Cela faisait deux jours qu'il cherchait son fils dans la grotte, deux jours que, toutes les nuits, il sortait du village immédiatement après avoir vaincu la tempête. Un Miktsoane pouvait voir des choses imperceptibles pour les autres, surtout lui qui était particulièrement compétent dans l'interprétation de la destinée céleste. Hier, les étoiles lui avaient enfin donné une information rassurante : son fils était vivant.

Mais après avoir fini de passer au peigne fin les trois premiers étages de la grotte à l'aide de son sonar, le sixième sens propre au Miktsoane qui permettait de scanner son entourage, il n'avait obtenu aucun indice. Comprenant qu'il était dans une impasse, il ne lui restait plus qu'une option : demander de l'aide au Miktsoane de cette grotte, et la seule pensée de devoir le faire le dégoûtait.

Il connaissait personnellement cet Esprit qui, sous ses airs de sagesse et de détachement des affaires du monde physique, cachait un ego surdimensionné. Il savait que celui-ci allait lui demander un prix ridiculement haut pour son aide, mais cela serait, après tout, le prix à payer pour son erreur.

Il projeta une aura de paix autour de lui, afin de faire savoir ses intentions, puis il sauta dans le ravin.

***

Esh, de son côté, était réveillé et faisait le point avec Nééman autour d'un feu de camp. Le chasseur était resté très évasif sur ce que l'Esprit entendait par les « choses que le village cachait à ses habitants », lui répétant que ces choses-là lui seraient révélées en temps et en heure. Il l'avait aussi informé, à son grand soulagement, que Namer était encore vivant et récupérait dans la dimension des Esprits, mais que guérir lui prendrait du temps, beaucoup de temps.

̶ Mon garçon, il reste une chose que tu dois savoir... Le ton du géant était hésitant, comme s'il ne savait pas comment lui annoncer la nouvelle.

̶ Tu sais déjà, qu'au sein du village, le ratio de personnes pouvant cultiver jusqu'au niveau de Moumré est de seulement 1/100, et que dans la plupart des grandes villes où règnent la pauvreté et le manque de répartition égalitaire des ressources, il n'est même pas de 1/1000...

Esh hocha de la tête, sans être sûr de comprendre ou le géant voulait en venir.

̶ Eh bien, tu sais également que seulement 1/100 des Moumrés cultive les deux facettes, et cela, pour deux raisons. La première, c'est qu'il est extrêmement difficile de cultiver simultanément les deux facettes. D'ailleurs, la seule personne encore en vie au village qui est dans ce cas est le chef bâtisseur. Le deuxième problème est que, même s'il est extrêmement difficile de cultiver les deux facettes, il est virtuellement impossible pour un humain de réussir à le faire pour franchir les barrières du chemin séparant un Aspirant d'un Moumré, ou un Moumré d'un Miktsoane.

̶ Les Aspirants ? demanda Esh, perplexe.

̶ Ce sont ceux qui, comme toi, se sont engagés sur le Chemin, mais n'ont pas franchi la première étape vers l'immortalité, celle des Moumrés, expliqua-t-il.

La nouvelle donna à Esh le sentiment de tomber dans un lac gelé. Il savait qu'il n'avait quasiment aucune chance de devenir Miktsoane. Après tout, seulement 1/10 000 des villageois y parvenait, mais savoir qu'il n'avait aucune chance d'y arriver lui détruisit le peu d'espoir qui lui restait d'atteindre le même niveau d'existence que son paternel. Pire encore, même la certitude de devenir Moumré s'était envolée, alors que, grâce à son talent et aux ressources de sa famille, il était auparavant quasiment garanti d'y parvenir.

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̶ Ne puis-je pas me défaire de l'une des deux facettes ? demanda-t-il avec espoir.

̶ C'est possible, mais pour cela, il va te falloir surpasser la créature dont tu as consommé la source physique ou spirituelle, et donc, dans ton cas...

̶ Je devrais surpasser Pisga qui a achevé son second Pas, autrement dit, devenir Miktsoane..., compléta Esh, la mine sombre.

Grâce au souvenir absorbé, il savait que Pisga venait d'une lignée aux talents défiant toute logique, où chaque descendant direct de la famille royale avait presque une chance sur quatre de parvenir à devenir un Miktsoane.

Des espèces de la sorte n'étaient pas extrêmement rares, mais heureusement, elles avaient toutes des taux de natalité très bas, sans quoi l'une d'elles aurait forcément pris le contrôle de l'entièreté du système planétaire.

Il devait faire face à la réalité : dépasser les accomplissements d'un membre d'une telle espèce serait difficile, pour ne pas dire carrément impossible.

Voyant la mine déconfite du garçon, Nééman essaya de l'encourager :

̶ Pas nécessairement. Le titre de Moumré ayant franchi le deuxième Pas est assez vague. Il est possible que tu puisses surpasser le niveau du lion sans avoir à entamer le troisième Pas. Et puis, même si tu n'arrives pas à devenir un Moumré, tu seras quand même plus puissant que 99 % des autres Aspirants, s'empressa d'ajouter le chasseur en voyant qu'Esh n'était pas du tout rassuré.

̶ Quand les scouts envoyés par l'Esprit reviendront-ils ? J'ai hâte de revenir au village, demanda Esh, désireux de changer de sujet.

̶ Il est vrai que ça commence à être long, ils auraient déjà dû rentrer à l'heure qu'il est. J'espère qu'il ne leur est rien arrivé, sans quoi la colère de l'Esprit pourrait se tourner vers nous. Après tout, il n'est pas rare, pour des espèces différentes, de faire des amalgames entre elles, s'inquiéta le chasseur.

Tout à coup, une explosion assourdissante retentit, suivie d'une voix que trop familière.

̶ Tu m'aideras à retrouver mon fils ! De plein gré ou sous la contrainte, mais tu m'aideras !

̶ Yashar ! Tu es toujours aussi déraisonnable ! Je t'ai seulement demandé la moitié des ressources du village en échange de mon aide !

̶ Comme si l'Ancêtre allait accepter une telle demande ! répliqua le Grand Prêtre avant qu'une autre explosion se fasse entendre.

̶ Ton père n'a jamais su garder son sang-froid plus de deux minutes devant quelqu'un qui lui refuse quelque chose, dit Nééman en soupirant avec un sourire mi-figue mi-raisin, après être sorti de la tente. Yashar, nous sommes ici ! cria le chasseur de la voix la plus puissante dont il était capable.

Immédiatement, les traits de Yashar passèrent de l'énervement à la fureur, et les explosions redoublèrent d'intensité :

̶ C'est toi qui les as kidnappés, et en plus, tu voulais que je paye pour les récupérer !

Nééman regarda les deux se battre un moment, avant de soupirer et de retourner dans la tente en s'allongeant sur son lit, puis déclara calmement en fermant les yeux :

̶ Bon, je crois que nous pouvons nous permettre une sieste le temps que ton père se calme.

Esh eut un sourire qui n'en était pas un...

Comme s'il était possible de dormir avec un tel boucan ! Mais bon, au moins ça fait du bien de voir la colère de mon père tournée vers quelqu'un d'autre, pour une fois.

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