Novels2Search
Sur les cendres de l'Ancien Monde [French]
Chapitre 16 - Une nuit de songes et de douleurs

Chapitre 16 - Une nuit de songes et de douleurs

Aileen avait quitté le cœur de la mêlée depuis peu, et elle n'avait cessé de courir. Ses jambes étaient propulsées par une force qu’elle même ne connaissait pas avant l’incident. Celle du désespoir. Elle n’aurait jamais deviné être aussi facilement rejetée par ses camarades. Après tout ce qu'ils avaient vécu ensemble… La société était vraiment injuste.

Aileen se retenait de pleurer. C’était bien ce qu’ils voulaient, non?

La jeune fille courait sans but, entre les bâtiments, sur les ponts de cordes et les plateformes. Le paysage défilait aussi rapidement que le vent la fouettait en plein visage.

Elle ne comptait plus le temps qui s’était écoulé, mais l’adrénaline en vint à manquer à l'appel. Elle se laissa choir sur un banc, dans un endroit bien éloigné où elle serait certaine d’être en paix.

À ce moment, toutes les larmes de son corps commencèrent à affluer. Elles ruisselaient sur ses joues avant de se loger entre les craques du pavé, qu’elles observaient de son regard embué. La jeune fille était revenue à la case départ, seule, dans un monde qui n’était le sien. Son secret aurait dû le rester.

Si seulement elle n’avait pas accepté la baguette-tricotin. Si seulement elle avait fait comme la dernière fois, où elle avait vaillamment combattu par la force brute. Si seulement les autres comprenaient. Si seulement elle n’avait pas ouvert la bouche pour dire ces mots, signant son arrêt de mort. Si seulement ils ne pensaient pas ainsi. Si seulement elle leur avait dit plus tôt… Alors peut-être qu’elle serait encore avec eux, à tenter de percer le mystère de cette fabuleuse nation.

Tout cela la ravageait. Son corps était vidé de ses larmes, qui cessaient peu à peu de s’échapper de ses yeux.

Elle se coucha de tout son long sur la banquette froide, solide, autant que le cœur de Dahlia. Oh, Dahlia. C’était peut-être de sa faute à elle. Les autres ne semblaient pas aussi choqués, lorsqu’elle avait confessé ses arcanes. Était-ce, en conclusion, si grave pour que la cuisinière la renie? Ou n’avaient-elles jamais été proches…

Aileen était furieuse. Pourquoi le monde voyait-elle et ses semblables ainsi? Ses parents l'avaient pourtant prévenue, elle aurait dû les écouter. Les marginaux étaient toujours laissés à part. Ceux qui étaient si semblables, pourtant si différents. Pourquoi ne pouvaient-ils pas accepter que quelqu’un ait une once de singularité?

Tout cela n’était sûrement que de la faute de la société, au final. Ce n’était pas de la faute de Dahlia qu’elle ait des idées préconçues. C’était de la faute de tout le monde. Tous avaient contribué à cette ère injuste. N’était-ce pas justement ce que voulait éviter Isaroth? Ces inégalités, ces injustices? Pourtant, Aileen n’était pas en colère au point où elle voulait détruire le monde entier. Il ne le méritait pas. En y pensant, ce monde abritait tant de merveilles qu’elles surpassaient ces problèmes. La société avait autant de torts que de bien, mais Aileen savait que la perfection n’existait réellement. Si la société n’était à blâmer… alors qui?

Le temps s’écoula lentement. Aileen s’endormit sur son lit de larmes, de tristesse, et surtout de rage, vers un monde de légèreté et d’insouciance, contrastant flagramment avec sa réalité.

***

La jeune fille se réveilla en sursaut. Elle se recroquevilla en grelottant. Elle était gelée jusqu’aux os, dans cette nuit lourde, humide, au froid pénétrant. C’était la nuit, oui. Cela devait faire plusieurs heures qu’elle attendait, seule, ici. Qu’elle attendait quoi? Bonne question. Au fond, même si elle refusait de l’accepter, elle espérait être retrouvée. Aileen voulait tant que ses amis la trouvent ici, un sourire aux lèvres, une épaisse couverture aux mains. Qu’ils s’excusent, qu’ils pardonnent. Que cette « trahison » soit enfouie. Que tout serait oublié et que leur périple pourrait reprendre, comme si de rien n’était. Cependant, son orgueil la forçait à attendre que les autres fassent le premier pas, et elle doutait fortement que cela arrive. Ils lui en voulaient certainement, surtout après avoir ruminé dans leur coin. Après lui avoir accordé leur confiance, maintenant brisée, détruite, écrasée, guère respectée. Tout cela pour un petit mensonge inoffensif.

Ou peut-être qu’il ne l’était pas.

Aileen sortit de l’espace couvert afin de pouvoir avoir une vue d’ensemble sur la ville, ce lieu l’ayant si bien accueillie pour pouvoir la trahir encore plus. Les lucioles avaient finalement sorti le bout de leur nez, et peuplaient d’espoir le ciel de la société l’ayant abandonnée.

Elle soupira avant de s’étaler sur le rebord, les pieds pendant dans le vide, faisant un mouvement de va-et-vient. Devant elle, les étoiles s'étalaient comme du sel dans un plat. Chacune brillait un peu plus que sa voisine. Les nuages avaient totalement quitté ces cieux, laissant toute la place au spectacle. Les astres nocturnes étaient bien hauts, illuminant le ciel de leurs lueurs particulières, dansant avec leurs amies, les étoiles. Ce mariage doux de bleu et de rouge donnait une magnifique teinte lilas. Le satellite bleu se faisait appeler Libae, tandis que le magenta, un peu plus à l'arrière, se nommait Aos. Parfois, elles entraient en éclipse, ce qui voulait dire que Libae passait devant Aos. Selon les dires d’une légende, ces astres étaient la réincarnation de deux amoureuses, injustement séparées, mais réunies dans la voûte céleste grâce aux efforts de la bleue. L’éclipse représentait cette triste séparation, ainsi que les efforts de l’astre cyan pour retrouver sa bien-aimée. Elles s’étaient réconciliées si gracieusement…

Peut-être qu’elle aussi, devrait tenter de retrouver les autres. Mais en avait-elle même la force? Le court somme l’avait laissée non pas dévastée, comme tout à l’heure, mais indifférente. Elle n’avait plus très envie de pleurer ici, ni d’y retourner. Aileen se releva pour regarder l’horizon, vers lequel elle tendit son bras, comme pour tenter d’attraper un futur qui ne serait peut-être même pas le sien. D’un soupir, elle ferma les yeux, et la solitude l'envahit encore une fois, telle une aiguille dans son cœur s'enfonçant plus profondément à chaque instant.

Lorsqu’elle les rouvrit, une luciole volait aux alentours. Cette luciole ne produisait aucune lumière. Elle vint se poser sur le dos de la main de la jeune fille, qui l’observa se promener un peu.

« Toi aussi, on doit te détester pour ce que tu n’es pas, car tu ne l’es pas », murmura-t-elle à son intention.

Aileen l’observa encore un peu. La luciole battit un peu des ailes avant de s’envoler. Sa lueur éclaira Aileen, qui fut surprise. Finalement, cette petite bestiole était normale. Elle s’enfuit, rejoignant le nuage de ses congénères pour éclairer vaillamment la nation. À la fin, même la luciole ne voulait pas d’elle.

« Je crois que je devrais revenir », chuchota la jeune fille.

Elle se questionna par où passer, car Dahlia, son ascenseur pour la montée, était absente. Des paroles lui revinrent en tête. Celles du réceptionniste, leur indiquant que ces petites lucioles pouvaient les transporter. Elle devait vraiment se jeter dans le vide?

Aileen respira un bon coup. Elle était effrayée, comme si elle ne pouvait pas même faire confiance à ces petites bêtes. La jeune fille ferma les yeux, et s’élança vers ces bestioles.

This tale has been unlawfully lifted without the author's consent. Report any appearances on Amazon.

Les bâtiments filaient rapidement à ses côtés. La sol se rapprochait dangereusement. Allait-elle vraiment s’écraser, comme cela?

Soudainement, quelque chose amortit la tombée. Les lucioles faisaient donc leur travail. La tricoteuse observa ses alentours. Elle avait l’impression de voler, comme un oiseau, ou plutôt comme une plume, légère et libre. Aileen pouffa, avant de se lâcher. Elle éclata de rire en parcourant la ville, évitant les immeubles flottants. Elle volait!

La tricoteuse s’était naturellement adaptée à ses amis ailés. Elle progressait aisément entre les bâtiments, jusqu’à atteindre la plateforme menant aux dortoirs. Dès qu’elle posa le pied au sol, ses petites amies la quittèrent.

« Merci », murmura-t-elle, d’un sourire.

Aileen détourna son attention vers les dortoirs aux lumières allumées, son sourire disparaissant. Elle s’approcha de l’entrée, mais hésita au dernier moment. Dahlia devait leur avoir dit ce qui était arrivé. La connaissant, elle devait avoir exagéré un peu. Le stress monta rapidement. Et s’ils la rejetaient? Non, elle ne devrait pas voir les choses ainsi. Peut-être qu’ils l’accepteraient comme elle est, et que Dahlia la pardonnerait de lui avoir mentit. Aileen en doutait, mais elle ne pouvait pas repousser éternellement le moment. Elle ouvrit d’un élan de panique la porte, mais regretta dès avant même qu’elle s’ouvre entièrement.

Elle vit un éclair, et Dahlia était déjà sur elle. Son regard était menaçant. Les autres semblaient étonnés de la revoir. Ce n’était pas comme si elle était morte.

« Toi… Qu’est-ce que tu fais ici? Tu nous a menti », accusa la cuisinière.

Aileen détourna le regard, la culpabilité l'attaquant à la gorge.

« C’est faux, hein? Dis moi que c’était un mensonge », ordonna désespérément Hugo.

« Je… non. Désolée », avoua-t-elle, baissant la tête.

Il détourna le regard, déçu. La fureur dans certains yeux s’alimentait par cette déclaration.

« Pourquoi tu nous as fait ça? » demanda Lloyd, confus.

« Tu ne vaux rien! » continua Dahlia.

« Vous y allez un peu fort… » marmona Hildegarde, incertaine d’agir.

Ses intentions furent cependant noyées dans les autres remarques, de ceux qu’elle croyait être ses amis. Certains restaient sans rien faire, mais leur indifférence lui fit autant mal. Aileen regardait encore le sol, d’un regard vide. À chaque parole prononcée, son cœur se fendait un peu plus. Elle ferma les yeux pour fuir cet instant.

« Arrêtez… » tenta Charlie.

Personne ne l’écouta, et continuèrent à assaillir Aileen de questions et de reproches. Du moins, personne sauf Aileen. Elle savait maintenant qu’elle n’était pas seule. Ce fut comme si l’astre du jour se dévoilait enfin après des semaines et des semaines de tempêtes. C’est alors qu’elle réalisa qu’elle avait le pouvoir de répliquer, que ce soit juste avec des mots, ça ne changeait rien, mais elle pouvait le faire.

« Ne me parlez pas ainsi », ordonna-t-elle froidement.

Personne ne l’écouta. Cela n’eut rien de positif, comme effet. Au contraire, ça eut l’effet d’une provocation.

« Je n’ai pas choisi d’être comme cela! Ne parlez pas de moi ainsi sans même savoir mon histoire, la comprendre », poussa la jeune fille.

« Tu aurais au moins pu nous dire la vérité. Imagine ce que J’AI ressenti. Ce qu’ON a ressenti! » riposta Dahlia, à bout.

« Imaginez ce que j’ai ressenti… » murmura froidement Aileen.

La cuisinière déglutit. Elle laissa la place à sa camarade, ou son ex-camarade, peu importe, de s’expliquer.

« Imaginez juste un instant, pesta-t-elle en mâchant bien ses mots, de sa voix tremblante. Imaginez juste un instant être né inférieur tous les autres. Personne ne vous égale car tous vous surpasse. Mais ça, vous ne le savez pas. Oh non, parce que vous n’avez vu personne. Personne d’autre que vos parents. Et rien d’autre que votre maison. Qu’après toute votre vie cloîtrée, vous en avez assez. Vous vous faites enfin des amis, vivez votre vie de rêve, quoi qu’un peu dans la crainte, et d’un coup, tout le monde apprend votre nature. Et vous rejette. Tout cela juste parce que vous êtes né différent! »

L’attention était rivée vers Aileen. Personne n’osait dire un mot, tandis que la fille respirait bruyamment, dans sa rage.

« La société est injuste. Je suis certaine que vous le savez. Mais ce n’est pas une raison d’attaquer les autres », lança-t-elle, de manière un peu plus clémente.

« Laissez-moi au moins une chance. Je n’ai pas choisi, et vous non plus », conclut désespérément Aileen.

Dahlia déglutit, honteuse. Les autres ressentaient cette même gêne.

« Désolée… » fit Dahlia d’une voix aiguë.

« Oui, on a exagéré »

« Excuse-nous, s’il te plait. On ne savait pas…»

« Désolé »

« Je m’excuse »

Tous ceux l’ayant blessée s’était excusé. Elle se sentait soulagée. Dahlia se jeta sur elle, encore une fois, mais plutôt pour l’embrasser de ses bras. L’étreinte dura un instant.

« J’y pense, on ne t'a toujours pas montré nos trouvailles! » s’exclama-t-elle en la traînant joyeusement vers la table.

« Je pense que je vais dormir un peu avant…»

« Oh, allez! Ce ne sera pas long! »

Dahlia ouvrit la malle, et ses collègues les rejoignirent. Ils guettaient la réaction d’Aileen face à la nouvelle.

« Des… cendres? »

Aileen regarda Dahlia d’un air confus, qui se mit à rire.

« Ha, désolée! L’artéfact est une carte, et demain, Charlie va la dessiner. Et oui, c'est des cendres. Mais pas n’importe lesquelles! » dit fièrement la cuisinière.

Aileen tourna son attention vers les cendres, se demandant d’où elles venaient, et pourquoi ses amis tenaient à les lui montrer.

« C’est l’artéfact! » lança Frédérique, divulguant le moment.

« Quoi?! s’écria Aileen. Il a brûlé? »

La jeune fille, curieuse et confuse, plongea les mains dans l’amas, comme si elle cherchait parmi ces braises le véritable artéfact, ou comme si elle allait déceler la farce.

Lorsqu’elle rentra en contact avec ces dernières, elle ressentit leur pouvoir dans tout son corps, ou point où elle recula. Aileen sentait encore le frisson qui l’avait parcourue lorsqu’elle les avait touchées.

« Oui, elles sont puissantes! Même toi, tu les sens! » déclara Hugo.

Aileen comprit alors que ces informations étaient réelles. Devant elle se tenait bel et bien l’artefact d’Auram, où du moins ce qu’il en restait. Qu’allaient-ils pouvoir bien faire maintenant que l’objet de ces efforts était réduit à un tas de poussière?

« C’est pour cela qu’on va dessiner la carte. On aura à la fois son pouvoir, expliqua à nouveau Dahlia en désignant la malle, et son… usage, j’imagine!»

La tricoteuse comprenait enfin leur plan. Ils réquisitionneraient l’aide de Charlie pour reconstituer la carte, ou ce à quoi elle ressemblait.

« Merci, je comprends mieux. Il n’y a déjà plus de nuages, mais c’est la nuit, et j’aimerais dormir dans un lit », termina Aileen en s’éloignant.

« D’accord, repose-toi bien! » s’exclama la cuisinière en baillant.

Finalement, tout s'était bien passé. Il ne restait maintenant qu’à leur artiste d’agir. Demain, Charlie grimperait sur les toits les plus hauts pour faire ce dans quoi elle excellait. Aileen sombra dans un sommeil peuplé de rêves, pourtant réparateur.

Son esprit lui montrait ses scènes épiques où Charlie dessinait en quelque traits la ville, le vent dans les cheveux, le regard déterminé. Elle ne pouvait pourtant s'imaginer de quoi de plus loin de la réalité que cela.