la distance qui le séparait d’elle, le pont était partiellement fissuré.

Raphaëlle voyait plusieurs manières dont elle pouvait se débarrasser de son adversaire. Un sourire carnassier déforma son visage quand elle trouva enfin celle qui serait la plus satisfaisante.

Le temps reprit son cours. Vive comme l’éclair, Raphaëlle lança son poignard sur une des jambes du pirate tout en commençant à courir vers lui. L'arme pénètra la chair du pirate qui hurla de douleur et tomba vers l’avant en lâchant son sabre. A l’instant ou il percuta le pont, Raphaëlle fit une roulade en avant, attrapant au passage l'arme de son adversaire. La jeune femme termina son mouvement en décapitant le chauve d’un seul geste fluide. La tête de son adversaire roula par dessus bord, laissant une traînée sanglante derrière elle. La louve se dépêcha de récupérer son poignard toujours fiché dans la jambe du mort.

Au même moment, le borgne avait enfin réussi à retirer son sabre du pont et il se retourna triomphalement, prêt à tuer la jeune femme. Il ouvrit grand son œil, choqué, en voyant le corps sans vie d’un de ses compagnons devant lui.

-T-Thomaz ? bafouilla-t-il avant de regarder Raphaëlle. Je vais te buter, petite salope !

Raphaëlle réagit immédiatement en jetant sans ménagement le sabre ensanglanté vers le visage du borgne. Il leva instinctivement le bras pour se protéger et la louve profita de cette ouverture pour se glisser dans son angle mort. Elle tenta de lui mettre un coup de poignard mais le pirate, plus réactif que prévu, réussit à lui décocher un revers de la main dans le visage à l’aveugle.

Le coup prit la louve complètement au dépourvu. Raphaëlle recula en titubant, sa concentration brisée et la joue douloureuse. Elle cligna des yeux, un peu sonnée et eut à peine le temps de voir son adversaire lui lancer un coup à l’horizontal de toutes ses forces. Elle réussit à le parer au dernier moment mais la frappe fut tellement lourde qu’elle se retrouva propulsée sur le côté, percutant brutalement le pont.

-J’vais te crever ! lui lança le borgne en s’approchant lentement d’elle.

Raphaëlle peinait à se relever, elle avait l’impression que son cœur résonnait jusque dans ses oreilles et elle avait du mal à reprendre son souffle. Elle réussit à lever la tête, voyant Tolas au loin qui bataillait courageusement contre deux pirates en même temps, le troisième étant en train de se vider de son sang quelques mètres plus loin, sûrement victime d'une attaque surprise de son ami.

Durant l’espace d’une seconde, la jeune femme ne put s’empêcher de penser qu’elle allait devoir l’appeler à l’aide. Mais quelque chose en elle la rappela à l’ordre et elle serra son poing avant de le frapper contre le pont. Elle releva la tête avec détermination, et la tourna vers le borgne qui continuait de s’approcher d’elle. Le sourire lubrique sur son visage suffit à lui retourner l'estomac. Comment pouvait-il oser penser qu’il l’avait battu ? Avec un simple coup de poing au visage ?

Elle se mit à rire, d’abord doucement, puis de plus en plus fort, jusqu’à ce qu’elle soit presque prise d’un fou rire. Le pirate s’arrêta net, confus par sa réaction. Raphaëlle se passa une main dans les cheveux et ferma les yeux en humant l’air du port, inspirant à plein poumon. Elle les rouvrit lentement, un sourire satisfait sur le visage. Le goût du sang dans sa bouche lui avait presque manqué. Son regard chercha celui du borgne jusqu’à le rencontrer et un frisson traversa le dos du flibustier. Il ne comprenait pas pourquoi mais son instinct lui hurlait qu'il était en danger.

Raphaëlle prit tout son temps pour se relever, ne quittant jamais des yeux le borgne qui n’osait plus vraiment bouger. Alors qu’elle s’approchait de lui, poignard à la main, la voix de Dande retentit derrière elle :

-Raphaëlle ! Attends !

La louve et son adversaire se figèrent en même temps. Dande, qui était resté en retrait sous la voile, observant la situation, en était enfin sorti pour essayer de calmer les ardeurs générales. Le borgne leva la tête en voyant son compagnon s’approcher de lui.

-Lawrence ? Qu’est-ce que tu fous avec eux ?

Raphaëlle restait sur le qui-vive, sachant très bien qu’elle risquerait sa vie si elle se retournait pour voir Dande arriver vers eux.

-Cristobal, fais-moi confiance, si tu baisses ton arme et que tu suis mon plan, on aura une chance de buter Scornwallis !

Le pirate fronça des sourcils, visiblement troublé.

-Comment ça, buter Scornwallis ? Attends, t’es en train de me dire que tu nous as trahis pour t’allier avec deux gamins ?

-Ecoute-moi crétin ! s’énerva Dande d’un coup. C’est notre seule chance de nous le faire si on s’allie avec ces deux « gamins » qui sont en train de vous botter le cul !

La phrase eut visiblement l’air de faire réfléchir Cristobal, qui baissa un peu son arme, le visage incertain. Il était tellement concentré sur Dande qu’il n’avait pas remarqué que Raphaëlle disparaissait doucement derrière lui.

-Tu…non… on a pas la moindre chance, se désola Cristobal en resserrant sa poigne sur le manche de son sabre. Même blessés, tu sais très bien qu’ils peuvent nous massacrer ! Je préfère encore-

-Non, ATTENDS !! hurla soudainement Dande.

Cristobal leva un sourcil interrogateur. Mais le cri de Dande n'était pas pour lui. La louve n’attendit pas une seconde de plus et enfonça son poignard dans la carotide du borgne. Le pirate tomba à genoux, le sang giclant presque de son cou, et il leva une dernière fois des yeux haineux vers Dande avant de finir sa chute face contre terre.

Ce dernier se rapprocha lentement du corps sans vie de son ancien compagnon et se mit à dévisager Raphaëlle, qui essuyait sa lame sur sa manche en observant la situation de Tolas, prête à se jeter à nouveau dans la bataille.

-J’étais en train de le convaincre ! Pourquoi est-ce que t’as fait ça ? s’écria Dande.

-Tu l’as vu tout à l’heure non ? lui demanda la jeune femme. Tu l’as vu frapper les Ermythiens avec les autres.

-Et alors ?! Il aurait pu nous aider !

Raphaëlle scruta Dande l’espace d’une demi-seconde. Le pirate ressentit que si la jeune femme avait pu développer ne serait-ce qu’une once de sympathie pour lui durant la nuit, celle-ci était en train de complément disparaitre .

-On peut pas faire confiance à un pirate, répondit-elle sur un ton glacial.

Laissant Dande derrière elle, Raphaëlle courut rejoindre Tolas, qui avait réussi à mettre un violent coup de genou à l’un de ses adversaires qui se pliait en deux de douleur.

La louve planta son poignard dans le dos exposé du pirate qui hurla de surprise et s’écroula brutalement. L’autre pirate fut pris au dépourvu par l’intervention de Raphaëlle. Tolas profita de son inattention pour lui transpercer le ventre avec son sabre tandis que Raphaëlle tourna son poignard encore enfoncé dans le dos de sa victime, l’achevant sans merci.