Un rugissement retentit. La cérémonie était sur le point de commencer, et il était temps pour lui de faire son entrée. Il se mit à la place qui lui revenait de droit : celle à la droite de son père, celle où il siégeait depuis sa naissance. Celui-ci ne lui accorda, malheureusement, même pas un regard. Leur argument au sujet de la cultivation des deux facettes était encore récent, et la plaie qu'il avait causée dans leur relation était loin d'avoir cicatrisé.

Le jour où je franchirai l'obstacle de la fusion de mon noyau et de mon physique, tout sera pardonné, se dit-il, sans pouvoir, néanmoins, s'empêcher d'éprouver du souci en voyant les rides qui s'étaient ancrées sous les yeux du roi.

La cérémonie était sur le point de s'achever, mais alors que tous les officiels eurent fini de présenter leurs respects au roi et à la reine, et s'apprêtaient à passer au banquet, il fit un pas en avant pour prendre la parole :

̶ Un instant ! J'ai une annonce à faire.

Il lut la surprise dans les yeux des animaux présents dans la salle, rarement habitués à le voir prendre la parole en public, mais n'y prêta pas attention. Il se plaça au milieu de la cour royale, en faisant face à ses parents :

̶ Pendant la période où j'ai dirigé notre armée contre les fourmis de glace, j'ai eu l'occasion de connaître bien des braves, mais une personne a particulièrement retenu mon attention. Malgré toutes les difficultés et tous les dangers auxquels elle a dû faire face, elle est parvenue à tous les surmonter avec une bravoure inégalée, n'éprouvant aucune peur face à l'ennemi. Le sang qu'elle a versé durant cette campagne est devenu, à mes yeux, un bijou d'une grande valeur, et son orfèvre d'autant plus. Cette personne n'est autre que la générale Akrava.

Après l'avoir scruté droit dans les yeux, sa mère acquiesça d'un signe de tête, approuvant son choix. C'était le signal qu'il espérait. Il fit donc face à la principale concernée, qui soutenait son regard sans baisser la tête ni même cligner des yeux, ne révélant au passage aucune émotion :

̶ Akrava, accepte de devenir ma compagne, la princesse héritière.

« ROOOAR »

Avant même qu'Akrava eût l'occasion de répondre, un rugissement se fit entendre de l'autre côté de la salle.

̶ Il n'en sera rien, Akrava est mienne !

Les yeux de Pisga virèrent au rouge. Qui osait le défier à un moment aussi important ?! Il se retourna et vit que le protestataire n'était autre que son cousin Kassin, qui paraissait aussi outragé que lui, comme en témoignaient ses yeux tout aussi rouges et la position d'attaque dans laquelle il s'était mis :

̶ Pisga ! Moi et Akrava sommes promis l'un à l'autre depuis notre plus tendre enfance ! T'abaisserais-tu à voler la promise d'un autre ?! s'indigna son cousin.

Il fut momentanément pris de court. De toute évidence, son cousin tenait énormément à la lionne et, pire encore, se trouvait dans son droit. Il se retourna vers Akrava, mais fut rassuré de ne lire aucune réaction sur son visage, toujours aussi inexpressif que d'habitude. De toute évidence, les sentiments qu'éprouvait Kassin envers elle étaient loin d'être réciproques. En bon militaire, elle attendait de voir le développement de la situation afin de savoir où frapper.

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Mais alors que la tension entre les deux prétendants s'intensifiait, au point où ils semblaient prêts à se battre au milieu de la cour royale, sans même se préoccuper des conséquences...

̶ Assez !

Le roi immobilisa les deux prétendants d'une simple pression d'énergie, et déclara, après que le calme eut regagné la cour :

̶ Nos lois sont claires à ce sujet. Si l'un des deux promis est d'accord, un duel de sang aura lieu entre les prétendants. Le vainqueur y gagnera honneur et gain de cause, ainsi que la vie du perdant.

À sa surprise, son cousin accepta aussitôt, et son père décida que le duel aurait lieu à la prochaine fonte des glaces. Il attendit que le reste de la cour se retire, puis, quand seul son père et lui résidaient encore dans la salle, il ne fut plus capable de retenir son insatisfaction :

̶ Pourquoi avoir déterminé une date si lointaine pour le duel ? questionna-t-il son père, sans même se soucier des protocoles de politesse.

̶ Pisga, ta vie d'ermite t'a vraiment privé des connaissances les plus basiques sur la situation actuelle au sein de la cour royale, et pire encore, au sein même de notre famille..., soupira son père. Kassin a beau être de cinq ans ton cadet, sans même faire partie de la lignée directe, il a achevé son second Pas sur le Chemin, et maîtrise trois éléments, dont deux ont fusionné. Son talent est tel qu'il n'est pas impossible pour lui de devenir Miktsoane dans les dix prochaines années.

Il fut sidéré. Son cousin était plus jeune que lui, mais était pourtant plus avancé sur le Chemin que lui, le prince héritier et Moumré supérieur :

̶ C'est seulement que, contrairement à moi, il ne cultive qu'une facette et...

̶ Alors, arrête ! Renonce à ces délires de grandeur, et deviens ce que tu devrais être ! Tu fais partie de la lignée royale directe, et possèdes un talent encore plus grand que lui ! Tu as toute tes chances de devenir un Miktsoane ! le coupa son père, qui donnait enfin cours à la colère refoulée envers son fils depuis les derniers mois.

̶ Père, les étoiles m'ont appelé Pisga pour que je puisse franchir le plus haut des sommets, et y amener notre peuple. Pourquoi me demandez-vous de limiter mon potentiel ?! protesta-t-il, se sentant incompris de son père.

Celui-ci le toisa d'un air sombre :

̶ Si j'ai placé le duel à un intervalle si distant, c'est pour te laisser le choix. Renonce à cultiver les doubles facettes ; avec toute l'expérience que tu as accumulée, je suis sûr que tu pourras également achever le second Pas... ou alors, continue sur ta voie, et perds la femelle que tu désires, l'honneur de la lignée royale directe, et ta vie.

Il ne put s'empêcher de froncer les sourcils. Allait-il vraiment devoir faire un choix entre...

̶ Réveille-toi, tu vas être en retard en cours !

Ouf... Esh se réveilla en sursaut, le souffle coupé. Il ne tarda pas bien longtemps à en trouver la cause, qui se nommait Evelle, et avait les genoux contre son ventre après lui avoir bondi dessus.

̶ Tu as fait un mauvais rêve ? lui demanda sa sœur, en voyant l'expression perplexe que faisait son cadet, qu'elle devinait ne pas être seulement due au réveil brusque qu'il venait de subir.

Il garda un moment le silence, tout en réfléchissant à ce qu'il venait de voir, ne sachant que faire des informations qu'il venait d'acquérir sur le défunt Pisga. Après avoir pris quelques secondes pour se ressaisir, il toisa Evelle droit dans les yeux :

̶ Quelle est la différence entre une femme et une compagne ?

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