Au moment où il entra dans la forge des Toshiya, alors que le soleil commençait à peine à se lever, conférant au ciel un rose timide, Esh eut besoin de se pincer pour s’assurer qu’il n’était plus dans son lit en train de rêver.
Qualifier la forge d’énorme aurait été un euphémisme. La fonte était aussi haute qu’une tour de quatre étages, et le marteau et l’enclume faisaient la taille d’une maison, donnant le sentiment, à quiconque se trouvant à côté, d’être minuscule.
L’adolescent ne put s’empêcher de se demander comment une personne pouvait manier des outils si gigantesques. Mais la réponse ne tarda pas à sortir d’une porte toute aussi immense qu’elle : un forgeron, n’ayant absolument rien à voir avec celui de son propre village, fit son entrée.
C’était l’Aher le plus impressionnant qu’Esh ait vu depuis son arrivée à Ithak, mesurant plus de six mètres et doté de quatre bras. Sa peau rouge était complètement glabre, à l’exception d’une impressionnante barbe tressée et ornée de métal jaune et bleu. Si l’Aspirant devait le décrire en un mot, ce serait « impressionnant ». En voyant l’air ébahi de l’adolescent, le forgeron ne put que s’en amuser :
̶ Eh bien, petit, ne me dis pas que c’est la première fois que tu vois un Anak ?! demanda-t-il d’une voix amicale et douce, contrastant fortement avec son aspect.
̶ Je, heuu… À vrai dire si, parvint-il à articuler, une fois remis du choc.
̶ Hahah ! Eh bien tu as d'la chance que je sois le premier sur qui tu tombes. La plupart de mes congénères s’énerv’rait d’être dévisagés ainsi. Mon espèce contrôle la planète Grandiose, la plus proche du soleil. Nous sommes spécialisés dans la maîtrise du feu et de la terre, faisant d’nous les meilleurs forgerons des 21 planètes. Mais bon, trêve de bavardage, j’ai cru comprendre que tu as du mal à trouver une arme qui te corresponde. Nous allons donc faire usage d’un objet très utilisé chez les Cultivateurs : l’acier guerrier…
… Bouilli à une certaine température, ce métal est capable de prendre la forme idéale pour la personne se trouvant la plus proche d’lui. Plus tu parviendras à t’approcher du métal, mieux il pourra interpréter tes b’soins. Je dois cependant t’prévenir, sa chaleur est particulièrement dure à supporter pour un Aspirant, même s’il est Physicien. Tu devras donc faire attention à ne pas dépasser tes limites. Pour le reste, n’t’inquiète pas. Moi, Barzel, suis le meilleur forgeron de la ville, mes compétences n’ont jamais perdu face à l’imagination du métal, assura le géant en posant l’une de ses mains droites sur son torse.
Aussitôt, la forge s’alluma, donnant vie à la pièce précédemment obscure, en réchauffant la pierre froide et sombre tout en la colorant d’un rouge brillant. Barzel sortit de sa bague dimensionnelle un bout de métal de la taille d’un bras (humain), puis, sans cérémonie, le jeta dans les flammes. Le forgeron fit ensuite jaillir de ses mains des flammes si puissantes qu’elles n’étaient plus de couleur orange, mais violette. Leur simple aura fit dresser les poils d’Esh.
Après quelques minutes, le métal se décomposa, jusqu’à devenir une flaque argentée.
̶ Vite, mon garçon ! Approche-toi le plus possible du métal, le pressa l’Anak avant de faire disparaître les flammes.
Réactif, Esh se précipita aussitôt vers les flammes, mais alors qu’il n’était plus qu’à deux mètres, la chaleur devint si forte qu’il eut l’impression d’être confronté à un mur physique le stoppant en pleine course. Il sentait néanmoins un lien se créer entre lui et le métal, comme si le l’acier guerrier fouillait ses souvenirs, afin de les analyser pour s’adapter à l’Aspirant.
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Encouragé par la connexion créée, il serra les dents et parvint à s’avancer d’une cinquantaine de centimètres, mettant toute la puissance physique dont il était capable dans son pas. Aussitôt, il sentit l’acier guerrier analyser son noyau en formation.
Il utilisa ensuite la première et la seconde technique du mur des ancêtres. La première lui permit de modifier son équilibre pour diminuer l’impact de la chaleur, et la deuxième, de concentrer sa puissance vers les zones de son corps les plus impactées par la chaleur. Il ne restait plus qu’un mètre, et le métal pouvait, grâce à cela, scanner chaque cellule de son corps.
Puis, il se concentra sur ses lois des flammes, permettant ainsi à son organisme d’assimiler la chaleur environnante, au lieu de la combattre, lui permettant d’avancer d’encore cinquante centimètres. Aussitôt, sa connexion avec l’acier guerrier se fluidifia encore plus. Celui-ci pouvait désormais scanner ses aspirations ! Il ne pouvait cependant s’avancer davantage. À cette distance, la chaleur avait dépassé la limite de ce qu’il pouvait endurer, même en mettant en pratique toutes ses techniques. Même ses habits, pourtant fabriqués à partir d’un tissu assez résistant pour ne pas être endommagé lors de combats entre Aspirants, commençait à brûler.
Il jeta un coup d’œil au métal. Celui-ci commençait à légèrement se solidifier en forme longue. En voyant cela, le forgeron fut surpris de voir qu’un Aspirant, aussi peu avancé sur le Chemin qu’Esh, ait pu autant approcher :
Il possède des techniques intéressantes, qui lui ont permis de s’avancer plus loin qu’il n’aurait dû pouvoir le faire, mais il vient d’atteindre sa limite, pensa-t-il, avant de froncer les sourcils en voyant qu’Esh tentait de s’avancer encore davantage.
Après avoir serré les dents, l’Aspirant décida de jouer le tout pour le tout. Il fit apparaître un mur de glace, et s’entoura d’une armure rudimentaire en bois, avant de sauter vers le métal ! Presque aussitôt, la glace s’évapora, et le bois fut réduit en cendres. Mais ce court instant de protection lui permit d’effleurer l’acier guerrier !
Pendant un bref instant, Esh eut une vision : il se vit en train de peindre des flammes dans l’air, comme s’il s’agissait d’une toile ; celles-ci partirent s’abattre sur ses ennemis, tel un châtiment divin. L’un d’eux parvint néanmoins à éviter les projectiles. Mais au moment où il fut assez proche, Esh retourna son pinceau, qui s’enfonça dans la chair de son assaillant, grâce à la lame ornant son extrémité.
La vision n’ayant, en réalité, duré qu’une fraction de seconde, Esh fut aussitôt projeté en arrière par la pression de la forge, si puissante qu’elle lui coupa le souffle, avant de l’envoyer cogner contre l’un des murs opposés de la vaste pièce. L’Aspirant s’évanouit sous le choc.
En voyant la performance de l’adolescent, Barzel ne put s’empêcher de frémir. Il était rare de voir des Aspirants de son âge, assez déterminés pour se rapprocher autant de l’acier guerrier sous forme liquide. Pourtant Esh n’avait pratiquement pas hésité à se blesser pour atteindre son objectif. Il admira ensuite avec surprise l’acier guerrier. Le métal n’avait toujours pas pris forme, comme si le contact avec le garçon lui avait donné le besoin d’assimiler d’autres matériaux pour former l’arme idéale.
Le forgeron resta un moment pensif. Les Toshiya avaient seulement demandé de fournir de l’acier guerrier, qui était déjà, à lui seul, un composant particulièrement noble pour l’arme d’un simple Aspirant. Il avait cependant assuré au garçon qu’il pourrait sans problème forger l’arme idéale, et ne comptait pas revenir sur ses paroles, surtout après le sacrifice qu’il avait fait sous ses yeux.
Il sortit donc du titane de glace de sa dimension spatiale, qui fut avidement absorbé par l’acier guerrier, sans pour autant lui conférer une forme. Contrarié, le géant ajouta un bois de chêne dégageant un air particulièrement ancien, et pour cause... celui-ci était vieux de dix mille ans !
L’acier guerrier absorba le composant comme s’il s’agissait de simples brindilles, n’en laissant pas une miette, mais au grand dam du géant, ne prit toujours pas forme.
̶ Acier de malheur, t’vas prendre une forme oui ?! s’énerva Barzel.
L’Anak n’avait jamais vécu une telle situation. S’arrêter en plein milieu signifierait, cependant, la perte des matériaux déjà utilisés. Il serra les dents, et inséra une plume de phœnix, un composant si rare que même un Moumré hésiterait à l’utiliser pour construire son arme.
Bien moins rapidement que les deux autres matériaux, l’acier guerrier l’absorba, avant de finalement commencer à prendre forme. Pour que la formation de l’arme se déroule sans anicroche, le forgeron fit jaillir des flammes de ses mains afin d’insuffler de l’énergie au métal. Il plongea ensuite l’arme dans un conteneur de glace éternelle.
Trois heures plus tard, ce fut enfin terminé. Le forgeron examina l’arme avec fierté : c’était sûrement l’une de ses plus belles œuvres !
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