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Chapitre 2

La disparition du capitaine fut comme une invitation au brouhaha. D'un seul coup, les voix fusèrent de part et d'autre du navire, parlant toute de la même chose, la flotte du Cormoran. Certains hommes avaient l'air de transpirer à grosses gouttes, d'autres faisaient de grands signes de la main, implorant tout les dieux des océans de leurs venir en aide. Un vent de frénésie avait gagner le cœur des marins de l'Altaïr.

Tolas, qui tentait de calmer l'équipage, siffla plusieurs fois d'affilée dans son sifflet mais on l'ignora totalement. Le jeune homme insista, sifflant à en devenir rouge, mais il ne réussit qu'à calmer les premiers rangs de marins. Ceux du fond n'entendaient rien d'autres que leurs propres conversations teintées de terreurs.

Sans un mot, Spirit, qui s'était discrètement rapproché de son frère, lui posa une main sur l'épaule en hochant lentement la tête de gauche à droite. Avant même que le jeune homme ne puisse réagir, Spirit s'était avancé jusqu'au grand mât au même endroit où s'était mis le capitaine juste avant.

-MATELOTS ! rugit-t-il d'une voix rauque et incroyablement puissante.

L'équipage tout entier s'arrêta net de bouger, paralysé de terreur. Même Raphaëlle s'était complètement fixé sur place, comme si la force presque animale qu'avait dégagé Spirit l'espace d'un instant l'avait transformé en proie face à son prédateur.

Tolas était le seul qui avait résisté au cri de son frère, mais c'était seulement parce qu'une autre émotion encore plus forte lui agrippait déjà le cœur. Se mordant l'intérieur des lèvres, le jeune bosco fit de son mieux pour rester stoïque alors que Spirit se retournait vers lui. Il reposa sa main sur l'épaule de Tolas et acquiesça de la tête, lui demandant silencieusement s'il avait bien compris. Le bosco fixa son frère pendant une seconde de trop avant d'acquiescer lui aussi et de prendre la place qu'il lui avait laissé devant le grand mât.

Il commença à donner les détails que le capitaine avait préféré omettre pour pouvoir retourner dans sa cabine. Raphaëlle, qui avait repris ses esprits, tira doucement sur la manche de son voisin de file en lui faisant signe de se rapprocher. Le marin lui lança un regard oblique :

-Qu'est-ce qu'il y a, petite louve ?

-Pourquoi tout le monde a paniqué d'un seul coup ? C'est quoi la flotte du Cormoran ?

Le marin ouvrit de grands yeux, l'air presque outré, juste avant qu'il ne se souvienne des circonstances entourant l'arrivée de la jeune mousse à bord. Prenant tout à coup un air mystérieux, il lui expliqua.

- J'imagine qu'on n'en parle pas à terre, mais tu ne rencontreras jamais un marin qui n'a pas entendu parler de la flotte du Cormoran. Ça fait maintenant des années qu'elle écume les mers du monde entier et pourtant, personne ne serait capable de bien la décrire. Certains disent qu'elle est composée de centaines de bateaux qui avancent inexorablement vers une destination inconnue, détruisant tout ce qui se trouverait sur leurs passages ! D'autres encore disent que c'est une flotte de revenants, morts en mer, qui chercherait à faire grossir ses rangs...

Raphaëlle écoutait le matelot, à la fois fascinée et un peu incrédule, quand elle finit par remarquer l'étrange silence qui commençait à s'installer autour d'eux. Elle avait aussi l'impression que les autres membres de l'équipage qui les entouraient reculaient lentement mais sûrement. Le matelot continua, toujours sur le ton de la confidence :

-...la seule chose qui est sûre et certaine, c'est qu'ils ne laissent que très peu de survivants derrière eux. Juste assez pour qu'ils puissent faire passer la légende de la flotte du Cormoran, avant qu'ils ne meurent dans un râle d'agoNIEEEE !!!

La main de Tolas s'était violemment posée sur le crâne du matelot qui lâcha un petit cri de surprise. Raphaëlle garda un air impassible mais se mordit la lèvre inférieure de toutes ses forces pour éviter de rire. Quand elle vit l'expression de Tolas, son envie de rire lui passa sur le champ.

-Alors matelot, on pense que ce qu'on à dire est plus important que ce que j'ai à dire ?

Une goutte de sueur dégoulina le long du front du matelot qui osait à peine bouger, tout comme le reste de l'équipage, qui attendait de voir ce qui allait se passer. Presque sans effort, Tolas fit tourner la tête tremblante du pauvre homme vers lui et celui-ci répondit avec un faible :

-N-non...monsieur...

La prise de Tolas sur le crâne du marin se resserra visiblement et il lâcha une minuscule plainte de douleur. Raphaëlle fronça les sourcils et fixa son ami du regard.

-Attends Tolas, c'est de ma faute, c'est moi qui lui ai posé une question alors pas besoin d'être aussi violent avec lui !

Le bosco tourna la tête vers la jeune femme, une expression complètement différente sur le visage. C'était comme s'il était pris entre deux émotions diamétralement opposées. Même si son regard commençait lentement à s'attendrir à mesure qu'il contemplait Raphaëlle, il ne lâchait pas sa prise pour autant. Plus personne ne disait rien, n'osant même plus respirer, de peur de rompre la tension qui s'était désormais installée.

Quelques secondes s'écoulèrent sans un mot, sans un geste, comme si le temps s'était arrêté. Après ce qu'il lui parut être des heures, Raphaëlle remarqua que la main de Tolas avait enfin commencé à se desserrer et le marin tomba à genoux, les mains sur la tête, n'osant plus faire un bruit. Raphaëlle, se sentant coupable pour lui, ne put s'empêcher de faire une remarque.

-C'était vraiment pas nécessaire d'aller aussi loin !

Tolas, les sourcils froncés, tourna le dos à Raphaëlle, fuyant le feu derrière ses pupilles.

-Si tu as la moindre question, tu la poseras après avoir entendu mes explications...d'accord ?

Raphaëlle retint sa langue avec difficultés. Elle allait en avoir des questions pour lui, mais elle tenait à éviter de faire une scène devant tout le monde. Le matelot à genoux avait fini par se remettre debout et avait repris position à côté d'elle, l'air penaud et un peu en colère à la fois. Raphaëlle se dit qu'elle trouverait un moyen de se faire pardonner et préféra attendre que Tolas reprenne la parole, ce qu'il fit en retournant à sa place face à ses hommes qui s'étaient enfin remis à respirer.

-Comme je le disais avant, l'expédition aura plusieurs missions; vérifier l'état de la baie de Vyx, de la ville d'Ermythie et du laboratoire royal, voir s'il y a des survivants et surtout, s'assurer que le coffre-fort du laboratoire est intact. Ce dernier point est le plus important, le QG a été très clair : si le coffre a été ouvert, il faudra les notifier aussi vite que possible. Et avant que vous ne le demandiez, non, vous n'avez pas à savoir ce qui s'y trouve.

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On put entendre quelques soupirs de déceptions de la part des marins les plus curieux, mais Raphaëlle avait un petit sourire espiègle. Elle devrait réussir à soutirer cette information au bosco. Après tout, il allait bien devoir se faire pardonner son comportement excessif.

-J'aurais besoin de trois personnes pour m'accompagner à terre. Notre mission devrait nous prendre toute la journée et elle risque de s'étendre jusqu'à demain. Mais n'oubliez pas que les participants seront récompensés ! Alors, qui serait intéressé ?

Une véritable volée de mains s'éleva en même temps, sous les clameurs de l'équipage qui ne pensait plus qu'à la mystérieuse récompense qui les attendrait pour une mission aussi simple. Tout le monde espérait que le bosco allait les désigner mais après plus de deux minutes de mains levées et de cris excités, les hommes se rendirent compte que le bosco les observaient sans rien dire. Très vite, les cris s'estompèrent et les mains se rabaissèrent, l'équipage ayant compris que Tolas semblait avoir quelque chose à ajouter. Raphaëlle fut la seule à remarquer l'ombre d'un sourire satisfait sur le visage du jeune homme, qui savait qu'il détenait l'attention de tout le monde à cet instant. Il finit enfin par ajouter :

-J'ai oublié de vous dire que, comme personne ne sait exactement ce qu'il s'est passé sur l'île, on ne sait pas non plus si la flotte du Cormoran n'est pas encore sur place.

Ce fut comme si Tolas avait appelé l'hiver avec sa dernière déclaration. L'équipage avait comme rapetissé, chaque homme essayait de se faire aussi petit que possible, espérant de tout cœur que leur bosco ne les choisirait pas. Ce dernier leva les yeux au ciel, s'étant bien douté qu'il aurait ce genre de réaction.

Quand il abaissa les yeux, son cœur fit un petit bond dans sa poitrine mais son expression s'assombrit légèrement. Après tout, il aurait dû s'en douter. Au milieu de cette marée de tête retournées, d'yeux fuyant et de corps tremblants, une seule main était levée, haute vers le ciel et aussi stable que les mâts du bateau. Raphaëlle le dévisageait fixement, la tête haute, avec une telle détermination dans le regard qu'il sentait sa propre volonté vaciller.

Les autres marins avaient commencé à remarquer sa main levée et tous sentirent une légère pointe de honte les submerger. Tolas, sachant pertinemment que son amie ne changerait pas d'avis maintenant qu'elle avait la main levée, se dit que cela pouvait aussi servir à motiver le reste de ses troupes. L'air soudainement narquois, il s'avança un peu en levant la voix.

-Hey, Raph', ça fait quoi d'avoir la plus grosse paire de couilles sur ce navire ?

-Ça me fait penser que je devrais peut-être leur en filer un peu vu ce que j'ai en réserve, lui répondit-elle du tac au tac.

Piqué au vif, les matelots se regardèrent tous, honteux d'avoir montré tant de faiblesse face à la seule femme de l'équipage. Petit à petit, des mains s'élevèrent à nouveau et les conversations reprirent. Tolas, l'air satisfait, chercha le regard de Raphaëlle mais la jeune femme avait déjà disparue dans la foule. Les clameurs des marins désormais motivés ramenèrent le bosco à la réalité et il commença a choisir les futurs membres de l'expédition.

Le chemin jusqu'à l'île des Nespérides passa en un clin d'œil et bientôt, ils ne furent plus qu'à une heure et quelques de leur destination. Raphaëlle, qui avait enfin terminé ses corvées, se mit à la recherche du bosco, demandant un peu partout si quelqu'un l'avait vu. Après qu'on lui ai indiqué qu'il était sûrement en train de se préparer dans le premier dortoir, la jeune mousse s'y rendit à toute vitesse, prête à avoir une petite discussion avec Tolas.

Quand elle arriva, elle trouva le bosco en train de terminer de mettre une bouteille d'eau dans un petit sac en toile abîmé et celui-ci leva la tête vers elle. Son visage s'illumina avant que les souvenirs de la réunion sur le pont supérieur ne le fasse légèrement grimacer et que l'atmosphère qui entourait Raphaëlle ne lui rappelle le tempérament explosif de cette dernière. Sans attendre, la jeune femme se rapprocha de Tolas jusqu'à ce que son visage ne soit plus qu'à quelques centimètres du sien. Le bosco commença à rougir, mais il remarqua très vite que son amie ne montrait pas la moindre trace de gêne. C'était plutôt la colère qui habitait ses traits.

-Qu'est-ce qui t'as pris tout à l'heure ? l'agressa presque la jeune louve avec des éclairs dans les yeux.

Le ton de Raphaëlle fit se braquer Tolas et le jeune homme arrêta tout de suite de rougir.

-Qu'est-ce qui m'a pris ? J'ai joué mon rôle ! se défendit-il avec véhémence. Si des membres de mon équipage ne m'écoute pas, c'est à moi de-

-Conneries ! le coupa-t-elle. Tu sais très bien que t'aurais pu utiliser ton sifflet !

-Et toi, t'as très bien vu ce qu'il s'est passé quand je l'ai utilisé juste avant ! Il me fallait un exemple !

Le visage de Raphaëlle se tordit en une grimace d'incompréhension.

-Un exemple ? Et Spirit alors ? C'est pas exactement ce qu'il a fait, te montrer l'exemple ?

Au moment où la jeune femme avait prononcé le nom de son frère, le corps tout entier de Tolas s'était tendu comme un arc et il avait discrètement serrés les poings, faisant de son mieux pour cacher sa réaction viscérale. Raphaëlle, trop occupée à terminer sa tirade, n'y fit pas attention.

-Je comprends pas, qu'est-ce qui t'arrive ? Depuis que le capitaine t'a nommé futur bosco, il y a des moments où je te reconnais à peine !

Tolas, le visage fermé, cherchait un moyen de changer la discussion. Lui aussi l'avait remarqué. Au moindre problème, il sortait les crocs, prêt à prouver que personne ne remettrait son autorité en question et encore moins Spirit. Le simple fait que ce soit Raphaëlle qui lui ai rappelé la manière dont son frère avait, une fois de plus, démontré sa supériorité de caractère lui était presque insupportable. Mais ça, il ne fallait surtout pas qu'elle le comprenne.

-Raph'..., commença-t-il sans grande assurance dans la voix, tu peux pas....tu peux pas comprendre. Vraiment. Je peux pas me permettre d'être faible devant mes hommes !

-Faible ? s'écria Raphaëlle en reculant légèrement, incrédule. Mais tu sais très bien que t'es tout sauf faible ! Eux aussi ils le savent !

La louve devait l'avouer, elle avait été prise par surprise par sa réaction. Elle s'attendait à ce qu'il se défende avec plus de véhémence, peut-être même autant que celle qu'il avait montrée sur le pont. Mais elle pouvait bien sentir l'absence de cette énergie en lui à cet instant, ce qui en retour, fit fondre sa propre animosité. Elle posa son poing contre le torse de Tolas et lui lança un regard tendre alors qu'il fuyait encore le sien.

-...Et moi aussi, je le sais. Alors détends-toi un peu, d'accord ? T'as rien à prouver à qui que ce soit.

Le bosco trouva enfin le courage de regarder son amie dans les yeux et sentit son cœur commencer à accélérer. Il s'empêcha de trembler et posa sa main sur celle de Raphaëlle, qu'elle appuyait toujours contre son torse. Ils restèrent silencieux, jusqu'à ce que la jeune femme ne finisse par remarquer les battements du cœur de Tolas, et son visage se renfrogna légèrement, montrant qu'elle était un peu confuse. Tolas, prenant une grande inspiration, resserra légèrement sa main sur celle de son amie.

-Raph'...il faut que je te dise quelqu-

-Monsieur... Tolas ?

Raphaëlle et Tolas sursautèrent en même temps et tournèrent la tête vers l'entrée du dortoir. Un vieux marin était plié en deux sur le seuil de la porte; un bras contre un mur, l'autre sur sa poitrine, en train de reprendre difficilement son souffle. Tolas lâcha précipitamment la main de Raphaëlle et, tentant de reprendre un peu de sa contenance, il attrapa son sac de toile et s'avança vers le vieux marin.

-Que se passe-t-il ?

-On a....besoin de vous...sur le pont...monsieur..., hoqueta le matelot au bord de la syncope.

Tolas se tourna vers Raphaëlle en levant un sourcil interrogatif. La mousse, toute aussi confuse, hocha de tête et releva ses épaules. Tolas tapota sur le bras du vieux matelot et ce dernier s'effondra au sol, absolument exténué. Un peu inquiet, le duo se dépêcha de traverser le long couloir qui donnait sur l'extérieur.