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Chapitre 10 - En cavale

Un gendarme couché secoua fortement la charrette, ce qui réveilla Aileen de son sommeil réparateur. Sa main souffrait le martyre, et ses jambes étaient engourdies. Finalement, il n'était peut-être pas si réparateur.

«Vite, réveillez-vous! ordonna Hildegarde. Il faut partir d’ici! »

Elle poussa ses collègues les plus proches vers la sortie. Hugo, Lilith et Elizabeth dormaient presque debout. Malgré leur confusion, ils sautèrent. Aileen s’empressa de les imiter, et elle fut suivie de la majorité. L'atterrissage fut douloureux. Lorsqu’elle quitta la calèche en mouvement, Hildegarde tenait sous ses bras Charlie, qui avait trop peur de sauter, et Kei, qui ne voulait pas se réveiller. Elle atteignit le sol comme si de rien n’était.

« Les bosses indiquent un arrêt en avance de cent mètres, il doit donc y avoir une taverne. Si le conducteur s’était arrêté, il aurait vérifié sa cargaison et nous aurait remarqué », expliqua-t-elle en posant ses camarades au sol.

« Désolée », fit Charlie à l’intention de sa salvatrice.

« Il n’y a pas de quoi », répondit-elle.

« Je suis un peu peureuse pour ce genre de choses. Mais bon, on devrait continuer », se reprit l’artiste.

Quelques-une rechignèrent de cet abrupt réveil, mais ils continuèrent tout de même le périple en direction d’un foyer pour les accueillir temporairement. La nuit était toujours noire, quoique l’aube approchait.

Après à peine deux minutes, un bâtiment se dressait devant eux. Le toit triangulaire touchait presque le sol. Les tuiles avaient une apparence bleutée, agrémentées de poutres couleur bois devant un fond crème. Une pancarte à l’avant indiquait les heures d’ouverture du restaurant et du bar. La modeste bâtisse comportait cinq chambres selon un écriteau, vraisemblablement occupées. L’immeuble, ainsi que le stationnement à moitié rempli, figuraient sur une extension de la route en pierres sculptées. Des lumières scintillaient depuis quelques fenêtres.

Aileen s’avança pour pousser la porte, qui produit un atroce grincement. Elle se retrouva face à une ambiance chaleureuse et réconfortante, sans pour autant émaner du luxe. Une poignée de tables rondes et usées étaient éparpillées çà et là. Des chaises non-assorties les accompagnaient. Une serveuse essuyait des choppes, et deux hommes, confortablement installés, jouaient à un jeu d’argent au comptoir. De la poussière s’accumulait au sol, et la femme au comptoir les salua d’un signe de tête sans interrompre ses activités.

« Ah, des clients! Des petits minus, en plus! » s’écria le premier.

« Qu’est-ce qu’ils te veulent? Il n’y a pas de bonbons, ici!»

Les deux hommes éclatèrent d’un rire sonore. Ils trinquèrent leur breuvage avant de caler leur contenu. La femme les foudroyaient du regard, et leur asséna chacun un coup de chiffon.

« Matt, Gall, laissez ces clients tranquilles! Pauvres enfants, il doit faire froid, dehors! reprit-elle d’une voix mielleuse. Ces hommes ne savent pas ce qu’ils disent, ils cachent leur cœur de gros nounours sous une carapace. Venez, je vais vous servir un restant de ragoût chaud! »

Elle servit la soupe, raclée d’un énorme pot, dans onze petits bols. Le mélange bruntre ne semblait pas trop ragoutant. Aileen se força à avaler une bouchée, et découvrit un délectable mélange. Ses acolytes semblaient du même avis. Elle surprit Hugo à boire le fond de son bol, et Dahlia, à le racler avec un couvert.

« De l’argent », dit Kei en tendant une poignée de dalc.

« Oh, c’est un cadeau de la maison! Par contre, si vous souhaitez dormir un peu, ce ne sera pas gratuit! »

« Je ne pense pas qu’on va rester très longtemps, mais merci de votre hosp… » débuta Hildegarde

« Alors, je prends deux chambres, madame », déclara Kei.

« Appelez-moi Molly, et… c’est bouclé », confirma la dame.

Les autres hochèrent de la tête, d’accord avec le noble. Hildegarde soupira, légèrement découragée.

« Si vous insistez », souffla la jeune fille.

Aileen était du même avis que le groupe, et fut heureuse de pouvoir enfin profiter du confort d’un matelas. Elle devait le partager avec Charlie et Dahlia, mais cela ne nuisait presque pas à l’expérience. Le deuxième lit de la chambre des femmes abritait Hildegarde, Lilith et Elizabeth. Les hommes avaient leur propre chambre.

La salle de bain était commune aux résidents. Aileen se fit un plaisir de prendre une douche et de se brosser les dents. Elle s’empressa finalement de se coucher, et ses amies la suivirent de près.

***

Aileen fut réveillée par le sommeil agité de Dahlia à ses côtés. Elle vérifia l’heure sur la montre de la fautive, posée sur la table de chevet, et il était 7h52. La jeune fille se leva avant de jeter un coup d'œil aux alentours. Curieusement, Hildegarde était déjà debout. Elle décida de passer à la salle de bain avant de chercher son amie.

Aileen revint dans la chambre pour fouiller une dernière fois, et ne fut pas surprise de ne rien trouver.

« J’imagine qu’elle est en bas », marmonna la tricoteuse avant de prendre la direction des escaliers.

Les larges marches craquaient sous le poids de la jeune fille. Arrivée en bas, elle fut accueillie par la patronne. Hildegarde l’aidait à préparer des boissons derrière le comptoir.

« Bonjour, ma chère, bien dormi? »

« Oui, merci. Qu’est-ce que tu fais? » demanda Aileen à l’adresse de sa camarade.

« Je pense que nous aurons besoin d’un peu d’argent. Nous ne pouvons pas compter seulement sur la poche de Kei et l’hospitalité des autres », présenta son interlocutrice.

Aileen comprit alors que sa camarade ne faisait pas confiance à Kei. Étant donné son insolence, elle réalisa qu’il serait du genre à leur demander une faveur énormissime en retour.

« Vous portez les mêmes vêtements qu’hier, remarqua Molly. Vous savez, il y a un marchand couturier qui séjourne ici cette nuit, et se réveille tard, si je me base sur ses derniers passages. Si vous souhaitez vous faire un peu d’argent pour avoir de quoi porter, eh bien, je vous conseille de rester. »

« Oh, Aileen, tu n’avais pas déjà travaillé dans un petit restaurant? Peut-être que Molly aurait besoin d'aide avec les commandes et le service », pointa Hildegarde.

« Comment le sais-tu?»

L'intéressée ignora la question, préférant se concentrer sur son travail.

« Oh, vous ne savez pas à quel point c’est occupé pour dîner! Il faut déjà que je commence à cuisiner, alors amène tes amis! » confirma la dame, heureuse d’avoir un peu d’aide.

La jeune fille remonta les escaliers jusqu’aux chambres. Celle des garçons était la première porte, donc elle frappa.

« Hum, Molly aimerait de l’aide à la cuisine. En échange, on aura de nouveaux vêtements », dit-elle avant de quitter, sans attendre de réponse.

En chemin vers la deuxième chambre, elle croisa Charlie et l’informa rapidement de la situation.

« Oh, et bien, ce serait bien pour ne pas être reconnu », remarqua-t-elle avant de rejoindre la salle de bain, sûrement pour se préparer.

Aileen pénétra dans sa chambre, où elle réveilla doucement Dahlia.

« Molly nous propose de travailler un peu ici pour s’acheter des vêtements, aimerais-tu participer? »

Dahlia se releva, chercha sa montre pour savoir l’heure, puis regarda son amie.

« On doit travailler? Combien de temps ? Est-ce qu’on est certaines d’être payées à la fin? » questionna-t-elle, sceptique.

« Voyons, c’est Molly! Elle a été très gentille avec nous, il n’y a pas de quoi s’inquiéter! »

« Eh bien, ce n’est pas une bonne raison. Je ne veux pas y aller », conclut la cuisinière.

La tricoteuse fut découragée de son amie, et se dirigea vers le second lit, pleine d’espoir.

« Bon matin! Seriez-vous d’accord de travailler en échange de vêtements? »

Lilith se redressa avant d'hocher la tête, puis, elle quitta la chambre. Elizabeth dormait encore, en position de cercueil. Aileen la secoua un peu, mais reçut un coup dans le bras.

« Aille… »

Elizabeth la fixait avec des yeux ronds, puis se leva.

« Hum… On a besoin de toi, en bas, pour cuisiner un peu… » commença Aileen.

Elizabeth s’était agenouillée et débutait d’autres prières. La tricoteuse était perplexe, mais ne souhaitait pas interrompre un rituel matinal. Peut-être qu’elle les rejoindrait après.

La jeune fille quitta les lieux et tomba nez à nez avec son amie.

« Ah, bonjour! J'allais justement en bas, veux-tu me rejoindre? » proposa Aileen.

« Hum, est-ce que je devais servir, ou prendre les commandes? » demanda sa collègue en se tordant les mains.

« Je ne pense pas que tu sois obligée, mais on peut vérifier avec la patronne », présenta la jeune fille.

Aileen descendit au rez-de-chaussée, où elle se dirigea vers le comptoir. Charlie la talonnait, presque cachée derrière elle. Les garçons semblaient presque tous présents, à l’exception de Kei. Lilith et Hildegarde charbonnaient à leurs côtés. Molly instruisait leurs mouvements, et accueillit chaleureusement la nouvelle venue.

« Viens donc par ici, tu vas voir, c’est simple », débuta-t-elle en ouvrant la portière.

Elle dirigea la jeune fille vers un espace inoccupé, afin qu’elle aille de la place pour agir.

« J’ai entendu dire que tu as travaillé dans un restaurant, alors voici la recette que tu dois faire. J’aimerais avoir huit gâteaux d’ici le dîner.

Par la suite, j’aimerais bien que quelqu’un s’occupe de la décoration », expliqua la patronne en tendant une feuille.

« Oh, Charlie est douée pour dessiner, alors j’imagine que ce travail lui serait adapté », suggéra Aileen en tirant son amie.

« Oh, euh, je ne suis pas experte, mais… euh… je peux essayer », marmonna l'intéressée.

« Parfait! En attendant, j’aimerais que tu te charge de la décoration de quelques pâtisseries, elles ne sont pas au point. J’ai du papier et un crayon ici, puis voici la liste des décorations et glaçage ici. Je te fais confiance pour me faire quelque chose de magnifique! »

Charlie prit le papier vierge ainsi que la liste, puis s’installa à une table plus lointaine. Elle jeta un regard plein de reproches à Aileen, qui haussa les épaules. Les deux retournèrent à leurs activités.

Les ingrédients étaient sortis sur l'îlot, et le four à bois était clairement positionné sur un mur. Il chauffait donc l’immeuble ainsi que les plats.

Aileen lit ensuite le papier d’instructions, visiblement arraché d’un manuel de cuisine:

« Gâteau auramien au miel et vandela

1 : Séparez le jaune et le blanc de trois oeufs

2 : Fouettez le blanc des oeufs

3 : Ajoutez une tasse de sucre

4 : Mélangez dans un autre bol les jaunes, une pincée de sel, une tasse de beurre fondu, deux tasses de lait et deux tasses de farine, et une cuillère de poudre à pâte

5: Fouettez le premier mélange au fur et à mesure que vous versez le deuxième

6 : cuillère de miel et trois tiges de fleurs de vandela

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6 7 :Cuisez le tout durant 15 minutes au four à bois, soit à 350 degrés

8 : Dégustez 8 : Décorer - lavande et glaçage »

Les notes de Molly firent sourire Aileen, et elle débuta son ouvrage.

La tricoteuse débuta la préparation telle qu'elle était écrite. En étant minutieuse vis à vis les instructions, elle savait qu’elle ne pouvait pas échouer la recette.

Elle cassa trois œufs, prenant garde à préserver le jaune dans la coquille. Les blancs ornaient le fond d’un bol, tandis que les jaunes furent déversés dans un autre. Elle empila soigneusement les coquilles dans un coin du plan de travail et passa à l’étape suivante.

À l’aide d’un couvert, elle battit les blancs. Aileen manquait d’endurance, et elle dû réquisitionner de l’aide d’Hildegarde, qui se plia volontiers à la tâche.

Lorsqu’une mousse remplaça le liquide translucide, Aileen passa à l'étape suivante, consistant à ajouter le sucre. Elle mesura précisément avec le contenant sur lequel était écrit : « tasse », puis déversa le tout dans la mousse. Elle estima un morceau de beurre, qu’elle fut fondre dans le moule, car c’était plus efficace une pierre et deux coups. Il était froid, et attendre qu’il fonde fut long. La jeune fille ajouta les derniers ingrédients au mélange de jaunes d’oeufs, et touilla. La consistance devint rapidement homogène, alors la tricoteuse l’ajouta doucement à la mousse. Elle brassa le tout afin que ce soit parfait, et continua. La jeune fille prit trois tiges de vandela séchées, dont elle retira les petites fleurs mauves aux propriétés relaxantes et aux odeurs venues tout droit du ciel.

Elle ajouta ensuite un peu de miel. Aileen conclut en versant le résultat dans un moule beurré. Avec des gants, elle l’inséra dans la cavité, au-dessus du feu. Elle referma la porte, et démarra la cocotte-minute.

Aileen attendit patiemment que l’instrument l’informe que le dessert soit prêt. Elle lava les instruments utilisés, puis les essuya. Elle s’assit ensuite pour jouer nonchalamment avec la cuillère.

DRING~

Aileen sursauta, puis accourut au four. Elle s’empressa d’enfiler les gants, et retira le moule brûlant. Le gâteau semblait parfait, tout gonflé et doré par le feu.

« Oh, c’est magnifique! » s’exclama Charlie, derrière elle.

« Ah, ce n’est rien… Malheureusement ce sera long d’en faire huit », soupira la tricoteuse.

« Eh bien, pourquoi ne pas utiliser la méthode industrielle? Tu peux faire sept fois chaque étape en même temps, par exemple casser tous les œufs, puis ajouter toute la farine, et je ne sais quoi. En tout cas, j’ai hâte de les décorer! »

« Quelle merveilleuse idée, merci! Pour t’aider, ils viennent d’Auram, sont à la vandela et au miel. Je m’y mets tout de suite, en tout cas! » déclara la jeune fille.

Aileen sortit tous les ingrédients nécessaires. Elle devait utiliser 21 œufs, et elle sépara minutieusement le blanc des jaunes, en prenant gare de ne pas confondre les bols. Elle nécessita encore une fois de l’aide pour fouetter les blancs. Pendant qu’Hildegarde travaillait, elle remarqua que le restaurant se remplissait : c’était donc l’heure de déjeuner.

Elle se remit au travail dès que sa fouetteuse d'œufs l'interpella. C'était le moment d’ajouter à la mousse aérienne sept tasses de sucre. Encore une fois, elle réalisa précautionneusement l’étape. La prochaine consistait maintenant à créer la seconde mixture. Quelques pincées de sel furent ajoutées aux quatorze tasses de lait, et quatorze de farine. La cuisinière minutieuse devait à présent s'atteler à la prochaine mission, faire fondre du beurre. Elle prit les blocs, qu’elle posa encore une fois dans les moules. Les sept rentraient juste dans le petit espace chauffé. La jeune fille les déversa ensuite dans la mixture, et se remit au boulot. Pour verser le second mélange dans la mousse, elle devait encore une fois utiliser un camarade. Aileen brassa donc la mousse alors que Charlie penchait lentement le deuxième bol. En un rien de temps, elle se retrouva avec un énorme bol rempli à ras bord. C’était maintenant le temps d’ajouter les assaisonnements, étant vingt-et-une tiges de vandela mélangées à sept cuillerées de miel.

Aileen brassa le tout afin que ces ajouts soient équitablement répartis. Elle prit ensuite les moules, dans lesquels elle mit une quantité équivalente de mélange à cuire. Elle inséra le résultat au fourneau, et partit encore une fois la cocotte-minute, programmée pour quinze minutes.

« Charlie? Est-ce que je peux voir tes dessins? », questionna-t-elle, avide de voir le résultat.

« Euhm, oui, j’imagine. C’est ici. Mais ce n’est pas … très beau », répondit alors l'intéressée.

Aileen s'avança vers la table où son amie était installée. Des morceaux d’efface jonchaient la table, autant que des papiers étaient étalés sur toute sa longueur. Des croquis bien pâles représentaient les œuvres culinaires, certaines ornées de complexes arrangements de fleurs, d’autres, plus minimalistes, mais tout aussi jolies.

« Voilà. Et c’est ce que j’ai prévu pour ton gâteau», dit-elle en tendant une feuille.

Une flaque de miel ornait la partie supérieure du gâteau, qui découlait légèrement sur les bords. Elle s’agencait étonnamment bien avec la teinte dorée de la cuisson, ainsi que les petites tâches, représentant les fleurs. Quelques fleurs de vandela étaient posées, sans être centrées. Charlie avait ajouté des feuilles d’un arbre typiquement auramien, le nechê. Cette petite attention rappelait bien l’origine de la recette.

« En voyant la recette, j’ai trouvé que le miel n’était pas très présent, c’est pourquoi j’ai choisi cette combinaison », précisa l’artiste, gênée.

« Bonne idée !»

Aileen feuilleta les dessins sous le regard inquiet de son amie. Elle complimenta ses modèles favoris, et donna son opinion sur certains dilemmes préoccupant l’artiste. Lorsque la cocotte-minute sonna, Aileen se dirigea vers le four, accompagnée de Charlie, prête à l’aider. Les deux enfilèrent les gants, et sortirent les gâteaux. Ils étaient magnifiques, et Aileen en fut reconnaissante.

« Bon, je vais commencer à décorer celui qui a refroidi. Je pense qu’on a besoin de toi pour les commandes », informa Charlie.

« J’y vais! »

Aileen rejoignit Lloyd, qui faisait la même tâche qu’elle. L’heure transitait lentement de celle du déjeuner tardif à celle du dîner. Les marchands et voyageurs semblaient favoriser un départ matinal, ce qui résultait à la surcharge de l’auberge vers midi.

« Ah, enfin un peu d’aide! » s’écria Lloyd avec un sourire malicieux.

« Il fallait bien que je termine les gâteaux!»

« Hah, je vois. Je n’ai pas encore pris les commandes de ce côté, voudrais-tu qu'on se sépare le restaurant en deux? » offrit le serveur.

« Compte sur moi! » déclara la jeune fille en réponse, ajoutant un carnet de note aux poches de son tablier.

La jeune fille arbora un sourire, puis s’immergea encore une fois dans ses précédentes expériences de serveuse. Elle se renseigna légèrement sur le menu avant de se diriger vers les clients. À la première table, elle reconnut deux silhouettes, dont l’une secouait violemment une poignée de dés.

« Oh, la petite d’hier! Molly a fait de toi et tes amis ses toutous », s’exclama le premier en l’apercevant.

« Ha! Ça ne m’étonne pas d’elle! Cherche toujours des petites opportunités comme celles-là. Dis, elle t’a promis combien? » continua Gall.

Ils n’étaient vraiment pas possible, ceux-là. Aileen soupira, ce qui les fit rire. Le duo n’insista pas, car ils donnèrent leur commande.

« Déjà de l’alcool? »

« Ma petite, ton travail n’est pas de nous dire quoi faire », réprimanda Matt avant de retourner sur sa partie.

Elle haussa les épaules avant de partager la commande à Molly.

« Ah, ceux-là. Ils ne font vraiment rien de leur journée », se plaignit-elle en souriant.

Ils semblaient avoir une belle complicité, malgré ces chamailleries.

« Est-ce qu’ils vivent ici? » se questionna Aileen.

« Oh, non. Ils habitent à Auram, donc au bout du chemin. Ils viennent ici chaque jour pour jouer un peu, et ils restent tard. Ils passent vraiment tout leur temps ici », expliqua la femme.

Aileen continua un peu son travail, amassait les commandes, puis les emportait aux clients. Elle remarqua quelques voyageurs, un groupe organisé, beaucoup de marchands, semblant être des habitués, ainsi que des chauffeurs, attendant que leur véhicule se rechargent au caniveau d’énergie, dans le stationnement.

Certains commandèrent de son gâteau, et les habitués furent surpris de voir sa nouvelle apparence. Elle fut soulagée de savoir que ses gâteaux étaient identiques à ceux de Molly. Selon leurs dires, le goût était plus riche avec ce miel. Charlie serait heureuse de l’entendre.

Alors qu’elle apportait la facture à des acheteurs repus, qui la remercièrent chaleureusement, la jeune fille vit Kei descendre les escaliers. Il se dirigea vers le comptoir.

Aileen s’approcha dès que les nacl, la monnaie internationale, lui furent remis. Il toisait Hildegarde en fronçant les sourcils.

« Humph, vous avez bientôt terminé? J’aimerais partir, moi. les gens font vraiment tout pour une poignée de nacl », soupire le noble en quittant les lieux sous le regard dur d’Hildegarde.

« Il me tape sur les nerfs, celui-là. Il pense vraiment qu’on fait ça pour le plaisir, ou quoi? »

Aileen lui jeta un regard compatissant. Elle retourna travailler, et son amie fit de même. Molly, accompagnée de quelques-uns de ses camarades, préparait à vitesse fulgurante les plats, ne laissant aucun répit au duo de serveurs.

L’heure de pointe passa rapidement. C’était maintenant l’après-midi, selon une horloge au mur. Aileen s’épuisait à la tâche, mais continua. Elle fut tout de même soulagée de voir Molly l’interpeller d’un signe de main.

« Beau travail, les jeunes! Comme promis, je vais vous payer des vêtements. Le marchand est juste là », précisa la patronne, ravie.

Kei était assis à une table plus loin, avec Dahlia. Elizabeth était suprenamment derrière le comptoir, avec les autres, qui retirèrent leur tablier.

« Vous deux, venez! » cria Hugo à l’adresse des fainéants.

Molly salua l’homme, occupé à boire une tasse fumante de café. Il leva les yeux, signe qu’il l’avait remarqué, avant de poser sa tasse.

« Bonjour, chère Molly. Que puis-je donc faire pour vous? »

« Salut, Thierry. J’aimerais bien ton aide, mais il faudrait aller dehors, vois-tu? »

« Ah, bien sûr! C’est pour ces enfants? »

La patronne hocha de la tête, et le groupe se dirigea dehors. Ils contournèrent l’auberge pour se rendre vers une charrette. L’homme pénétra dans le compartiment à l'arrière, et Molly y poussa le premier venu, s’avérant être Killian.

Quelques minutes passèrent avant que Killian ne ressorte changé. Il avait un veston du même bleu que l’auberge : pâle, presque turquoise et juste assez saturé. Sous cela, il portait un polo blanc crème ainsi que des shorts bouffant de la même teinte. Pour terminer, il arborait des bas, montants jusqu’à ses pantalons. Killian semblait incertain de ces derniers, mais ne dit rien.

« Prochain! lança le marchand avant de voir les regards confus des clients. Vous n’allez pas à Auram? Allez! »

Lloyd fut le prochain, et ressortit avec un ensemble identique, à l’exception des couleurs, étant cette fois-ci rouge sang. Il avait l’air heureux d’enfin pouvoir enfiler quelque chose d’autre que son uniforme scolaire, qu’il gardait pourtant encore dans son sac.

Hugo, Frédérique eurent quelque chose d’un peu différent. Avec une chemise blanche boutonnée jusqu’en haut, ils avaient des pantalons, proches de capris, de la même couleur que le manteau qu’ils portaient. Ils avaient tous deux choisi le vert comme teinte principale.

Kei fut le prochain. Il sortit de l’abri avec un ensemble mauve, similairement coupé que les deux premiers. Cependant, son polo avait été troqué par une chemise, et il portait au cou une cravate blanche en tulle bouffante.

« Mauve, ce n’est pas plus cher? » demanda Molly, sceptique.

« Oui, c’est plus cher, mais ce jeune homme tenait à payer de sa propre poche pour avoir cette couleur », expliqua le marchand.

Dahlia se proposa comme prochaine, et ressortit rapidement avec une robe à corset bleu, coupe midi. Elle avait de courtes manches bouffantes, du même blanc que sa jupe. Il semblerait que la mode, à Auram, soit d’agencer le blanc-crème à une couleur plus vive et profonde

Elizabeth fut la plus rapide, sortant presque immédiatement avec un habit identique à celui des deux premiers clients, mais du même vert qu’Hugo et son ami.

La suivante fut Lilith. La période d’essayage fut de courte durée, et elle avait comme résultat une chemise agrémentée d’une lavallière rouge, et d’une longue jupe, par-dessus plusieurs couches de tissu.

Aileen souhaitait depuis un instant essayer ces somptueux vêtements, donc elle fut heureuse de passer immédiatement après Lilith. Dans la calèche, il y avait plusieurs caisses empilées, ainsi que quelques mannequins. Un miroir trônait dans un coin, ainsi qu’un rideau, pour les essayages improvisés. Des jupes si belles étaient empilés qu’Aileen se dit que de prendre un pantalon ne serait qu’un gachi. Elle parcoura ces merveilles, surveillée par le marchand. Lorsqu’elle toucha un tissu d’apparence rosée, le marchand s’exclama:

« Voilà, c’est ça! Je ne savais pas que j’en avais encore de cette couleur, mais je suis certain qu’elle irait bien avec ton teint. Va donc l’essayer derrière le rideau ! »

Aileen s’empresse d’enfiler la trouvaille. Elle débuta par une chemise légèrement bouffante au niveau des manches. Par la suite, la jeune fille devait enfiler une première couche de jupe, blanche et longue, avant d’en mettre une autre, pêche, en tulle, pour terminer avec la couche finale: une jupe en rectangle, découvrant les couches inférieures, agrémentée d’un corset, seulement à la hauteur de sa taille. Le tout avait une coupe midi, donc semblable à ce que Lilith portait.

Lorsqu’elle sortit de la cabine, le marchand fit le tour, pour réaliser que l’ensemble était à sa taille. Il lui donna des bas, montant jusqu'aux genoux. Elle sortit, le sourire jusqu’aux oreilles, et fut heureuse de voir ses amies approuver son choix.

Charlie semblait légèrement nerveuse, mais pénétra à son tour dans la calèche. Après un instant, elle pavanait avec une longue robe rouge, aux manches juliette, se terminant avec des boutons aux poignets. Elle avait un col roulé, et la jupe avait une coupe maxi.

Hildegarde fut la dernière à essayer des vêtements. Elle passa plus de temps que les autres dans la calèche, mais le résultat en valait la peine. Elle avait un corset, le même qu’Aileen, mais en brun, attaché avec des rubans jaunes. Ses manches étaient courtes et blanches, en ballon, et étaient reliées à un haut simple. Hildegarde avait une jupe tulipe à plusieurs épaisseurs, ainsi que deux coquilles, partie du corset, recouvrant ses hanches avec un cuir solide.

Molly paya pour ces vêtements, aidée par Kei. Le groupe se dirigea vers l’intérieur, où ils amassèrent leurs minces possessions.

« Allons-y, le retard ne nous sera que nocif », affirma Hildegarde en ouvrant la porte.

« Vous partez? » demanda la patronne, qui reçut quelques hochements de tête comme réponse.

« Oh, les petits partent? » questionna Gall avec un regard empreint de tristesse.

« Vous allez nous manquer », sanglota Matt de sa voix grave.

« Oh, reprenez-vous! » lança Molly, séchant discrètement une petite larme au coin de son œil.

Tous leur jetèrent un regard d’adieu avant de partir.

« Merci tellement », conclut Aileen en refermant la porte derrière elle.

« Bon, j’imagine que nous devons reprendre la route. Avec ces vêtements, on va sûrement plus se fondre dans la masse », déclara Hildegarde.

Ils débutèrent alors leur périple vers Auram, la cité du vent. Le trajet à pied serait long, mais peut-être qu’ils auraient la chance de pouvoir monter dans un chariot.

Après une dizaine de minutes de marche, Aileen était essoufflée. Elle n’était pas la seule, car sous toutes ces couches de vêtements, il n’y avait pas grand place pour respirer.

« Prenons une pause », souffla Kei en s'accoudant sur le garde-fou en pierre.

Personne ne contredit le noble. Aileen s’assit au sol, sur le trottoir. Elle souhaitait tellement pouvoir continuer en calèche.

« J’ai une question. Je comprends qu’on est ici car on a fuit les gardes, mais maintenant, qu’est-ce qu’on fait? » s’enquit alors Lilith.

Aileen n’avait pas pensé si loin. Elle avait été si absorbée par sa fuite qu’elle n’avait pas songé à autre chose.

« C’est vrai que cette organisation va certainement tenter de nous empêcher de divulguer ses activités. Peut-être souhaite-t-elle encore nous utiliser », présenta Frédérique.

« Quelqu’un aurait une solution à proposer? Nous ne pouvons pas fuir indéfiniment, comme le dit Frédérique », demanda Hildegarde, aussi sérieuse qu’à son habitude.

Aileen réfléchit. Il faudrait trouver un but. Elle y songea un peu avant de mettre le doigt sur un point crucial : Comment pourraient-ils retrouver une vie normale après cela? Devraient-ils tous changer d’identité et vivre dans une autre nation? Ou peut-être…

« J’ai une idée, intervient la jeune fille. Et si… Nous tentions de réparer Aeterna Fons? »