Ils furent accueillis par une marée de dos agglutinés les uns contre les autres et par un ciel étonnamment grisâtre droit devant eux. Tolas, plutôt que d'essayer de pousser tous les marins devant lui, préféra user de sa voix.

-Écartez-vous ! tonna-t-il soudainement.

Comme s'ils avaient répété maintes fois cette manœuvre avant, les matelots se scindèrent en deux, laissant la voie libre à Tolas et Raphaëlle qui s'avancèrent jusqu'au bastingage, bouche bée.

Il y avait devant eux un énorme mur de brume quasiment opaque qui séparait la mer en deux. L'Altaïr s'était arrété quelques mètres avant de rentrer dedans. Le brouillard était tellement épais que Raphaëlle aurait pu jurer qu'il était solide. Si elle n'avait pas autant tenu à son poignard, elle aurait essayer de le jeter pour voir s'il allait rebondir contre le mur.

Tolas avait déjà repris ses esprits et il partit à la recherche de Krag, certain que celui-ci devait avoir une explication pour ce phénomène. Il finit par le voir en compagnie de son frère, à l'avant du navire, et il les rejoignit aussi vite que possible. Raphaëlle était sur ses talons, le suivant discrètement en se mêlant aux autres membres de l'équipage et faisant de son mieux pour passer inaperçu. Elle finit par se cacher à quelques mètres de leur position, derrière deux machinistes imposants qui lui tournait le dos. Elle tendit l'oreille du mieux qu'elle put pour entendre ce qu'il se passait malgré les bruits et chuchotements qui emplissaient l'air depuis plusieurs minutes.

-...déjà ouvert, ça vous fait une mission en moins ! terminait de dire Krag en s'adressant à Tolas. Normalement, le brouillard devrait être sans danger mais...

Une vague un peu plus forte que les autres fit tanguer le navire et l'un des deux machinistes devant Raphaëlle perdit l'équilibre. La jeune femme ne put bouger à temps pour esquiver l'énorme masse et pris le dos du grand gaillard en plein dans la figure.

Désorientée, elle réussit tout de même à maintenir son équilibre tout en clignant des yeux, sonnée. Le marin, qui avait senti l'impact dans son dos, s'était retourné pour s'excuser mais Raphaëlle avait levé sa main, signe qu'elle préférait qu'il se taise, et elle tenta de se remettre à écouter ce qu'il se passait.

Quand elle reporta son attention sur la conversation, elle remarqua que Spirit avait disparu, ne laissant que Tolas et le capitaine. Ces derniers étaient d'ailleurs en train de regarder dans sa direction et, à son grand étonnement, le capitaine semblait presque en train de rire. Il agita sa main, la saluant de loin, toujours avec cette grimace d'un rire contenu déformant son visage.

Subitement, elle put sentir une présence dans son dos et elle s'immobilisa, n'osant plus bouger. Mais quand elle sentit le contact familier de la main de Spirit sur son épaule, elle se retourna en soupirant, relâchant la pression d'un seul coup tandis que ses yeux se levaient au ciel.

-Toujours aussi impatiente à ce que je vois, lui dit Spirit sur un ton joueur.

Raphaëlle plissa les yeux en faisant la moue.

-Quoi ? C'est interdit d'écouter ce que vous dites maintenant ?

-Non.

La louve leva un sourcil interrogatif.

-Donc....c'est quoi le problème ?

Ce fut au tour de Spirit de lever un sourcil interrogatif avant de laisser l'ombre d'un sourire passer sur ses lèvres.

-Je n'ai jamais dit qu'il y en avait un. Mais apparemment, le capitaine avait besoin de se distraire...

Fronçant maintenant les sourcils, Raphaëlle se retourna pour voir Krag, hilare, mimant son expression paniqué en regardant Tolas qui lui lançait une expression désolée. La jeune louve montra les crocs avant de reporter son attention sur Spirit.

-Je crois qu'il aime te faire chier, lui avoua Spirit.

Raphaëlle grogna de mécontentement, clairement excédé.

-Et je crois bien que j'en ai marre d'être sa souffre-douleur, se plaignit-t-elle en se retenant de faire un geste obscène.

Spirit, reprenant son sérieux, lui fit signe de se calmer. Krag et Tolas avaient commencé à bouger, se séparant et partant chacun de leur côté. Tout en gardant un œil sur l'équipage, Spirit s'adressa à Raphaëlle.

-Il faut que tu ailles préparer des affaires pour le voyage, prends-en assez pour tenir quelques jours. Passe ensuite en cuisine, Sam à préparer des provisions pour toi et le reste de l'équipe d'expédition. Les autres membres sont déjà en train de préparer l'une des barques pour votre départ. Tolas a encore quelques recommandations à donner à l'équipage avant de vous rejoindre.

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La jeune louve acquiesca en silence. Elle s'apprêtait à partir quand Spirit la retint et lui fit signe de le suivre pour se mettre un peu à l'écart du reste des hommes.

-Cette mission, il faut que vous réussissiez à l'accomplir d'ici demain maximum, c'est tout le temps qu'on peut vous accorder. Tant que ce mur de brume est présent, l'Altaïr est en danger constant, on ne sait pas ce qui peut en sortir et on est qu'à une heure de la dernière position connue de la flotte du Cormoran...

Spirit sortit un petit pistolet de détresse de sa poche droite avant de le mettre dans la main de la jeune femme et de poser sa propre main par dessus.

-Tolas a déjà un pistolet de détresse, mais je le connais, il fera tout pour éviter de s'en servir. Alors je te donne celui-là en cas d'urgence. Demain, à midi, l'Altaïr lèvera l'ancre si ce mur de brume n'a toujours pas disparu. Que vous soyez de retour ou pas. Alors veille bien sur lui, parce que je sais que sa priorité sera de veiller sur toi.

La jeune femme pouvait le sentir, quelque chose inquiétait réellement Spirit. Cachant le pistolet dans sa ceinture, elle posa ensuite une main sur celle du second et la serra légèrement, avec un sourire confiant.

-Tu peux compter sur moi.

Quelques minutes plus tard, Raphaëlle entrait en trombe dans les cuisines, essayant de perdre le moins de temps possible pour partir avec son équipe. Elle repéra une longue silhouette recroquevillé près des fourneaux qui la scrutait de loin, l'air craintif, le corps caché dans la pénombre de la cuisine.

-Euh, Sam ? Spirit m'envoie pour récupérer les provisions du corps d'expédition, déclara-t-elle d'une voix forte et fière.

-Oh ! lui répondit une voix douce et fluette.

Le propriétaire de la voix s'avança lentement vers elle, comme s'il s'approchait d'un animal inconnu. Soudain, la silhouette glissa sur un vieux torchon sur le sol et perdit l'équilibre. Rapide comme l'éclair, Raphaëlle se jeta en avant et réussit à rattraper le jeune homme qui était tombé en avant. Ils atterrirent lourdement sur le sol, renversant quelques casseroles au passage.

D'un coup, Raphaëlle se mit à rire et le jeune homme la suivit timidement. Ils se relevèrent en se dépoussiérant et la louve posa ses poings sur ses hanches, avec un petit sourire en coin.

-Une entrée fracassante, souffla-t-elle avec un peu de sarcasme.

-Euh..oui, je...je n'ai pas...désolé..., balbutia-le jeune homme avant de se reprendre. Sam ! Oui, c'est bien moi, c'est...Je suis Sam.

Raphaëlle l'observa un peu. Grand, la bouille presque enfantine, il avait des cheveux bruns qui luisaient dans la semi-obscurité des cuisines. Il était plutôt mince mais semblait pourtant étrangement en forme, malgré ses épaules recroquevillées et sa posture un peu lâche. Il lui tendit la main et la mousse lui serra avec vigueur.

-Raphaëlle, enchantée.

-Rap....Oh oui, c'est toi la nouvelle mousse ! Mon père m'a parlé de ton arrivée sur le bateau !

Sam se retourna d'un coup et se mit à farfouiller derrière les fourneaux. Avec un « Ah ! » de satisfaction, il sortit un gros sac en toile un peu graisseux qu'il présenta fièrement à Raphaëlle. La jeune femme l'attrapa et faillit perdre l'équilibre. Ce dernier était beaucoup plus lourd qu'il n'y paraissait, mais Sam l'avait déplacé sans aucun problème. Des étoiles dans les yeux, le cuisinier commença à décrire ce qu'il avait préparé.

-Il nous restait pas mal de bœuf séché de notre dernier passage à terre, et j'ai réussi à trouver un peu de sel pour le conserver plus longtemps, ça n'a pas été facile, mais c'est important que vous puissiez manger quelque chose qui ne rendra personne malade. On a aussi eu de la chance, on a eu plus de poulets survivants qu'avant, donc j'ai pu vous en mettre quelques morceaux ! J'ai mis toute votre viande dans du papier paraffiné, juste pour être sûr qu'il finira pas trempé si les sacs tombent à l'eau. Ah, aussi, du poisson ! On avait une tonne de thon, et je dis ça de manière quasiment littérale, j'ai fait de mon mieux pour améliorer le goût, j'étais tombé sur des herbes aux senteurs intéressantes la dernière fois alors...

-Hop hop hop, l'interrompit Raphaëlle en lui posant un doigt sur la bouche. Hubert m'avait dit que tu voulais à tout prix devenir un vrai cuisinier, je crois que je comprends pourquoi.

Les joues de Sam s'empourprèrent d'un coup et il baissa un peu la tête, gêné.

-Mon....mon père t'a parlé de moi ?

-Assez pour que je sache que quoi qu'il y ai d'autres dans ce sac, on va sûrement se régaler ! le rassura-t-elle.

Le jeune cuistot ne releva pas la tête mais Raphaëlle pouvait deviner le sourire qui s'étirait sur son visage poupin. Elle rit une seconde avant de se diriger vers la sortie des fourneaux.

-Je suis impatiente de goûter ça, maitre coq !

-Maître coq !? M-mais non, je...je suis seulement...

Sam n'eut même pas le temps de terminer sa phrase que Raphaëlle avait déjà filé dans le couloir du pont principal, fin prête à partir.

-... Je suis seulement coq...

Une fois que Raphaëlle fut arrivée sur le pont supérieur elle rejoignit son équipe composée de Tolas, d'un vieux loup de mer borgne un peu taciturne habillé d'un pull marin noir et rouge du nom de Cornell et d'un technicien de bord à l'air un peu alarmé, affublé d'un vieux bonnet bleu sale et d'une veste de marin un peu trop petite nommé Skepta. Elle écouta les dernières recommandations de Spirit, le capitaine Krag se tenant dos à lui, donnant des ordres à droite à gauche aux matelots sur le pont.

-...pirate, c'est bien compris ? terminait de dire Spirit alors que Raphaëlle était occupée à se faire une place plus agréable.

-On le retiendra, lui répondit Tolas sur un ton aussi neutre que possible alors qu'il finissait de sortir des cordages de la barque.

-Je te fais confiance, bosco.

Tolas releva la tête vers son frère, un air entre la fierté et l'agacement sur son visage. Tentant de prendre un ton nonchalant, il préféra se retourner pour faire mine de chercher quelque chose sous le banc de la barque :

-Je ne raterai pas cette mission. Je le promets.

Spirit laissa son silence en réponse avec seulement l'ombre d'un sourire.

-Spirit ? lança Raphaëlle d'une voix timide. Si tu voulais bien répéter ton dernier conseil, ce serait...

Le Second tourna lentement la tête vers Raphaëlle, un sourcil légèrement plus relevé que l'autre.

-...Euh...ce serait...bien, termina-t-elle, sentant bien qu'elle avait ruiné un rare moment de complicité entre les deux frères.

Ils levèrent les yeux au ciel en même temps avant que Spirit ne reprenne la parole.

-Ne faites jamais confiance à un pirate.