Guéa avait emporté une partie de l'enfance d'Evelle avec elle en quittant le village. Une enfance n'ayant de toute manière plus aucune place dans le nid de vipères qu'était sa secte, où le danger arrivait plus souvent par derrière que de front. Une description peinant à faire justice à la sournoiserie y régnant.
Elle n'avait donc dû s'adapter à son nouvel environnement, abandonnant toute compassion pour autres que ses proches. Même les « amis » qu'elle avait là-bas étaient loin d'être fiables ; jouant le rôle de tremplin pour avancer plus loin sur le Chemin.
Néanmoins, elle ne s'était jamais résolue à totalement abandonner sa nature profonde et ce même dans l'obscurité de son quotidien, conservant une balise lui permettant de ne pas se perdre définitivement. Une balise se trouvant à l'endroit lui étant le plus cher : son village.
C'était la maison de sa famille, de ses vrais amis, de ses anciens professeurs. C'était dans les yeux de ses proches qu'elle pouvait voir la personne qu'elle était jadis. Cette balise se trouvait au seul endroit où elle pouvait abaisser ses défenses pour retrouver ses fondations, qu'elle comptait bien reprendre à la fin des deux ans, cinq mois, onze jours et neuf heures la séparant de la fin de sa période dans la secte.
Une partie de cette balise venait néanmoins de se brisée, s'évaporant pour ne jamais revenir, comme sa sœur. Il fut un temps où Guéa était tout pour elle. C'était elle qui lui avait appris à lire, coudre, cuisiner, mais aussi à se battre pour résister aux autres enfants la harcelant régulièrement. Elle lui avait également appris à aimer son frère pour qui, plus petite, elle n'avait, au départ éprouvé que jalousie. Après tout, du haut de ses trois ans, il avait été difficile de ne pas ressentir de la jalousie pour ce petit être pleurnichard lui ayant volé sa place de cadette. Pire, il monopolisait constamment le peu d'attention que leur mère daignait encore leur accorder.
C'était Guéa qui lui avait fait comprendre que la jalouse était naturelle, ayant elle-même ressenti la même chose à sa naissance, et qu'au final elle apprendrait à aimer son petit frère.
Mais, tout cela n'avait plus sa place dans le présent. Les heureux souvenirs partagés avec sa sœur avaient perdu leur place dans son cœur. Seul demeurait un sentiment d'abandon.
Comment a-t-elle osé ? Après avoir vécu la même chose avec mère...
À cette pensée, elle ne put continuer à réprimer sa colère, qui se matérialisa dans son poing pour frapper l'arbre le plus proche, le réduisant en charpie emportée par le gré du vent, comme s'il n'avait jamais existé.
Comme ma « chère » sœur, pensa-t-elle pleine de rancœur.
Elle s'avançait de plus en plus profondément dans la forêt entourant la zone des six villages, là où la formation de chaleur n'avait plus aucun effet, laissant place à un sol de glace et de neige ne fois les bandits défaits, un frisson la parcourut.
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Parmi les frêles arbres recouverts de neige et les bourrasques de vent glacial, elle s'efforça de se calmer. La réunion à laquelle elle se rendait était d'importance capitale, exigeant qu'elle soit en pleine maîtrise de ses capacités. Elle fit un court exercice de respiration.
Chaque souffle expulsé de ses poumons gelait immédiatement à la sortie de sa bouche, mais sa cultivation était désormais assez développée pour ne ressentir qu'une légère sensation de froid grâce à un microclimat qu'elle créait autour d'elle avec le concept de chaleur. Chaque respiration l'emmenait plus proche de l'Équilibre, un Équilibre ressenti différemment par chacun, qui dans son cas était tel des sentiments contraires se mettant au même niveau jusqu'à s'annuler, lui donnant l'impression d'atteindre une sagesse normalement incompatible avec la nature humaine.
De nouveau maître d'elle-même, elle continua sa route jusqu'à croiser huit silhouettes formant un cercle dans la nuit sombre du solstice d'hiver.
Seulement six mois s'étaient écoulés depuis leur séparation, pourtant certains d'entre eux étaient devenus méconnaissables. Son cœur qu'elle pensait d'acier faillit laisser échapper une larme en voyant l'état d'Alone, l'un des membres clefs de son équipe de patrouille de l'année dernière : celui-ci avait subi une blessure immonde à son visage devenu difforme et couvert de cicatrices serpentines.
Du venin de serpent des sables, comprit-elle, tout en signant mentalement l'arrêt de mort de la personne ayant infligé cela à son ami.
Ce venin était l'un des rares poisons capables d'infliger des dégâts physiques irréparables, même avec l'aide des médicaments spirituels les plus puissants. C'était un liquide vicieux, ne tuant que rarement ses victimes. Il était davantage utilisé pour humilier l'ennemi plutôt que de s'en débarrasser.
Alone avait beau être le seul affichant de telles blessures, les autres avaient tout de même changés. Meshiha et Yafa étaient voilés de la tête aux pieds, tandis que Shamene n'avait plus rien du gros garçon exubérant qu'il était autrefois : musclé, il affichait un regard sérieux marqué par des cernes, sûrement dues aux nuits d'efforts fournies pour atteindre un tel niveau physique.
Quant aux autres, ils affichaient tous un air bien plus mature suite aux épreuves subies. Seul Shalev le fils du baptiseur, restait égal à lui-même. Et pour cause ! Malgré son talent bien au-dessus de la moyenne, il avait fait le choix de ne pas intégrer une secte. Son père, lui-même traumatisé par sa période au sein de l'une d'elles ne s'y était pas opposé.
Alors qu'Evelle avait espéré des retrouvailles chaleureuses, il n'en était rien : chacun était trop préoccupé à imaginer les supplices que les autres avaient subis pour prendre la parole, et les maigres tentatives de plaisanteries de Shalev n'eurent aucun effet.
Naé, auparavant le bras droit de Yafa au sein de leur équipe de patrouille, arriva, complétant ainsi le cercle des dix personnes attendues. Auparavant doté de longs cheveux blonds, il avait désormais le crâne rasé, sûrement l'une des exigences de la secte des moines émeraude qu'il avait intégrée.
̶ Commençons la réunion, déclara Evelle, chassant d'une voix calme le silence pesant s'étant ramenée sans invitation à leurs retrouvailles.
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