Suite à quelques jours où Aileen progressa sur son projet de couture et observa son amulette à laquelle elle devait s’habituer, ses parents lui annoncèrent leur verdict :
« Bonjour, Aileen. Ta mère et moi avons choisi une punition adéquate. Pour la prochaine année, tu ne pourras pas sortir. Tu auras des suppléments de devoirs et aucun accès à tes livres. Nous ne te chicanerons pas plus car nous jugeons la punition suffisante » expliqua rapidement son père après s'être incrusté dans sa chambre et avant d'avoir déguerpi.
Aileen resta bouche bée face à cette décision. Que c’était cruel! Elle devait encore attendre un an, sans aucun livre comme échappatoire et avec plus de devoirs? Elle comprenait ses torts mais de là à faire durer ce calvaire un an, c’était inadmissible.
Une semaine, deux semaines puis trois s’écoulèrent sans que Aileen ne se plaigne. C’était cependant suffisant pour l’épuiser au point où elle ne faisait qu’alterner entre le sommeil et le travail. C’en était trop pour elle, et quelque chose devait être fait. Elle était de retour à la case départ, où tout se répétait.
Lors d’une soirée, seule à observer la petite fente dans son plafond donnant sur le monde intouchable, Aileen choisit de remédier à la situation. Comme précédemment, elle devait élaborer un plan. Le tout se déroulerait la nuit, car il n’y aurait aucun témoin. Ses parents seraient endormis, ce qui faciliterait cette corvée. Elle devait pourtant tâcher à ne pas être bruyante, alors son sac sera préparé à l’avance. Il contiendrait un autre ensemble, l'entièreté de ses fonds ainsi que quelques encyclopédies essentielles, ce qui était quasiment toutes ses possessions. Pour rester discrète, elle concevrait une lourde cape la couvrant de la tête aux pieds, sans pour autant attirer les regards curieux. Sachant que ses parents n'étaient que bien intentionnés, elle devait trouver un moyen de les rassurer de sa disparition. « Devrais-je leur envoyer des lettres par correspondance, ou peut-être laisser une note d’au-revoir sur mon oreiller? Y aurait-il un meilleur moyen? » Cette idée l’inquiéta, alors la jeune étudiante fit les cents pas dans le grenier. Soudainement, Mirabelle surgit dans sa chambre.
« Aileen, ça va? » s’écria-t-elle.
« Oui oui, pourquoi? »
« Hum, eh bien… Tu vois, ton collier nous communique ton état du moment. Ce dispositif n’a pas été conçu pour t’espionner, bien sûr, mais plutôt pour s’assurer de ta sécurité. Il ne faudrait pas que quelqu’un découvre le pouvoir de cette machine et que tu finisses sous la guillotine. Désolée de ne pas t’avoir avertie de ceci »
Aileen ne savait pas quoi répondre. C’était outrant de se faire surveiller ainsi. Un peu honteuse, sa mère quitta la pièce alors que la jeune fille retourna sous son attirail de couvertures épaisses. Comment trouvera-t-elle un moyen de les rassurer? La réponse venait de se présenter à elle: son amulette. La conception du schème était close, il ne restait qu’à l’appliquer.
La semaine suivante défila à toute vitesse sous l’appréhension de la jeune étudiante. L’heure de l'exécution du plan allait sonner, et à ce moment, sa nouvelle vie débuterait. Aileen débutait à avoir des doutes, mais elle devait les réprimer, car avec eux, elle n’irait nulle part.
Lorsque les satellites naturels atteignirent le niveau de sa petite fenêtre, elle débuta. La cape fut enfilée en un tour de main et son sac se retrouva en quelques secondes sur son épaule. Une petite note qu’elle avait composée plusieurs minutes plus tôt indiquait à ses parents sont ressentis vis à vis sa situation ainsi que son désir ardent d’explorer. Elle terminait par témoigner la gratitude que la jeune fille ressentait envers ses parents, et que tout irait bien.
Légèrement émotive, Aileen prit la direction de la fenêtre, cette porte vers un autre univers qui serait bientôt sien. Discrètement, elle enclencha le mécanisme visant à l’ouvrir et… rien. La fenêtre était barricadée. Une bouffée de rage emplit la jeune fille, qui s'empressa de la réprimer. Ces émotions ne feraient qu'entraver son chemin. Aileen se rendit vers l’escalier. Elle savait quelles marches sauter afin de ne pas créer de boucan dû au craquement des vieilles planches. Une marche, puis la suivante. Un pas devant l’autre et… elle était en bas. Lorsqu’elle releva la tête, elle eut l’effroi de croiser celui d’un autre. Elle étouffa un cri dans sa gorge pour remarquer son père, se tenant droit face à elle. Quelques secondes de duel de regard suffirent à Aileen pour qu’elle remarque que quelque chose clochait. Éric ne la regardait pas exactement, voire ne pas la remarquer du tout. Lorsqu’il se dirigea vers elle, l'étudiante eut la brillante idée de s'écarter de la voie de son père, apparemment somnambule. Quelle frousse!
Aileen continua sa route lorsque les lourds pas d’Éric cessèrent. La sortie était à portée de main. Elle agrippa la poignée, pleine d'appréhension, et ouvrit cette porte. Un léger courant d’air pénètra dans sa demeure, qu’elle quittait. La jeune fille fit un pas afin de se retrouver dehors.
Les astres nocturnes baignaient l'allée d’une lueur presque pourpre. Cela devait venir du fait qu’un astre était magenta tandis que l’autre penchait vers le cyan. Les lampadaires émettaient une faible lumière, pourtant suffisante pour éclairer le chemin en avant. Les petites fenêtres lumineuses semblaient à des étoiles, surtout celles des rues plus hautes. La ville était construite telle une spirale ascendante munie de dédales étranges. Le sol pavé était immaculé à la suite de la pluie d’hier et il reflétait le ciel, mi-nuageux. L’air était rafraîchissant, une bouffée froide lui ouvrant les poumons. Les bâtiments rappelaient à Aileen les monstres dans ses contes : grands, cachés dans l’ombre, imposants. Des visages se formaient dans les fenêtres et ornements : la paréidolie. L’étudiante quitta tranquillement les lieux, souhaitant profiter au maximum de sa liberté. Au coin de l'allée, elle vérifia derrière son épaule : aucune trace de quiconque. Il n’y avait également aucune lumière n’annonçant l'éveil de ses geôliers, ce qui était bon signe. Elle pourrait continuer tranquillement sa route vers … où, exactement?
Aileen déambula pour la prochaine heure, et quitta rapidement le Quartier du Geai, celui qu’elle habitait auparavant. Les routes étaient toutes semblables, et le ciel claircit vers une teinte indigo, penchant plus vers celle des luxuriants lilas ornant le bord des rues. La paysage était magnifique, et Aileen ne pouvait contenir sa joie, cependant, elle devait avouer que la fatigue la rattrapait. Sa longue balade hasardeuse la mena à un petit parc, contenant plusieurs bancs. Ceux-ci étaient la seule option valable. La jeune fugueuse retira sa cape et posa sa sacoche sur une extrémité du siège. Elle posa sa tête sur le dernier avant de se recouvrir de l’épaisse cape multi-usage. Patiemment, elle attendit la venue du marchand de sable.
Les heures s'accumulèrent, mais la jeune fille ne s'endormait guère. Sa couchette était bien solide, et son sac, difforme. Des feuilles d’un arbre, sensé la protéger d'éventuelles intempéries, atterrirent sur son visage. De plus, elle ne pouvait qu’à peine changer de position, par crainte de chuter au sol en pierres polies et irrégulières. Son ventre gargouilla, et de ce fait, troubla le silence perturbant. Étrangement, il n’y avait aucune trace d’humain, même d'oiseau. Seul le vent, sifflant entre les feuilles et les maisonnées, produisant une douce mélodie. L’astre de lumière tarda à orner le ciel, devenu nuageux. Aileen s’impatienta, tandis que les passants faisaient lentement leur apparition. Nul ne semblait remarquer l’insignifiante personne qu’elle était devenue en s’installant dehors. Il semblerait que son statut social ait chuté, du moins, selon eux.
L’étudiante abandonna le projet de repos, légèrement honteuse. Elle entreprit la visite discrète de la ville. En mouvement, Aileen semblait tout à fait normale, avec un sac sur le dos ainsi qu’un vêtement la couvrant de la température frisquette. Elle errait sans but de manière interminable, ce qui ne faisait que consommer ses réserves d'énergie. Elle avançait sans ne rien voir d’autre que le sol. Sa vie en tant que nomade ne débutait pas de la meilleure manière: un appétit lui creusait l’estomac tandis que sa nuit blanche la rattrapait. Y aurait-il une âme charitable pour l’aider?
Aileen ouvrit les yeux pour de bon, seulement pour réaliser qu’elle était au beau milieu d’un marché. D’un marché de légumes, de plus.
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De chaque bord, des étalages débordants de produits. La Place des Sitelles était d’une beauté indescriptible à l'ambiance chaleureuse. La palette de couleurs passait d’un jaune osé à un mauve réservé. Des panneaux, présentant diverses offres, apportèrent l'eau à la bouche. La jeune fille se rendit compte qu’elle possédait une infime somme d’argent, majoritairement dépensée dans ce délicieux beignet d’il y avait quelques mois, ainsi que dans plusieurs tissus aux couleurs éclatantes.
Plusieurs vendeurs, de tous les bords, l'interpellèrent, tandis que d’autres s’occupèrent de clients négociateurs. Intimidée mais affamée, Aileen s’approcha d’un petit kiosque. Les prix étaient les plus bas, pourtant, ses 3 nacl n'étaient point suffisants pour quoi que ce soit. Elle devait négocier pour les sacs, coûtant le double.
« Bonjour, monsieur. Je serais intéressée par ce sac. J’ai cependant une requête. Puis-je l’avoir au quart du prix? » questionna Aileen, avec une stratégie en tête.
« Hein?! Bien sûr que non! Pas moins que les trois-quarts! » grommela le vieillard tenant l’humble magasin.
« Pourrions-nous nous entendre sur la moitié du prix? » tenta-t-elle.
« Hors de question! Ouste, je ne veux pas de clients radins par ici! »
Le jeune fille, déçue, prit ses jambes à son cou. Elle ne savait pas exactement où elle allait, mais elle savait qu’elle s'éloignait de la foule.
Essoufflée suite à cette course effrénée, Aileen s'assit sur un banc à l’ombre du soleil tapant. L’heure du dîner arrivait, et la faim n'était plus supportable. Comment allait-elle faire pour survivre? L'étudiante ne souhaitait pas faire cette marche de la honte jusqu'à chez elle. Non seulement elle perdrait sa crédibilité, mais ses parents redoubleraient les protections.
Aileen laissa s'échapper un gros soupir de découragement. Cette impasse n'avait pas de sortie facile. La chance lui sourirait-elle encore? Il ne lui restait plus qu'à demander la charité.
Durant l’heure du dîner, la pauvre étudiante questionna tous les passants pour un peu de nourriture.
« Bonjour Madame, auriez-vous la gentillesse de me donner ce fruit?» demanda la fille à une vieille dame pressée, qui n’eut d’autre à faire que de l'ignorer.
« Bonjour Messieurs, j’ai faim et…» continua-t-elle avant de se faire bousculer par la foule.
« Puis-je avoir ne serait-ce qu’une gorgée de cette soupe? Bonjour, je… Monsieur, ce pain que vous tenez… Mesdames, est-ce que… » répétait la pauvre fille méprisée.
Cette mascarade dura presque tout l'après-midi, et elle ne reçut que des regards malsains de jugement. Comme la vie était difficile. C'était justement pour cette aventure qu’elle avait tant risquer, alors ce fut impossible de baisser les bras avant même d’avoir commencé!
Un bruit sourd interrompit ces pensées affluentes. Aileen se retourna brusquement pour découvrir une fille, du même âge qu’elle au premier abord, qui venait d'échapper un chevalet.
« Pas encore! Quel est le problème, cette fois? Ma peinture sera fichue si ça continue, marmonna-t-elle. »
Aileen s'approcha de la malheureuse pour tenter de lui venir en aide.
« Bonjour! Est-ce que je pourrais t'être utile en quoi que ce soit? » dit la tricoteuse.
« Bonjour, merci de coup de main, dit la mystérieuse interlocutrice alors qu’Aileen ramassait des crayons ainsi que des pinceaux éparpillés. Je ne pense pas que tu puisses faire quelque chose. Mon chevalet n'arrête pas de tomber, et je pense que cette vis est lousse, mais je n’ai aucun outil avec moi. Il ne me manquerait qu’un nacl pour pouvoir solliciter quelqu'un ayant les outils »
Légèrement hésitante, Aileen fourra sa main dans sa pochette. En tombant sur son portefeuille, la décision fut prise:
« Tiens, en voici un »
Le visage de son interlocutrice s’illumina, au point où elle noya Aileen de remerciements non nécessaires. Elles se rendirent au magasin le plus proche, qui n'était étonnement pas situé plus loin que de l'autre côté de la rue, et payèrent pour ces services rapides. Ce n'était pas très cher étant donné la facilité des opérations, alors l’homme tenant le magasin s’occupa de la commande immédiatement.
« D'ailleurs, comment t'appelle tu? » dit Aileen.
« Je m'appelle Charlie Gulliver, ravie de faire ta connaissance. Quel est ton…? » questionna Charlie avant d'être interrompue par de puissants borborygmes.
Aileen confessa sa situation actuelle après une rapide présentation de sa personne, et son interlocutrice fut immédiatement prise par pitié.
« Pauvre de toi, cela doit être difficile. Tiens, je peux te donner mon dîner en échange de ta compassion. Tu n'étais pas obligée de me donner cet argent, tu en avais besoin »
Les filles se saluèrent, puis reprirent leurs chemins respectifs. Charlie retournerait peindre tandis qu’Aileen continuerait sa quête dans les rues de La Capitale, tout en dévorant le sandwich nutritif.
Rassasiée à souhait, elle se posa sur un banc, non loin de l'endroit. Aileen reposa sa tête sur sa sacoche, qu’elle transportait toujours. Même si elle regrettait ces brefs moments passés avec sa première amie, si ce terme fonctionnait dans ce cas-ci, l'adolescente ne voulait pas empiéter dans sa vie, en plus d'être déjà plutôt mal à l'aise avec ce nouvel univers. Le sommeil la guettant depuis son départ, la frappa de plein fouet. La solidité du banc ne changerait rien aux rêves d'aventures de la jeune fille.
***
L’aurore fit son apparition, ce qui engendra le réveil de la jeune fille. La ville, endormie, se lèverait à son tour dans quelques heures. Aileen prit la décision de faire un tour dans le marché d’hier. Il y aurait peut-être des restants sur la place.
Le calme régnait sur le monde en cette heure matinale. Les lilas propageaient un doux élan de leur profonde fragrance. Une fontaine lointaine créait un léger ruissellement continuel. Ce Quartier des Étourneaux contenait bien des merveilles.
En à peine quelques minutes, la fugueuse se situait au beau milieu de la Place des Sitelles. Le sol pavé était jonché de morceaux de nourriture. Il semblerait que les chargés d'hygiène de la ville n'aient pas fait leur travail comme il se devait. Cependant, cette négligence n'était que positive pour la jeune fille. Cela semblait dégoûtant à première vue, mais rien de cela ne passerait par la tête de quelqu'un si cette personne était affamée comme Aileen. Cette précédente n'avait rien avalé durant le dernier nycthémère.
En inspectant attentivement le sol, l'adolescente flâna dans les lieux. Un fruit mauve à moitié écrasé, des miettes de pain, des papiers imbibés de sauce, rien n'ouvrait l'appétit de la jeune fille. Cette ridicule fourberie dura bien plus longtemps qu'espéré, mais la pauvre manieuse de fils dénicha un petit sac, qu’elle dépaqueta de ce pas.
À l'intérieur se voilait de nombreux fruits ainsi qu’un morceau de pain entamé, sans oublier une bouteille brisée, malgré le fait qu’elle contenait encore un peu de liquide. Prise au dépourvu, Aileen n’eut d’autre choix que d’en faire trois bouchées. Légèrement sceptique, quelques temps d'hésitation s'installèrent vis à vis la bouteille, pouvant devenir dangereuse. Malgré tout, cette soif tenaillait son intérieur, alors elle dû caler le contenu sucré. Satisfaite de ce repas improvisé, la jeune fille reprit une pause, mais cette fois-ci, sur le rebord de la fontaine, la pièce maîtresse du marché, qu’elle n’avait pas remarquée le jour précédent.
La journée défila, les passants ne la dérangeaient pas lors de sa pause, qu’elle prenait pour préserver son énergie ainsi que pour digérer cet encas. Plusieurs pièces étaient lancées dans l'étendue d’eau derrière elle, mais elle ne pouvait se permettre de voler ces offrandes. Ce serait un sacrilège! La jeune fille avait beau avoir avalé un bout, toutes ces odeurs n'étaient qu'appétissantes. Les bruits indistincts des conversations enflammées, des enfants qui jouaient partout, de la fontaine, du vent puissant ainsi que des pas lourds la troublaient. Cette surcharge d'évènements
l'étourdit, ce qui la rendit confuse. La jeune fugueuse se retrouvait au même endroit depuis longtemps, alors pourquoi ce malaise l’attaquait maintenant?
Elle ne savait guère pourquoi elle se trouvait dans cet état, mais Aileen continua de mettre un pied devant l’autre. Accidentellement, quelques lassants furent bousculés, mais la jeune fille se ficha de leurs plaintes.
Qu'est-ce qui lui arrivait? L’astre de lumière n'était qu’à peine visible, ce qui surprit la jeune fille. Combien de temps avait-elle passé dans cet endroit? Le temps semblait de plus en plus flou, tout comme sa vision. Un pied devant l’autre, encore et encore. Son unique objectif fut de s'échapper.
Elle parcourut quelques mètres jusqu'à ce qui semblait être une boutique. Elle avait besoin d’aide sans se soucier de qui pouvait la donner. Son temps était compté.
Ses jambes cédèrent sous son poids : la nourriture était sûrement le problème. Du poison, de la pourriture, lequel pouvait être la cause de son état chambranlant?
Sa tête atterrit durement sur le pavé.
Des tâches floues cédèrent leur place au noir total.