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Chapitre 4

La dernière recommandation de Spirit résonnait encore dans l'esprit de la jeune louve alors qu'elle ramait à l'aveugle dans la brume.

Elle pouvait seulement entendre les battements de la rame de Skepta, de l'autre côté de l'embarcation, qui lui indiquait la présence d'au moins un de ces compagnons. Cela faisait déjà presque une heure qu'ils avançaient dans le silence et sans rien voir, suivant la boussole que tenait Tolas, à l'avant de la barque.

Cornell, à l’arrière, tentait tant bien que mal de voir s'il pouvait percer le brouillard de son seul œil, sans succès. Ne tenant plus le coup, Skepta finit par lâcher sa rame et il déclara d'une voix tremblante :

-Monsieur Tolas...ça fait vraiment longtemps qu'on rame, vous pensez pas qu'on aurait déjà dû toucher terre depuis un moment ?

La seule réponse du bosco fut de rester silencieux, les traits tendus, les yeux à l’affût de la moindre éclaircie. Skepta, toujours aussi peu rassuré, tenta de prendre Cornell à partie :

-Tu trouves pas ça terrifiant, toi ? On était qu'à une pauvre heure de cette île ! Et ça doit bien faire plusieurs heures qu'on navigue dans cette purée de pois !

Voyant que Cornell n'avait pas non plus l'air de paniquer, Skepta porta son attention vers Raphaëlle tout en attrapant son petit bonnet bleu marine troué qu'il se mit à triturer nerveusement :

-Et toi alors, petite louve ? Qu'est-ce que t’en penses ? Toi aussi, tu dois le sentir, non ? C'est pas normal tout ça ! Il doit y avoir quelque chose qui se cache derrière tout ce brouillard ! Ce serait un miracle si on s'en sortait en un seul morceau.

Cornell lâcha un long soupir d'exaspération et se retourna lentement, l'air fatigué, vers l'autre matelot.

-Je sais bien que vous avez l'habitude du bruit dans la salle des machines mais j'aurais besoin que tu fermes ton claque-merde maintenant, cracha-t-il sans aucun ménagement.

La peur semblait avoir rendu Skepta complètement sourd. Il continua sa tirade :

-Qui nous dit que tout ça, c'est pas un coup de la flotte du Cormoran ? Ce serait logique ! Ils apparaîtraient et disparaîtraient dans la brume ! Et ils emporteraient tous les inconscients qui les suivraient dans le brouillard...mais pourquoi je suis venu, moi...

Une main se posa lourdement sur l'épaule du marin terrifié et il lâcha un petit cri strident. Tolas renforça sa grippe sur l'épaule de Skepta et celui-ci finit enfin par se taire. Le bosco se mit devant lui, sa fureur à peine contenue.

-Encore un seul mot, matelot, et je peux t'assurer que la bru-

-Euh, Tolas ? l'interrompit Raphaëlle.

Le jeune homme tourna la tête vers son amie, les yeux exorbités mais avant qu'il n'ait le temps de se plaindre de son interruption, leur barque s'arrêta brutalement, arrêtée par un récif de corail à peine visible sous la surface de l’eau, lui faisant légèrement perdre l’équilibre.

-Je crois qu'on est... arrivé..., lâcha Raphaëlle avant de perdre la parole.

La brume qui se dissipait petit à petit autour de leur embarcation échouée laissait enfin entrevoir toute la majesté de l'île des Néspérides. Une longue plage de sable blanc s’étendait devant eux, s'arrêtant devant l'entrée d'une énorme jungle luxuriante aux plantes vertes et jaune, à moitié brûlées par le soleil et pourtant pleines de vie grâce à l'humidité ambiante.

Le fond du paysage était une montagne dont la louve pouvait à peine apercevoir le sommet depuis son point de vue. Elle se sentait si petite que l'air sembla lui manquer pendant une seconde et elle dû reprendre son souffle, des étoiles dans les yeux.

Stolen story; please report.

Pour Raphaëlle, c'était comme si elle retombait soudainement en enfance, à écouter les récits des marins qui passaient à l'Espadon, la taverne que tenait sa grand-mère Liane. Elle buvait les paroles des vieux loups de mers avec autant d'avidité que les patrons qui terminaient leurs bières.

Les marins débarquèrent sans un mot, tous encore un peu secoués par la beauté sauvage de l'île, et tirèrent leur barque jusqu'au centre de la plage. Ils ne connaissaient pas le niveau des marées et ils préféraient éviter de voir leur embarcation partir sans eux dans quelques heures.

Une fois leur tâche terminée, Skepta tomba à genoux au sol et embrassa le sable avec passion, plus heureux que jamais d'avoir touché la terre ferme. Cornell, qui le dévisageait d'un œil dégoûté, préféra se retourner pour attraper son sac dans la barque. Tolas fit de même, ouvrant son sac de toile et récupérant la carte assez rudimentaire que lui avait fourni son frère.

Il commença à l’analyser, relevant parfois la tête pour réussir à se repérer, avant de replonger son nez dedans. Il sortit ensuite la boussole de sa poche et se mit à faire des aller-retour entre cette dernière et la carte.

Quelques minutes plus tard, il eut un petit grognement d'agacement quand il comprit enfin leur position, refermant la petite boussole dans un claquement sonore.

-C’est pas possible...on a complètement dévié de notre trajectoire...On est de l'autre côté de l'île, murmura d'abord Tolas avant de prendre une grande inspiration. Matelots !

Cornell et Skepta se dépêchèrent d'aller voir leur bosco et se mirent au garde-à-vous en attendant ses instructions. Le nez toujours dans sa carte, Tolas leur expliqua leur situation.

-Je ne vais pas vous le cacher, matelots, nous ne sommes pas arrivés au bon endroit. La baie de Vyx se trouve à l'opposé de la plage où nous nous trouvons. C'est d'ailleurs presque miraculeux que l'on ait pu accoster sur cette plage, le capitaine m'avait prévenu que les récifs de corail de ce côté de l'île avaient éventrés plus d'un bateau à l'équipage inattentif. Nous allons devoir traverser la jungle si on veut atteindre Ermythie rapidement et, dans notre intérêt à tous, mieux vaut que l'on réussisse à le faire avant que la nuit ne tombe. Nous n’avons qu’une lampe-torche, je ne sais pas ce qui se cache dans cet endroit et je préférerais ne pas avoir à le découvrir.

Skepta acquiesça du chef avec vigueur, le visage figé dans une expression qui hurlait « Évidemment ! » tandis que Cornell se plantait la main sur le front, affligé par l'attitude de son collègue. Tolas leva enfin la tête pour continuer à parler.

-Récupérez vos affaires, il n'y a pas de...mais....oh, c'est pas vrai...

Soufflant toute son exaspération d'un coup, Tolas se retourna vers Raphaëlle. Cette dernière était toujours aussi absorbée par l'apparence de la jungle tropicale.

En se concentrant, elle pouvait deviner la forme de petits animaux qui se jetaient de branches en branches, leurs silhouettes masquées par les ténèbres de leur habitat. En regardant vers le centre de la végétation on avait l'impression que tout le décor bougeait en même temps, les feuilles des palmiers, celles des arbres de pluie, les énormes fougères qui dépassaient du sol. Toutes les plantes semblaient bouger au rythme des vagues qui s'écrasaient lourdement sur la plage, loin derrière elle.

Elle pouvait presque le sentir en elle. Le rythme de l'océan, tel un énorme cœur qui faisait vibrer le sien, comme si elle entrait en résonance avec lui.

Elle ferma les yeux, respirant à plein poumons l'air iodé qui se mêlait à celui de la terre et de la verdure qui émanait de la forêt. C'était comme si une voix l'appelait au loin. Comme si l'océan criait son nom. Elle se laissa bercer, se disant que la voix lui était bien familière.

D'un coup, elle sentit une présence derrière elle. Tous ses sens se réactivèrent brusquement. Elle fit une pirouette sur le côté tout en mettant la main sur la garde de son poignard, prête a frapper. Elle put ainsi voir la main de Tolas raté son épaule au ralenti et le bosco, emporté dans son élan, manqua de peu de s'étaler sur la plage. Il ouvrit de grands yeux étonnés, qui rencontrèrent la même expression chez la jeune mousse, qui retrouva très vite son rythme cardiaque habituel.

-Il y a un problème ? demanda-t-elle comme si de rien n'était.

-Hein ? Euh… non, commença Tolas, toujours un peu déstabilisé. C'est seulement qu'il faudrait qu'on parte tout de suite si on veut essayer d'atteindre Ermythie...

- Avant que la nuit tombe, c'est ça ? termina Raphaëlle à sa place.

Tolas eut un petit sourire et acquiesça sans un mot. Skepta et Cornell s'étaient rapprochés d'eux en tirant la barque loin de la plage, laissant Raphaëlle récupérer ses affaires avant de retourner l'embarcation et de la couvrir de feuillages pour la camoufler.

S'assurant que tout le monde était bien prêt pour leur voyage , Tolas sortit le long sabre qu'il portait à la ceinture et prit la tête de l'expédition. Raphaëlle, qui fermait la marche, leva une dernière fois la tête vers le ciel. Le soleil avait déjà bien dépassé son zénith. Fronçant un peu les sourcils, la mousse finit par suivre le reste de son équipe, les sens à l'affût.